15 juin 2012

[Abbé Patrick Verdet, fsspx - Notre-Dame d’Aquitaine] La mode est-elle blamable?

SOURCE - Abbé Patrick Verdet, fsspx - Notre-Dame d’Aquitaine - mai/juin 2012

La mode peut se définir comme une manière collective d'être ou d'agir. Aussi, est-il légitime de nous poser la question : la mode est-elle blâmable ou non ?
 
Concernant la mode des choses extérieures à l'usage de l'homme, comme les vêtements ou tous les autres ornements du corps, nous pouvons affirmer avec Saint Thomas d'Aquin, que "s'il se rencontre un vice dans les choses extérieures qui sont à l'usage de l'homme, ce vice ne vient pas d'elles-mêmes, mais du mauvais usage que l'homme en fait".
 
Finalement, c'est dire avec Saint Ignace dans ses Exercices Spirituels, que toutes les choses qui nous entourent sont bonnes, du moment que nous les utilisons "autant qu'elles servent à notre salut, et pas plus que".
La mode n'est pas mauvaise en soi
En effet, il est normal et même bon de suivre les usages de ceux avec qui l'on vit. Saint Augustin nous fixe la règle à suivre en cette matière : "Quant aux délits contraires aux mœurs particulières et aux usages locaux, ils doivent être évités en raison de ces mêmes coutumes. Ainsi, une convention établie dans une ville ou chez un peuple par l'usage ou par la loi, ne peut être enfreinte par le caprice d'un citoyen ou d'un étranger, car toute partie qui cesse d'être en rapport avec le tout est difforme".
 
Selon saint Augustin, la mode, en ellemême, n'est donc pas blâmable. Elle est même louable. On peut dire qu'elle est nécessaire à la sociabilité humaine, car l'homme doit être soucieux de vivre en conformité et en harmonie avec autrui et les usages de son temps. Dieu ne nous demande pas de vivre hors du temps,
insoucieux de tout.
Le vice vient de la passion désordonnée
Mais dire cela n'est pas donner un chèque en blanc à toutes les innovations de la mode ou à son suivi. En effet, le vice peut venir du mauvais usage que l'homme fait de ces choses extérieures. Depuis le Péché Originel, l'homme, contrairement au mythe Rousseauiste, ne naît pas bon. Son âme est marquée par la concupiscence de l'esprit, des yeux, et de la chair. Aussi, suivre la mode peut-il être mauvais en raison des passions déréglées qui habitent l'homme.
 
"En pareille matière, dit Saint Thomas d'Aquin, nous devons bannir la passion qui fait d'abord un abus criminel des coutumes autorisées dans le milieu où nous vivons et qui même, franchissant toutes les bornes, éclate d'une manière honteuse et étale au grand jour des convoitises jusqu'alors cachées sous le voile des moeurs publiques".
 
La passion peut-être déréglée par excès : 
 
- On recherche la vaine gloire, l'ostentation : il s'agit de se montrer en affichant des vêtements précieux et recherchés, pour paraître aux yeux de tous ce que l'on est pas. Certes, l'habillement pourra et devra même être plus ou moins recherché selon la fonction sociale de la personne,  plus ou moins élevée en dignité. Ainsi, les ministres des autels se revêtent-ils d'habits précieux non par gloriole, mais pour symboliser l'excellence de leurs fonctions ou du culte divin. C'est ainsi, que le saint Curé d'Ars, qui vivait dans une pauvreté matérielle exemplaire, voulait pour son église les plus beaux ornements sacrés afin de répondre à la parole du psalmiste : "Le zèle de votre Maison me dévore". 
 
De même, il est bien évident que l'habillement dépendra aussi des circonstances de lieux et de travail. "L'appareil extérieur, enseigne toujours le Docteur Angélique, est un certain indice de la condition des hommes ; dès lors, l'excès et le défaut, comme aussi le juste milieu, peuvent se ramener à la vertu de la vérité à laquelle Aristote assigne pour objet les paroles et les faits qui peuvent être révélateurs de ce que l'on est".
 
