25 octobre 1996

[Mgr Bernard Fellay - FSSPX] Pourquoi la visite du Saint Père en France cet automne a-t-elle provoqué un tel tollé ?

SOURCE - Mgr Bernard Fellay - FSSPX - Octobre 1996

Lettre du Supérieur Général n°51 - octobre 1996
Chers Amis et Bienfaiteurs,

Pourquoi la visite du Saint Père en France cet automne a-t-elle provoqué un tel tollé ?

Ce n'était pas la première fois que Jean-Paul II visitait la fille aînée de l'Église, mais c'est bien la première fois que la franc-maçonnerie et ses satellites se sont opposés ouvertement en prétendant préparer la "malvenue" (sic) au pape. Pourquoi ? Parce que l'occasion de ce voyage était le 1500e anniversaire du baptême de la France ; à la Noël 496 le roi Clovis et une partie de ses soldats se faisaient baptiser, et avec le Roi, le royaume en tant qu'institution devenait catholique.

Célébrer cet anniversaire, c'était rappeler tout un passé, un passé glorieux de chrétienté dont ont horreur la révolution et ses suppôts. Pour elle, la France n'a commencé que lorsque la France a perdu et son roi et sa religion, et son Dieu. Deux siècles de travail acharné pour arracher à Notre Seigneur son sceptre, pour éradiquer la société chrétienne ou ce qu'il en reste encore n'ont pas suffi ; un tel anniversaire leur semblait réveiller de "vieux spectres", d'où la réaction relativement violente de la "Contre-Église" car c'est ainsi qu'elle s'appelle [1] elle-même.

Certes son action est aujourd'hui plus discrète, mais pas moins efficace que dans le passé. Ayant infiltré l'Eglise catholique, elle continue tant à l'extérieur qu'à l'intérieur son travail de sape et de destruction de notre sainte religion. Nous n'exagérons pas, voici quelques nouvelles des pays de l'Est, où on la voit en action, profitant du levier de l'œcuménisme pour continuer l'œuvre de démolition commencée par le communisme.

« Les nonces apostoliques dans tous les pays dits orthodoxes ont reçu les ordres de forcer les instituts religieux et de vie consacrée, les diocèses, les mouvements, etc. à cesser toute activité ministérielle. Sont visés surtout la compagnie de Jésus, les dominicains, les franciscains et certains mouvements de laïcs qui ont été particulièrement actifs, surtout en Russie et en Ukraine.

Comme vous devez le savoir, le KGB avait infiltré certains milieux de la hiérarchie russe. Ce fait, que les autres orthodoxes ont voulu cacher pour ne pas entraver le travail de reprise de l'Eglise russe, maintenant a été avoué publiquement par le Patriarche de Constantinople. Ce dernier veut justifier la méfiance des Orthodoxes estoniens à l'égard de Moscou. A cause de cette méfiance, et pour des motifs de foi, des milliers d'Orthodoxes sont passés à l'Eglise catholique orientale d'Ukraine. Le parti du Patriarcat de Moscou d'Ukraine est le parti le plus important du Patriarcat. Or, l'Eglise Orthodoxe en Ukraine risque de se dissoudre puisque de si nombreux fidèles, surtout à l'ouest du pays, passent à l'Eglise catholique. Des paroisses, des villages entiers d'un jour à l'autre sont passés à l'Eglise catholique. Les fidèles avec leur clergé - diacres, prêtres, moines, etc. - abandonnaient l'Eglise orthodoxe le soir et le lendemain se trouvaient catholiques.

Une telle situation n'était pas pour tranquilliser les évêques du Patriarcat de Moscou. En plus de cela la franc-maçonnerie est devenue particulièrement active depuis la "chute" du communisme. Effrayée par l'éventualité d'une force unie des deux Eglises, la Franc Maçonnerie fait tout pour : 1°) tenir les deux Eglises séparées; 2°) maintenir faibles les efforts de l'Eglise russe et 3°) neutraliser les forces missionnaires de l'Eglise catholique dans les Balkans et les pays baltes.

A l'heure actuelle, les forces maçonniques ont réussi à faire pression sur Moscou afin que le Patriarche fasse cesser toute activité de ministère en Russie et Ukraine. Les prêtres, évêques, religieux ne peuvent s'occuper que des "catholiques ethniques". Ne peuvent donc bénéficier des activités de l'Eglise catholique que les catholiques d'origine polonaise ou allemande. Je suis un témoin du nombre élevé des vocations à la vie religieuse et sacerdotale en Russie et en Ukraine. Plusieurs de ces vocations m'ont prié de les aider à entrer dans l'Eglise catholique.

