SOURCE - Paix Liturgique, lettre 282 - 9 mai 2011
Vatican Information Service a donné tout récemment cette très intéressante information :
1°/ Le Saint-Père s’adresse aux participants du IXe Congrès international de liturgie organisé par l'Institut pontifical liturgique de Saint-Anselme, pour le 50ème anniversaire de sa fondation, autrement dit le gratin du gratin de la science liturgique actuelle, si on nous permet cette expression familière.
L’Athénée pontifical Saint-Anselme (qui fut d’abord « Institut Pontifical liturgique Saint-Anselme », fondé en 1961, dans la vue de préparer activement la réforme liturgique), situé sur ce lieu merveilleux qu’est l’Aventin, à Rome, est confié à l’ordre bénédictin. Y est délivré un enseignement universitaire de philosophie, de théologie, d’études monastiques, de théologie sacramentaire, d’histoire de la théologie. Mais cet établissement est particulièrement spécialisé dans les matières liturgiques. D'un excellent niveau, il fut longtemps très « progressiste », mais il s’est aujourd’hui relativement « recentré ».
2°/ Sous Jean-Paul II, lorsque le Pape recevait les participants d’un colloque ou les membres d’une institution romaine – ce qui arrivait parfois plusieurs fois par semaine – il était d’usage que le discours qu’il prononçait ait été rédigé par les récipiendaires eux-mêmes (par exemple, les jésuites de la Civita Cattolica, ou les membres de la Rote Romaine, etc.). Le secrétariat du Pape revoyait le discours, introduisait éventuellement quelques corrections et le donnait à lire au Pontife qui le découvrait en même temps que ceux auxquels il s’adressait.
Il n’en est pas de même sous Benoît XVI, qui fait préparer ses interventions par son entourage le plus rapproché, voire même en certaines matières – c’est le cas pour la liturgie – se charge lui-même de la première rédaction. L’inconvénient que l’on met souvent en avant en Curie peut se trouver dans le fait que les propos du Pape ne sont pas visés par divers spécialistes qui pourraient donner leur avis. L’avantage est qu’on sait que c’est la pensée personnelle du Pape qui est exprimée, surtout dans un discours comme celui-ci.
3°/ Les écrits du cardinal Ratzinger sur le sujet de la liturgie, et notamment de la réforme liturgique de Paul VI, on été très nombreux. Entre beaucoup d’autres lieux, il s’était exprimé sur ce sujet dans : l’Entretien sur la foi, Fayard, 1985 ; La célébration de la foi, Téqui, 1985 ; Ma vie (autobiographie), Fayard, 1998 ; L’Esprit de la liturgie, Ad Solem, 2001 ; Un chant nouveau pour le Seigneur, Desclée, 2002. Les critiques de la réforme de Paul VI, spécialement sous l’angle de sa radicalité, avaient été parfois extrêmement sévères : « J’étais consterné de l’interdiction de l’ancien missel […]. On démolit le vieil édifice pour en construire un autre, certes en utilisant largement le matériau et les plans de l’ancienne construction » (Ma vie, pp. 132, 134).
Son ultime intervention sur le thème avait été publiée quelques mois avant son élévation au souverain pontificat, sous la forme d’une recension qu’il avait donnée de l’ouvrage du P. Alcuin Reid, The Organic Development of the Liturgy (Saint Michael’s Abbey Press, Londres, 2004), recension publiée notamment par le mensuel 30 Giorni (décembre 2004). Le cardinal Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi en appelait, contre la réforme à laquelle on avait assisté à la fin des années 60, à une autre réforme liturgique qui représenterait un vrai « développement organique » par rapport au Mouvement liturgique tel qu’il s’est développé jusqu’en 1948 et tel qu’il avait pris corps dans les réformes de Pie XII, essentiellement celle de la Semaine Sainte.
En revanche, depuis son accession au souverain pontificat, en dehors du Motu Proprio Summorum Pontificum de juillet 2007 et de la Lettre aux évêques qui l’accompagnait, les propos de Benoît XVI concernant la liturgie sont devenus extrêmement rares. D’où l’intérêt particulier du discours que nous évoquons.
