SOURCE - Claire Arsenault - RFI - 12 décembre 2011
Ils ne désarment pas. Depuis des semaines des catholiques traditionalistes multiplient les manifestations à travers la France contre ce qu’ils appellent la « christianophobie ». Oeuvres d’art ou pièces de théâtre jugées dégradantes pour leur foi mobilisent ces groupuscules derrière la bannière du Renouveau français, de Civitas et autres groupes intégristes tutoyant l’extrême droite. Ils ne sont certes pas très nombreux mais fort bruyants.
Après Toulouse, c’est au tour de Paris de mettre à l’affiche du 8 au 17 décembre 2011 Gólgota picnic, une pièce de l’Hispano-Argentin Rodrigo Garcia. Comme dans la Ville rose, le théâtre du Rond-Point, au pied des Champs-Elysées, voit chaque soir de bien étranges pèlerins se rassembler. Maintenus à distance par quelque 800 policiers et CRS en tenue anti-émeute, ces quelques dizaines de manifestants se sont octroyé une mission : rechristianiser la France qu’ils estiment hautement menacée à la fois par la place prise par l’islam mais aussi par la laïcité.
Jamais de telles mesures de sécurité n’ont été déployées pour une représentation théâtrale : une première fouille des sacs attend le spectateur qui a d’ailleurs été prié d’arriver avec une heure d’avance, puis une seconde, avec palpation si nécessaire, juste avant d’entrer dans la salle. Deux jeunes, proches des mouvements, ont d’ailleurs été interpellés cette semaine alors qu’ils étaient en train de saboter les systèmes d’alarme du Rond-Point. Une fois franchi le dispositif de sécurité, on découvre la scène entièrement recouverte de petits pains hamburger, qui ne tarderont pas à être piétinés, mangés, vomis, à l’image de notre société de consommation…
Outrances et recueillement
Gólgota picnic s’ouvre sur un préambule ajouté par l’auteur : « J’ai honte de présenter une œuvre tant protégée par les forces de sécurité ». Objet de scandale, Gólgota picnic est avant tout une œuvre où Rodrigo Garcia parle avec certes des outrances, des provocations, de cette figure du Christ qui a peuplé son enfance de peurs et où le pire des péchés était la vérité. Evidemment cela ne coïncide guère avec la parole officielle du catholicisme.
Mais le texte qui décrit le Christ comme un type « peu apte au quotidien », « le premier démagogue : il multiplia la nourriture du peuple (tiens, les petits pains) au lieu de travailler coude à coude avec lui », est aussi une invitation à réfléchir. « Sautez dans le vide du silence et de la solitude et profitez du recueillement », nous dit Garcia. Un piano est alors roulé sur scène et Marino Formenti, pianiste sublime, se dévêt et nu comme au premier jour, interprète « Les Sept dernières paroles du Christ », de Joseph Haydn. Un moment intense de méditation et de ferveur…
Mais force est de constater que les ultra-catholiques qui manifestent chaque soir contre la pièce de Garcia ont un point de vue bien différent. Pour Alain Escada, secrétaire général de l’Institut Civitas, aucun doute n’est plus permis, l’identité française et catholique doit être plus que jamais défendue. Loin d’être un combat d’arrière-garde, il s’agit pour ces militants de défendre pied à pied une forteresse prise d’assaut, selon eux, de toute part. Quand il s’agit de manquer de respects aux chrétiens « on peut tout se permettre », déplore Alain Escada. Et quant on lui fait remarquer que son rejet de la pièce de Garcia n’est pas partagé par tous, y compris par des prêtres, sa réponse fuse : « = Il y a beaucoup de gens, y compris des religieux, qui auront toujours des problèmes de discernement ».
La France, un cas particulier
La destruction à coups de marteau, en avril dernier, de Piss Christ, une œuvre d’art exposée à Avignon, puis en octobre les perturbations de la pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu, suivies de plaintes de la Ville de Paris et du Théâtre de la Ville, et maintenant Gólgota picnic… Ce sont autant de tribunes retentissantes pour ces nostalgiques du temps où la France était la « fille aînée » de l’Eglise et où l’Etat se conformait docilement aux devoirs liés à ce titre.