Maintenant, les portes sont fermées. Je suis loin d'être "fanatique" mais j'estime cela le plus grand scandale de ce siècle. L'Eglise du Christ est missionnaire par nature. Si l'Eglise cesse son activité missionnaire je dirais qu'elle n'a plus de raison d'être. Pour moi c'est inexplicable ! Pour être certain que mon information officielle était sûre, j'ai parlé avec le Provincial d'un Ordre important en Russie. Il m'a confirmé ce que je savais par ailleurs, à savoir que "jusqu'à ce que les rapports entre le Saint-Siège et Moscou soient meilleurs, les Ordres religieux, les diocèses catholiques, etc. en Russie et en Ukraine ne peuvent rien faire". Ce Provincial m'a confié qu'il n'est pas d'accord avec les ordres qu'il vient de recevoir, mais lui et les autres supérieurs majeurs ont été menacés de destitution de leur charge (fonction) s'ils n'obéissent à l'ordre formel de cesser toute activité jusqu'à nouvel ordre.
Moscou fait la guerre actuellement à Rome parce qu'on a désigné un "exarque" avec rang archiépiscopal (administrateur) pour la ville de Kiev. Aussitôt désigné par Rome, cet exarque est obligé de ne rien faire ! »

Encore un autre exemple, peut-être encore plus scandaleux et qui démontre à l'évidence combien l'œcuménisme est un mal grave :

Tous les évêques catholiques melkites, sauf deux d'entre eux, ont signé la profession de foi suivante (en août 1995) :

I - Je crois tout ce qu'enseigne l'orthodoxie orientale.

II - Je suis en communion avec l'Evêque de Rome dans les limites reconnues par les saints Pères d'Orient au premier millénaire et, avant la séparation, au premier des évêques.

Les évêques eux-mêmes attribuent comme effet de cette profession l'abolition de "la rupture ecclésiastique uniate", opérée au sein du patriarcat d'Antioche en 1724... en clair, cela signifie que les Uniates ont cessé d'exister et qu'ils sont retombés dans le schisme orthodoxe ! Davantage encore, ils ne reconnaissent plus comme dogmes les décisions infaillibles de tous les conciles œcuméniques d'après 1054, mais comme de simples opinions théologiques...

Nos sources nous affirment que ces évêques ont été discrètement invités par le Vatican lui-même à poser cet acte ! Le scandale n'a plus de limite. Rome qui pousse au schisme...

De tels événements, le relâchement de la discipline ecclésiastique, les invraisemblables déviations liturgiques souvent sacrilèges, poussent des prêtres, des religieux et religieuses de plus en plus nombreux, un peu partout dans le monde et même en groupe, à se rapprocher de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X ! Espérons que le mouvement qui s'amorce ira se renforçant et obligera finalement les destructeurs à réfléchir sur ce qu'ils font. Ont-ils encore la foi ? Lorsque le Fils de l'homme reviendra, trouvera-t-il encore la foi, demandait déjà Notre Seigneur en parlant de la fin des temps.

De tels bouleversements exigent de nous des moyens idoines pour nous protéger, pour faire avancer la cause de Dieu ; nous nous tournons vers le Ciel et ne trouvons rien de mieux que ce que le bon Dieu nous offre. Sœur Lucie de Fatima nous rapporte les paroles suivantes de la sainte Vierge Marie lors des apparitions de 1917 :
« Jésus veut se servir de toi pour Me faire connaître et aimer. Il veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. A qui embrassera cette dévotion, je promets le salut, ces âmes seront chéries de Dieu, comme des fleurs placées par Moi pour orner son trône »

A partir d'autres textes, on conclut que Dieu a déposé dans les mains de la sainte Vierge la paix du monde entier. Nous sommes persuadés qu'il ne s'agit pas seulement de la paix des armes... Il semble aussi assez clairement que la Consécration par le pape de la Russie au Cœur Immaculé de Marie aura de grandes conséquences non seulement politiques mais surtout spirituelles, religieuses. La Russie se convertira. Or après l'euphorie de 1989, qui oserait encore aujourd'hui prétendre que la Russie se serait convertie ! Il nous faut insister auprès du Ciel pour qu'enfin ses désirs soient accomplis pleinement.

Pour nous, chers fidèles, nous désirons promouvoir autant qu'il est en notre pouvoir cette dévotion, selon l'esprit et la volonté de Notre Seigneur lui-même.

A la suite de S.E. Mgr Marcel Lefebvre, toute la Fraternité ira à Fatima le 22 août prochain pour célébrer le 80e anniversaire des apparitions et renouveler l'expression de notre bonne volonté.