4°/ Enfin, il est extrêmement probable que le discours s’adressant aux participants du colloque de Saint-Anselme dévoile des thèmes qui doivent se trouver dans l’introduction du Motu Proprio annoncé depuis pas mal de temps, et dont la sortie est toujours retardée, lequel serait destiné à redonner psychologiquement du lustre à la Congrégation pour le Culte divin, en consacrant son rôle de promotion, non de textes organisant une « réforme de la réforme », mais d’un « esprit » allant dans le sens de cette correction de la réforme de Paul VI.
Les thèmes développés par le Pape :
1°/ Autres temps, autres perspectives : le Pape relève habilement que le congrès à pour thème : « mémoire et prophétie ». Il saisit le second terme : « prophétie ». « Le terme prophétique ouvre à un nouvel horizon même si la liturgie de l'Église ne saurait se limiter à la simple réforme conciliaire. Elle va bien au-delà car le but principal de la réforme n'a pas été de changer textes et rites, mais de renouveler la pensée liturgique en mettant au cœur de la vie chrétienne et de la pastorale la célébration du mystère pascal ». Thème classique chez Benoît XVI : la vraie réforme liturgique, comme le vrai Concile n’ont pas été compris. C’est donc vers ce vrai esprit qu’il faut désormais se tourner.
2°/ Ce qui n’a pas fonctionné dans la réforme de Paul VI : le thème précédent reste assez vague. Vient une critique relativement plus précise – mais prudente – de ce qu’on pourrait appeler une « herméneutique de rupture » du point de vue liturgique : « Malheureusement, souvent de la part des pasteurs et des liturgistes, la liturgie a plus été envisagée comme un objet de réforme que comme un sujet en mesure de raviver la vie chrétienne, du fait qu'il existe un lien étroit entre renouveau liturgique et renouveau de la vie ecclésiale ». Et puis encore : la liturgie « vit du rapport constant et précis entre une sainte tradition et un légitime progrès, ainsi que l'expose clairement la constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium ». Et puis aussi : « Trop souvent on oppose maladroitement tradition et progrès alors que les deux concepts se complètent intégralement. La tradition est une réalité vivante, qui inclut en quelque sorte tout principe de développement, de progrès ».
3°/ Ce qu’il faudrait faire pour corriger le tir : cela, malheureusement, le Pape n’en dit rien.
La partie la plus intéressante de ce discours reste implicite. On comprend que la réforme de Paul VI le laisse aussi insatisfait que lorsqu’il était cardinal Ratzinger, mais on comprend aussi qu’il ne passera vraisemblablement pas aux actes, c'est-à-dire aux textes. Au fur et à mesure qu’avance le pontificat, on voit que cette « réforme de la réforme » n’établira pas au moyen d’une série de lois et décrets, un troisième missel, à mi-chemin entre le missel tridentin et le missel nouveau (lequel est d’ailleurs bien plus un ensemble indéfini, un assemblage divers et évolutif, qu’un véritable missel au sens traditionnel). Le cardinal Ratzinger hier, le pape Benoît XVI bien plus encore aujourd’hui, répugne à mettre en œuvre un mouvement de réformes autoritaires et continues semblables – mais en sens inverse – à ce qu’a été la mise en œuvre de la réforme de Paul VI.
Il faut dire que, liturgiquement, l’Église est aujourd’hui une grande malade. Les liturgistes de Benoît XVI, et Benoît XVI lui-même, pourraient-ils agir autrement que par la médication douce de l’exemple : celui du Souverain Pontife, celui des évêques qui voudront bien eux aussi donner l’exemple à sa suite ? On voir ainsi, le Pape donner de petits coups de pouce : manière très digne des célébrations pontificales ; réutilisation par Guido Marini, le cérémoniaire pontifical, de somptueux ornements de la sacristie de Saint-Pierre ; disposition de gros chandeliers sur l’autel qui estompent l’effet théâtral de la célébration face au peuple ; distribution de la communion à genoux, sur la langue.
