SOURCE - summorum-pontificum.fr - 16 juillet 2010
Comme je l'ai annoncé ce matin (ICI) voici la suite de l'entretien exclusif que l'abbé Guillaume de Tanoüarn a accordé à ce blog. Il s'agit d'un texte important, qui mérite d'être lu attentivement tant il pose les questions importantes pour l'avenir. Même si pour des questions concernant la facilité de lecture j'ai décidé de publier en deux parties cet entretien il convient de ne pas dissocier les deux propos.
Ch. S.P.
– Je vous arrête dans votre élan et j’en viens à aujourd’hui. Qu’a donc de spécifique la formation que l’IBP proposait à Rome ?
GdT : Le petit convict romain, dirigé avec l’enthousiasme et l’intelligence des personnes, qu’on lui connaît, par l’abbé René Sébastien Fournié, et dont l’abbé Laguérie m’avait nommé modérateur, offrait le premier avantage évident de se trouver à Rome et de faire chaque jour la démonstration que l’Institut du Bon Pasteur voulait être soluble dans l’Eglise romaine. Il me faut insister sur ce point : aucun groupe ne peut prétendre avoir le monopole de l’Eglise, qui, parce qu’elle est catholique, est véritablement universelle, universelle non seulement en droit mais en fait. C’est cette universalité de l’Eglise, loin de tous les communautarismes, loin de je ne sais quel communautarisme intégriste, que l’on apprend d’abord à Rome.
Concrètement comment cela se passait ? Les séminaristes avaient accompli dans des séminaires à l’ancienne leurs années de philosophie (la première partie du cursus) et ils suivaient à Rome des cours de théologie. L’avantage d’une telle organisation était double. On s’était donné trois ans pour « plier la machine », pour former des jeunes lévites à l’esprit des conseils évangéliques et pour leur donner un « esprit maison ». Et à Rome (ou ailleurs plus tard) on créait (ou on créerait) de la souplesse en réduisant un grand séminaire à de petits effectifs, ce qui permettait d’adapter à chacun la formation reçue. Par ailleurs, les séminaristes étaient intégrés dans une paroisse, dans laquelle, à travers le catéchisme et un contact systématique avec les fidèles, ils apprenaient leur futur état de prêtres de paroisse. Aujourd’hui, qu’on se le dise, on entre au séminaire de plus en plus tard, avec son histoire, les blocages qu’elle a produits, et la culture que l’on a pu édifier. Cette souplesse et cet apprentissage sur le tas sont donc bienvenus. Ajoutons qu’à Rome, les séminaristes avaient aussi la possibilité de choisir, selon les profils, entre des universités différentes : classicisme de la Sainte Croix, ouverture du Latran, tradition thomiste à l’Angélique etc. Vous me direz : le choix ne fait pas tout. Sans doute, mais il offre plus de chance pour qu’un candidat puisse découvrir le modèle qui lui convient.
– N’aviez-vous pas peur de perdre tout caractère propre dans cette possibilité de choix, peut-être trop grande justement ?
GdT : Il faut reconnaître – l’abbé Laguérie l’a souligné et c’est la raison qu’il a apportée pour la fermeture – que la Maison de Rome manquait de moyens humains, pour affirmer ce caractère propre, puisque l’IBP n’avait pu y envoyer qu’un seul prêtre permanent avec les séminaristes. L’abbé Fournié demandait à cor et à cri depuis trois ans d’avoir un assistant. Il sera temps de revenir sur ces opportunités manquées. Mais, en tout état de cause, cette carence était forcément toute provisoire, étant donné la jeunesse de notre Institut : quatre ans d’âge. Il aurait fallu en effet pouvoir proposer à nos étudiants des Travaux Dirigés pour une lecture cursive de la Somme théologique de saint Thomas (avec vérification d’un niveau élémentaire de latin, utile quand on célèbre et quand on prie dans cette langue) en y ajoutant l’étude de certains bons vieux cas de théologie morale, pour former les futurs confesseurs, dans le concret de la vie, à la prudence thomiste plutôt qu’à l’impératif catégorique d’Emmanuel Kant. J’avais personnellement commencé, en venant régulièrement depuis Paris, à donner des cours de pastorale autour d’une lecture critique du concile Vatican II. Avec ces petits effectifs, une telle formation était optimale.