Ayons soin de bien nous y préparer pendant toute cette année, en vivant davantage notre relation filiale à notre Mère du ciel, en récitant le chapelet ou le rosaire en famille, en offrant quelques sacrifices en esprit de réparation. Dans cet esprit, pourquoi ne pas suivre l'invitation du Ciel à la dévotion des 5 premiers samedis ? Ne pourrions-nous pas aussi faire (ou refaire) notre consécration personnelle à la Très Sainte Vierge, selon la méthode de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, ou une autre qui nous plairait davantage ?

La majesté divine est tellement offensée ! Si nous ne faisons pénitence, nous périrons tous [2] ! Le devoir de la satisfaction, de l'expiation des péchés, des nôtres et de ceux de nos congénères est une vérité fondamentale dont le souvenir a quasiment disparu de la vie et du langage des chrétiens. Certainement, Dieu veut nous le rappeler d'une manière bien douce en établissant la dévotion au Cœur Immaculé de Marie.

Prions pour les prêtres, prions beaucoup pour les prêtres, pour les futurs prêtres. Nous vous confions les nouveaux entrés de cet automne : 27, dont 5 Libanais à Flavigny, 12 à Zaitzkofen et 9 aux États-Unis, à quoi il faut rajouter les 9 jeunes de l'Est qui ont rejoint notre "pré-séminaire" de Jaidhof en Autriche ainsi que quelques Frères postulants.

Afin d'associer davantage les familles à l'œuvre de la sanctification des prêtres, nous avons lancé une œuvre qui nous tient particulièrement à cœur : Les Foyers du Christ Prêtre ; les familles qui le veulent bien se consacrent à Notre Seigneur prêtre. Elles offrent toute la vie familiale, leurs efforts, leurs peines et leurs joies pour la sanctification des prêtres. Vous pouvez vous adresser aux supérieurs de district pour plus ample information sur cette œuvre magnifique.

Manifestement, Dieu continue à bénir la Fraternité Saint Pie X, et vous, chers bienfaiteurs en êtes l'heureux instrument. Que Notre Seigneur et Notre Dame vous le rendent au centuple, en grâces et en bénédictions qui jaillissent jusque dans l'éternité.

En la fête du Christ Roi 1996
+ Bernard Fellay
Supérieur général

[1] "N'oublions pas que nous sommes la Contre-Église" - Congrès régional de la Maçonnerie de l'Est de la France (1911).
[2] Cf. Luc 13, 3

30 mai 1996

[Sylvie Véran - Le Nouvel Observateur] Ils ont célébré le «baptême de la France» - Clovis et les marcheurs de la vraie foi

SOURCE - Sylvie Véran - Le Nouvel Observateur - 30 mai 1996

Les pèlerins du Mouvement de la Tradition, fondé par Mgr Lefebvre, sont allés à Reims chanter le royaume chrétien et méditer sur «l'actualité du danger sarrasin». Sylvie Véran les a écoutés

Le ciel n'était pas avec eux. Froid, vent, pluie et boue, il ne manquait que la neige pour transformer le grand pèlerinage annuel de la Tradition catholique en véritable chemin de croix, du moins en une de ces épreuves que le tout-puissant envoie parfois à ses fidèles pour affermir leur foi. Du haut du paradis, Mgr Lefebvre peut être fier de ses ouailles. Elles en ont bavé mais elles n'ont pas faibli. C'est le corps meurtri, les pieds cloqués, les muscles tétanisés par trois jours dune longue marche vers le salut que 8000 fidèles de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X sont parvenus lundi à Reims pour célébrer le quinzième centenaire du baptême de Clovis. Sourires en bandoulière, coeurs légers et âmes sereines, exaltés à l'idée d'échapper au traditionnel trajet du Chartres-Paris pour se rassembler dans la ville des sacres, ils ont commémoré «le baptême de la France», comme le clamaient leurs tee-shirts imprimés (50 francs pièce seulement).
Comme chaque année, l'heure du départ a sonné après le saint-sacrifice offert dans les jardins de l'évêché de la cathédrale de Chartres. Au même moment s'ébranlait, porte d'Orléans, la colonne des pèlerins de la Chrétienté. Eux, ce sont les frères ennemis du Paris-Chartres. Des scissionnistes du mouvement traditionaliste initié par le rebelle d'Ecône, au début des années 70. Ces traîtres ont préféré rallier la Rome conciliaire. A force de compromissions théologiques, ces Judas ont fini par obtenir le droit de célébrer la messe de clôture de leur jubilé annuel sous les voûtes mêmes de Notre-Dame-de-Chartres. Ils n'ont pas été refoulés dans les dépendances.

