Le dossier intégriste avance dans l'Église catholique comme aucun autre. Après la réhabilitation de la messe en latin comme rite «extraordinaire», le 7 juillet 2007, la levée des excommunications, le 24 janvier dernier, des quatre évêques consacrés par Mgr Marcel Lefebvre, dont le fameux Mgr Williamson, Rome doit publier vendredi ou très prochainement, un motu proprio (sorte de décret d'application) pour faciliter les discussions de fond avec la Fraternité Saint Pie X sur le concile Vatican II qui reste la véritable pierre d'achoppement. Les échanges entre experts théologiques pourraient même commencer à l'automne prochain. De leur issue dépend le succès, ou l'échec de la volonté de Benoît XVI de réintégrer la communauté lefebvriste dans l'Église catholique.
En attendant, ce motu proprio devrait lancer une miniréforme de structure au sein du Vatican. La commission Ecclesia Dei, comparable à une mission gouvernementale qui fut créée à la suite des consécrations illicites par Mgr Lefebvre en 1988, pour garder le contact avec ceux que Rome considérait comme schismatiques, va changer de tutelle. Elle dépendait jusque-là du Pape, donc du secrétaire d'État qui joue le rôle d'un premier ministre. Elle passe sous l'autorité hiérarchique de la Congrégation pour la doctrine de la foi.
Soit un véritable changement de méthodes. Auparavant, les relations avec les lefebvristes étaient gérées dans le registre «disciplinaire» comme le seraient celles d'un gouvernement avec des dissidents réfractaires. Avec la réforme, ces relations viennent sur le terrain purement théologique. La Congrégation pour la doctrine de la foi est le centre névralgique de l'Église catholique. À l'image d'une banque centrale, elle contrôle la valeur du «dépôt de la foi catholique». Elle a le pouvoir de dire ce qui est, ou n'est pas, catholique.
Si Benoît XVI, pape théologien et ancien préfet de cette puissante congrégation, a voulu cette évolution également souhaitée par les disciples de Mgr Lefebvre, c'est pour traiter du problème à sa racine.
Terrain miné
Plus que la messe en latin, la divergence totale de vue sur le concile Vatican II est bien la cause principale de la rupture. Et depuis vingt ans, les positions - antagonistes - sont bloquées. Mais Benoît XVI, plus que Jean-Paul II, veut absolument sortir de l'impasse, comme le démontre la série de gestes qu'il a faits dans cette direction depuis son élection en avril 2005.
Jusque-là la réhabilitation de la messe selon le missel de Jean XXIII, dite en latin, au titre d'un rite «extraordinaire» n'a pas provoqué le séisme annoncé dans l'Église et la levée des excommunications, sans l'affaire Williamson, serait passée quasiment inaperçue. Mais la perspective de ces discussions théologiques sur le concile Vatican II semble relever d'une mission impossible. Sur un terrain miné qui plus est.
Une mission impossible, car il s'agit de concilier deux visions rigoureusement opposées du concile. L'abbé Lorans, porte-parole de la Fraternité Saint Pie X, résumait cette semaine, la problématique telle qu'il la perçoit : «La ligne de partage n'est pas entre Ecône et Rome, mais entre l'Église qui a deux mille ans et celle qui n'a pas cinquante ans… l'Église conciliaire.» Sont récusés l'œcuménisme et le dialogue interreligieux parce qu'ils mettent en cause la prééminence de l'Église catholique. Mais aussi la perte de la dimension «sacrificielle» de la messe au profit d'une célébration communautaire. Et la dilution du sens de «salut de l'âme» et du renoncement pour l'implication sociale du chrétien dans la société selon l'image du «levain dans la pâte».
Un terrain miné, car les différents acteurs sont surveillés de près. Dans l'Église, plusieurs épiscopats - les Autrichiens sont mêmes venus le dire au Pape ces jours-ci - refusent tout compromis sur Vatican II. Ils sont appuyés par plusieurs cardinaux, dont des Romains, tous très réservés sur ce rapprochement. Quant à Mgr Bernard Fellay, responsable de la Fraternité Saint Pie X, il fait face à une violente opposition interne qui l'accuse de compromis avec Rome.