SOURCE - Yves Chiron - Aletheia n°277 - 24 décembre 2018
On n’est jamais déçu quand on lit l’abbé Guillaume de Tanoüarn, même quand il s’agit d’un article ou d’une recension. Son dernier livre, Le Prix de la fraternité (Tallandier), porte en sous-titre : « Retrouver ce qui nous unit ». Le propos est clair, subtil, comme toujours chez l’abbé de Tanoüarn, et résolument à contre-courant. On n’est pas toujours d’accord avec l’auteur, mais peut-être est-ce parce qu’on l’a mal compris.
L’abbé de Tanoüarn fait une sorte d’apologétique de la fraternité, la plus oubliée de la trilogie républicaine. Il ne la conçoit pas comme les idéologues de la Révolution.
Il rappelle que le conflit entre frères est aux premiers chapitres de la Bible, quand Caïn tue son frère Abel (Gn, 4, 1- 16). L’abbé de Tanoüarn nous dit : « il le tue sans qu’aucune cause ne soit apportée dans le texte de la Genèse » (p. 14). Pourtant le texte de la Genèse dit bien qu’il s’agit d’une jalousie : « Yahvé porta ses regards vers Abel et vers son oblation, mais vers Caïn et vers son oblation il ne les porta pas. Caïn entra en grande colère et eut le visage abattu. […] Caïn dit à Abel, son frère : ”Allons dehors.” Or, tandis qu’ils étaient dans la campagne, Caïn se dressa contre Abel, son frère, et le tua. »
Cette fraternité mise à mal par la jalousie, l’abbé de Tanoüarn, avec subtilité, la voit à l’œuvre dans la faute d’Adam et Ève : « une volonté de supplanter Dieu lui-même, Dieu notre frère caché » (p. 15). Et il signale un « verset mystérieux » (Gn 3, 22) où Dieu « se sent atteint par cette rivalité avec le couple humain primitif. » L’abbé de Tanoüarn aurait pu citer ce « verset mystérieux » : « Voilà que l’homme est comme l’un de nous pour la connaissance du bien et du mal ! Et maintenant il ne faudrait pas qu’il avance la main et qu’il prenne aussi de l’arbre de vie, qu’il en mange et vive à jamais. »
Selon l’abbé de Tanoüarn, la fraternité ne peut reposer que sur la « transcendance » ; une transcendance qui serait reconnue par tous, y compris les non-croyants. Une fraternité non théorique mais pratique. Une fraternité qui « n’est pas juridiciable, qui ne porte pas sur l’universalité d’un droit ». C’est « une relation réelle », qui part d’un « devoir » : la foi, quasiment naturelle, qui anime tous les hommes et qui est en-deçà des religions. Elle n’est pas au-delà des religions, sinon on tomberait dans l’indifférentisme religieux ou le syncrétisme.
Il y a chez l’abbé de Tanoüarn des vues intéressantes sur la vraie et nécessaire laïcité, qui n’est pas la laïcité républicaine et excluante. Il y a aussi de belles pages sur le pape François, qui feront « sans doute bondir plus d’un de mes lecteurs » écrit l’abbé de Tanoüarn : « Il a fallu attendre le pape François pour que la plus haute autorité réaffirme que la seule mission de l’Église en ce monde est de porter à toutes les personnes la miséricorde du Christ. On pourrait dire […] que le pape argentin est le premier à se détourner du pilpoul intellectuel caractéristique de Vatican II, pour aller simplement vers les gens comme ils sont. »
Non pas pour les encourager à persévérer dans leurs erreurs, non pour les conforter dans leur mauvaise conduite, mais, sans les condamner, les amener à se juger eux-mêmes.
On apprécie aussi que l’abbé de Tanoüarn rappelle que le christianisme est la religion de la « divinisation » de l’homme. Non pas le « Vous serez comme des dieux » que susurrait le Diable à Adam et à Ève aux premiers temps, mais la promesse de la « déification », c’est-à-dire de la vie en Dieu après la mort. En somme, nous sommes tous frères parce que tous nous venons de Dieu, et nous sommes tous frères parce que tous nous retournerons en Dieu, hormis ceux qui iront en Enfer.