Mais les «Tradition» se moquent des «Chrétienté» et de leurs courbettes au pape. A leurs yeux, leur pèlerinage reste le plus beau. Car le plus dur, donc le plus pur. Même sil reste un peu moins fréquenté, il gagne sans cesse de nouveaux adeptes. Ce week-end de Pentecôte 1996, mille fidèles de plus que l'an dernier sont venus grossir la procession. Des chrétiens, mais aussi bon nombre de non-croyants. «Certains viennent par curiosité, reconnaît l'abbé Benoît de Jorna, supérieur du district de France de la Fraternité Saint-Pie X et directeur du pèlerinage. Ils marchent, ils chantent, ils prient. Parfois ils se confessent, et décident de se convertir.» Tout comme autrefois la figure emblématique des catéchumènes. C'était en 496, le roi des Francs Saliens Clovis Ier devenait chrétien... Mollets crottés pour les scouts en short de drap et pour les filles de tous âges en jupes longues; soutanes maculées pour les abbés, ils ont déjà 40 kilomètres dans les jambes lorsque la tête de colonne portant la croix, les statues du Sacré-Coeur et de la Vierge à l'enfant pénètre dans l'hippodrome de Rambouillet, bivouac du samedi soir. Il est 20h30, ils ont marché onze heures. «Voici les ados, hurle un animateur dans le micro. Regardez cette vaillance, cette gaieté. Quelle belle jeunesse!» Oubliant leurs souffrances, les marcheurs se congratulent. Les «chapitres», ces groupes régionaux constitués de 30 à 50 personnes, s'égaient entre les tentes dressées sur l'herbe détrempée. C'est une joie de retrouver ses frères disséminés le reste de l'année dans la cinquantaine de prieurés que compte en France la Fraternité Pie X.

Autour des dix marmites pleines chacune de cent litres de soupe aux légumes et au vermicelle, on prend des nouvelles des amis. «Comment va ta soeur? demande un blondinet à la nuque bien dégagée derrière les oreilles. Comment? Elle vient de rentrer au carmel du Sacré-Cour? Sabine au couvent? Mais c'est formidable.» La teneur des conversations n'étonne que l'étranger de passage. Ici, une mère de huit enfants âgés de 13 ans à 6 mois pousse sa fille de 5 ans devant un prêtre de sa connaissance: «Elle va faire sa première communion après l'été. Enfin, il en est très fortement question.» Là, une jeune fille à lunettes se plaint: «J'ai trop mal aux pieds, dit-elle. Dieu soit loué, demain, il y a la grand-messe, ça ira mieux.» De leur côté, les soutanes noires ne chôment pas, confessant en plein air les pêcheurs retardataires ou célébrant la messe pour les bénévoles des cuisines qui n'ont pu assister à celle du matin. A 22h45, après la prière générale, tous les feux sont éteints.

L'office pontifical du dimanche de Pentecôte, célébré dans une propriété privée de la vallée de Chevreuse, est l'un des événements de ce 14e pèlerinage du Mouvement de la Tradition. Son excellence Bernard Tissier de Mallerais, l'un des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre en 1988, s'est déplacée en personne. Il est l'un des artisans du schisme avec Rome. Servi par une vingtaine d'enfants de choeur en robe et... bobs rouges (on prévoyait du soleil), il dit la messe en latin, le dos tourné à lassemblée, selon le rite de saint Pie V. Le refus des innovations de Vatican II (1962-1965) «ce sida de l'Eglise», dixit Marcel Lefebvre , et notamment de celle qui a consisté à bouleverser le rite tricentenaire de la messe en latin, est l'un des points d'ancrage de l'intégrisme catholique. A quoi s'ajoute, pour les dévots de Tradition, le rejet inconditionnel de la liberté de religion, comme de l'oeuménisme prôné de Jean XXIII à Jean-Paul II. 

«Ce qui se passe est très grave», confie Bernard Tissier de Mallerais, après avoir exhorté ses troupes «à consacrer nos écoles, nos familles, nos entreprises, au Christ-roi» et prononcé l'Ite missa est. «L'oecuménisme consiste à reconnaître la divinité du paganisme. Admettre que le bouddhisme, l'hindouisme ou l'islamisme ont une valeur de salut! Tout cela est faux. C'est contraire à la doctrine traditionnelle de l'Eglise, qui a toujours combattu les religions non chrétiennes.»