4°/ Des jalons pour l’avenir : en fait, pour l’essentiel, Benoît XVI pose des jalons pour l’avenir, et ceci de deux manières :
· En indiquant que le véritable esprit de la réforme conciliaire n’a pas été compris ;
· Et par le fait même, en permettant les critiques de plus en plus nombreuses, de plus en plus ouvertes, à Rome même, dans les colloques, des livres, des conférences, de la formidable révolution qu’a été la novation sans exemple dans l’histoire qu’a subie la liturgie romaine à la fin des années soixante.
En matière liturgique, comme en matière doctrinal par son fameux discours de décembre 2005 sur l’herméneutique de Vatican II, Benoît XVI s’inscrit dans l’histoire du post-concile comme le Pape qui ouvre des brèves, plus par le fait qu’il dit que par ce qu’il dit.
5°/ Le terme logique des propos du Pape : historiquement, il est, de toutes façons, inéluctable. La réforme de Paul VI, sauf les incommensurables dégâts qu’elle aura accumulés du point de vue pastoral, catéchétique, pédagogique, missionnaire, culturel, ne peut que disparaître à terme.
Cette disparition programmée, du fait de l’état de l’Église, et de la crise sans précédent de l’autorité, semble ne pouvoir être que progressive. A cet égard, le texte certainement majeur du Pontificat restera le Motu Proprio Summorum Pontificum, avec ce mécanisme – peut-être le seul concrètement possible pour revenir progressivement à une liturgique digne de ce nom dans les paroisses ordinaires – d’établissement d’une sorte de concurrence entre les deux rites, l’ancien et le nouveau, baptisés « formes » extraordinaire et ordinaire. En présentant son texte, le Pape a parlé d’« enrichissement réciproque » que pouvaient s’apporter l’une et l’autre formes.
Bien entendu, tout le monde sait que la forme la plus évidemment « riche » est celle qui bénéficiait d’une tradition ininterrompue de dix siècles, et dont la valeur doctrinale et rituelle était au moins semblable à celle des autres grandes liturgies catholiques. De sorte que personne ne songe sérieusement à nier que la forme qui doit être enrichie/transformée est d’abord cette liturgie fabriquée hâtivement il y a quarante ans. Et c’est ce projet d’enrichissement/transformation de la réforme de Paul VI, dans le but de la rendre plus traditionnelle dans son fond et dans sa forme, qu’on a pris l’habitude de qualifier de réforme de la réforme. Il est clair que la chance de réussite la plus sérieuse de ce « retour » se trouve dans la diffusion la plus large possible de la liturgie traditionnelle, dite « forme extraordinaire ».
Faire progressivement revenir la liturgie des paroisses à la tradition liturgique latine. Il est vrai que dans le discours aux congressistes de Saint-Anselme, le Pape ne dit pas cela expressément. Il est probable qu’à la différence du cardinal Ratzinger, le pape Benoît XVI ne le dira jamais expressément. Mais c’est bien cela, pour l’avenir, que prépare toutes et chacune de ses interventions en ce domaine.