A ce sujet, on ne peut que regretter et déplorer les tenues de laisser-aller que nous voyons de plus en plus dans les églises et les chapelles. Autrefois, les chrétiens revêtaient pour aller à la Messe, et jusque dans les campagnes, un bel habit, celui du dimanche. Aujourd'hui le laisseraller est de mise, et les prêtres doivent même souvent reprendre quelques fidèles en ce qui concerne la simple décence.
  • On recherche la délicatesse corporelle, le bien être corporel avant tout.
  • On a une sollicitude exagérée dans la recherche des biens au goût du jour, même s'ils ne sont pas mauvais en euxmêmes.
C'est cette sollicitude exagérée qui produit l'effet d'une ivresse qui pousse à consommer d'une manière quelquefois irraisonnable. Là, le bât blesse souvent. Il suffit de parcourir les devantures des magasins et supermarchés pour se rendre compte de l'effet produit par la publicité sur les grands et les moins grands. La marque "vu à la télé" fait des ravages - "Maman, achètemoi ces dernières baskettes..." - "Je dois être à la "dernière page", sinon que vont penser mes camarades". Le besoin est souvent créé par la mode qui sait au plus haut point dans ses techniques publicitaires, attiser la concupiscence des yeux. Quand il s'agit d'un véritable et légitime besoin, la sollicitation de la mode pousse à rechercher, non pas le moins cher à qualité/prix égal, mais ce qui va permettre de montrer ostensiblement à tout son entourage qu'on est véritablement dans le vent.
 
A ces trois excès, il faut opposer trois vertus chrétiennes : l'humilité, le consentement du peu qui exclut la délicatesse et détermine ce qui suffit à la vie, et la simplicité qui exclut les inquiétudes superflues à ce sujet et prend les choses comme elles viennent.
 
Mais la passion, si elle peut-être déréglée par excès, peut également l'être par défaut :
 
C'est la négligence dans l'habillement qui aboutit à la mollesse, au laisser-aller et même au scandale. L'esprit de pauvreté ne demande pas de négligence dans son maintien.
 
C'est également la vaine gloire qui fait aboutir à ses fins ce défaut même : "On peut mettre de la vanité non seulement dans l'éclat et le luxe de tout ce qui tient au corps, mais jusque dans l'extérieur négligé, symbole du deuil et de la tristesse, vanité alors d'autant plus dangereuse qu'elle cherche à tromper sous les dehors de la religion", dit Saint Augustin.
 
Et Aristote ajoute : "l'exagération soit en trop, soit en moins sent également le fanfaron et le charlatan". On pourrait rajouter que cette exagération, dans le plus ou le moins, est devenue une constante de notre nature déchue selon cette parole de Saint Paul : "Je fais le mal que je ne veux pas faire, et je ne fais pas le bien que je voudrais faire". 
 
La règle qui permet de vaincre cette exagération : Tout acte humain doit être réalisé avec un équilibre réglé par la vertu de prudence et, dans le sujet qui nous occupe, par la vertu de tempérance. Toute vertu, qui est une disposition de l'âme à bien agir se situe elle-même dans un juste milieu. Ce juste milieu est d'ailleurs un sommet entre l'excès et le défaut car il exige une maîtrise de soi de tous les instants.
 
"L'appareil extérieur est un certain indice de la condition des hommes ; dès lors, l'excès et le défaut, comme aussi le juste milieu, peuvent se ramener à la vertu de la vérité à laquelle Aristote assigne pour objet les paroles et les faits qui peuvent être révélateurs de ce que l'on est" (St Th.).
 
Dans son traité de la tempérance, Marcel de Corte écrit à ce sujet : "Ajoutons la modestie dans la mise et dans les ornements dont on s'affuble et qui doit se rapporter aux coutumes des hommes avec qui l'on vit. Un attachement modéré dans leur usage est évidemment requis d'une vertu annexe à la tempérance. Tout excès est à prohiber. On ne doit pas se faire remarquer ou faire parler de soi par un raffinement superflu des vêtements. Toute parure n'est pas mauvaise, cela va de soi, et cela fait partie de la vie sociale, mais il faut tenir compte des circonstances, des lieux et des temps ; il ne faut pas leur apporter un soin exagéré à plaisir ; il ne faut pas apporter davantage une sollicitude à leurs préparatifs, "même si l'on ne se propose pas une fin mauvaise".
 
Effectivement, rechercher une fin mauvaise dans le suivi de la mode, rend son suivi évidemment vicieux et peccamineux. Par exemple, "la femme, dit Saint Thomas d'Aquin, qui se parerait de telle façon à exciter la convoitise d'autrui ferait un péché mortel. Par contre, si elle le fait par simple légèreté, par vanité, par ostentation, son péché peut n'être pas toujours mortel, mais seulement véniel". 
 
On peut dire, de nos jours, que cette légèreté, vanité et ostentation, pour ne pas dire plus, sont des plus courantes, surtout pendant les périodes estivales, dans les rues, sur les plages..., et tout cet étalage selon des degrés plus ou moins divers.
 
