La Messe Pontificale à Sainte Marie Majeure |
Le Cardinal Castrillon s’est éteint le 17 mai dernier. Parmi ses nombreuses charges il fut pendant des années le responsable de la Commission Pontificale Ecclesia Dei. Cette circonstance nous donna l’occasion de le connaitre, d’apprécier ses qualités, de recevoir de lui des indications d’aide sincère mais aussi d’être en désaccord sur certains points. S’il est vrai qu’il restait un homme de Curie d’une certaine période historique, il est aussi vrai que ce qui frappait chez lui était son attitude directe, immédiate, sans affectation courtisane. Il était également un grand connaisseur - et souvent un tisseur - de cette toile politique qui est, elle aussi, une partie de la vie de l’Eglise Romaine, mais nous n’avons pas souvenir qu’avec nous il ait revêtu « le masque du pouvoir ». Son physique robuste même, indiquait l’homme concret qui avait connu les âpretés du ministère rural, à une époque où les déplacements n’étaient pas faciles. Lors d’une rencontre internationale du Clergé, qui eut lieu en Colombie en 1998 en préparation de l’Année Sainte, il monta à cheval et fit presque un rodéo, montrant quel cavalier il était encore malgré son âge vénérable. Descendant de cheval, il prit le microphone et dit aux prêtres présents qu’il avait dû apprendre à monter à une époque où le cheval était l’unique moyen pour le prêtre de rejoindre certains villages isolés. Et il termina en disant aux confrères « je vous souhaite d’utiliser tous les moyens possibles pour amener Jésus Christ ». Voilà comment était le Cardinal Castrillon et cet esprit se reflétait immanquablement dans sa direction de la Commission « Ecclesia Dei ». Cette charge était certainement difficile car tous les choix ne dépendaient pas de lui ; plusieurs forces faisaient pression dans un sens restrictif, en arrivant parfois même au véritable abus canonique et ecclésial. N’oublions pas que des hostilités furent exprimées même de la part de l’Osservatore Romano, nous en avions parlé dans un article en février 2011 (L’Osservatore Romano attaque « Dominus Jesus » et la Commission Ecclesia Dei).
Notre souvenir nous permet de témoigner d’un homme de médiation, qui - surtout pendant le Pontificat tant contesté de Benoit XVI - sut défendre certains choix avec détermination et autorité. Sur plusieurs points nous ne pouvons pas dire que nous avions les mêmes positions, mais il faut reconnaitre qu’au sujet de la Messe, qu’il appelait souvent « grégorienne », il eut de belles et courageuses paroles. Des paroles et des actes. Parce que ce fut lui qui, le 24 mai 2003 célébra à Sainte Marie Majeure cette fameuse Messe pontificale ; aujourd’hui nombreux sont ceux qui l’ont oubliée, mais à l’époque il fallait du courage, et lui il l’eut. On pourrait légitimement discuter de l’intention de « récupérer les traditionalistes », certains parlèrent même seulement - non sans une certaine myopie idéologique - de « tromperie » ou de « miroir aux alouettes », il est néanmoins incontestable que peu de Cardinaux - spécialement Préfet de Congrégation et encore moins papabile - auraient osé en ces temps-là revêtir ces ornements-là, pour ce rite-là et dans cette basilique-là.
Sur ce sujet, il était aussi auto-ironique et facétieux, ne rougissant pas de citer en souriant l’épithète de « requin » que Mons. Williamson lui avait attribuée, et ajoutait ensuite avec bonhomie, qu’au fond pour son habilité politique, il l’avait bien méritée. Il reconnaissait en même temps que - quoique d’un bord opposé - cet Evêque de la Fraternité avait été honnête à son égard tant en public qu’en privé, et il allait même jusqu’à dire que d’un certain côté il était, paradoxalement, celui parmi les quatre évêques de la FSSPX qui avait le moins une mentalité schismatique.
