19 décembre 1979

[Père Guérard des Lauriers] 3ème réponse à la Lettre aux Amis et Bienfaiteurs n°16

SOURCE - Père Guérard des Lauriers - 19 décembre 1979

3ème réponse du Père Guérard des Lauriers à la Lettre aux Amis et Bienfaiteurs n°16
EINSICHT, février 1980 (pp. 1-9)
Le Père M.L. GUERARD DES LAURIERS
à Monsieur le DIRECTEUR
du Journal EINSICHT

Monsieur le Directeur,

La Lettre N°16 adressée par Mgr Lefebvre aux Amis et Bienfaiteurs de la Fraternité a suscité, vous le savez, de profonds remous. Votre Journal, Dieu merci, n'y a pas été étranger. Vous estimerez certainement conforme à la Sagesse que, liées dans leur origine, les mêmes causes le soient en leur achèvement.

Il est opportun, si vous y consentez, de préciser quelles furent les phases d'une polémique, dont la violence croissante manifeste tout simplement la gravissime importance.

1. 19 mars 1979. Lettre NI 6, de Mgr Lefebvre, aux Amis et Bienfaiteurs de la Fraternité S. Pie X.

2. 12 avril 1979. Première lettre personnellement adressée à Mgr Lefebvre par le Père Guérard des Lauriers.

3. Mai 1979. Publication de cette lettre, en allemand et en français dans Einsicht.

4. 15 juin 1979. Lettre de Mgr Lefebvre à des amis, publiée seulement en août 1979 dans le N°8 du Bulletin d'Information de la Fraternité sacerdotale S.Pie X de langue allemande.

5. 20 juin 1979. Eclaircissement (Erwiderung) demandé au Père Guérard par Einsicht [par personne interposée]. Cette personne avait-elle eu connaissance de la lettre (4) ? L'Erwiderung demandée a été expédiée par le P. Guérard dans les jours suivants.

6. 29 Juin 1979. Seconde lettre, personnellement adressée à Mgr Lefebvre par le P. Guérard.

7. Septembre 1979. Publication sur la même page 93, du Journal Einsicht des deux documents (4) et (5).

8. Novembre 1979. Publication dans la revue Itinéraires N°237 (p. 157) du document (4) précédé d’une « introduction » par M. Jean Madiran.

9. 10. etc. [Au niveau « épigone »] Novembre 1979. Commentaire du R.P. Barbara dans « Forts dans la Foi » N° 59-60 (p. 243, quatre premières lignes). Commentaire Ollion, De Pas et compagnie, dans « Lettre de la Péraudière » N° 95 (p. 13).

Mgr Lefebvre n'a pas [encore] répondu aux deux lettres (2,6) que je lui ai personnellement adressées.

Je n'ai eu connaissance de la lettre (4) que par le document (7). Je rends hommage à la loyauté avec laquelle le Journal Einsicht a publié simultanément les deux documents (4) et (5). Et je suis assuré, Monsieur le Directeur, que la même loyauté vous inclinera à accueillir très objectivement les trois arguments que je me permets de vous proposer.

Ils concernent les événements récents ou passés dans lesquels le
Journal Einsicht se trouve impliqué.

Il y a d'abord les faits [1]. En second lieu, les commentaires qui en ont été donnés [2]. Enfin, il y a surtout les très graves questions doctrinales qui sont sous-jacentes à la polémique [3].

Les deux premiers points me concernent plus personnellement, mais il est difficile de les séparer de la question doctrinale à laquelle le Journal Einsicht a déjà apporté de si importantes contributions.

[1] Le premier argument n'a d'importance qu'en raison de la polémique dont il continue d'être le prétexte.

Il s'agit du différend survenu entre Mgr Lefebvre et moi-même concernant la question de savoir si Mgr a célébré la "dite nouvelle messe" promulguée par le cardinal Montini le 3 avril 1969.

J'ai affirmé qu’il en fut ainsi (2); Mgr Lefebvre l'a nié (4).
 
J'ai déclaré (5,6) ne pas mettre en doute la loyauté de Mgr Lefebvre, et j'ai reconnu, dans la lettre (5), que Mgr n'a jamais célébré la dite nouvelle messe. J'ai cependant précisé, dans cette même lettre, et je maintiens, que les observations contenues dans cette lettre sont conformes à la réalité. Je reviens brièvement sur ce point.