Mais j’en viens au terme que vous utilisez dans votre question, celui de « caractère propre ». Justement, il existe déjà des grands séminaires à l’ancienne. Ecône reste une matrice féconde, comme viennent de le démontrer les dernières ordinations. Wigratzbad, Gricigliano font un travail magnifique. Pourquoi les copier ? Pour moi, il fallait, au sein de la Galaxie Ecclesia Dei, que l’IBP se démarque d’emblée et ne propose pas le même cycle de formation que ces deux séminaires, parfaitement bien huilés, pour ne pas courir le risque d’apparaître comme un concurrent tard venu de deux Maisons bien établies. La spécificité de l’IBP aurait commencé avec sa méthode de formation des clercs et cette spécificité initiale aurait, avec le temps, permis de former des prêtres pour des apostolats spécifiques.
A l’opposé de cette perspective initiale, qui est celle de nos statuts, signifier la fermeture du convict, c’est affirmer que si la Maison de Rome devait fonctionner aujourd’hui ce serait forcément comme maison de troisième cycle pour la formation de gens qui sont déjà prêtres - autant dire une sorte d’hôtel pour prêtres en court ou long séjour, ce qui existe déjà partout à Rome. Clairement ce projet d’une Maison de troisième cycle (qui ne concernerait pas les séminaristes) ne trouvera certainement aucun financement dans l’état actuel, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises. Et dans ces conditions, il faudra fermer la Maison.
Mais je ne crois pas qu’on en arrivera à cette extrémité. J’ai voulu montrer par ces quelques mots que l’idée de cette Maison n’était pas un simple caprice, qu’elle était « racinée profond » - et dans nos statuts et dans une analyse globale de la situation du sacerdoce et de l’Eglise. Quand les racines sont profondes, un arbre coupé en pleine vigueur peut rejaillir immédiatement, en une nouvelle croissance. C’est ce que j’espère pour notre projet.
– Ne peut-on pas dire que votre approche – et donc votre espérance - reste très intellectuelle, très abstraite ?
GdT : Ecoutez, on ne se refait pas. J’ai beaucoup parlé de la formation intellectuelle pour trois raisons : d’abord parce que c’est mon rayon ; ensuite parce que j’ai réfléchi à la question, ayant rédigé, à la demande de l’abbé Laguérie, un projet complet de Ratio studiorum ; enfin parce que je crois vraiment que le « bon prêtre » à l’ancienne, qui sait un peu de latin pour dire sa messe et qui recrache des sermons tout préparés, en provenance d’officines spécialisées ou de recueils antiques, cela, c’est terminé. L’Eglise a besoin d’une vraie réforme intellectuelle. Benoît XVI en ce moment donne le la à ce sujet. Il me semble que nous autres traditionalistes, au seul motif que nous dirions la messe en latin, nous ne sommes pas dispensés de cet effort intellectuel, qui, à travers des textes comme le catéchisme de l’Eglise catholique, traverse toute la communauté chrétienne.
Mgr Lefebvre avait organisé sa Fraternité Saint-Pie X, en Occident, pour ce que j’appellerais « un public captif » qui se trouvait, avant son action, extraordinairement dépourvu de secours spirituel, à cause de la brutalité des réformes que tout le monde reconnaît aujourd’hui. C’est ce qu’il a appelé lui-même le cas de nécessité.
Mais aujourd’hui deux générations ont passé depuis 1969. Actuellement, le milieu traditionaliste naturel se rétrécit sans cesse. C’est un fait. Du point de vue pastoral, je suis bien placé, à Paris, pour dire qu’il n’y a (pratiquement) plus de public captif. Le public d’aujourd’hui, dans les églises, et je parle ici aussi pour le Centre saint Paul que je dirige, outre quelques familles solides par elles-mêmes, est un public de commençants ou de recommençants, un public qui pose des questions.
Attention cependant à l’usage que vous faites du terme « intellectuel » dans votre question. Je ne parle pas de je ne sais quelle mentalisation du Mystère chrétien. Cette cérébralisation, qui sévit d’ailleurs ici et là, serait absurde, comme a été absurde dans les années 50 - et terrorisant - le culte de l’érudition pour elle-même. L’objectif d’un éducateur du sacerdoce, d’un formateur de prêtre, c’est, par l’exemple personnel comme par l’enseignement, de donner aux jeunes dont il a la charge, un cœur intelligent.
Je crois à la première grâce reçue par l’IBP et si audacieusement exposée dans nos statuts et je sais qu’elle rejaillira sous une forme ou une autre, parce que l’Eglise en a besoin.
