SOURCE - Christophe Geffroy - La Nef - juillet/août 2017
Le 7 juillet 2007, Benoît XVI signait Summorum Pontificum, « lettre apostolique en forme de Motu proprio sur l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970 ». Texte historique dont l’importance n’a sans doute pas été encore appréciée à sa juste valeur, tant il dénoue une situation inextricable qui va au-delà de la seule question des traditionalistes attachés à l’ancienne forme liturgique. Même si contribuer à régler cette question épineuse a bien été aussi l’une de ses fins.
Le 7 juillet 2007, Benoît XVI signait Summorum Pontificum, « lettre apostolique en forme de Motu proprio sur l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970 ». Texte historique dont l’importance n’a sans doute pas été encore appréciée à sa juste valeur, tant il dénoue une situation inextricable qui va au-delà de la seule question des traditionalistes attachés à l’ancienne forme liturgique. Même si contribuer à régler cette question épineuse a bien été aussi l’une de ses fins.
Souvenons-nous, le 30 juin 1988, Mgr Lefebvre consacrait quatre évêques contre la volonté clairement notifiée du pape Jean-Paul II, lequel publiait aussitôt le Motu proprio Ecclesia Dei (2 juillet 1988) pour donner un statut juridique à la messe dite « de saint Pie V », dont un indult de 1984 concédait un usage très parcimonieux, et pour permettre l’érection de structures d’accueil pour les prêtres et fidèles traditionalistes qui ne voulaient pas suivre le prélat d’Écône dans sa rupture avec Rome. C’est ainsi que fut créée la Fraternité Saint-Pierre avec d’anciens prêtres et séminaristes de la Fraternité Saint-Pie X ; d’autres instituts suivront plus tard, tandis que des communautés religieuses furent canoniquement érigées (le Barroux, Chémeré, etc.).
Benoît XVI souhaitait faire plus. D’abord, rendre à ce qu’il a nommé la « forme extraordinaire » du rite romain l’honneur et les droits qui lui étaient dus. Ensuite, aider les fidèles désireux de suivre cette forme liturgique, en l’installant dans les paroisses, tout en donnant un signe fort à la Fraternité Saint-Pie X, puisqu’il répondait ainsi à l’une de ses revendications majeures. Enfin, par-delà le problème traditionaliste, l’aspect visionnaire du pape était de contribuer à la réconciliation interne dans l’Église secouée par la crise post-conciliaire : face à l’esprit de la table rase qui a fait tant de dégâts, dans la liturgie tout particulièrement où la réforme de 1969 a été trop souvent appliquée avec une brutalité et une volonté de rupture détestables, Benoît XVI a voulu opérer dans l’Église une réconciliation avec son propre passé, et notamment son passé liturgique, selon la fameuse « herméneutique de la réforme dans la continuité » qui est l’un des points saillants de son pontificat. Pour aller dans ce sens, les évêques devraient promouvoir la célébration classique de la forme ordinaire, en revenant à l’orientation et au kyriale en latin, chanté en grégorien, ainsi que le suggère le cardinal Sarah.
Cet aspect est assurément le plus important du Motu proprio et il n’a pas encore porté tous ces fruits, ce qui est somme toute normal à l’échelle du temps de l’Église.
« DÉSENCLAVER » LE MISSEL TRIDENTIN
Autre point mal compris de ce texte, le dessein du pape de « désenclaver » l’usage du missel tridentin pour ne pas le réserver à une minorité plus ou moins déconnectée des diocèses et en faire une forme liturgique vivante, susceptible, comme toute liturgie, d’enrichissements, le point de référence devant être la constitution conciliaire sur la liturgie, Sacrosanctum Concilium. Benoît XVI a insisté sur « l’enrichissement mutuel » entre les deux formes du rite romain, sans rencontrer beaucoup d’échos…
Sans doute l’esprit du Motu proprio a-t-il été quelque peu faussé par le fait que nombre d’évêques – dans quelle proportion, une étude serait à faire – n’ont pas joué le jeu de transférer réellement aux curés de paroisse la responsabilité d’accepter ou non une messe selon l’usus antiquior. Les instituts séculiers « Ecclesia Dei », de leur côté, n’étaient pas mécontents de voir ainsi confirmer implicitement leur quasi-monopole pour la célébration de la forme extraordinaire – tous les prêtres séculiers qui ont tenté des avancées selon les directives de Benoît XVI n’ont, de fait, jamais été réellement ni durablement soutenus par la hiérarchie, sauf en quelques rares lieux.
Malgré cela, le Motu proprio a enclenché une dynamique inédite et ouvert des voies à une nouvelle génération de jeunes prêtres décomplexés sur les questions liturgiques, c’est assurément un bilan positif très encourageant. Certes, il reste encore du travail pour ouvrir les esprits, une partie de la hiérarchie demeurant méfiante à l’égard des traditionalistes, toujours regardés comme des fidèles suspects, et non comme une chance pour l’Église de demain (c’est pourtant le courant qui, en proportion de son nombre, a le plus de vocations), alors que certains d’entre eux semblent se contenter d’un entre-soi confortable en cultivant un exclusivisme liturgique peu en phase avec l’enseignement de Benoît XVI (1). Mais gageons que l’acceptation des différences légitimes est en marche, car « cette diversité constitue aussi la beauté de l’unité dans la variété : telle est la symphonie que, sous l’action de l’Esprit Saint, l’Église terrestre fait monter vers le ciel » (2). La paix dans l’Église tant recherchée par ce saint pape n’est-elle pas une condition nécessaire pour la crédibilité de l’évangélisation dont notre monde a un besoin si vital?
Merci, cher Benoît XVI, pour ce Motu proprio !
Christophe Geffroy
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(1) La conclusion de notre livre, Benoît XVI et « la paix liturgique » (Cerf, 2008), demeure d’actualité… neuf ans plus tard !
(2) Jean-Paul II, Motu proprio Ecclesia Dei (1988), n. 5-a.