Quiconque a pu observer, le 5 mai 1969 et ensuite jusqu'au 24 décembre 1970, que Mgr Lefebvre omettait les deux génuflexions qui sont immédiatement consécutives à chacune des deux consécrations, et antérieures aux Elévations. C'est l'interprétation de cette omission qui est à l'origine de la "contestation".

Je n'ai moi-même suivi aucune des réformes qui ont précédé la promulgation du n.o.m., et je n'en ai eu qu'une connaissance confuse, car la chose ne m'intéressait pas. La Constitution Missale romanum, jeudi saint 3 avril 1969, fut, dans le ciel de Rome, et ailleurs, un coup de foudre. Combien de fois avons-nous entendu, en ces années"conciliaires": "On introduit une modification sans importance; mais le Canon, mais la Consécration... on n’y touchera jamais !" On connaissait le refrain ; on n'y croyait pas trop, et on n'osait pas ne pas y croire. Enfin, ce 3 avril 1969, ce fut la terrifiante réalité. La Messe était atteinte en plein coeur.

Il fallait résister. J’ai cessé de nommer Paul VI "una cum Ecclesia tua sancta catholicá". Quelques amis, soutenus d'ailleurs par Mgr Lefebvre et par le Cardinal Ottaviani, travaillèrent beaucoup, jour et nuit. Nous n'avons certes pas tout vu, puisque nul d'entre nous n’a émis l'hypothèse que le n.o.m. pût être invalide...; les arbres cachèrent la forêt ! Mais enfin les altérations apportées à l'Ordo Missae furent détectées, et elles s'imprimèrent dans nos mémoires comme autant de provocations sacrilèges, comme étant également les critères propres de la dite nouvelle messe.

L'omission des deux génuflexions, immédiatement consécutives aux deux Consécrations, était et demeure, de toutes les altérations visibles [et pas seulement audibles], la plus insidieuse et la plus typique.

Le 5 mai 1969, les quelques amis qui ont assisté à la Messe que Mgr célébrait sur le tombeau de S.Pie V n'ont pas entendu les paroles consécratoires, mais ils ont observé 1'omission des génuflexions. Ce fut un second coup de foudre, certes de moindre module ! mais enfin l'écho du premier. Car, dans ces circonstances, cette Messe était, au moins à Rome, le premier acte public de résistance, et de dévotion. Or cet évêque que nous suivions, ou qui nous suivait, voici que cet évêque suivait le pape, mettant sa dévotion au service du pape et non au service de la Foi.

Mgr Lefebvre affirme n'avoir jamais célébré la dite nouvelle messe. Je le crois sur parole, et le lui ai déjà accordé (6). J'en conclus que Mgr Lefebvre avait adopté, avant le 3 avril 1969, les modifications auxquelles il s'est conformé jusqu'au 24 décembre 1970, modifications qui ont acquis, le 3 avril 1969, la si grave signification qu'elles ont depuis lors conservée. Je reconnais donc avoir erré en affirmant que Mgr Lefebvre a célébré la dite nouvelle messe ; je maintiens que Mgr Lefebvre s'est comporté de telle manière qu'on se trouvait induit à le supposer.

Puisqu'en effet l'omission des dites génuflexions signifia officiellement et canoniquement la dite nouvelle messe, au moins à partir du 30 novembre 1969. C'est ce dont je fais état dans ma seconde lettre (6).

[2] Le second argument me concerne plus personnellement. Mais il intéresse également le journal Einsicht.

Il s'agit en effet du document 8. Or ce document 8, d'une part publie le document 4, d'autre part renvoie au document 3 publié par Einsicht, sans faire état du document 5 également et loyalement publié par Einsicht.

La première observation concerne l'ordre chronologique des documents 3 à 8.

Comment Mgr Lefebvre répond-il, en septembre (document 7), à une accusation dont j'ai précisé la portée au mois de juin (document 5), sans tenir compte de cette précision ? Comment Mgr Lefebvre ose-t-il faire état au mois de septembre (7), d'une accusation qui, prise au sens où il l'entend, a été explicitement retirée par moi le 29 juin (6) ? Je dois supposer que Mgr Lefebvre "a oublié" de rectifier le document (4); lequel est cependant diffusé pour me diffamer (8,9,10). A défaut de cet "oubli", je serais fondé à me demander si Mgr n'est pas de mauvaise foi.