Gólgota picnic a été jouée en Espagne, aux Pays-Bas, en Autriche, en Pologne sans provoquer beaucoup de remous. Pourquoi alors tant de fureur en France de la part des catholiques traditionalistes et intégristes ? Pour François Boespflug, historien et théologien, « c’est parce que la France est la patrie de Mgr Lefebvre, le champion du refus d’une quelconque ouverture, pour qui toute évolution de l’Eglise rimait avec tentation satanique. Ce sont ses partisans qui manifestent aujourd’hui contre des créations artistiques. Ils constituent un parti de résistance féroce adossé à l’extrême droite lepéniste, explique ce spécialiste de l’iconographie chrétienne, mais qui manque dramatiquement de penseurs et de théoriciens ». La tâche urgente aujourd’hui, selon François Boespflug, c’est de faire « se rencontrer sacralité et modernité ».
Trop-plein de ces attaques
Malgré le fait que Renouveau français ou Civitas ne comptent que quelques centaines de membres actifs, ils parviennent à mobiliser plusieurs milliers de personnes bien au-delà de la mouvance d’extrême droite ou des intégristes adeptes de Mgr Lefebvre. Catholiques traditionalistes ou encore simples pratiquants n’ayant pas vraiment intégré le pluralisme religieux du monde actuel, ils sont prompts à se reconnaître dans le discours de reconquête des plus extrémistes.
Ce sont ces derniers qui ont récemment interpellé les évêques de France, cherchant une réponse à leur désarroi. Or, l’Eglise de France a été bien incapable de parler d’une seule voix pour dire si elle soutenait les actions contre la pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu ou encore Gólgota picnic. La première crainte exprimée par les évêques a été « de se faire piéger dans une riposte agressive » tout en reconnaissant que « parfois nous avons un trop-plein de ces attaques » à l’encontre de la religion catholique.
L’archevêque de Paris, Mgr Vingt-Trois, a choisi quant à lui de réunir une veillée de prière à Notre-Dame, le 8 décembre, en réaction à une pièce qu’il a qualifiée de « caricaturale ». L’Eglise a ainsi rassemblé plus de 4 000 fidèles qui ont pu se sentir offensés par Gólgota picnic, préférant probablement les voir dans la cathédrale plutôt qu’avec les adeptes de la Fraternité Saint-Pie X et leurs amis de Civitas. Pas du tout rancunier que l’archevêque de Paris fasse « prière à part », Alain Escada n’y voit qu’un motif de plus pour poursuivre sa croisade : « Cela prouve que nous avons raison », assure-t-il sans l'ombre d'un doute.
Ils ne désarment pas. Depuis des semaines des catholiques traditionalistes multiplient les manifestations à travers la France contre ce qu’ils appellent la « christianophobie ». Oeuvres d’art ou pièces de théâtre jugées dégradantes pour leur foi mobilisent ces groupuscules derrière la bannière du Renouveau français, de Civitas et autres groupes intégristes tutoyant l’extrême droite. Ils ne sont certes pas très nombreux mais fort bruyants.
Après Toulouse, c’est au tour de Paris de mettre à l’affiche du 8 au 17 décembre 2011 Gólgota picnic, une pièce de l’Hispano-Argentin Rodrigo Garcia. Comme dans la Ville rose, le théâtre du Rond-Point, au pied des Champs-Elysées, voit chaque soir de bien étranges pèlerins se rassembler. Maintenus à distance par quelque 800 policiers et CRS en tenue anti-émeute, ces quelques dizaines de manifestants se sont octroyé une mission : rechristianiser la France qu’ils estiment hautement menacée à la fois par la place prise par l’islam mais aussi par la laïcité.
Jamais de telles mesures de sécurité n’ont été déployées pour une représentation théâtrale : une première fouille des sacs attend le spectateur qui a d’ailleurs été prié d’arriver avec une heure d’avance, puis une seconde, avec palpation si nécessaire, juste avant d’entrer dans la salle. Deux jeunes, proches des mouvements, ont d’ailleurs été interpellés cette semaine alors qu’ils étaient en train de saboter les systèmes d’alarme du Rond-Point. Une fois franchi le dispositif de sécurité, on découvre la scène entièrement recouverte de petits pains hamburger, qui ne tarderont pas à être piétinés, mangés, vomis, à l’image de notre société de consommation…
Outrances et recueillement
Gólgota picnic s’ouvre sur un préambule ajouté par l’auteur : « J’ai honte de présenter une œuvre tant protégée par les forces de sécurité ». Objet de scandale, Gólgota picnic est avant tout une œuvre où Rodrigo Garcia parle avec certes des outrances, des provocations, de cette figure du Christ qui a peuplé son enfance de peurs et où le pire des péchés était la vérité. Evidemment cela ne coïncide guère avec la parole officielle du catholicisme.
