Un an après la première session du
synode sur la famille (du 15 au 19 octobre 2014), la deuxième session aura donc
lieu du 4 au 25 octobre 2015. Entretemps, chacun y va de son commentaire
ou de ses réflexions sur le sujet. J’ai suivi, pour ma part, un débat très
éclairant entre un père dominicain renommé et un philosophe catholique dont les
réponses m’ont ravi ! Le dominicain, « théologien renommé »,
s’appuyant sur la liberté de parole accordée par le pape envisage, en effet,
deux dérogations possibles pour admettre les divorcés-remariés à la communion.
Je n’entrerai pas dans le débat, mais je relève les titres donnés aux
interventions de l’un et de l’autre, qui suffisent à situer le cœur du débat.
« Eglise de purs ou « nasse mêlée » - « Cœur tendre et
esprit mou » - « la doctrine ne verrouille pas la miséricorde »
- « pourquoi la doctrine verrouillerait-elle la miséricorde ? »
Alors,
à l’un et à l’autre, et à nous tous j’offrirai simplement ces sages réflexions
du P. Régamey (dominicain !) dans son bel ouvrage : Portrait
spirituel du chrétien. Il évoque le cas d’Emmanuel Mounier : « Plus
anciennement encore, un autre mot d'ordre avait exprimé la loi profonde de cet
intellectuel, le mot de Maritain : « Il faut avoir l’esprit dur et le cœur
doux. Sans compter les esprits mous au cœur sec, le monde n’est presque fait
que d’esprits durs au cœur sec et de cœurs doux à l’esprit mou» - « Combien de
gens qui croient avoir le cœur doux, ajoutait Mounier, et qui n'ont qu'un
esprit mou! » La rigueur de la discipline intellectuelle est nécessaire à
l'amour: « Elle ramène l'esprit de charité à la fermeté spirituelle », et elle
est indispensable à l'efficacité du service. Le combat lui-même n'est jamais
mené que contre « un modernisme de la charité »; difficiles sont les
discernements qu'il exige. Hélas! ils tendent l'esprit et risquent de dessécher
le cœur; ils obligent aux ruptures, aux critiques, aux attaques! Il faut donc
que le cœur croisse en douceur, se retrempe dans « la dernière réserve du
chrétien ». Déchirante mission que d'être la conscience de la cruauté et de la
sottise insoupçonnées des intérêts qui font obstacle à l'amour!
«
Comment accorder la dureté, l'indignation nécessaire, et l'amour que nous
devons rayonner sur le monde barbare ? » Ce n'est pas assez que le cœur
soit « pris » par la « révolte de justice » :
elle le laisse alors trop impur: il faut que le cœur soit « fait » de cette
révolte.
La charité échappe ainsi à « la trop facile révolte », mais aussi elle
a des éclats d'autant plus terribles qu'ils sont plus purs.
Elle déchire la satisfaction de
cette blanche paresse qui pense atteindre à la sainteté quand elle a répandu
sur la vie un sourire de dimanche ... (Pourquoi ne pas accrocher ici le mot de
Kierkegaard que cette expression évoque : « Écrire en lettres de crème le nom
du Christ sur le gâteau du dimanche» ?)
Après
ces propos difficiles, relisons quelques autres réflexions du grand Ernest
Hello, dans le paragraphe sur « la charité » de son ouvrage
« L’Homme ».
« Après une longue guerre,
quand on n'en peut plus, quand la fatigue amène la ressemblance de
l'apaisement, on a souvent vu les rois, lassés de combattre, se céder les uns
aux autres telle ou telle place forte. Ce sont là des concessions qui
fournissent des moyens d'en finir avec le canon. Mais on ne traite pas les
vérités comme on traite les places fortes. Quand il s'agit de faire la paix, en
esprit et en vérité, c'est la conversion qu'il faut et non l'accommodement. La
justice est tout entière ce qu'elle est.
Dans les relations d'homme à
homme, quand un rapprochement semble avoir lieu, sans que le cœur du coupable
soit changé, quand il croit qu'une poignée de main remplace le repentir et le
sentiment de sa faute, ce rapprochement menteur s'ouvre promptement pour
laisser voir la graine qu'il portait en lui. C'est une seconde séparation
beaucoup plus profonde que la première. Il en est de même vis-à-vis des doctrines.
La paix apparente, qu'une complaisance achète et paye, est aussi contraire à la
charité qu'à la justice, car elle creuse un abîme là où il y avait un fossé. La
charité veut toujours la lumière, et la lumière évite jusqu'à l'ombre d'un
compromis. Toute beauté est une plénitude. La paix est peut-être, au fond, la
victoire sûre d'elle-même.
Que dirait-on d'un médecin qui,
par charité, ménagerait la maladie de son client ? Imaginez ce tendre
personnage. Il dirait au malade: Après tout, mon ami, il faut être charitable.
Le cancer qui vous ronge est peut-être de bonne foi. Voyons, soyez gentil,
faites avec lui une bonne petite amitié; il ne faut pas être intraitable;
faites la part de son caractère. Dans ce cancer, il y a peut-être une bête;
elle se nourrit de votre chair et de votre sang, auriez-vous le courage de lui
refuser ce qu'il lui faut? La pauvre bête mourrait de faim. D'ailleurs, je suis
porté à croire que le cancer est de bonne foi et je remplis auprès de vous une
mission de charité. »
Le même excellent auteur relevait
encore dans « Les plateaux de la balance - L’espérance » : Par
une duperie étrange, nous avons beaucoup d’orgueil, quant à nos personnes, et
très peu de fierté, quant à nos croyances.
Il est temps de devenir humbles,
car il est temps de devenir fiers.
Abandonnons nos âmes au
rayonnement intérieur de la lumière incréée ; devenons ses miroirs, et ses
miroirs ardents, pour qu’elle rayonne de nous hors de nous, pour qu’elle
envahisse et pénètre les substances qui lui sont demeurées jusqu’ici étrangères
et impénétrables.
Seulement, n’allons pas croire
que la voie de l’union soit celle du relâchement doctrinal. N’allons pas croire
que la guerre des idées se termine par l’abandon de telle ou telle vérité,
comme les guerres de soldats, par la cession de telle ou telle ville, l’abandon
de telle ou telle province.
C’est la plénitude de la vérité,
adorée tout entière, qui seule peut nous conférer la paix, si nous voulons la
recevoir.