SOURCE - Jean Mercier - La Vie - 19 janvier 2012
Entre les lefebvristes qui veulent se réconcilier avec le pape et ceux qui s’y refusent, une lutte fratricide fait rage…
« Je crois qu’il n’y a pas eu de chambres à gaz. » La déclaration télévisée de l’évêque Richard Williamson, ce 21 janvier 2009, ne passe pas inaperçue. Elle déclenche même une polémique mondiale, alors que Rome annonce la levée des excommunications frappant les dissidents lefebvristes. Des négationnistes vont-ils entrer dans l’Église catholique ? Dans La Vie, des intellectuels catholiques de toutes sensibilités se mobilisent pour dire « non ». Très vite, pourtant, le soufflé semble retomber. Le prélat d’origine anglaise sombre dans l’insignifiance. La Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX), dont il est l’un des quatre évêques, l’a d’ailleurs prié de se taire. Comme si, par la force du scandale, l’affaire Williamson avait définitivement éloigné la tentation intégriste.
Mais les ultras de l’Église n’ont pas dit leur dernier mot. Dans la guerre culturelle qu’ils mènent contre un Occident devenu « cathophobe », ils ont même ouvert de nouveaux fronts. Sur la route de leur croisade, une photo, Piss Christ, et deux pièces de théâtre, Sur le concept du visage du fils de Dieu et Golgota Picnic. De scandale en scandale, l’intégrisme catholique a retrouvé, début 2012, une audience inespérée. Pour les 600 ans de Jeanne d’Arc, on retrouve ses militants harangués à Paris par un abbé citant le maréchal Pétain et Charles Maurras.
Ce que les télévisions ne montrent pas, c’est tout le reste. Tout ce qui compte pour l’avenir de l’Église. Tout ce qui mûrit à l’ombre de cette offensive médiatique. Derrière, dans les coulisses, là où une autre guerre fait rage. Une guerre d’autant plus féroce qu’elle est intestine et oppose des factions extrémistes. Car les éléments les plus radicaux de la FSSPX sont inquiets. Ils cherchent à faire capoter la réconciliation avec Rome. Ils savent que, si elle a lieu, ils ne pourront plus reculer. Plus que jamais, on est sur le fil du rasoir. Tout près d’une réconciliation définitive. Tout aussi près d’une rupture sans retour.
Pour comprendre ce qui se joue, il faut revenir en arrière. Le long feuilleton de la « réconciliation » a commencé une douzaine d’années après le sacre de quatre évêques par Mgr Lefebvre, contre la volonté de Jean Paul II, et leur immédiate excommunication. À l’occasion du Jubilé de l’an 2000, le supérieur général de la FSSPX, Mgr Fellay, est accueilli avec des milliers de fidèles à Rome. En août 2005, peu après son élection, Benoît XVI – qui connaît le dossier sur le bout des doigts, car il a négocié avec Mgr Lefebvre en 1988 – invite Mgr Fellay à le rencontrer. Tout de suite, les lefebvristes posent leurs conditions. Il y en a trois. Et, surprise, le successeur de Jean Paul II va toutes les accepter. La première est la « libéralisation » de la messe ancienne. Ce sera chose faite le 7 juillet 2007 avec le motu proprio Summorum Pontificum. La deuxième condition est la levée des excommunications, réalisée le 21 janvier 2009, au moment des déclarations de Mgr Williamson. La troisième condition est la tenue de discussions doctrinales, donnant aux lefebvristes la possibilité de s’exprimer. Là encore, le pape tient parole. Les discussions ont lieu à huit reprises d’octobre 2009 à avril 2011. Mais elles tournent au dialogue de sourds. On murmure, au printemps 2011, que le dossier est mort et enterré, d’autant que la béatification de Jean Paul II, puis l’annonce d’un remake de la célébration interreligieuse d’Assise ont déclenché la fureur des ultras de la FSSPX.
Coup de théâtre, le 14 septembre dernier : la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) convoque à Rome Mgr Fellay et lui remet un protocole d’accord secret, intitulé Préambule doctrinal, qui précise les « critères d’interprétation de la doctrine catholique nécessaires pour garantir la fidélité au magistère de l’Église ». Rome laisse « ouvertes à une légitime discussion l’étude et l’explication théologique d’expressions ou de formulations particulières présentes dans les textes du concile Vatican II et du magistère qui a suivi. » Le Vatican évoque la possibilité d’une solution canonique qui offrirait une autonomie aux éventuels réconciliés.