Yves Chiron
On n’est jamais déçu quand on lit l’abbé Guillaume de Tanoüarn, même quand il s’agit d’un article ou d’une recension. Son dernier livre, Le Prix de la fraternité (Tallandier), porte en sous-titre : « Retrouver ce qui nous unit ». Le propos est clair, subtil, comme toujours chez l’abbé de Tanoüarn, et résolument à contre-courant. On n’est pas toujours d’accord avec l’auteur, mais peut-être est-ce parce qu’on l’a mal compris.
L’abbé de Tanoüarn fait une sorte d’apologétique de la fraternité, la plus oubliée de la trilogie républicaine. Il ne la conçoit pas comme les idéologues de la Révolution.
Il rappelle que le conflit entre frères est aux premiers chapitres de la Bible, quand Caïn tue son frère Abel (Gn, 4, 1- 16). L’abbé de Tanoüarn nous dit : « il le tue sans qu’aucune cause ne soit apportée dans le texte de la Genèse » (p. 14). Pourtant le texte de la Genèse dit bien qu’il s’agit d’une jalousie : « Yahvé porta ses regards vers Abel et vers son oblation, mais vers Caïn et vers son oblation il ne les porta pas. Caïn entra en grande colère et eut le visage abattu. […] Caïn dit à Abel, son frère : ”Allons dehors.” Or, tandis qu’ils étaient dans la campagne, Caïn se dressa contre Abel, son frère, et le tua. »
Cette fraternité mise à mal par la jalousie, l’abbé de Tanoüarn, avec subtilité, la voit à l’œuvre dans la faute d’Adam et Ève : « une volonté de supplanter Dieu lui-même, Dieu notre frère caché » (p. 15). Et il signale un « verset mystérieux » (Gn 3, 22) où Dieu « se sent atteint par cette rivalité avec le couple humain primitif. » L’abbé de Tanoüarn aurait pu citer ce « verset mystérieux » : « Voilà que l’homme est comme l’un de nous pour la connaissance du bien et du mal ! Et maintenant il ne faudrait pas qu’il avance la main et qu’il prenne aussi de l’arbre de vie, qu’il en mange et vive à jamais. »
Selon l’abbé de Tanoüarn, la fraternité ne peut reposer que sur la « transcendance » ; une transcendance qui serait reconnue par tous, y compris les non-croyants. Une fraternité non théorique mais pratique. Une fraternité qui « n’est pas juridiciable, qui ne porte pas sur l’universalité d’un droit ». C’est « une relation réelle », qui part d’un « devoir » : la foi, quasiment naturelle, qui anime tous les hommes et qui est en-deçà des religions. Elle n’est pas au-delà des religions, sinon on tomberait dans l’indifférentisme religieux ou le syncrétisme.
Il y a chez l’abbé de Tanoüarn des vues intéressantes sur la vraie et nécessaire laïcité, qui n’est pas la laïcité républicaine et excluante. Il y a aussi de belles pages sur le pape François, qui feront « sans doute bondir plus d’un de mes lecteurs » écrit l’abbé de Tanoüarn : « Il a fallu attendre le pape François pour que la plus haute autorité réaffirme que la seule mission de l’Église en ce monde est de porter à toutes les personnes la miséricorde du Christ. On pourrait dire […] que le pape argentin est le premier à se détourner du pilpoul intellectuel caractéristique de Vatican II, pour aller simplement vers les gens comme ils sont. »
Non pas pour les encourager à persévérer dans leurs erreurs, non pour les conforter dans leur mauvaise conduite, mais, sans les condamner, les amener à se juger eux-mêmes.
On apprécie aussi que l’abbé de Tanoüarn rappelle que le christianisme est la religion de la « divinisation » de l’homme. Non pas le « Vous serez comme des dieux » que susurrait le Diable à Adam et à Ève aux premiers temps, mais la promesse de la « déification », c’est-à-dire de la vie en Dieu après la mort. En somme, nous sommes tous frères parce que tous nous venons de Dieu, et nous sommes tous frères parce que tous nous retournerons en Dieu, hormis ceux qui iront en Enfer.
Yves Chiron