M. Madiran, qui est à l'ordinaire si bien informé, et qui a eu connaissance de ma première lettre (2), puisque, dit-il (Cool, elle circulait "sous le manteau", a certainement eu connaissance de ma seconde lettre (6); attendu que ces deux lettres ont été diffusées exactement dans les mêmes conditions. M. Madiran, qui est à l'ordinaire si bien informé, et qui a eu connaissance du document (3), puisqu'il y renvoie (Cool, a certainement eu connaissance du document (7); puisque M. Madiran suit le journal Einsicht, il a très probablement lu le numéro de Septembre, tout comme il a lu celui de mai. Comment, dans ces conditions, M. Madiran ose—t-il me faire grief au mois de novembre (Cool d'une accusation que j'ai précisée (5), et que j'ai explicitement retirée (6), si on donne à cette accusation la portée que l'on persiste faussement à m'imputer. Je suis fondé à me demander si M. Madiran ne serait pas de mauvaise foi ?

La seconde observation concerne le contenu des documents.

L'incident du 5 mai 1969 n'est mentionné dans ma première lettre à Mgr Lefebvre (2) que comme un épisode secondaire. Cette lettre traite de graves questions, et comporte six pages. Mg Lefebvre n'y répond que sur un seul point, et M. Madiran en isole une seule phrase. En ne répondant rien, ni à la seconde lettre (6) ni à l'Erwiderung (5, 7), Mgr Lefebvre et M. Madiran visent à "enterrer" la question véritable : la tragique question que pose cependant l'infâme lettre 16 (1), laquelle a seule motivé les deux lettres que j'ai adressées à Mgr Lefebvre (2, 6).

Je le répète, le "procédé" est malhonnête.

Il y a la manière "évangélique", ou plus exactement ecclésiastique, celle de l'évêque Mgr Marcel Lefebvre, "vénéré prélat" intègre et magnanime qui, inculpé, joue spontanément le "Christ aux outrages", en assimilant "les autres" [l'enfer, c'est les autres ?] à la "soldatesque".

Il y a la manière "hépatique" du polémiste M. Jean Madiran, qui vomit toute sa bile: "atroce lettre ouverte, d'insultes et de calomnies", "entre autres infamies ", "odieuse, cette calomnie était d'abord extravagante, délirante" ; "selon le calomniateur délirant"; "la lettre immonde du P. Guérard", "[lettre] que se passaient les uns les autres les amateurs de saleté..."

La manière ecclésiastique, et la manière hépatique sont également infra mentales ; le mépris et l'invective ne sont que passion dévoyée. La colère du polémiste qui explose, et le silence de l'évêque qui ne me répond pas, sont-ils de fines "passes diplomatiques" ? Certainement du moins, ils entraînent les mêmes résultats, à savoir de paraître ignorer ce qu'on devrait loyalement considérer, à savoir surtout de dégrader une question de doctrine en une question de personnes, et de désamorcer l'attention des malheureux fidèles en éludant la véritable question.

C'est cette question, M. le Directeur de "Einsicht", que je me permets de vous rappeler, sachant d'ailleurs qu'elle constitue la vivante inspiration du "bon combat" que vous soutenez.

[3] Le troisième argument a pour objet la question dont la gravité est manifestée par la violence croissante de la polémique qui est engagée.

Cette gravissime question n'est rien moins que la suivante. Peut-on servir par la duplicité l'Eglise de CELUI QUI EST LA VERITE ?

Cette question ne se pose pas certes dans l'ordre théorétique. Quant au principe en effet, la réponse est si évidente que la question est, comme telle, résolue, c'est-à-dire supprimée.

Mais cette question se trouve posée, chaque jour plus tragiquement, dans l'ordre pratique, par Mgr Lefebvre lui-même et par tous ceux qui le suivent en fait inconditionnellement. Comment peut-il être en fait imperturbablement double cet évêque qui, par attachement à la Vérité de la Foi, veut être le témoin de la Tradition ? Telle est, concrètement, la véritable question.