C’est cette étape qui a ouvert une période de fortes turbulences dans les milieux intégristes, alimentées par les blogs des groupuscules sédévacantistes (plus radicaux encore que la FSSPX, puisqu’ils considèrent que tous les papes depuis Pie XII sont de faux papes). Le 7 octobre, Mgr Fellay réunit les cadres de la FSSPX à Albano (Italie), sauf Mgr Williamson, qui n’est pas invité. Fin novembre 2011, Mgr Fellay sort de son silence. Devant l’impossibilité de faire accepter à ses troupes le texte de Rome, il confirme que le protocole n’est pas signable en l’état.
La partie est-elle finie ? Pas le moins du monde. En fait, la balle est revenue dans le camp de Benoît XVI et ses collaborateurs sur ce dossier : le préfet de la CDF, Mgr William Levada, atteint par la limite d’âge et dont on annonce le remplacement prochain, et surtout le secrétaire de la CDF, Mgr Luis Ladaria, et Mgr Guido Pozzo, le secrétaire de la commission Ecclesia Dei, compétente sur le sujet. Vont-ils retoquer la contre-mouture lefebvriste, clôturant le dialogue ? Vont-ils renvoyer la balle à la FSSPX en reformulant un nouveau protocole ? Ou accéderont-ils aux nouvelles exigences des ex-rebelles ?
Peu d’experts estiment probable un arrêt brutal des tractations. « Il se peut que Rome concocte une troisième voie entre le préambule doctrinal et la proposition de Fellay », estime un observateur très proche du dossier. L’historien et expert du milieu tradi, Luc Perrin, pense que les choses vont trop vite : « L’âge du pape joue sûrement un rôle dans le désir d’avancer rapidement, mais l’offre de Rome est arrivée trop tôt. Il aurait fallu ouvrir un deuxième round de discussions, comme avec les anglicans dans les années 1970. Car de telles blessures nécessitent du temps pour guérir.»
Entre les lefebvristes qui veulent se réconcilier avec le pape et ceux qui s’y refusent, une lutte fratricide fait rage…
« Je crois qu’il n’y a pas eu de chambres à gaz. » La déclaration télévisée de l’évêque Richard Williamson, ce 21 janvier 2009, ne passe pas inaperçue. Elle déclenche même une polémique mondiale, alors que Rome annonce la levée des excommunications frappant les dissidents lefebvristes. Des négationnistes vont-ils entrer dans l’Église catholique ? Dans La Vie, des intellectuels catholiques de toutes sensibilités se mobilisent pour dire « non ». Très vite, pourtant, le soufflé semble retomber. Le prélat d’origine anglaise sombre dans l’insignifiance. La Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX), dont il est l’un des quatre évêques, l’a d’ailleurs prié de se taire. Comme si, par la force du scandale, l’affaire Williamson avait définitivement éloigné la tentation intégriste.
Mais les ultras de l’Église n’ont pas dit leur dernier mot. Dans la guerre culturelle qu’ils mènent contre un Occident devenu « cathophobe », ils ont même ouvert de nouveaux fronts. Sur la route de leur croisade, une photo, Piss Christ, et deux pièces de théâtre, Sur le concept du visage du fils de Dieu et Golgota Picnic. De scandale en scandale, l’intégrisme catholique a retrouvé, début 2012, une audience inespérée. Pour les 600 ans de Jeanne d’Arc, on retrouve ses militants harangués à Paris par un abbé citant le maréchal Pétain et Charles Maurras.
Ce que les télévisions ne montrent pas, c’est tout le reste. Tout ce qui compte pour l’avenir de l’Église. Tout ce qui mûrit à l’ombre de cette offensive médiatique. Derrière, dans les coulisses, là où une autre guerre fait rage. Une guerre d’autant plus féroce qu’elle est intestine et oppose des factions extrémistes. Car les éléments les plus radicaux de la FSSPX sont inquiets. Ils cherchent à faire capoter la réconciliation avec Rome. Ils savent que, si elle a lieu, ils ne pourront plus reculer. Plus que jamais, on est sur le fil du rasoir. Tout près d’une réconciliation définitive. Tout aussi près d’une rupture sans retour.