Devant le camion du service de presse, où l'ancien professeur du séminaire Saint-Pie X se'st réfugié après une nouvelle ondée, quelques pèlerins se sont massés. Blottis sous leurs capuchons ruisselants de pluie, ils attendent de baiser la main du prélat. «Admirez ces belles familles nombreuses, s'enflamme celui-ci. C'est grâce à elles que nous aboutirons à la reconquête de cette société païenne. Beaucoup de ces enfants sont formés dans les écoles que nous avons dû fonder. Leurs mères se vouent à leur éducation, comme toutes les femmes devraient le faire. La femme doit enfanter et rester au foyer. Là est sa place. C'est ainsi que nous pourrons, à l'avenir, éviter de mettre au monde des générations de déséquilibrés.»

A propos, que pense son excellence des commandos anti-avortement? A question attendue, réponse convenue: «Ce ne sont pas des commandos, dit Bernard Tissier de Mallerais, mais des gens qui opposent la prière à la violence des avorteurs. Des gens dont les actions, qui incitent à la réflexion, sont avant tout efficaces. Durant quelques heures, elles empêchent le crime le plus abominable: le massacre des innocents.»

Côté logistique, le pèlerinage de Tradition, c'est plus de cent organisateurs qui se réunissent dès le mois de janvier, pour mettre au point le parcours de 80kilomètres et distribuer les tâches aux responsables des équipes de bénévoles. Equipes des tentes, des cuisines, des cabines de WC, du nettoyage, de la sono, de la liturgie, des soins aux éclopés et de l'accueil des étrangers venus de toute l'Europe. Sans oublier les équipes responsables du vin (plusieurs milliers de bouteilles vendues 10 francs pièce) et du pain (10000 baguettes distribuées gracieusement). Cette organisation quasi militaire dispose d'un service d'ordre confié à Thierry Bouzard, dans le civil secrétaire général de la Ligue pour la Vie. Cette association de lutte contre l'avortement partage, rue Dantan, à Saint-Cloud, la même adresse que le Front national local. 

«Attention aux journalistes, dit un des chefs de la sécurité. Ils cherchent les crânes rasés. Pour eux, nous sommes tous des skins ou des nazis.» En fait de crânes rasés, c'est plutôt le genre nuques propres qui prédomine. Chez les jeunes comme chez les vieux. Pour le reste, la caricature est partout: filles à lunettes, jupes froncées, pulls marine ou vert bouteille. Et aussi les bagues héraldiques, les foulards Hermès et les jodhpurs de velours côtelé. Quant aux treillis militaires, qui selon un témoin fleurissaient encore l'année dernière, ils ont bel et bien disparu. Le règlement est formel: «Le port de l'uniforme est uniquement réservé aux mouvements scouts.»

Encore 35 kilomètres à pied sur les chemins embourbés, au rythme des «Ave Maria» et des «Dieu est notre roi». Enfin les bannières frappées de l'emblème de Tradition le Sacré-Coeur sur fond de drapeau français atteignent le dernier bivouac: Buc, au sud-ouest de Paris. Alors les foudres du ciel se déchaînent: roulements de tonnerre, trombes d'eau, rafales de vent... Pour faire patienter les 1000 petits pèlerins, âgés de 6 à 12 ans, jusqu'à l'heure du vermicelle, les animateurs du «chapitre enfants» s'escriment à leur faire répéter «le Cor», page 108 du «Livret du pèlerin». «Sinon c'est le lit», crie une cheftaine excédée. Le beau chant du «Cor» couronnera quand même la veillée intitulée «Evocation de la France chrétienne de Clovis à nos jours», avec en temps fort «Le monologue du croisé sur l'actualité du danger sarrasin» et une lecture de «Mon pays me fait mal», poème de Robert Brasillach.

Lundi de Pentecôte, 4 heures du matin à Reims, les troupes de Thierry Bouzard sont en place. En plus des marcheurs, qui débarquent aujourd'hui par cars, on attend près de 7000 pèlerins en plus. Les organisateurs ont réussi à obtenir de la préfecture l'autorisation de célébrer la messe du baptême de Clovis sur le parvis de la cathédrale de Reims. Les autorités de l'Eglise ont été moins clémentes: elles ont refusé de prêter leur cathédrale à la Tradition. «Bien sûr, nous avons le sentiment d'être rejetés par nos pairs, dit l'abbé Benoît de Jorna. Mais au moins nous savons pourquoi.» 

