SOURCE - Lettre à Nos Frères Prêtres - FSSPX France - n°70 - juillet 2016
UN HÉRITAGE A RECEVOIR La religion chrétienne n’est pas d’abord fondée sur une spéculation philosophique ou scientifique, mais s’enracine plutôt dans une histoire précise. C’est en ce sens que la vie catholique est essentiellement une Tradition, c’est-à-dire la transmission ininterrompue de réalités concrètes qui contiennent le mystère divin.
UN HÉRITAGE A RECEVOIR La religion chrétienne n’est pas d’abord fondée sur une spéculation philosophique ou scientifique, mais s’enracine plutôt dans une histoire précise. C’est en ce sens que la vie catholique est essentiellement une Tradition, c’est-à-dire la transmission ininterrompue de réalités concrètes qui contiennent le mystère divin.
On ne peut être chrétien sans se sentir profondément relié à tous les siècles qui nous ont précé-
dés : nous n’inventons pas notre foi, elle nous a été donnée. Tout ce qui réalise et rend présent cette
continuité historique se situe ainsi au cœur de la vie chrétienne, de l’identité catholique.
Le contact avec les Pères dans la foi
Or, précisément, la liturgie « grégorienne » a le mérite inappréciable de demeurer, après quinze
siècles, très fidèle au noyau primitif de la vie chrétienne. Elle contient, en effet, de nombreux textes
et rites très antiques qui se sont conservés substantiellement inchangés depuis le début de la vie
publique de l’Église.
Malgré les aléas de l’histoire, ces rites et ces formules s’enracinent sans rupture grave jusqu’au
tréfonds de la vie ecclésiale des premières communautés chrétiennes et même, pour certains, dans le
culte synagogal. En ce sens, la liturgie « grégorienne » permet un contact direct et sans cesse
renouvelé de chaque chrétien avec l’Église primitive, avec les Pères de notre foi.
Nous parlons ici d’un contact charnel, physique. Il ne s’agit pas d’avoir « les mêmes idées », « la
même vision générale » que les fondateurs de notre Église. Il ne s’agit même pas seulement d’avoir
« la même foi » qu’eux. Il s’agit véritablement de redire après eux les mêmes formules, de refaire
les mêmes gestes, de remettre nos pas dans les leurs.
Lorsque nous célébrons tel office, comme la fête de Noël, l’Épiphanie, le Mercredi des Cendres,
le jour des Rameaux, la Veillée pascale, la Pentecôte, nous sommes transportés plus d’un millénaire
en arrière et nous revivons ce qu’on vécu nos Pères dans la foi. Nous sommes avec eux, dans les
basiliques romaines, dans les églises de la Gaule, avec les missionnaires bénédictins envoyés par
saint Grégoire en Angleterre, etc.
Le contact avec les grands spirituels de chaque siècle
Cependant, il ne faudrait pas croire que la liturgie « grégorienne » soit constituée uniquement des
formules venues des Pères, même si ces formules constituent son substrat fondamental. En réalité,
la liturgie a continué de s’édifier, de s’enrichir de siècle en siècle.
En matière liturgique, on a d’abord célébré : les Pères dans la foi ont créé des rites, des usages,
des habitudes que leurs successeurs ont repris, persuadés de ne pouvoir faire mieux que ces amis de
Dieu. On a recueilli dans les livres les meilleurs de ces usages, en sorte que la pratique vivante,
enracinée dans la tradition, est devenue loi. Chaque génération a ensuite apporté ce qu’elle avait de
meilleur. Les grands spirituels, les grands contemplatifs de chaque époque se sont efforcés de
donner à cette liturgie la forme la plus convenable, la plus belle.
Le fidèle d’aujourd’hui peut ainsi accéder, à travers la liturgie, à ce qu’il y eut d’essentiel dans
les grands élans spirituels qui ont traversé l’Église. La fête de la sainte Trinité, la Fête-Dieu, la fête
du Sacré-Cœur, la fête du Christ-Roi, pour ne citer que ces quatre-là, nous transportent chacune
dans un siècle différent et nous confrontent au lent et continu développement de la dévotion
chrétienne.
Avec ces formules de la liturgie « grégorienne » ont prié des générations entières sur toute la
surface de la terre. Lorsque le fidèle célèbre cette liturgie, il se trouve en communion immédiate
avec saint Léon, saint Césaire d’Arles, saint Ambroise, saint Grégoire, saint François d’Assise,
sainte Élisabeth de Hongrie, saint Louis, saint Thomas d’Aquin, sainte Catherine de Sienne, sainte
Jeanne d’Arc, saint Thomas More, saint François Xavier, sainte Thérèse d’Avila, saint Vincent de
Paul, saint François de Sales, sainte Bernadette, le Curé d’Ars, saint Benoît Labre, sainte Thérèse de
Lisieux, le père de Foucauld, qui tous ont vécu de cette même liturgie.
L’acquis d’une tradition
Ce développement progressif des rites est évidemment légitime. Il répond à un besoin psychologique
de mieux exprimer par des gestes et des symboles ce qui était contenu d’une manière
implicite dans le noyau primitif. Supprimer d’un trait de plume tout ce qui s’est ajouté à ce noyau
primitif, ce serait aller contre les lois mêmes de la vie. Il y a dans l’Église vie, croissance,
conscience progressive à la fois du message révélé et de ses virtualités de vie, de prière, de charité
vécue. Il n’est pas possible, sous prétexte d’une sorte de « pureté » liturgique, de faire fi
d’acquisitions séculaires de la spiritualité chrétienne.
Ce développement s’est cependant réalisé par des ajouts lents, mesurés et harmonisés avec
l’ensemble, jamais par une rupture fondamentale. La liturgie « grégorienne » constitue ainsi, et au
sens propre, une tradition, c’est-à-dire une adhésion permanente à la réalité vivante de ce qui a été
transmis de façon ininterrompue, un choix sans cesse renouvelé de ne pas abandonner ce qui a été
précieusement conservé. Ces textes, ces gestes, en effet, n’ont jamais cessé d’être gardés fidèlement
et de passer comme de main en main depuis le début de l’Église.
Ce trésor séculaire, mûri par l’expérience de l’Église, qui s’est elle-même nourrie de la
Parole de Dieu à travers les siècles, fait ainsi entendre la foi de toute l’Église venue du fond des
âges et reçue de génération en génération en s’enrichissant, régulièrement et de façon cohérente,
d’alluvions nouvelles. Ces formules sont emplies de la vie spirituelle des siècles passés : toutes les
richesses de l’histoire de l’Église se trouvent alors capitalisées dans sa liturgie. Ce patrimoine est
une source permanente de renouvellement spirituel, un arbre empli d’une sève vivifiante capable de
nourrir la foi des chrétiens qui la célèbrent.
Cet héritage de la tradition fait ainsi de la liturgie « grégorienne » la prière de l’Église de tous les
temps, le signe le plus tangible de la communion catholique qui unit, à travers l’espace, le temps et
l’éternité.