Pour comprendre ce qui se joue, il faut revenir en arrière. Le long feuilleton de la « réconciliation » a commencé une douzaine d’années après le sacre de quatre évêques par Mgr Lefebvre, contre la volonté de Jean Paul II, et leur immédiate excommunication. À l’occasion du Jubilé de l’an 2000, le supérieur général de la FSSPX, Mgr Fellay, est accueilli avec des milliers de fidèles à Rome. En août 2005, peu après son élection, Benoît XVI – qui connaît le dossier sur le bout des doigts, car il a négocié avec Mgr Lefebvre en 1988 – invite Mgr Fellay à le rencontrer. Tout de suite, les lefebvristes posent leurs conditions. Il y en a trois. Et, surprise, le successeur de Jean Paul II va toutes les accepter. La première est la « libéralisation » de la messe ancienne. Ce sera chose faite le 7 juillet 2007 avec le motu proprio Summorum Pontificum. La deuxième condition est la levée des excommunications, réalisée le 21 janvier 2009, au moment des déclarations de Mgr Williamson. La troisième condition est la tenue de discussions doctrinales, donnant aux lefebvristes la possibilité de s’exprimer. Là encore, le pape tient parole. Les discussions ont lieu à huit reprises d’octobre 2009 à avril 2011. Mais elles tournent au dialogue de sourds. On murmure, au printemps 2011, que le dossier est mort et enterré, d’autant que la béatification de Jean Paul II, puis l’annonce d’un remake de la célébration interreligieuse d’Assise ont déclenché la fureur des ultras de la FSSPX.
Coup de théâtre, le 14 septembre dernier : la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) convoque à Rome Mgr Fellay et lui remet un protocole d’accord secret, intitulé Préambule doctrinal, qui précise les « critères d’interprétation de la doctrine catholique nécessaires pour garantir la fidélité au magistère de l’Église ». Rome laisse « ouvertes à une légitime discussion l’étude et l’explication théologique d’expressions ou de formulations particulières présentes dans les textes du concile Vatican II et du magistère qui a suivi. » Le Vatican évoque la possibilité d’une solution canonique qui offrirait une autonomie aux éventuels réconciliés.
C’est cette étape qui a ouvert une période de fortes turbulences dans les milieux intégristes, alimentées par les blogs des groupuscules sédévacantistes (plus radicaux encore que la FSSPX, puisqu’ils considèrent que tous les papes depuis Pie XII sont de faux papes). Le 7 octobre, Mgr Fellay réunit les cadres de la FSSPX à Albano (Italie), sauf Mgr Williamson, qui n’est pas invité. Fin novembre 2011, Mgr Fellay sort de son silence. Devant l’impossibilité de faire accepter à ses troupes le texte de Rome, il confirme que le protocole n’est pas signable en l’état.
La partie est-elle finie ? Pas le moins du monde. En fait, la balle est revenue dans le camp de Benoît XVI et ses collaborateurs sur ce dossier : le préfet de la CDF, Mgr William Levada, atteint par la limite d’âge et dont on annonce le remplacement prochain, et surtout le secrétaire de la CDF, Mgr Luis Ladaria, et Mgr Guido Pozzo, le secrétaire de la commission Ecclesia Dei, compétente sur le sujet. Vont-ils retoquer la contre-mouture lefebvriste, clôturant le dialogue ? Vont-ils renvoyer la balle à la FSSPX en reformulant un nouveau protocole ? Ou accéderont-ils aux nouvelles exigences des ex-rebelles ?
Peu d’experts estiment probable un arrêt brutal des tractations. « Il se peut que Rome concocte une troisième voie entre le préambule doctrinal et la proposition de Fellay », estime un observateur très proche du dossier. L’historien et expert du milieu tradi, Luc Perrin, pense que les choses vont trop vite : « L’âge du pape joue sûrement un rôle dans le désir d’avancer rapidement, mais l’offre de Rome est arrivée trop tôt. Il aurait fallu ouvrir un deuxième round de discussions, comme avec les anglicans dans les années 1970. Car de telles blessures nécessitent du temps pour guérir.»