Double, Mgr Lefebvre l'a été le 5 mai 1969. Alors que, considéré
comme étant l'âme d'un minuscule groupe "ami" qui travaillait jour et nuit pour sauver la Messe contre la messe, et manifestant à ce groupe encouragement et sympathie, Mgr Lefebvre infligea à ce même groupe le désaveu public d'une allégeance inconditionnelle à 1'"autorité" qu'il fallait contrer.

Double, Mgr Lefebvre l'a été, en se ménageant 1’"autorité", et en ne signant pas la Lettre des Cardinaux BACCI et OTTAVIANI ; alors que, reconnaissant 1'"autorité ", il encourageait cependant très vivement la confection de ce document.

Double, Mgr Lefebvre l'a été depuis 5 ans au moins, à Ecône, en refusant systématiquement, malgré les sollicitations pressantes et réitérées qui lui ont été adressées, d'expliciter clairement les principes qui seuls peuvent fonder et justifier de résister à 1'"autorité".

Double, Mgr Lefebvre l'a été le 24 décembre 1978, d'abord en reconnaissant par la demande qu'il faisait l’"autorité" à laquelle cependant il désobéit ; ensuite et surtout en postulant qu'il y ait, dans l'Eglise, une dualité au coeur même de ce qui y est le principe de l'unité: la Messe et la "messe" faisant "un" de par l'autorité d'évêques... schismatiques évidemment !

Cinq ans au moins durant, on [je ne suis pas le seul !] a interrogé, attendu, espéré. L'inqualifiable lettre adressée au "pape" par Mgr Lefebvre le 24 décembre 1978 passant toute mesure dans la duplicité, il était impossible de ne pas le crier non possumus non loqui(Actes 4.20).

M. l'Abbé Louis Coache, Docteur en droit canon, et autres, ont tourné en dérision les esprits non diplômés qui "n'ont rien compris". Il s'agissait, paraît-il, d'une "passe diplomatique". Or, si Mgr Lefebvre, en des circonstances graves qui engagent en fait même ceux qui ne veulent pas le suivre, peut penser le contraire de ce qu'il écrit, quel cas peut-on faire de ses démentis ? Et si Mgr Lefebvre pense ce qu'il écrit, a—t-il le droit, parce qu'il est évêque, parce qu'il est, quoi qu'il en dise ou en veuille(?), le "panache blanc" des fidèles attachés à la Tradition, a-t-il le droit d'affirmer, pratiquement, une hérésie ?

Je ne suspecte ni la sincérité, ni le zèle, ni le désintéressement de Mgr Lefebvre. Je reconnais, et rends à nouveau hommage à toutes ces qualités. Je dois cependant observer que, du 5 mai 1969 au 24 décembre 1978, et même jusqu'en 1980, Mgr Lefebvre n'a pas changé, et c'est ce point qu'il importait malheureusement de souligner : Monseigneur demeure écartelé entre la Vérité et l’"autorité", entre le désir théologal de servir l'Eglise et la hantise viscérale d'avoir un statut canonique dans 1’"église".

Les fidèles, qui en fait adulent Mgr Lefebvre, le suivent comme s'il était le pape, parce qu'ils éprouvent le besoin d'en avoir un. Il faudrait les dissuader de l'erreur dont ils n'ont pas conscience, au lieu de les y incruster. Tous ces fidèles ont le droit de savoir ce à quoi ils exposent l'Eglise et eux-mêmes, en se soudant à un homme qui sera, qui est déjà, l'instrument inespéré dont l’"autorité" use, en vue de tout perdre, avec une maîtrise consommée. Or, ce que les fidèles ont le droit de savoir, j'estime avoir le devoir de contribuer à le leur faire connaître. Voilà pourquoi j'ai parlé. "Credidi, propter quod locutus sum" (2 Cor 4.13). Se taire, ce serait conspirer dans le "mystère d'iniquité" (2 Thess 2-7).

Je ne juge pas Mgr Lefebvre, ni d'ailleurs qui que ce soit. Je n'assimile pas Mgr Lefebvre à Pilate, comme m'en accuse faussement M. Madiran. J'ai écrit et je répète que le comportement de Mgr Lefebvre à l'égard de l'Eglise qu'il désire sauver - je n'en doute pas ! - aura et a déjà immanquablement le même résultat que le comportement de Pilate qui voulut très probablement sauver Jésus.