Mais le texte qui décrit le Christ comme un type « peu apte au quotidien », « le premier démagogue : il multiplia la nourriture du peuple (tiens, les petits pains) au lieu de travailler coude à coude avec lui », est aussi une invitation à réfléchir. « Sautez dans le vide du silence et de la solitude et profitez du recueillement », nous dit Garcia. Un piano est alors roulé sur scène et Marino Formenti, pianiste sublime, se dévêt et nu comme au premier jour, interprète « Les Sept dernières paroles du Christ », de Joseph Haydn. Un moment intense de méditation et de ferveur…
Mais force est de constater que les ultra-catholiques qui manifestent chaque soir contre la pièce de Garcia ont un point de vue bien différent. Pour Alain Escada, secrétaire général de l’Institut Civitas, aucun doute n’est plus permis, l’identité française et catholique doit être plus que jamais défendue. Loin d’être un combat d’arrière-garde, il s’agit pour ces militants de défendre pied à pied une forteresse prise d’assaut, selon eux, de toute part. Quand il s’agit de manquer de respects aux chrétiens « on peut tout se permettre », déplore Alain Escada. Et quant on lui fait remarquer que son rejet de la pièce de Garcia n’est pas partagé par tous, y compris par des prêtres, sa réponse fuse : « = Il y a beaucoup de gens, y compris des religieux, qui auront toujours des problèmes de discernement ».
La France, un cas particulier
La destruction à coups de marteau, en avril dernier, de Piss Christ, une œuvre d’art exposée à Avignon, puis en octobre les perturbations de la pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu, suivies de plaintes de la Ville de Paris et du Théâtre de la Ville, et maintenant Gólgota picnic… Ce sont autant de tribunes retentissantes pour ces nostalgiques du temps où la France était la « fille aînée » de l’Eglise et où l’Etat se conformait docilement aux devoirs liés à ce titre.
Gólgota picnic a été jouée en Espagne, aux Pays-Bas, en Autriche, en Pologne sans provoquer beaucoup de remous. Pourquoi alors tant de fureur en France de la part des catholiques traditionalistes et intégristes ? Pour François Boespflug, historien et théologien, « c’est parce que la France est la patrie de Mgr Lefebvre, le champion du refus d’une quelconque ouverture, pour qui toute évolution de l’Eglise rimait avec tentation satanique. Ce sont ses partisans qui manifestent aujourd’hui contre des créations artistiques. Ils constituent un parti de résistance féroce adossé à l’extrême droite lepéniste, explique ce spécialiste de l’iconographie chrétienne, mais qui manque dramatiquement de penseurs et de théoriciens ». La tâche urgente aujourd’hui, selon François Boespflug, c’est de faire « se rencontrer sacralité et modernité ».
Trop-plein de ces attaques
Malgré le fait que Renouveau français ou Civitas ne comptent que quelques centaines de membres actifs, ils parviennent à mobiliser plusieurs milliers de personnes bien au-delà de la mouvance d’extrême droite ou des intégristes adeptes de Mgr Lefebvre. Catholiques traditionalistes ou encore simples pratiquants n’ayant pas vraiment intégré le pluralisme religieux du monde actuel, ils sont prompts à se reconnaître dans le discours de reconquête des plus extrémistes.
Ce sont ces derniers qui ont récemment interpellé les évêques de France, cherchant une réponse à leur désarroi. Or, l’Eglise de France a été bien incapable de parler d’une seule voix pour dire si elle soutenait les actions contre la pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu ou encore Gólgota picnic. La première crainte exprimée par les évêques a été « de se faire piéger dans une riposte agressive » tout en reconnaissant que « parfois nous avons un trop-plein de ces attaques » à l’encontre de la religion catholique.
L’archevêque de Paris, Mgr Vingt-Trois, a choisi quant à lui de réunir une veillée de prière à Notre-Dame, le 8 décembre, en réaction à une pièce qu’il a qualifiée de « caricaturale ». L’Eglise a ainsi rassemblé plus de 4 000 fidèles qui ont pu se sentir offensés par Gólgota picnic, préférant probablement les voir dans la cathédrale plutôt qu’avec les adeptes de la Fraternité Saint-Pie X et leurs amis de Civitas. Pas du tout rancunier que l’archevêque de Paris fasse « prière à part », Alain Escada n’y voit qu’un motif de plus pour poursuivre sa croisade : « Cela prouve que nous avons raison », assure-t-il sans l'ombre d'un doute.