On sait que la contre-offre de Mgr Fellay concerne l’acceptation du Concile, point d’achoppement majeur. Le pape pourrait-il brader Vatican II ? La chose apparaît impensable. Au moment de l’affaire Williamson, Rome a promis que la réconciliation ne se ferait jamais au détriment du Concile. Benoît XVI n’a laissé planer aucune ambiguïté sur son positionnement de fond. Le pape qui a béatifié en 2010 le cardinal Newman, théoricien du « développement historique des dogmes » – une abomination pour les intégristes – a déclaré pour 2012 une année de la foi appuyée sur les 50 ans de Vatican II !
Au sein de la Fraternité, les tensions n’ont jamais été aussi vives. Partisan d’un accord, Mgr Fellay rencontre l’opposition des trois autres évêques de la FSSPX et d’un nombre important de prêtres, comme le supérieur du district de France, l’abbé Régis de Cacqueray, qui a multiplié les attaques médiatiques contre Rome depuis un an. Sur la même ligne dure, le curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, l’abbé Xavier Beauvais, nous a déclaré : « Pas question de signer un accord purement pratique. Cela fait 40 ans qu’on dit à nos gens que le Concile est mauvais, on ne va pas leur raconter le contraire aujourd’hui ! »
Officiellement, tous les lefebvristes tiennent le même discours, entendu par exemple dans la bouche de l’abbé Renaud de la Motte : « Rien ne peut avancer sans clarté doctrinale ! Tout dépend si le texte d’accord est limpide ou pas. S’il n’est pas clair sur la doctrine, Mgr Fellay ne signera pas. » Mais, selon un expert, « un quart des troupes souhaite une normalisation avec Rome. Un quart est farouchement contre. Au milieu, on attend de voir. Le ventre mou de la FSSPX est légitimiste. Il suivra le supérieur général ». En tout état de cause, Mgr Fellay pilote le navire depuis 18 ans. « Je me remets avec une totale confiance aux autorités », explique Dominique Viain, un intello proche de la FSSPX. Marie-Alix Doutrebente, une observatrice de la planète lefebvriste, est catégorique : « L’écrasante majorité des prêtres et laïcs veut que les choses aboutissent. »
« Si Fellay signe avec Rome, il y aura une fracture dans la FSSPX, car les ultras feront sécession. S’il ne signe pas, les plus modérés rejoindront la Grande Église », témoigne un connaisseur du dossier. Certains n’excluent pas l’hypothèse que Mgr Fellay soit débarqué lors du chapitre général de juillet prochain, en cas de putsch des ultras. D’autres témoins croient à un enlisement des négociations, comme le résume l’abbé Guillaume de Tanoüarn, de l’Institut du Bon-Pasteur : « Je ne crois pas à un accord. Du côté de Fellay, dire oui obligerait à une révision déchirante, à savoir reconnaître la légitimité de la messe nouvelle. Mais Fellay ne veut pas prendre la responsabilité de faire capoter le truc. Il veut que ce soit Rome qui prenne l’initiative du refus d’aller plus loin. Il veut continuer à être victimisé pour sauver son pouvoir et sa légitimité. »
Si les extrémistes ne veulent pas d’un accord, car ils savent qu’ils y perdraient leur fonds de commerce, celui de dénoncer les erreurs de l’Église « apostate », les modérés qui veulent la normalisation cachent à peine leur rêve : celui de continuer leur croisade au sein même de l’institution. Ils sont persuadés que le pape veut les réintégrer pour s’aider à mettre un terme à la « crise de l’Église », et il est possible aussi que certains, à Rome, les aient flattés dans ce sens… Ces partisans de la réconciliation s’imaginent donc que Benoît XVI pourrait aller encore plus loin dans leur direction, dans le droit fil des gestes déjà engagés par lui de façon généreuse : « J’attends du magistère qu’il condamne les textes du Concile qui ne sont pas conformes à la tradition », explique Dominique Viain. Pour l’abbé Grégoire Celier, ténor de la FSSPX, « l’Église subit une crise analogue à l’hérésie arienne du IVe siècle. Une grande majorité des évêques avait suivi Arius et ne croyaient plus à la Trinité. Par la suite, la quasi-totalité de l’Église est revenue à la foi pure. Un scénario analogue peut se produire aujourd’hui, conduisant à un rejet officiel de Vatican II. »