C’est sous son mandat que fut accordée “l’exclusivité du rite traditionnel” à une Société,et, en honnête homme, il resta fidèle à ses engagements. Sous sa présidence cet accord ne fut jamais mis en discussion, malgré les pressions d’en haut et malgré la disponibilité à le brader, précisément de la part de ceux qui auraient dû le défendre. Concernant le Concile Vatican II, il répétait - en simplifiant volontairement - que les passages conciliaires pouvaient se distinguer en trois typologies : la première contenait des affirmations partageables par tout catholique ; la seconde comportait des ambigüités, mais il était possible d’en interpréter le contenu à la lumière de la Tradition ; la troisième typologie pouvait paraitre difficilement conciliable avec la Tradition. Sur ces passages nous devions nous engager - il nous le dit de vive voix - à une « étude sérieuse et constructive », à une « critique sérieuse et constructive ». Ce fut lui qui nous dit avec force : « ceci est un grand service à rendre à l’Eglise »! Après l’avoir approuvée, au lieu de se retirer comme firent tant d’autres, il nous incitait à la « critique constructive » et nous disait que se soustraire à une telle charge équivalait à se servir davantage soi-même plutôt qu’à servir l’Eglise.
Nous le savons bien et nous ne voulons pas le cacher même en cette occasion : tous les choix auxquels il souscrivit ne furent pas pleinement partageables. Notre pensée va à la mise sous commissaire en l’an 2000 de la Fraternité Saint Pierre, qui constitua un précédent très triste et même trop imité. Cependant il est aussi vrai qu’un chef de Dicastère ne fait pas toujours ce qu’il veut, et d’ailleurs, sa gestion, par la suite, nous donna l’impression qu’il voulait presque se faire pardonner cette erreur. Il aura certainement fait des erreurs, mais dans la direction de l’Ecclesia Dei il représenta souvent le sens du concret et le bon sens, en déclarant ouvertement qu’il cherchait à composer les situations et non pas à les compliquer. Exaspérer les situations avec des vexations ne produit jamais de bons fruits. Lorsqu’il s’agissait de trouver des médiations et de donner des conseils pratiques d’une utilité incontestable, il fut toujours disponible et affable, même lorsqu’il avait plus d’une raison pour être en colère…la faute n’en incombe pas toujours « uniquement à la Curie Romaine »…
A celui qu’il devait aider, il demandait une certaine compréhension des difficultés objectives de la situation, lesquelles, pour celui qui gouverne, ne rendent pas toujours la solution évidente. Les ennemis de l’Eglise et du Pape, parmi lesquels certains posèrent de véritables pièges, en exploitant les faiblesses mondaines d’un certain traditionalisme, étaient bien à l’œuvre et il nous le rappelait.
Ensuite arriva la tempête de 2009, qui avait des cibles précises et préméditées, dont une très importante… Quant à la manière dont il fut traité il est licite de soupçonner que quelques vengeances se soient abattues sur lui, entre autres aussi à cause de ses nettes positions au Conclave de 2005 et de la phrase qu’il y prononça.
Ce fut ainsi que la Commission Ecclesia Dei finit par être rattachée à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et, de fait, son rôle fut redimensionné à celui de médiateur avec la FSSPX et ses « doctrines » à surveiller. Lors d’une rencontre récente, sans cacher à quel point cela lui avait fait mal, pendant qu’il nous révélait aussi certains aspects douloureux, il regrettait que de cette manière la Commission Ecclesia Dei se retrouvait dans une position d’extrême faiblesse et que son rôle en ressortait réduit et altéré.
Ainsi, si nous devions synthétiser notre souvenir nous parlerions d’un Cardinal courageux et fidèle aux engagements qu’il avait pris. Pacta sunt servanda et lui ne trahit jamais avec nous la parole donnée, même lorsqu’il était difficile de la maintenir.
Que Dieu veuille raccourcir son temps de purification en Purgatoire et que, du lieu où il se trouve et d’où il voit toute chose sous une autre lumière, il se souvienne d’intercéder pour ces prêtres qu’il a encouragés et même ordonnés au Sacerdoce.
Communauté “Saint Grégoire le Grand”