Sylvie Véran
Le Nouvel Observateur

25 mars 1996

[Mgr Bernard Fellay - FSSPX] "Il y a déjà presque vingt ans, Monseigneur Lefebvre écrivait au Cardinal Seper. Il lui exposait les raisons de son attitude 'qui est celle de milliers de catholiques et de nombreux prêtres parmi les plus fidèles à l'Église catholique et à la Papauté'"

SOURCE - Mgr Fellay - Lettre du Supérieur Général de la FSSPX n°50 - 25 mars 1996

Chers Amis et Bienfaiteurs,

Il y a déjà presque vingt ans, Monseigneur Lefebvre – dont nous célébrons aujourd'hui le cinquième anniversaire du décès – écrivait au Cardinal Seper. Il lui exposait les raisons de son attitude "qui est celle de milliers de catholiques et de nombreux prêtres parmi les plus fidèles à l'Église catholique et à la Papauté" (lettre du 13 avril 1978).

Les paroles sont d'une telle actualité que nous n'hésitons pas à vous en faire une longue citation : 
« Le problème de fond de notre persévérance dans la Tradition, malgré les ordres donnés par Rome pour l'abandonner, c'est un problème de grave et profond changement dans le rapport de l'Église avec le monde.
Notre Seigneur et l'Église à sa suite se sont situés par rapport au monde d'une manière très précise. Il faut convertir et baptiser le monde pour le soumettre au doux Règne de Notre Seigneur Jésus-Christ. C'est la seule et unique voie de salut. "Allez, enseignez toutes les nations..." C'est clair. Il faut envoyer des apôtres à toutes les nations afin qu'elles deviennent catholiques et acceptent le Règne de Notre Seigneur.
Mais il y a dans ce monde des forces ennemies de Notre Seigneur, de son Règne. Satan et tous les auxiliaires de Satan, conscients ou inconscients, refusent ce Règne, cette voie de salut et militent pour la destruction de l'Église.
Ainsi l'Église est engagée avec son Divin Fondateur dans un gigantesque combat. Tous les moyens ont été et sont employés par Satan pour triompher.
L'un des derniers stratagèmes extrêmement efficace est de ruiner l'esprit combatif de l'Église en la persuadant qu'il n'y a plus d'ennemis, qu'il faut donc déposer les armes et entrer dans un dialogue de paix et d'entente.
Cette trêve fallacieuse permettra à l'ennemi de pénétrer aisément partout et de corrompre les forces adverses.
Cette trêve c'est l'œcuménisme libéral, instrument diabolique de l'auto-destruction de l'Église.
Cet œcuménisme libéral exigera la neutralisation des armes, qui sont la Liturgie avec le Sacrifice de la Messe, les Sacrements, le Bréviaire, les Fêtes liturgiques, la neutralisation et l'arrêt des Séminaires : plus besoin de combattants puisqu'il n'y a plus de combat. L'œcuménisme dans l'enseignement, c'est la recherche théologique, les dogmes mis en doute.
C'est aussi le pluralisme appliqué aux Etats catholiques et donc leur suppression pour devenir Etats œcuméniques.
C'est aussi l'arrêt du combat dans les monastères, les sociétés religieuses, qui étaient les avant-gardes. C'est par le fait même leur arrêt de mort.
A cette entreprise diabolique inaugurée au Concile spécialement par les Documents sur "les religions non chrétiennes", "l'Église dans le monde", "la Liberté Religieuse", et continuée sans cesse depuis le concile, nous opposons un refus formel. Nous ne voulons pas devenir œcuménistes libéraux, et ainsi trahir la cause du Règne de Notre Seigneur et la cause de l'Église, nous voulons demeurer catholiques.
Qui est l'instigateur de ce faux œcuménisme dans l'Église, le responsable, ou quels sont les responsables? Nous préférons ne pas le savoir. Dieu le sait.
Mais on peut nous frapper de tous les interdits et de toutes les censures que l'on voudra, nous entendons, avec la grâce de Dieu et l'assistance de la Vierge Marie, demeurer dans la foi catholique et nous refusons de collaborer à la destruction de l'Église.
Nous demandons une chose très simple et très légitime : que l'on reconnaisse à ce qui a été l'Église de toujours et celle de notre enfance le droit de continuer. C'est un droit fondé sur l'Ecriture, la Tradition, le Magistère de l'Église et toute l'histoire de l'Église ».
* * *

Il est impressionnant de voir, vingt ans plus tard l'exactitude et la précision de vues de ces lignes. Nous pouvons les faire nôtres, en ajoutant à la force de notre adhésion l'expérience et le constat du désastre post conciliaire ainsi que les aveux des condamnés des années cinquante qui ont triomphé quinze ans plus tard.
 La lettre citée explique bien notre situation actuelle par rapport à une Rome gouvernée par la gigantesque utopie de l'œcuménisme, du pluralisme, de l'inculturation, en un mot de "l'ouverture". Et pourtant la sagesse pluriséculaire de notre Mère l'Église leur dit avec saint Pie X : « Vous élargissez les portes pour introduire ceux qui sont dehors et en même temps vous faites sortir ceux qui sont à l'intérieur [1]».
 