Mais la position des intégristes n’est-elle pas plutôt en train de s’affaiblir ? « Les revendications de la FSSPX n’ont plus de raison d’être. Elle ne peut plus revendiquer d’être l’unique refuge les gens de sensibilité traditionaliste », explique un ex-lefebvriste. Un prêtre, qui officie dans une ville où se trouve un lieu de culte de la FSSPX témoigne d’un certain énervement intégriste. Emblématique du jeune clergé, il a remis le sacré à l’honneur dans la messe dite de Paul VI – encens, latin – et porte parfois la soutane. « Je me heurte à de multiples provocations des lefebvristes. Nous sommes en concurrence frontale. Il ont perdu leur monopole. »
Alors que la « tradisphère » s’échauffe, la passivité domine du côté des catholiques de base. En off, un évêque reconnaît « une grande lassitude, une forme de résignation, mais aussi une impuissance devant l’opacité du dossier ». Un autre prêtre s’inquiète : « Si le pape réintègre les intégristes sans qu’ils aient renoncé à leur posture agressive et transgressive, ce serait injuste… Car alors, pourquoi l’Église ne consentirait-elle pas à la désobéissance des curés progressistes, en Autriche et ailleurs ? Pour cette raison, Rome doit être cohérente et se montrer très ferme sur les conditions d’une réintégration. »
C’est par une fin de non-recevoir qu’a été accueillie chacune de nos demandes d’information auprès des quatre évêques de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X. Joints par téléphone, Mgr Tissier de Mallerais et Mgr Williamson ont refusé de nous parler, ce dernier nous gratifiant d’un « zut ! » très sonore. Plus poli, Mgr de Galarreta a décliné par e-mail. Ce mutisme général est imposé par le grand patron, Mgr Fellay, qui a aussi refusé toute interview.
Au sein de la Fraternité, les tensions n’ont jamais été aussi vives. Partisan d’un accord, Mgr Fellay rencontre l’opposition des trois autres évêques de la FSSPX et d’un nombre important de prêtres, comme le supérieur du district de France, l’abbé Régis de Cacqueray, qui a multiplié les attaques médiatiques contre Rome depuis un an. Sur la même ligne dure, le curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, l’abbé Xavier Beauvais, nous a déclaré : « Pas question de signer un accord purement pratique. Cela fait 40 ans qu’on dit à nos gens que le Concile est mauvais, on ne va pas leur raconter le contraire aujourd’hui ! »
Officiellement, tous les lefebvristes tiennent le même discours, entendu par exemple dans la bouche de l’abbé Renaud de la Motte : « Rien ne peut avancer sans clarté doctrinale ! Tout dépend si le texte d’accord est limpide ou pas. S’il n’est pas clair sur la doctrine, Mgr Fellay ne signera pas. » Mais, selon un expert, « un quart des troupes souhaite une normalisation avec Rome. Un quart est farouchement contre. Au milieu, on attend de voir. Le ventre mou de la FSSPX est légitimiste. Il suivra le supérieur général ». En tout état de cause, Mgr Fellay pilote le navire depuis 18 ans. « Je me remets avec une totale confiance aux autorités », explique Dominique Viain, un intello proche de la FSSPX. Marie-Alix Doutrebente, une observatrice de la planète lefebvriste, est catégorique : « L’écrasante majorité des prêtres et laïcs veut que les choses aboutissent. »
« Si Fellay signe avec Rome, il y aura une fracture dans la FSSPX, car les ultras feront sécession. S’il ne signe pas, les plus modérés rejoindront la Grande Église », témoigne un connaisseur du dossier. Certains n’excluent pas l’hypothèse que Mgr Fellay soit débarqué lors du chapitre général de juillet prochain, en cas de putsch des ultras. D’autres témoins croient à un enlisement des négociations, comme le résume l’abbé Guillaume de Tanoüarn, de l’Institut du Bon-Pasteur : « Je ne crois pas à un accord. Du côté de Fellay, dire oui obligerait à une révision déchirante, à savoir reconnaître la légitimité de la messe nouvelle. Mais Fellay ne veut pas prendre la responsabilité de faire capoter le truc. Il veut que ce soit Rome qui prenne l’initiative du refus d’aller plus loin. Il veut continuer à être victimisé pour sauver son pouvoir et sa légitimité. »
