SOURCE - Père Christian Vénard - Le Point - 8 septembre 2015
Décidément révolutionnaire, François? Le père Vénard, aumônier militaire, revient sur le récent grand pardon proposé par le pape.
Décidément révolutionnaire, François? Le père Vénard, aumônier militaire, revient sur le récent grand pardon proposé par le pape.
Voilà. Le pape François avait à peine signé sa lettre « accordant l'indulgence à l'occasion du Jubilé de la miséricorde » que l'immense majorité des médias nous livraient leur « lecture » : encore une révolution au sein de l'Église catholique ! Pensez donc : les prêtres allaient enfin pardonner le péché d'avortement ! Une fois de plus la paresse et l'incompétence – à quelques rares exceptions – entraient en concurrence avec les œillères idéologiques, si habituelles dès que l'on parle du catholicisme dans les médias d'importance. Mettons d'emblée les choses au clair : non seulement le texte du pape n'est pas révolutionnaire, mais on pourrait même le qualifier de plutôt conservateur, et à tout le moins, il s'inscrit dans une grande continuité avec ses deux prédécesseurs, Benoît XVI et Jean-Paul II.
Associer justice, vérité et miséricordeMais ce qui marque d'abord dans cette lettre, c'est l'extraordinaire capacité que possède ce pape jésuite d'associer justice, vérité et miséricorde. C'est un art bien malaisé pour le catholique, souvent tiraillé entre la générosité qu'implique la miséricorde (l'amour) et les exigences de la vérité et de la justice – que l'on songe aux débats qui traversent l'Église catholique sur le flot des réfugiés venant du Moyen-Orient. Dans ce document, le pape François réalise cette union difficile sur deux sujets : l'avortement et les fidèles lefebvristes.
Le Saint-Père rappelle d'abord avec force combien nos sociétés errent dans la conception de la vie humaine : « L'un des graves problèmes de notre temps est sans aucun doute le changement du rapport à la vie. Une mentalité très répandue a désormais fait perdre la sensibilité personnelle et sociale adéquate à l'égard de l'accueil d'une vie nouvelle. » Il insiste sur le drame moral que constitue l'avortement, tout en manifestant sa compréhension des « conditionnements » qui ont pu conduire des femmes à cet acte. Pour que toute personne puisse bénéficier des grâces du pardon accordées par Dieu dans le sacrement de la pénitence (la confession), le pape autorise les prêtres du monde entier à en donner l'absolution.
Le cas de l'avortement
Pour bien saisir ce qu'a d'extraordinaire cette disposition pontificale, il est nécessaire de rappeler que si tous les prêtres ont par leur ordination le pouvoir de pardonner les péchés, ce pouvoir est lié. Le prêtre doit recevoir la faculté de confesser validement et licitement de son évêque (ou de son supérieur pour un religieux), et cette possibilité peut lui être retirée à tout moment. De plus, pour certains péchés d'une particulière gravité, le prêtre ne peut de sa propre autorité donner l'absolution, il doit d'abord en demander la faculté à l'évêque. C'est le cas de l'avortement. Ainsi, tout en accordant – de par son pouvoir pontifical – ce droit pour une année à tous les prêtres, en creux, le pape souligne aussi l'horreur de l'avortement, c'est d'ailleurs aussi la raison pour laquelle il exhorte les prêtres à se préparer « à cette tâche importante en sachant unir des paroles d'authentique accueil à une réflexion qui aide à comprendre le péché commis, et indiquer un itinéraire de conversion authentique pour pouvoir obtenir le pardon véritable et généreux du père qui renouvelle tout par sa présence ».
Un an de miséricorde
Concernant la Fraternité Saint-Pie X (les « lefebvristes »), le pape use de la même méthode. Il accorde pendant une année, par pure miséricorde et en faisant usage de son pouvoir suprême, aux prêtres de cette fraternité actuellement séparée de Rome la faculté de confesser validement et licitement. Il souhaite d'ailleurs que, « dans un proche avenir, on puisse trouver les solutions pour retrouver une pleine communion avec les prêtres et les supérieurs de la Fraternité ». Mais cet acte de charité paternelle du Saint-Père rappelle au passage, et d'une manière forte et claire, cette dure vérité : en temps ordinaires, ces prêtres ne donnent pas d'absolution valide !
L'amour au-dessus de tout
Le jésuite que reste le pape réussit donc ce double tour de force de rappeler deux situations terribles (à des titres différents puisque l'une touche à l'horreur de l'innocent assassiné dans le sein de sa mère et l'autre, à la communion ecclésiale brisée par les actes schismatiques de la Fraternité Saint-Pie X) tout en appliquant à chacune d'elles la quintessence de la miséricorde. L'amour au-dessus de tout et pour tous ! Pour cela, il bénéficie et il use de son pouvoir suprême de souverain pontife.
C'est en ce sens enfin que ce texte pourrait être qualifié de « réactionnaire ». Le pape, comme pasteur suprême de l'Église universelle, possède en effet un pouvoir immédiat sur tous les fidèles – un pouvoir, donc, qui ne saurait être limité par aucune médiation, pas même celle des évêques, pour autant légitimes pasteurs de leur diocèse. Le pape François n'hésite pas à en user. En ce sens aussi, il s'inscrit dans une continuité avec ses deux prédécesseurs. Avec le vif désir de communiquer à toute l'Église les bienfaits de la doctrine de la miséricorde divine, si heureusement mise à l'honneur par saint Jean-Paul II durant son pontificat, François utilise, comme le fit Benoît XVI – en particulier par sa décision de libéraliser l'usage de la forme extraordinaire du rite latin –, toute l'étendue de son pouvoir suprême.
Nous voilà fort loin d'une révolution !