SOURCE - La Vie - 26 avril 2012
Une partie des dissidents qui avaient suivi Mgr Lefebvre dans le schisme de 1988 vont apparemment rentrer dans l’Église catholique, où ils devraient jouir d’une large autonomie. La coïncidence de ce retour avec l’anniversaire de Vatican II ne manquera pas de frapper. Beaucoup voudront y voir la preuve que Benoît XVI, à force de gestes de ce type, montre qu’il n’assume plus le Concile, quoi qu’il puisse dire, faire et répéter par ailleurs sur tous les tons depuis le premier jour de son élection. Le pontificat sera entaché de ce soupçon réactionnaire. Mais il n’est pas impossible de lire l’histoire en sens inverse, et de relever qu’après 50 ans d’insubordination et d’insultes, une partie du courant intégriste rend les armes en pleine célébration conciliaire. Ce pourrait être une excellente nouvelle, celle d’une réconciliation et d’une acceptation.
Vue de France, la question reste politique, hypothéquée par un courant d’extrême droite lié à deux siècles d’histoire contre-révolutionnaire. Vue de Rome, elle semble avant tout ecclésiale et se comprend à l’échelle de l’histoire de l’Église. Laisser dans la nature des évêques dissidents, c’est comme accepter la prolifération nucléaire. Les faire rentrer, c’est reprendre le contrôle. La Fraternité Saint-Pie‑X, c’est un peu la Corée du Nord. Il faut parfois négocier avec un régime opaque pour éviter la menace de la bombe sauvage. Pour le dire en un langage plus clérical, il y a plus de danger à laisser les schismes s’installer qu’à les résorber dès la première génération. Inversement, si le harcèlement des prêtres et des évêques français par de petits groupes de la mouvance « tradi » est un fait commun, une fois soumises à Rome, ces communautés seront peu à peu normalisées, non sans difficulté ou résistance de leur part. Le temps joue en faveur de la grande Église, qui digère discrètement mais sûrement les rebelles qu’elle avale.
On le comprend, l’opération – habile autant que charitable – consiste à récupérer les brebis perdues, tout en abandonnant les loups à leur triste forêt. Une petite secte demeurera donc dehors, guerroyant contre le monde entier, fanatique toujours, antisémite souvent. Point final ? Voire. Du prévisible découragement de tant de prêtres, d’évêques ou de fidèles ne fait-on pas trop bon marché ? Peut-on désormais être catholique et combattre tout ce que disent et font les papes depuis Vatican II en matière d’œcuménisme, de dialogue interreligieux, de foi, de vérité, de liberté de conscience… ? L’image d’une Église suppliant presque quelques extrémistes de la rejoindre ne risque-t-elle pas de porter atteinte à l’effort de nouvelle évangélisation ? Je crains fort que, prisonnier d’un système de gouvernement défaillant, Benoît XVI n’ait que mal mesuré ces questions. Je maintiens que l’on paiera ces ambiguïtés.
Une dernière remarque. Beaucoup veulent retrouver la tradition catholique dans toute son ampleur et sa beauté, notamment liturgique. Il y a de profondes raisons à cela, surtout pour des jeunes privés d’un fil trop brutalement coupé. Hélas, ce que l’on récupérera cette fois, ce n’est pas la tradition, mais l’intégrisme. Intellectuellement, théologiquement, artistiquement et spirituellement, ce courant n’a rien produit de notable depuis son émergence au XIXe siècle. Si la tradition sera toujours vivante, l’intégrisme sera toujours stérile. Dans ou hors de l’Église.