SOURCE - Abbé de Tanoüarn, ibp - Monde & Vie - mai 2012
La fuite sur Internet du Compte rendu de la visite canonique effectuée par la Commission Ecclesia Dei à l’Institut du Bon Pasteur n’en finit pas d’alimenter la polémique entre Rome et les prêtres de la FSSPX, au moment où l'accord doit se conclure.
La fuite sur Internet du Compte rendu de la visite canonique effectuée par la Commission Ecclesia Dei à l’Institut du Bon Pasteur n’en finit pas d’alimenter la polémique entre Rome et les prêtres de la FSSPX, au moment où l'accord doit se conclure.
Le 3 mai dernier, la
Porte Latine diffusait largement un texte de l’abbé Petrucci, supérieur du
district d’Italie, qui, s’appuyant sur la publication intempestive, via
Internet, du rapport de la Commission Ecclesia Dei après la visite canonique de
l’Institut du Bon Pasteur, soulignait « le problème de conscience » qui se pose aux traditionalistes dans la
conduite des négociations avec Rome. Pour ce prêtre, qui fut longtemps
supérieur du Prieuré de Nantes, « la volonté de la Commission Ecclesia
Dei » est de pousser à « l’acceptation au moins en principe de la
liturgie moderne dans l’esprit du Motu proprio Summorum pontificum ». Il
dénonce « des pressions progressives pour ramener les
dissidents » - qui n’ont pas du tout envie qu’on les ramène.
Le rapport de la Commission
Ecclesia Dei contenait en effet deux demandes sensibles : D’abord la
suppression du terme « exclusivité »
dans les statuts de l’IBP à propos du rite traditionnel, qui serait
considéré désormais comme « le rite propre » de l’Institut. On
n’emploierait plus le terme « exclusif ». Ensuite, deuxième demande,
à propos de la formation au Séminaire, l’idée qu’il faudrait désormais
privilégier, par rapport à « une critique même sérieuse et constructive du
concile Vatican II »
« l’herméneutique du renouvellement dans la continuité »,
telle qu’elle est exposée dans « le catéchisme de l’Eglise
catholique ».
Ce même 3 mai, sur son
site Disputationes theologicae, l’abbé Stefano Carusi, membre de l’IBP, insiste
sur le fait que, tout en marquant le
plus grand respect à la Commission, il est possible de considérer ce Rapport
non comme une succession d’ordres auxquels il faudrait obéir, mais comme
l’exposition d’un certain nombre de demandes auxquelles il serait loisible de
ne pas déférer. Parmi ces demandes, ajoute-t-il, il convient justement de
refuser celles qui portent sur la messe traditionnelle et sur les changements à
apporter dans l’enseignement donné au Séminaire sur le dernier concile.
Que veut l’abbé Carusi
pour son Institut ? Il souhaite que l’IBP puisse « offrir un
témoignage de la possibilité d’une position ecclésiale qui inclut les
présupposés cités » à savoir « l’usage exclusif du rite traditionnel
et la critique constructive du Concile ».
De façon très troublante,
la position des deux prêtres italiens, celui qui est membre de la FSSPX, l’abbé
Petrucci et celui qui est membre de l’Institut du Bon Pasteur, l’abbé Carusi
s’identifient. Pour eux il est clair que, de façon maladroite, la Commission
Ecclesia Dei fait pression sur une petite société religieuse pour mieux la
« normaliser ». Rome dévoile ainsi à l’IBP les arrière-pensées que
nourrissent les hiérarques à l’encontre de la FSSPX. L’IBP est en droit de
refuser ces « conseils » romains en s’appuyant sur la lettre de ses
propres statuts, apparemment mise en cause. La situation leur semblant grave,
des prêtres de l’IBP considèreront qu’il est urgent d’aider la Fraternité Saint
Pie X en rendant public l’exposé romain qui fait suite à la Visite apostolique.
Mais n’y a-t-il pas une
autre lecture de ce document ? Je crois que, en particulier depuis que
mons. Pozzo (et le cardinal Levada) ont remplacé le cardinal Castrillon Hoyos à la tête de la Commission
Ecclesia Dei, on assiste à une lente prise de conscience de l’importance du
problème doctrinal qui existe tout de même entre Rome et la FSSPX (et dans une
moindre mesure entre Rome et l’IBP).
Quel est ce
problème ? La reconnaissance de la légitimité de l’Eglise issue du
Concile, du rite qu’elle célèbre et du catéchisme qu’elle enseigne. Comment
peut-on être effectivement membre de l’Eglise catholique si l’on refuse en
principe comme étant non-catholique, la forme rénovée du rite romain qu’elle
célèbre ? Ou bien comment peut-on maintenir qu’il n’est jamais possible
d’y assister, alors même qu’il s’agit d’un rite catholique et qu’on le
reconnaît comme tel ? Il y a là une double incohérence qui compromet gravement
l’intégration des traditionalistes dans l’Eglise et les fruits que doit porter
cette intégration.
Il ne s’agit donc pas
un instant pour la Commission Ecclesia Dei d’empêcher que l’IBP ne
possède « comme
rite propre » le rite traditionnel. Il ne s’agit pas non plus de lui
interdire toute critique du rite rénové ou du Concile. Il s’agit de
faire en
sorte que, selon la formule de Cajétan, l’Institut du Bon Pasteur puisse
« agir comme une partie dans l’Eglise » et non cultiver un esprit
qui, quelles que soient les intentions, serait de facto schismatique.
Pour agir
comme une partie dans l’Eglise, l’Institut, nous dit-on, doit former ses
séminaristes avec le Catéchisme de l’Eglise Catholique et doit jouir de
son
rite propre sans lancer l’anathème sur la nouvelle forme du rite romain
(qu'elle garde néanmoins le droit et le devoir de critiquer). Est-ce
trop demander ? Il me semble que c’est le minimum…
Au-delà du pilpoul
doctrinal, la concomitance des derniers événements permet de remarquer une
rencontre d’intérêt entre la branche « radicale » de l’IBP,
représentée ici par l’abbé Carusi et ceux qui à la FSSPX ne veulent pas
d’accord avec Rome. En effet, ceux qui, à l’IBP, ont l’ambition, le plus sérieusement du
monde, de représenter « la Fraternité Saint Pie X dans l’Eglise »
s’accordent spontanément avec ceux qui, au sein de la FSSPX, ne veulent pas que cette
Fraternité puisse revenir dans le périmètre visible de la catholicité. Comme
souvent, ici le billard est à trois bandes et une rencontre d’intérêt ne
signifie pas des intérêts vraiment communs.
Abbé G. de Tanoüarn IBP
PS : Je me sens d’autant plus fondé à vous livrer mon
analyse que celle de l’abbé Carusi a été publiée sur son site.