Je n'ai jamais ni dit, ni écrit, ni pensé, que Mgr Lefebvre fût un traître, ainsi que l'a somnanbulé le P. Barbara (Forts dans la Foi N°59-6O, p. 243, quatre premières lignes). J'ai écrit, et je répète, que les Lefebvre et les Coache, les Madiran et les Salleron, les sous-Madiran à la sauce Ollion et les sous-sous-Madiran à la manière De Pas et compagnie (Lettre de la Péraudière, N 95, p. 13), tous font, volens nolens l'oeuvre du Traitre, c'est-à-dire de Satan "le père du mensonge"(Jean 8,
44), parce qu'ils sont "doubles".

Vae duplici corde (Eccli 2.14).

Il n'est pas possible d'être, sous quelque rapport que ce soit, avec ce qui est "double", sans le devenir soi-même. Prétendre jouer au plus fin avec Satan, c'est en fait se vouloir plus Rouble qu'il l'est lui-même. C'est lui rendre hommage en tant qu’il profère le mensonge de son propre fonds. Telle est la terrible vérité qui justifie existentiellement l'intransigeante rigueur de Dieu.

"Jusqu'à quand clocherez-vous des deux côtés ? Si Yaweh est Dieu, allez après Lui; si Baal est dieu, ne suivez que lui" (3 Rois 18.21).

Si 1'« autorité » est l'Autorité, suivez Wojtyla qui est 1'"autorité", et ne suivez que lui. Si l'Autorité est Vérité, ne vous provolutez plus devant ce Wojtyla qui affirme l'hérésie. Telle serait, à l'égard de Mgr Lefebvre, l'impérieuse requête du prophète Elie.

J'ai tout lieu de penser, Monsieur le Directeur, que vous en êtes d'accord. Et c'est la raison pour laquelle j'ose vous demander de bien vouloir publier ces observations dans votre journal Einsicht. Je vous en remercie à l'avance, et vous prie d'agréer l'assurance de ma considération la plus distinguée.

M.L. GUERARD DES LAURIERS

Mercredi des Quatre Temps de l’Avent, 19 décembre 1979.

15 décembre 1979

[Mgr Schmitt, évêque de Metz] A propos du missel de saint Pie V

SOURCE - Mgr Schmitt, évêque de Metz - via La Porte Latine - décembre 1979

Sous ce titre, Mgr SCHMITT, évêque de Metz, a publié dans le bulletin de son diocèse (Eglise de Metz, décembre 1979) la note ci-après à la suite des remous suscités par l'interdiction de messes « traditionalistes » dans une salle prêtée par la municipalité communiste de Thionville (1):
De récentes informations sur des messes dites « traditionalistes » célébrées en notre diocèse ont suscité bien des émotions et des confusions parmi les membres de nos communautés ecclésiales.

Le moment semble vertu de dissiper les malentendus et de dire, au nom de l'Eglise, les véritables enjeux des oppositions à la réforme du missel romain, promulguée par Paul VI. Il n'est pas sain de laisser subsister certaines ambiguïtés.

Les enjeux sont graves. Ils ne concernent pas seulement la prière de l'Eglise. Ils concernent toute notre façon de nous situer dans l'aujourd'hui de l'Eglise et du monde. Notre foi en Jésus-Christ, sauveur des hommes d'aujourd'hui, comme notre foi en la signification de l'Eglise sont en cause.

L'aujourd'hui est difficile. Tout semble aller à la dérive. Les mutations sont si rapides, les changements si profonds, que beaucoup en éprouvent du vertige.

Mais a-t-on le droit de prendre prétexte de cette insécurité pour semer autour de soi le doute sur la fidélité de l'Eglise à son Seigneur et de provoquer une crise de confiance à l'égard de ses légitimes pasteurs? La façon dont l'Eglise vit et célèbre sa foi doit être au-dessus de toute contestation.
Les Conciles et le renouveau de l'Eglise
En période de crise, lorsqu'elle est mise en présence de choix qui engagent gravement sa cohérence avec l'Evangile et son avenir parmi les hommes, c'est toujours par la prière que l'Eglise commence.

Il en fut ainsi à la Pentecôte. Il en fut ainsi au Concile de Trente. Il en fut ainsi à Vatican II.