Si les extrémistes ne veulent pas d’un accord, car ils savent qu’ils y perdraient leur fonds de commerce, celui de dénoncer les erreurs de l’Église « apostate », les modérés qui veulent la normalisation cachent à peine leur rêve : celui de continuer leur croisade au sein même de l’institution. Ils sont persuadés que le pape veut les réintégrer pour s’aider à mettre un terme à la « crise de l’Église », et il est possible aussi que certains, à Rome, les aient flattés dans ce sens… Ces partisans de la réconciliation s’imaginent donc que Benoît XVI pourrait aller encore plus loin dans leur direction, dans le droit fil des gestes déjà engagés par lui de façon généreuse : « J’attends du magistère qu’il condamne les textes du Concile qui ne sont pas conformes à la tradition », explique Dominique Viain. Pour l’abbé Grégoire Celier, ténor de la FSSPX, « l’Église subit une crise analogue à l’hérésie arienne du IVe siècle. Une grande majorité des évêques avait suivi Arius et ne croyaient plus à la Trinité. Par la suite, la quasi-totalité de l’Église est revenue à la foi pure. Un scénario analogue peut se produire aujourd’hui, conduisant à un rejet officiel de Vatican II. »
Mais la position des intégristes n’est-elle pas plutôt en train de s’affaiblir ? « Les revendications de la FSSPX n’ont plus de raison d’être. Elle ne peut plus revendiquer d’être l’unique refuge les gens de sensibilité traditionaliste », explique un ex-lefebvriste. Un prêtre, qui officie dans une ville où se trouve un lieu de culte de la FSSPX témoigne d’un certain énervement intégriste. Emblématique du jeune clergé, il a remis le sacré à l’honneur dans la messe dite de Paul VI – encens, latin – et porte parfois la soutane. « Je me heurte à de multiples provocations des lefebvristes. Nous sommes en concurrence frontale. Il ont perdu leur monopole. »
Alors que la « tradisphère » s’échauffe, la passivité domine du côté des catholiques de base. En off, un évêque reconnaît « une grande lassitude, une forme de résignation, mais aussi une impuissance devant l’opacité du dossier ». Un autre prêtre s’inquiète : « Si le pape réintègre les intégristes sans qu’ils aient renoncé à leur posture agressive et transgressive, ce serait injuste… Car alors, pourquoi l’Église ne consentirait-elle pas à la désobéissance des curés progressistes, en Autriche et ailleurs ? Pour cette raison, Rome doit être cohérente et se montrer très ferme sur les conditions d’une réintégration. »
Des prélats sans voixIls partagent l’intransigeance du pape dont ils ont choisi le patronage, Pie X, qui a régné de 1903 à 1914 en luttant férocement contre le modernisme.
C’est par une fin de non-recevoir qu’a été accueillie chacune de nos demandes d’information auprès des quatre évêques de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X. Joints par téléphone, Mgr Tissier de Mallerais et Mgr Williamson ont refusé de nous parler, ce dernier nous gratifiant d’un « zut ! » très sonore. Plus poli, Mgr de Galarreta a décliné par e-mail. Ce mutisme général est imposé par le grand patron, Mgr Fellay, qui a aussi refusé toute interview.
Les quatre évêques lefebvristes sur la sellette• Le patron réel - Bernard Fellay. En tant que supérieur général, il contrôle tout. Il pratique avec art le double discours pour maintenir son autorité. Mais il est à la merci d’une scission.
• Le looser négationniste - Richard Williamson. Proche des sédévacantistes, qui considèrent que Benoît XVI est un imposteur, il est très opposé à Mgr Fellay et au ralliement. Sur un siège éjectable.
• Le vrai rigide - Bernard Tissier de Mallerais. Résident au séminaire d’Écône, en Suisse, il incarne une ligne dure qui a toujours espéré que la FSSPX pourrait convertir Rome à ses vues.
• L’intrigant - Alfonso de Galarreta. Jusqu’ici en Argentine, responsable d’un séminaire, il reviendra en Europe en mars, se rapprochant des centres du pouvoir. Pour menacer celui de Mgr Fellay ?