Comme je l'ai annoncé ce matin (ICI) voici la suite de l'entretien exclusif que l'abbé Guillaume de Tanoüarn a accordé à ce blog. Il s'agit d'un texte important, qui mérite d'être lu attentivement tant il pose les questions importantes pour l'avenir. Même si pour des questions concernant la facilité de lecture j'ai décidé de publier en deux parties cet entretien il convient de ne pas dissocier les deux propos.
Ch. S.P.
– Je vous arrête dans votre élan et j’en viens à aujourd’hui. Qu’a donc de spécifique la formation que l’IBP proposait à Rome ?
GdT : Le petit convict romain, dirigé avec l’enthousiasme et l’intelligence des personnes, qu’on lui connaît, par l’abbé René Sébastien Fournié, et dont l’abbé Laguérie m’avait nommé modérateur, offrait le premier avantage évident de se trouver à Rome et de faire chaque jour la démonstration que l’Institut du Bon Pasteur voulait être soluble dans l’Eglise romaine. Il me faut insister sur ce point : aucun groupe ne peut prétendre avoir le monopole de l’Eglise, qui, parce qu’elle est catholique, est véritablement universelle, universelle non seulement en droit mais en fait. C’est cette universalité de l’Eglise, loin de tous les communautarismes, loin de je ne sais quel communautarisme intégriste, que l’on apprend d’abord à Rome.
Concrètement comment cela se passait ? Les séminaristes avaient accompli dans des séminaires à l’ancienne leurs années de philosophie (la première partie du cursus) et ils suivaient à Rome des cours de théologie. L’avantage d’une telle organisation était double. On s’était donné trois ans pour « plier la machine », pour former des jeunes lévites à l’esprit des conseils évangéliques et pour leur donner un « esprit maison ». Et à Rome (ou ailleurs plus tard) on créait (ou on créerait) de la souplesse en réduisant un grand séminaire à de petits effectifs, ce qui permettait d’adapter à chacun la formation reçue. Par ailleurs, les séminaristes étaient intégrés dans une paroisse, dans laquelle, à travers le catéchisme et un contact systématique avec les fidèles, ils apprenaient leur futur état de prêtres de paroisse. Aujourd’hui, qu’on se le dise, on entre au séminaire de plus en plus tard, avec son histoire, les blocages qu’elle a produits, et la culture que l’on a pu édifier. Cette souplesse et cet apprentissage sur le tas sont donc bienvenus. Ajoutons qu’à Rome, les séminaristes avaient aussi la possibilité de choisir, selon les profils, entre des universités différentes : classicisme de la Sainte Croix, ouverture du Latran, tradition thomiste à l’Angélique etc. Vous me direz : le choix ne fait pas tout. Sans doute, mais il offre plus de chance pour qu’un candidat puisse découvrir le modèle qui lui convient.
– N’aviez-vous pas peur de perdre tout caractère propre dans cette possibilité de choix, peut-être trop grande justement ?
GdT : Il faut reconnaître – l’abbé Laguérie l’a souligné et c’est la raison qu’il a apportée pour la fermeture – que la Maison de Rome manquait de moyens humains, pour affirmer ce caractère propre, puisque l’IBP n’avait pu y envoyer qu’un seul prêtre permanent avec les séminaristes. L’abbé Fournié demandait à cor et à cri depuis trois ans d’avoir un assistant. Il sera temps de revenir sur ces opportunités manquées. Mais, en tout état de cause, cette carence était forcément toute provisoire, étant donné la jeunesse de notre Institut : quatre ans d’âge. Il aurait fallu en effet pouvoir proposer à nos étudiants des Travaux Dirigés pour une lecture cursive de la Somme théologique de saint Thomas (avec vérification d’un niveau élémentaire de latin, utile quand on célèbre et quand on prie dans cette langue) en y ajoutant l’étude de certains bons vieux cas de théologie morale, pour former les futurs confesseurs, dans le concret de la vie, à la prudence thomiste plutôt qu’à l’impératif catégorique d’Emmanuel Kant. J’avais personnellement commencé, en venant régulièrement depuis Paris, à donner des cours de pastorale autour d’une lecture critique du concile Vatican II. Avec ces petits effectifs, une telle formation était optimale.