Vatican Information Service a donné tout récemment cette très intéressante information :
CITE DU VATICAN, 6 MAI 2011 (Vatican Information Service). Benoît XVI a reçu ce matin les participants aux IX Congrès international de liturgie organisé par l'Institut pontifical liturgique de St. Anselme, pour le 50 anniversaire de sa fondation. Le Pape a rappelé que Jean XXIII, "répondant juste avant le Concile aux attentes du mouvement liturgique, avait voulu relancer cette prière de l'Église en chargeant la Faculté bénédictine de l'Aventin de constituer un centre de recherche pour assurer une base solide à la réforme de la liturgie". Rappelant le titre du congrès, Entre mémoire et prophétie, il a dit que la première appartenait à l'histoire d'un institut qui a offert pendant cinquante ans d'activité et d'enseignement sa contribution à une Église engagée dans l'actualisation de Vatican II. "Le terme prophétique ouvre à un nouvel horizon même si la liturgie de l'Église ne saurait se limiter à la simple réforme conciliaire. Elle va bien au-delà car le but principal de la réforme n'a pas été de changer textes et rites, mais de renouveler la pensée liturgique en mettant au cœur de la vie chrétienne et de la pastorale la célébration du mystère pascal. Malheureusement, souvent de la part des pasteurs et des liturgistes, la liturgie a plus été envisagée comme un objet de réforme que comme un sujet en mesure de raviver la vie chrétienne, du fait qu'il existe un lien étroit entre renouveau liturgique et renouveau de la vie ecclésiale". La liturgie, a poursuivi Benoît XVI, "vit du rapport constant et précis entre une sainte tradition et un légitime progrès, ainsi que l'expose clairement la constitution conciliaire" Sacrosanctum Concilium. "Trop souvent on oppose maladroitement tradition et progrès alors que les deux concepts se complètent intégralement. La tradition est une réalité vivante, qui inclut en quelque sorte tout principe de développement, de progrès... Puisse votre institut poursuivre avec élan le service qu'il rend à l'Église, en pleine fidélité à sa riche tradition liturgique comme à la réforme voulue par le Concile Vatican II selon les critères édictés par la Sacrosanctum Concilium et les indications du Magistère". AC/VIS 20110506 (350)Plusieurs précisions s’imposent :
1°/ Le Saint-Père s’adresse aux participants du IXe Congrès international de liturgie organisé par l'Institut pontifical liturgique de Saint-Anselme, pour le 50ème anniversaire de sa fondation, autrement dit le gratin du gratin de la science liturgique actuelle, si on nous permet cette expression familière.
L’Athénée pontifical Saint-Anselme (qui fut d’abord « Institut Pontifical liturgique Saint-Anselme », fondé en 1961, dans la vue de préparer activement la réforme liturgique), situé sur ce lieu merveilleux qu’est l’Aventin, à Rome, est confié à l’ordre bénédictin. Y est délivré un enseignement universitaire de philosophie, de théologie, d’études monastiques, de théologie sacramentaire, d’histoire de la théologie. Mais cet établissement est particulièrement spécialisé dans les matières liturgiques. D'un excellent niveau, il fut longtemps très « progressiste », mais il s’est aujourd’hui relativement « recentré ».
2°/ Sous Jean-Paul II, lorsque le Pape recevait les participants d’un colloque ou les membres d’une institution romaine – ce qui arrivait parfois plusieurs fois par semaine – il était d’usage que le discours qu’il prononçait ait été rédigé par les récipiendaires eux-mêmes (par exemple, les jésuites de la Civita Cattolica, ou les membres de la Rote Romaine, etc.). Le secrétariat du Pape revoyait le discours, introduisait éventuellement quelques corrections et le donnait à lire au Pontife qui le découvrait en même temps que ceux auxquels il s’adressait.
Il n’en est pas de même sous Benoît XVI, qui fait préparer ses interventions par son entourage le plus rapproché, voire même en certaines matières – c’est le cas pour la liturgie – se charge lui-même de la première rédaction. L’inconvénient que l’on met souvent en avant en Curie peut se trouver dans le fait que les propos du Pape ne sont pas visés par divers spécialistes qui pourraient donner leur avis. L’avantage est qu’on sait que c’est la pensée personnelle du Pape qui est exprimée, surtout dans un discours comme celui-ci.
3°/ Les écrits du cardinal Ratzinger sur le sujet de la liturgie, et notamment de la réforme liturgique de Paul VI, on été très nombreux. Entre beaucoup d’autres lieux, il s’était exprimé sur ce sujet dans : l’Entretien sur la foi, Fayard, 1985 ; La célébration de la foi, Téqui, 1985 ; Ma vie (autobiographie), Fayard, 1998 ; L’Esprit de la liturgie, Ad Solem, 2001 ; Un chant nouveau pour le Seigneur, Desclée, 2002. Les critiques de la réforme de Paul VI, spécialement sous l’angle de sa radicalité, avaient été parfois extrêmement sévères : « J’étais consterné de l’interdiction de l’ancien missel […]. On démolit le vieil édifice pour en construire un autre, certes en utilisant largement le matériau et les plans de l’ancienne construction » (Ma vie, pp. 132, 134).