C'est pour faire aboutir les réformes exigées par la grave crise que l'Eglise traversait au moment de la Renaissance que le Concile de Trente avait demandé une révision des livres liturgiques. C'est saint Pie V qui, reprenant et réorganisant la tradition, a réformé le missel romain. Comme il le dit dans la Constitution Quo primum qui ouvre le missel rénové, sa visée était « la norme et les rites des Saints-Pères ».

Un liturgiste peu suspect de progressisme, Dom Paul Nau, moine de Solesmes, n'hésite pas à reconnaître les limites de cette réforme.

« Limitée par l'insuffisance d'information, par le climat de controverses où elle était accomplie, comme par la perte du sens de l'Eglise et l'individualisme de la « devotio moderna », la réforme de saint Pie V, malgré l'assainissement qu'elle apportait, restait encore loin du retour annoncé « aux normes des anciens Pères »; elle allait même, par la priorité donnée dans ses rubriques à la messe basse, donner un nouvel appui à l'erreur tendant à faire considérer la messe, acte cultuel public par excellence, comme une dévotion privée du prêtre, à laquelle les fidèles seraient invités non à prendre part mais seulement à assister... Ces exemples suffiront pour faire entendre quel long chemin restait encore à parcourir pour atteindre le but assigné par saint Pie V à sa réforme. » (2)

En même temps qu'à l'autorité de saint Pie V, les chrétiens dits « traditionalistes » en appellent volontiers à celle de saint Pie X. Qu'en est-il dans les faits? Dès son élévation au pontificat suprême, saint Pie X envisagea une réforme générale des prescriptions liturgiques. Ses invitations à la communion fréquente et à l'admission précoce des enfants à la première communion sont connues de tous. Mais ses projets étaient bien plus vastes. Dans un Motu proprio de 1913, il écrivait: « Il faudra un grand nombre d'années avant que cet édifice liturgique [...] apparaisse nettoyé de la crasse du temps et de nouveau resplendissant de dignité et de belle ordonnance. »

Interrompue par les deux guerres mondiales, l'oeuvre de saint Pie X fut vigoureusement reprise par Pie XII. C'est à lui que nous devons l'autorisation des messes du soir, l'adoucissement des règles du jeûne eucharistique, la réforme de la vigile pascale et des offices de la Semaine sainte, une simplification des rubriques.

Ce que saint Pie V avait fait pour le Concile de Trente, Paul VI l'a fait pour traduire dans les actes les grandes orientations du Concile de Vatican II. Sa réforme est l'aboutissement de plus de soixante années d'un mouvement liturgique particulièrement riche. Elle est l'aboutissement aussi d'une exploration plus approfondie et plus complète des sources chrétiennes, rendue possible grâce au renouveau biblique, patristique et historique. C'est bien dans la volonté de mieux assumer, dans la prière de l'Eglise, toutes les richesses de la tradition, que Paul VI a réformé le missel romain. C'est aussi pour rejoindre la nouveauté de l'homme et pour permettre à l'Eglise de célébrer sa foi avec un maximum de vérité humaine, mais surtout avec un maximum de vérité évangélique.

Si Paul VI a demandé à tous les membres de l'Eglise d'adopter sa réforme, ce fut, comme saint Pie V; au nom du ministère qu'il assurait au sein de l'Eglise comme successeur de Pierre. Et s'il l'a fait, c'est pour la même raison: l'unité.
Les enjeux ne sont pas ceux que l'on pense
On le pressent: dans les polémiques actuelles il s'agit de tout autre chose que d'une querelle pour ou contre le latin.

Certes, il n'existe pas de langue « sacrée ». Mais comment l'Eglise interdirait-elle le latin? Comment interdirait-elle le grégorien qui, avant de faire partie du patrimoine culturel de l'humanité, fait partie du patrimoine spirituel de l'Eglise?

Tous les dimanches, à la cathédrale et en de nombreuses paroisses du diocèse, la grand-messe continue à être chantée en grégorien, afin de rejoindre tous ceux que la culture et la sensibilité portent à exprimer leur prière dans une langue qui a souvent été identifiée à l'Eglise. Les chants en latin permettent aussi aux fidèles de passage, qui souvent ne parlent pas notre langue, de n'être pas trop dépaysés dans l'assemblée. Cela fait partie de cette très ancienne tradition d'hospitalité eucharistique, qui montre que cette communauté chrétienne, aussi unie soit-elle, n'est jamais aussi unie que lorsqu'elle est capable d'être ouverte à l'universel.