La mode est donc la manifestation d'une harmonie sociale, et qui, en tant que telle, est bonne, le vice venant de la passion humaine déréglée. Notre-Seigneur lui-même ne dit-il pas à ses Apôtres :"Vous êtes dans le monde, mais vous n'êtes pas du monde."
La mode actuelle est-elle toujours innocente ?
"Il viendra des modes qui offenseront beaucoup mon Divin Fils". (N.D. de Fatima à Soeur Lucie) Saint Thomas d'Aquin nous dit donc que nous devons "bannir la passion qui fait un abus criminel des coutumes autorisées"

Autrement dit, il existe des coutumes qui ne sont pas de soi autorisées, ou qui ne devraient pas l'être. Pourquoi donc ? La coutume est un usage passé dans les moeurs, accepté comme tel et qui a force de loi. Mais de même que toute loi humaine qui ne serait pas le reflet de la loi naturelle et donc de la Loi éternelle proclamée par Dieu n'aurait pas force de loi (ex. la "loi" sur l'avortement), de même, la coutume qui s'éloignerait de la loi naturelle et de la Loiéternelle et qui ne serait donc pas l'expression du véritable bien à faire (bien indiqué par la raison), serait une coutume à réprouver. Ainsi, pour que la coutume puisse avoir force de coutume, elle doit impérativement être conforme à la loi naturelle.

La mode, qui est l'expression d'une certaine coutume, doit donc être analysé comme telle. Pour voir si cette coutume est bonne ou mauvaise, il nous faut analyser si le bien poursuivi est un bien véritable ou porteur par lui-même d'une  signification profonde qui faussera son caractère de bien et le rendra mauvais.
 
On dit souvent qu'une nouvelle mode vient d'être lancée par tel groupe de chanteur, par tel couturier, etc... A côté de l'aspect strictement publicitaire, nous pouvons nous interroger si cette nouveauté est strictement innocente ou porteuse d'idées nouvelles plus ou moins bonnes. En effet, toute innovation sociale à large échelle qui va à l'encontre des coutumes et de l'usage commun et qui, parce qu'elle remporte une grande adhésion, en vient à changer la coutume, n'est pas forcément innocente. 
 
Ainsi, la mode hippie des années soixante portait en son sein un certain refus anarchique de la société. Quel est donc, aujourd'hui, le fil conducteur de la mode moderne ? Il s'agit de banaliser.
 
La mode moderne banalise l'extravagant. Banaliser, signifie selon la définition du Larousse, rendre banal, insignifiant, vulgaire. Aujourd'hui, la mode va aux couleurs criardes et agressives, aux jeans, aux baskettes (même à la messe), aux tee-shirts à inscription des chanteurs rocks ou d'images publicitaires à la mode, au rock lui-même, à la drogue, au concubinage, au féminisme à outrance, qui, loin de mettre en valeur la nature de la femme, la pousse à vouloir ressembler à l'homme, etc... Bref, la mode va à tout ce qui rompt une certaine harmonie naturelle. 

Il s'agit, en fait, de supprimer les caractères distinctifs, de rendre les personnalités inconsistantes car sans caractères, grégaires  et influençables à toutes nouveauté dans le vent.

 Est-elle alors acceptable ? Les filles doiventelles s'habiller, se comporter comme des garçons? Doivent-elles raccourcir de plus en plus leur tenue, comme on le voit de plus en plus, malheureusement même dans nos familles ? Les garçons doivent-ils pour être en harmonie avec l'ensemble de  la société porter des anneaux aux oreilles, comme cela se voit de plus en plus ? Biensûr que non ! Non! Pour être vertueusement suivie, la mode ne doit pas être en dysharmonie avec la nature humaine et plus encore avec la Loi divine.
 
Il est certain, que vous, qui lisez cet article, êtes tout à fait d'accord pour refuser catégoriquement la mode qui pousse directement au péché ou à être trop visiblement en dysharmonie avec la nature humaine (drogue, oreilles des garçons décorées, etc...). "Mais pour le reste ! (Pantins débraillés par principe, habits à couleurs criardes, à tampons publicitaires imprimés, pantalons pour les femmes, etc...), me direzvous, n'exagérons quand même pas ! Pourquoi s'arrêter à ces détails ? Et d'ailleurs, le prix bien moins lourds de ces vêtements vendus à profusion dans le commerce rend nos dépenses moins onéreuses, chose bien appréciable en notre époque de vaches maigres." Certes, nous ne nions pas le propos, l'argent est le nerf de la guerre. Mais quand même ! ne vaut-il pas mieux acheter un plus petit nombre de vêtements seyants et plus discrets, et qui de plus honorent la personne et la met en harmonie avec sa nature créée par Dieu, que de multiplier l'achat de vêtements moins chers mais moins résistants et ainsi favoriser la coquetterie pour certaines, le laisser-aller pour d'autres, le goût de la dépense dans un rachat à tout bout de champ pour tous.
 
A côté de ce laisser-aller et de cette banalisation à outrance, on peut entrevoir dans la mode moderne, une volonté de perversion totale de l'âme et de la nature humaine:

 1 - Impuretés sous toutes ses formes (même contre-nature), favorisées par la mode indécente, par les journaux, la radio et la télévision : mode du petit copain et de la petite copine, bals, plages, habillements immodestes et plus qu'immodestes.