Son ultime intervention sur le thème avait été publiée quelques mois avant son élévation au souverain pontificat, sous la forme d’une recension qu’il avait donnée de l’ouvrage du P. Alcuin Reid, The Organic Development of the Liturgy (Saint Michael’s Abbey Press, Londres, 2004), recension publiée notamment par le mensuel 30 Giorni (décembre 2004). Le cardinal Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi en appelait, contre la réforme à laquelle on avait assisté à la fin des années 60, à une autre réforme liturgique qui représenterait un vrai « développement organique » par rapport au Mouvement liturgique tel qu’il s’est développé jusqu’en 1948 et tel qu’il avait pris corps dans les réformes de Pie XII, essentiellement celle de la Semaine Sainte.
En revanche, depuis son accession au souverain pontificat, en dehors du Motu Proprio Summorum Pontificum de juillet 2007 et de la Lettre aux évêques qui l’accompagnait, les propos de Benoît XVI concernant la liturgie sont devenus extrêmement rares. D’où l’intérêt particulier du discours que nous évoquons.
4°/ Enfin, il est extrêmement probable que le discours s’adressant aux participants du colloque de Saint-Anselme dévoile des thèmes qui doivent se trouver dans l’introduction du Motu Proprio annoncé depuis pas mal de temps, et dont la sortie est toujours retardée, lequel serait destiné à redonner psychologiquement du lustre à la Congrégation pour le Culte divin, en consacrant son rôle de promotion, non de textes organisant une « réforme de la réforme », mais d’un « esprit » allant dans le sens de cette correction de la réforme de Paul VI.
Les thèmes développés par le Pape :
1°/ Autres temps, autres perspectives : le Pape relève habilement que le congrès à pour thème : « mémoire et prophétie ». Il saisit le second terme : « prophétie ». « Le terme prophétique ouvre à un nouvel horizon même si la liturgie de l'Église ne saurait se limiter à la simple réforme conciliaire. Elle va bien au-delà car le but principal de la réforme n'a pas été de changer textes et rites, mais de renouveler la pensée liturgique en mettant au cœur de la vie chrétienne et de la pastorale la célébration du mystère pascal ». Thème classique chez Benoît XVI : la vraie réforme liturgique, comme le vrai Concile n’ont pas été compris. C’est donc vers ce vrai esprit qu’il faut désormais se tourner.
2°/ Ce qui n’a pas fonctionné dans la réforme de Paul VI : le thème précédent reste assez vague. Vient une critique relativement plus précise – mais prudente – de ce qu’on pourrait appeler une « herméneutique de rupture » du point de vue liturgique : « Malheureusement, souvent de la part des pasteurs et des liturgistes, la liturgie a plus été envisagée comme un objet de réforme que comme un sujet en mesure de raviver la vie chrétienne, du fait qu'il existe un lien étroit entre renouveau liturgique et renouveau de la vie ecclésiale ». Et puis encore : la liturgie « vit du rapport constant et précis entre une sainte tradition et un légitime progrès, ainsi que l'expose clairement la constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium ». Et puis aussi : « Trop souvent on oppose maladroitement tradition et progrès alors que les deux concepts se complètent intégralement. La tradition est une réalité vivante, qui inclut en quelque sorte tout principe de développement, de progrès ».
3°/ Ce qu’il faudrait faire pour corriger le tir : cela, malheureusement, le Pape n’en dit rien.
La partie la plus intéressante de ce discours reste implicite. On comprend que la réforme de Paul VI le laisse aussi insatisfait que lorsqu’il était cardinal Ratzinger, mais on comprend aussi qu’il ne passera vraisemblablement pas aux actes, c'est-à-dire aux textes. Au fur et à mesure qu’avance le pontificat, on voit que cette « réforme de la réforme » n’établira pas au moyen d’une série de lois et décrets, un troisième missel, à mi-chemin entre le missel tridentin et le missel nouveau (lequel est d’ailleurs bien plus un ensemble indéfini, un assemblage divers et évolutif, qu’un véritable missel au sens traditionnel). Le cardinal Ratzinger hier, le pape Benoît XVI bien plus encore aujourd’hui, répugne à mettre en œuvre un mouvement de réformes autoritaires et continues semblables – mais en sens inverse – à ce qu’a été la mise en œuvre de la réforme de Paul VI.