Si l'Eglise permet désormais l'utilisation de la langue courante, c'est en fidélité à l'événement de la Pentecôte. La communauté des disciples de Jésus-Christ est en cohérence avec l'événement qui la fonde lorsqu'elle rejoint tous les hommes, toutes les cultures. Il importe grandement que la parole de Dieu puisse être entendue dans toutes les langues parlées par les hommes. Il importe grandement que l'Eucharistie puisse être célébrée avec un maximum de participation de la part de l'assemblée, dans une grande fête pour Dieu qui soit aussi une grande fête pour l'homme.

Il est faux de prétendre que l'Eglise interdit de célébrer la messe en latin. Elle demande, certes, que désormais on utilise le nouveau missel, mais celui-ci comporte une édition latine. Les prêtres âgés ou infirmes qui sont dans l'impossibilité de s'adapter au nouveau missel peuvent être autorisés par leur évêque à se servir de l'ancien missel. A une condition toutefois, qu'il s'agisse de célébrations privées, c'est-à-dire sans assistance de peuple.
En demandant aux fidèles d'utiliser désormais le Missel de Paul VI il ne s'agit pas de jeter le discrédit sur le Missel de saint Pie V
Il serait monstrueux de prétendre que pendant quatre siècles l'Eglise a célébré sa foi dans l'incohérence. Il serait tout aussi monstrueux de jeter un soupçon sur l'oeuvre de Vatican II, de prétendre que le nouveau missel n'est pas conforme à la foi, ou du moins qu'il est ambigu et favorise l'hérésie. II serait également absurde de prétendre que Paul VI n'a pas le droit de changer les formes de célébration de la messe, sous prétexte que saint Pie V nous les a données à perpétuité.

Comme si le temps de l'Eglise s'était arrêté au XVIe siècle! Comme si le grand fleuve de la tradition s'était épuisé au Concile de Trente! Comme si le Dieu des chrétiens était un Dieu figé! Comme si la foi des chrétiens était vouée à une morne répétition! Comme si l'âge d'or de l'Eglise était dans le passé! Comme si la vivante mémoire de l'Eglise, autant que de son passé, n'était pas chargée d'avenir!...

L'Eucharistie que nous célébrons aujourd'hui est substantiellement la même que celle célébrée par les chrétiens de la Renaissance et ceux des tout premiers siècles de l'Eglise.

Bien loin d'altérer la messe de toujours, la réforme commencée par saint Pie V et continuée par Paul VI est caractérisée par une volonté de ressourcement et de fidélité aux origines qui comporte en elle-même l'adaptation aux besoins des fidèles.

Le Concile de Trente, sans cesse invoqué comme une autorité par les détracteurs de la messe de Paul VI, est très clair à ce sujet. Le saint Concile déclare [...] que l'Eglise a toujours eu le pouvoir, dans l'administration des sacrements, restant sauve leur substance, de statuer et de changer ce qu'elle jugerait selon la variété des temps et des lieux le plus expédient pour l'utilité de ceux qui les reçoivent, ou pour le respect dû aux sacrements. (Session XXI Dz. 931.) Pie XII déclarait dans le même sens, à propos des sacrements: « Tous savent que ce qu'elle a établi, l'Eglise peut aussi le changer et l'abroger. » (AAS, 1948 XL, p. 5.)
Mais alors, pourquoi interdire la messe de saint Pie V?
Avec la masse des catholiques, avec la plupart des évêques, voire le Pape lui-même, nous pourrions être tout disposés à laisser ceux qui le désirent célébrer l'Eucharistie selon l'ancien missel. L'essentiel en est d'ailleurs repris dans la Prière eucharistique n° 1 du nouveau missel.

Le drame est que certains font de l'ancien missel le symbole de leur opposition au Concile, le symbole de leur opposition à l'application qu'en font le Pape et les évêques du monde entier.

Comment ne pas percevoir l'invraisemblable et subtile perversion de la démarche!

Le corps sacrifié de Jésus et son sang versé transformés en moyen de protestation contre l'Eglise: est-ce honnête?