Derrière l'ouverture, n'y a-t-il pas cet étrange oubli de l'existence de l'ennemi de nos âmes, tel que l'écrivait Mgr Lefebvre dans les lignes ci-dessus, comme une volonté d'ignorer les agissements actuels subversifs et destructeurs des éternels ennemis de l'Église et de la société, et aussi de l'état de la nature humaine déchue, blessée profondément par le péché originel et les péchés personnels, inclinée désormais vers le mal ? Comme si le bien, la vérité allaient triompher d'eux-mêmes dans ces circonstances comme par enchantement.

Les exemples fourmillent et corroborent notre appréhension : par exemple aux tentatives d'infiltration de l'Église par des agents communistes (p. ex. les prêtres de la paix) succèdent celles des agents du Nouvel Age de leur propre aveu [2].

Au sujet de l'œcuménisme : combien d'âmes depuis que l'Église s'est mise à l'œcuménisme sont revenues au bercail ? quand la notion même de retour au bercail est rejetée... (déclaration de Balamand en juin 1993); les conférences, les sourires, ne font que conforter les errants dans leurs erreurs au lieu de les amener à la vérité. L'exemple du Patriarche de Constantinople, concélébrant avec le Pape le 29 juin 1995 une "liturgie de la parole", récitant le Credo sans Filioque est frappant; quelques mois plus tard, à Zürich, le même patriarche s'en prend violemment à la papauté, au primat de saint Pierre.
* * *
Dans ces temps, la prière, les sacrifices sont une nécessité : conjurons le Sacré-Cœur de Jésus, implorons le Cœur Immaculé de Marie qu'ils nous viennent en aide, qu'ils protègent la sainte Église catholique romaine contre tant d'assauts du dedans et du dehors.
 
Nous aurons cette année la joie d'ordonner 29 prêtres; ceux-ci seront répartis un peu partout dans le monde, sur les cinq continents. Mais qu'est-ce que 360 prêtres pour un labeur si immense ? Certes, dans le mystère de la grâce la quantité n'a pas le grand rôle, mais tant et tant d'âmes affamées, nous appelant chaque année de nouveaux pays encore plus nombreux, ne nous laissent pas indifférents. c'est le cœur bien serré que nous devons les faire "patienter" dans leur agonie, leur asphyxie spirituelle.
 
 Les contacts se multiplient en Amérique centrale, en Asie, dans les pays de l'Est sans que nous puissions apporter un autre soulagement que celui d'une visite trop courte et trop passagère. Certes de nouveaux prieurés ont été établis au Sri Lanka, au Guatemala. Cette année l'ìle de Santo Domingo verra enfin réalisées les aspirations de plus de 600 fidèles qui ont construit de leurs mains la spacieuse église et le prieuré attenant et qui attendent depuis plusieurs années la présence du prêtre.
 
Pendant que l'église du séminaire d'Écône sort de terre – ses murs ne s'élèvent qu'à la mesure de votre générosité, dont nous vous remercions de tout coeur – nos séminaires ne se remplissent pas autant que nous le désirerions. Une petite cinquantaine de jeunes gens sont venus augmenter notre petite cohorte. Plus que jamais, nous confions à votre prière la croisade pour les vocations. On peut mériter cette grâce.

La très grande majorité des nouveaux prêtres ira, comme les années précédentes, renforcer les pays où nous sommes déjà établis depuis plus longtemps, en particulier la France et les États-Unis. Le district de France comptera plus de cent prêtres, tandis que le nombre de prêtres aux Etats-Unis se rapprochera de la cinquantaine.
 
 Que le temps de la Passion, qui nous montre un Christ vainqueur à travers ses souffrances et par sa mort sur la croix soit pour nous une invitation pressante tant à la prière vigilante, à l'action généreuse, qu'à l'espérance inébranlable, l'espérance de ceux qui savent qu'ils ne seront pas confondus, car ils espèrent dans le Tout Puissant : 
"In te Domine speravi, non confundar in æternum".
Fête de l'Annonciation
25 mars 1996
 
+ Bernard Fellay
Supérieur général

[1]  Conduite de saint Pie X dans la lutte contre le modernisme, Courrier de Rome, Paris 1996, p. 34.
 
[2]  Cf : l'excellente conférence du Dr.  Regina Hinrichs "Gefangen im Netz des Wassermannes" ("Prisonniers des filets du Verseau"), Weto, Meersburg ; conférence à Fulda, 10.11.95, réunion de Theologisches.