 Voyons à ce sujet quelques citations des Papes (le sujet ne date pas d'aujourd'hui, même s'il est, de nos jours, d'une toute autre dimension) : Benoit XV déclarait : "C'est un devoir grave et urgent de condamner ces exagérations de la mode..."
 
Pie XI ajoutait : "Les limites de la pudeur sont dépassées, particulièrement pour ce qui concerne les modes et les danses...". "Nous rappelons toujours au religieuses qui se consacrent à l'enseignement que, dans leurs collèges, elles doivent imposer l'observance des règles de la modestie chrétienne dans les vêtements coûte que coûte. Fréquemment on nous a répondu que des mères de familles, plutôt que d'acquiescer, préfèrent retirer leurs filles du collège. Eh bien, peu importe ! La modestie doit être enseignée à tout prix. On doit lutter contre la mode indécente au nom de la dignité humaine et de la dignité chrétienne."
 
Et Pie XII : "Si quelques chrétiennes soupçonnaient les chutes et les tentations qu'elles provoquent autour d'elles avec les habits et la familiarité auxquelles, dans leur légèreté elles donnent peu d'importance, elles trembleraient de frayeur devant leur responsabilité."
 
De nos jours la mode pousse souvent au péché en excitant la concupiscence de la chair et en mettant directement les personnes en occasion de péché.
 
2 - Volonté de supprimer toutes les différences, et pour cela il faut être "politiquement correct", prôner l'égalité des sexes, etc...
 
3 - Volonté d'éliminer toutes les formes d'autorité, de respect, de sacré. Cette mode moderne ne contribue pas à élever l'âme, mais à l'abaisser. Certes, l'habit ne fait pas le moine, mais il y contribue. Les formes extérieures et le monde environnant contribuent à élever l'âme ou à l'abaisser en lui donnant une manière extérieure de se comporter. Le Pape Pie XII, disait avec raison, que "de la forme donnée à un gouvernement dépendait la perte ou le salut d'un grand nombre". Nous pouvons transposer cette phrase à notre propos : de la forme donnée à la mode, expression publique d'un mode d'être et d'agir, dépend le salut ou la perte d'un grand nombre.
 
Dom Bernard Maréchaux écrivait en son temps : "Le mal du jour est celui-ci : la ligne de démarcation tend de plus  en plus à s'effacer entre chrétiens et non-chrétiens, entre chrétiens et hérétiques et même idolâtres. Le cancer du libéralisme s'attaque à tous et il risque toujours de nous atteindre. Ceux qui se disent encore catholiques vivent trop souvent comme ceux qui ont renoncés à ce titre. Les femmes soi-disant pratiquantes portent les mêmes vêtements que les non-pratiquantes, elles ont les mêmes lectures, les même revues, fréquentes les mêmes spectacles, souvent immoraux. Elles ne prient plus et ne font plus pénitence. C'est la confusion dans la mondanité et la licence.
 
Par suite de ces moeurs, l'Eglise tend à se dissoudre dans le monde, la chrétienté dans l'humanité déchue. On ne trouve que rarement des catholiques auxquels on puisse appliquer les paroles de St Paul :

 "soyez fils de Dieu, tout d'une pièce, sans reproche au milieu d'une nation dépravée et perverse, parmi laquelle vous luisez comme des flambeaux en ce monde".
 
Les premiers chrétiens, par leur conduite, tranchaient sur les païens comme des flambeaux sur un fond obscure, et le spectacle de leur courage et de leur vertu attirait puissamment les idolâtres à la Foi.
 
C'est ce qui ne se voit pas aujourd'hui, sauf des exceptions trop rares. Tout est confondu dans le même laisser-aller." 
 
Il ne tient qu'à nous qu'il n'en soit pas ainsi pour nous-mêmes et dans nos familles. De fait, le christianisme n'est stable et solide qu'autant qu'il pénètre l'intégrité de la personne baptisée. Tout d'abord l'intérieur de l'homme... En le renouvelant à l'image de Jésus-Christ, en faisant mourir le vieil homme, il en arrive à régler l'extérieur luimême : actes, paroles, attitudes, d'après cette même image. Il ne suffit pas de "croire de coeur", nous dit Saint Paul, si l'on veut être sauvé, il faut encore "confesser de bouche", et cette confession extérieure de la Foi doit s'étendre à tous les gestes, à toutes les démarches, à toutes les habitudes et relations du chrétien ; cette confession extérieure doit donc s'étendre à toutes nos habitudes, même sociale, et donc à la mode.
 
Abbé Patrick VERDET