La tradition unanime reconnaît le lien sacramentel entre l'Eucharistie et l'Eglise. « Si l'Eglise fait l'Eucharistie, c'est l'Eucharistie qui fait l'Eglise. »

Utiliser l'Eucharistie, signe de l'unité de l'Eglise, pour mettre en péril cette unité, n'est-ce pas frapper l'Eglise en plein coeur? Depuis des siècles vaut l'adage: « Lex orandi, lex credendi » — la règle de la prière exprime la règle même de la foi.

Le refus de l'autorité d'aujourd'hui au nom de celle d'hier, le désaccord avec l'Eglise d'aujourd'hui au nom d'une tradition à laquelle on ne voue qu'un respect formel: est-ce honnête?

La tradition de l'Eglise en matière d'Eucharistie est attestée dès le IIe siècle par saint lgnace d'Antioche: « Que personne ne fasse rien de ce qui concerne l'Eglise en dehors de l'évêque. Que cette Eucharistie seule soit regardée comme légitime qui est célébrée sous la présidence de l'évêque ou de celui qu'il en a chargé. »

Lorsque des chrétiens se rassemblent pour célébrer l'Eucharistie en Eglise, le lien qui les unit ne réside pas dans leurs options culturelles ou sociopolitiques, mais dans leur foi commune. Dans une authentique communauté eucharistique, il n'y a « ni Juif, ni Grec, ni homme, ni femme, ni esclave, ni homme libre », mais des frères dans le Christ.

L'opposition à la messe de Paul VI risque d'entraîner une rupture de la communion ecclésiale, un émiettement de l'Eglise. Ce danger de rupture nous atteint profondément. A l'heure où les appels de l'Evangile se font si pressants dans le monde pathétique et passionnant qui est le nôtre, comment ne ressentirions-nous pas l'urgence, pour nous, de l'ultime prière de Jésus-Christ: « Que tous soient un, afin que le monde croie! »

A ma connaissance, les prêtres qui, en Moselle, célèbrent publiquement des messes dites « traditionalistes » sont étrangers au diocèse. Ils n'ont ni demandé, ni reçu aucune mission de l'évêque de Metz. Les groupes qui se rassemblent autour d'eux se mettent, de fait, en état de rupture avec l'Eglise, quelles que puissent être leurs intentions.

Il est de mon devoir d'inviter à la communion en Eglise tous ceux dont la bonne foi aurait été abusée, tous ceux qui souffrent devant les changements intervenus dans l'Eglise.

Il est également de mon devoir d'inviter à la même communion en Eglise ceux qui, dans leur zèle d'ouvrir des horizons nouveaux, risquent d'imaginer une Eglise à la mesure de leur impatience. J'attire leur attention sur le fait que le ministère de la célébration eucharistique implique une totale fidélité à l'Eglise. C'est à elle que Jésus-Christ a fait don du sacrement de son Corps et de son Sang.

J'ai pleine confiance en la bonne santé spirituelle des fidèles et des prêtres du diocèse. Je sais que la plupart ont déjà pris la mesure des enjeux. J'espère que les autres vont en prendre une meilleure conscience.

Nous avons tous à nous convertir pour être ensemble une Eglise tournée vers l'avenir, une Eglise qui veille dans l'attente de son Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne.

Paul-Joseph SCHMITT, évêque de Metz.
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Notes

(1) La Croix (11 octobre 1979) a publié à ce propos l'information ci-après :
- Le sous-préfet de Thionville (Moselle) a demandé le 9 octobre au maire de la ville, M. Souffrin (PC), de ne plus mettre un local communal à la disposition des intégristes.
- Deux fois par mois, en effet, « l'Association Saint-Pie-V-Saint-Pie-X », célébrait la messe dans une salle communale, sans l'accord de l'évêque.
- Or cet accord, pour disposer d'un local communal en vue du culte, est requis par le Concordat qui régit l'ancienne Alsace-Lorraine, par la loi du 18 germinal, an X, et par le décret du 22 décembre 1812. Mgr Schmitt, évêque de Metz, a basé la requête adressée aux autorités préfectorales sur ces divers textes.
- Le président de « l'Association Saint-Pie-V-Saint-Pie-X » a déclaré: « C'est un scandale, une preuve d'intolérance. »
(2) Dom Paul NAU, le Mystère du Corps et du Sang du Christ, Solesmes 1976, p. 173-174.