Il faut dire que, liturgiquement, l’Église est aujourd’hui une grande malade. Les liturgistes de Benoît XVI, et Benoît XVI lui-même, pourraient-ils agir autrement que par la médication douce de l’exemple : celui du Souverain Pontife, celui des évêques qui voudront bien eux aussi donner l’exemple à sa suite ? On voir ainsi, le Pape donner de petits coups de pouce : manière très digne des célébrations pontificales ; réutilisation par Guido Marini, le cérémoniaire pontifical, de somptueux ornements de la sacristie de Saint-Pierre ; disposition de gros chandeliers sur l’autel qui estompent l’effet théâtral de la célébration face au peuple ; distribution de la communion à genoux, sur la langue.
4°/ Des jalons pour l’avenir : en fait, pour l’essentiel, Benoît XVI pose des jalons pour l’avenir, et ceci de deux manières :
· En indiquant que le véritable esprit de la réforme conciliaire n’a pas été compris ;
· Et par le fait même, en permettant les critiques de plus en plus nombreuses, de plus en plus ouvertes, à Rome même, dans les colloques, des livres, des conférences, de la formidable révolution qu’a été la novation sans exemple dans l’histoire qu’a subie la liturgie romaine à la fin des années soixante.
En matière liturgique, comme en matière doctrinal par son fameux discours de décembre 2005 sur l’herméneutique de Vatican II, Benoît XVI s’inscrit dans l’histoire du post-concile comme le Pape qui ouvre des brèves, plus par le fait qu’il dit que par ce qu’il dit.
5°/ Le terme logique des propos du Pape : historiquement, il est, de toutes façons, inéluctable. La réforme de Paul VI, sauf les incommensurables dégâts qu’elle aura accumulés du point de vue pastoral, catéchétique, pédagogique, missionnaire, culturel, ne peut que disparaître à terme.
Cette disparition programmée, du fait de l’état de l’Église, et de la crise sans précédent de l’autorité, semble ne pouvoir être que progressive. A cet égard, le texte certainement majeur du Pontificat restera le Motu Proprio Summorum Pontificum, avec ce mécanisme – peut-être le seul concrètement possible pour revenir progressivement à une liturgique digne de ce nom dans les paroisses ordinaires – d’établissement d’une sorte de concurrence entre les deux rites, l’ancien et le nouveau, baptisés « formes » extraordinaire et ordinaire. En présentant son texte, le Pape a parlé d’« enrichissement réciproque » que pouvaient s’apporter l’une et l’autre formes.
Bien entendu, tout le monde sait que la forme la plus évidemment « riche » est celle qui bénéficiait d’une tradition ininterrompue de dix siècles, et dont la valeur doctrinale et rituelle était au moins semblable à celle des autres grandes liturgies catholiques. De sorte que personne ne songe sérieusement à nier que la forme qui doit être enrichie/transformée est d’abord cette liturgie fabriquée hâtivement il y a quarante ans. Et c’est ce projet d’enrichissement/transformation de la réforme de Paul VI, dans le but de la rendre plus traditionnelle dans son fond et dans sa forme, qu’on a pris l’habitude de qualifier de réforme de la réforme. Il est clair que la chance de réussite la plus sérieuse de ce « retour » se trouve dans la diffusion la plus large possible de la liturgie traditionnelle, dite « forme extraordinaire ».
Faire progressivement revenir la liturgie des paroisses à la tradition liturgique latine. Il est vrai que dans le discours aux congressistes de Saint-Anselme, le Pape ne dit pas cela expressément. Il est probable qu’à la différence du cardinal Ratzinger, le pape Benoît XVI ne le dira jamais expressément. Mais c’est bien cela, pour l’avenir, que prépare toutes et chacune de ses interventions en ce domaine.