5 février 1996

[François Wenz-Dumas - Libération] Les intégristes jettent la première pierre - L'église traditionaliste de Noisy-le-Grand a été «baptisée» hier sous l'oeil des laïques.

SOURCE - François Wenz-Dumas - Libération - 5 février 1996

On se serait cru retourné au début du siècle, quand les inventaires

imposés par la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat déchiraient les villages entre pro et anticurés. Pourtant, cela se passait hier sur fond d'architecture futuriste du quartier du Pavé neuf de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). Le face-à-face opposait une petite centaine de militants laïques à deux cents catholiques intégristes venus dire une messe pour consacrer la pose de la première pierre d'une église financée par leurs dons.

Pour prévenir tout affrontement, les autorités avaient déployé vers 10h30 un cordon de policiers à la sortie de l'hôtel Adagio, où venait d'officier «monseigneur» Alfonso de Galaretta, un des quatre évêques ordonnés naguère par feu l'évêque traditionaliste Mgr Lefebvre. Mais ni les militants laïques, ni les intégristes catholiques n'étaient venus pour en découdre, malgré quelques slogans («Eglise intégriste, église fasciste») qui ne faisaient pas dans la dentelle. Et le vent glacial de ce dimanche matin a suffi à refroidir les velléités bagarreuses.

Le cortège de fidèles traditionalistes put ainsi gagner le terrain où sera édifiée leur chapelle dédiée à saint Martin. Ironie de l'histoire, la rue où elle doit être bâtie est consacrée à Jules Ferry. Autre curiosité locale, il aura fallu l'élection en juin dernier d'un maire socialiste, le rocardien Michel Pajon, pour que le permis de construire refusé par son prédécesseur UDF-PR, Antoine Pontone, soit enfin accordé. C'est au mois de septembre que la demande formulée par l'Ancre (Association noiséenne catholique pour la continuité du rite dans l'Eglise) a abouti, provoquant l'indignation de militants de gauche et d'extrême gauche.

«Je n'avais légalement aucun moyen de refuser ce permis de construire, se défend Michel Pajon, et je ne pouvais pas prendre le risque de faire condamner la ville.» Ce à quoi les militants laïques comme Patrick August, responsable d'une association de parents d'élèves et candidat malheureux contre Pajon à la tête d'une liste de gauche indépendante en juin dernier, rétorquent qu'il était toujours possible de préempter le terrain. «Je ne pense pas que l'on fasse avancer la cause laïque en adoptant une attitude aussi intégriste que celle que l'on veut dénoncer», se défend le maire de Noisy-le-Grand qui, à l'instar des autorités religieuses officielles, estime que «moins on parlera de ces gens-là, moins on fera avancer leurs idées».

Le fait que le futur bâtiment de culte soit également une petite curiosité architecturale a aussi joué dans la décision du maire de Noisy de ne pas mener de guérilla administrative contre ce projet. Il s'agit en effet d'une chapelle en pierres de taille, édifiée en 1860 à Saint-Maixent (Deux-Sèvres) et désaffectée de 1881 à 1990. Démontée en 1992, elle est rachetée deux ans plus tard par l'association traditionaliste. Elle doit être remontée à l'identique, apportant une note très «vieille France» dans ce quartier pavillonnaire de Noisy-le-Grand.

On en eut hier un avant-goût lors de la cérémonie de bénédiction de la première pierre, avec promenade des bannières en l'honneur de saint Martin et du Sacré-Coeur, puis de l'encensoir aspergeant d'eau bénite le périmètre sur fond de psaumes en latin. Au premier rang, les scouts «Godefroy-de-Bouillon» arboraient leur grand uniforme et les familles catholiques BCBG leurs chaussettes blanches et jupes plissées bleues. «Voyez-vous, explique un vieux monsieur très digne, tous les socialistes ne sont pas forcément mauvais. Prenez monsieur Pajon, le maire de Noisy-le-Grand, il s'est montré plus juste que son prédécesseur, qui était pourtant de droite.» Un sentiment partagé par Michel Paulin, leader local du Front national, qui était venu hier suivre les cérémonies, «à titre personnel et en tant qu'élu».

C'est pour dénoncer cette visible collusion entre l'extrême droite et les traditionalistes que la quasi-totalité des organisations de gauche noiséennes avait appelé à manifester hier. Laissant le maire socialiste assumer seul sa décision de respecter la stricte neutralité républicaine à l'égard des mouvements religieux, même extrémistes.

François Wenz-Dumas