Mais j’en viens au terme que vous utilisez dans votre question, celui de « caractère propre ». Justement, il existe déjà des grands séminaires à l’ancienne. Ecône reste une matrice féconde, comme viennent de le démontrer les dernières ordinations. Wigratzbad, Gricigliano font un travail magnifique. Pourquoi les copier ? Pour moi, il fallait, au sein de la Galaxie Ecclesia Dei, que l’IBP se démarque d’emblée et ne propose pas le même cycle de formation que ces deux séminaires, parfaitement bien huilés, pour ne pas courir le risque d’apparaître comme un concurrent tard venu de deux Maisons bien établies. La spécificité de l’IBP aurait commencé avec sa méthode de formation des clercs et cette spécificité initiale aurait, avec le temps, permis de former des prêtres pour des apostolats spécifiques.
A l’opposé de cette perspective initiale, qui est celle de nos statuts, signifier la fermeture du convict, c’est affirmer que si la Maison de Rome devait fonctionner aujourd’hui ce serait forcément comme maison de troisième cycle pour la formation de gens qui sont déjà prêtres - autant dire une sorte d’hôtel pour prêtres en court ou long séjour, ce qui existe déjà partout à Rome. Clairement ce projet d’une Maison de troisième cycle (qui ne concernerait pas les séminaristes) ne trouvera certainement aucun financement dans l’état actuel, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises. Et dans ces conditions, il faudra fermer la Maison.
Mais je ne crois pas qu’on en arrivera à cette extrémité. J’ai voulu montrer par ces quelques mots que l’idée de cette Maison n’était pas un simple caprice, qu’elle était « racinée profond » - et dans nos statuts et dans une analyse globale de la situation du sacerdoce et de l’Eglise. Quand les racines sont profondes, un arbre coupé en pleine vigueur peut rejaillir immédiatement, en une nouvelle croissance. C’est ce que j’espère pour notre projet.
– Ne peut-on pas dire que votre approche – et donc votre espérance - reste très intellectuelle, très abstraite ?
GdT : Ecoutez, on ne se refait pas. J’ai beaucoup parlé de la formation intellectuelle pour trois raisons : d’abord parce que c’est mon rayon ; ensuite parce que j’ai réfléchi à la question, ayant rédigé, à la demande de l’abbé Laguérie, un projet complet de Ratio studiorum ; enfin parce que je crois vraiment que le « bon prêtre » à l’ancienne, qui sait un peu de latin pour dire sa messe et qui recrache des sermons tout préparés, en provenance d’officines spécialisées ou de recueils antiques, cela, c’est terminé. L’Eglise a besoin d’une vraie réforme intellectuelle. Benoît XVI en ce moment donne le la à ce sujet. Il me semble que nous autres traditionalistes, au seul motif que nous dirions la messe en latin, nous ne sommes pas dispensés de cet effort intellectuel, qui, à travers des textes comme le catéchisme de l’Eglise catholique, traverse toute la communauté chrétienne.
Mgr Lefebvre avait organisé sa Fraternité Saint-Pie X, en Occident, pour ce que j’appellerais « un public captif » qui se trouvait, avant son action, extraordinairement dépourvu de secours spirituel, à cause de la brutalité des réformes que tout le monde reconnaît aujourd’hui. C’est ce qu’il a appelé lui-même le cas de nécessité.
Mais aujourd’hui deux générations ont passé depuis 1969. Actuellement, le milieu traditionaliste naturel se rétrécit sans cesse. C’est un fait. Du point de vue pastoral, je suis bien placé, à Paris, pour dire qu’il n’y a (pratiquement) plus de public captif. Le public d’aujourd’hui, dans les églises, et je parle ici aussi pour le Centre saint Paul que je dirige, outre quelques familles solides par elles-mêmes, est un public de commençants ou de recommençants, un public qui pose des questions.
Attention cependant à l’usage que vous faites du terme « intellectuel » dans votre question. Je ne parle pas de je ne sais quelle mentalisation du Mystère chrétien. Cette cérébralisation, qui sévit d’ailleurs ici et là, serait absurde, comme a été absurde dans les années 50 - et terrorisant - le culte de l’érudition pour elle-même. L’objectif d’un éducateur du sacerdoce, d’un formateur de prêtre, c’est, par l’exemple personnel comme par l’enseignement, de donner aux jeunes dont il a la charge, un cœur intelligent.
Je crois à la première grâce reçue par l’IBP et si audacieusement exposée dans nos statuts et je sais qu’elle rejaillira sous une forme ou une autre, parce que l’Eglise en a besoin.