11 octobre 1976

Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre - 11 octobre 1976
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[NOTE DE FSSPX.ORG: Ce document a été rendu public seulement par le Supplément-Voltigeur numéro 42 du 15 novembre 1976. Le texte que nous reproduisons est la version française officielle, établie par le Saint-Siège et notifiée à Mgr Lefebvre au même titre que la version latine.]
A notre Frère dans l’Episcopat
Marcel Lefebvre ancien archevêque-évêque de Tulle

En vous recevant le 11 septembre dernier à Castel Gandolfo, Nous vous avons laissé exprimer librement votre pensée et vos désirs, même si les divers aspects de votre cas étaient déjà bien connus de Nous personnellement. Le souvenir que Nous gardons de votre zèle pour la foi et l’apostolat, et du bien accompli dans le passé au service de l’Église, Nous faisait et Nous fait toujours espérer que vous redeviendrez un sujet d’édification, dans la pleine communion ecclésiale. Nous vous avons demandé encore une fois de réfléchir, devant Dieu, à votre devoir, après les actes particulièrement graves que vous aviez posés.

Nous avons attendu durant un mois. L’attitude dont témoignent encore, en public, vos paroles et vos actes ne semblent pas modifiée. Il est vrai que Nous avons sous les yeux votre lettre du 16 septembre où vous Nous affirmez : « Un point commun nous unit : le désir ardent de voir cesser tous les abus qui défigurent l’Église. Combien je souhaite collaborer à cette œuvre salutaire avec Votre Sainteté et sous son autorité, afin que l’Église retrouve son vrai visage. » Comment faut-il interpréter ces quelques mots — en soi positifs — auxquels se limite toute votre réponse ? Vous parlez comme si vous oubliiez les propos et les gestes scandaleux contre la communion ecclésiale, que vous n’avez jamais désavoués ! Vous ne manifestez pas de repentir même pour ce qui a été la cause de votre suspens a divinis. Vous n’exprimez pas explicitement votre adhésion à l’autorité du concile Vatican II et du Saint-Siège — ce qui constitue le fond du problème et vous poursuivez vos propres œuvres que l’autorité légitime vous a demandé expressément de suspendre. L’ambiguïté demeure, du fait de ce double langage. Pour Nous, comme Nous vous avions promis de le faire, Nous vous adressons ici la conclusion de nos réflexions.

— I —

Vous vous présentez pratiquement comme le défenseur, le porte-parole des fidèles et des prêtres qui sont « déchirés par ce qui se passe dans l’Église », avec la pénible impression que la foi catholique et les valeurs essentielles de la Tradition ne sont pas suffisamment respectées et vécues dans une portion du peuple de Dieu, du moins en certains pays ». Mais dans votre interprétation des faits, dans le rôle particulier que vous vous donnez, dans la façon dont vous le remplissez, il y a quelque chose qui égare le peuple de Dieu et trompe les âmes de bonne volonté, justement désireuses de fidélité et d’approfondissement spirituel et apostolique.

Le fait des déviations dans la foi ou la pratique sacramentelle est assurément très grave, partout où il se vérifie. Il retient depuis longtemps toute notre attention doctrinale et pastorale. Certes il ne doit pas faire oublier les signes positifs de reprise spirituelle ou de responsabilité accrue chez un bon nombre de catholiques, ni la complexité de la cause de la crise : l’immense mutation du monde d’aujourd’hui affecte les croyants au plus profond d’eux-mêmes, et rend plus nécessaire encore le souci apostolique de ceux « qui sont loin ». Mais il reste vrai que des prêtres et des fidèles couvrent du nom de « conciliaires » des interprétations personnelles et des pratiques erronées, dommageables, voire scandaleuses et parfois même sacrilèges. Car ces abus ne sauraient être attribués au Concile lui-même, ni aux réformes qui en sont légitimement issues, mais bien plutôt à un manque de fidélité authentique à leur endroit. Or, vous voulez convaincre les fidèles que la cause prochaine de la crise est plus qu’une mauvaise interprétation du Concile, et qu’elle découle du Concile lui-même.

Par ailleurs, vous agissez comme si vous aviez un rôle particulier en ce domaine. Or la mission de discerner et de redresser les abus est d’abord la Nôtre, elle est celle de tous les évêques qui œuvrent avec Nous. Et précisément Nous ne cessons d’élever la voix contre ces excès : notre discours au consistoire du 24 mai dernier le répétait en termes clairs. Plus que quiconque Nous entendons la souffrance des chrétiens désemparés, Nous répondons au cri des fidèles avides de foi et de vie spirituelle. Ce n’est pas le lieu de vous rappeler, Frère, tous les actes de notre pontificat qui témoignent de notre souci constant d’assurer à l’Église la fidélité à la Tradition véritable et de la mettre aussi en mesure d’affronter le présent et l’avenir, avec la grâce du Seigneur.

Enfin, votre comportement est contradictoire. Vous voulez, dites-vous, remédier aux abus qui défigurent l’Église ; vous regrettez que l’autorité dans l’Église ne soit pas assez respectée ; vous voulez sauvegarder la foi authentique, l’estime du sacerdoce ministériel et la ferveur pour l’Eucharistie conçue dans sa plénitude sacrificielle et sacramentelle : un tel zèle pourrait, en soi, mériter notre encouragement, car ce sont là des exigences qui, avec l’évangélisation et l’unité des chrétiens, demeurent au cœur de nos préoccupations et de notre mission.

Mais comment pouvez-vous en même temps, pour remplir ce rôle, vous prétendre obligé d’agir à contre-courant du récent Concile, en opposition avec vos frères dans l’épiscopat, de vous méfier du Saint-Siège lui-même que vous qualifiez de « Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante », de vous installer dans une désobéissance ouverte envers Nous ? Si vous voulez vraiment, comme vous l’affirmez dans votre dernière lettre privée, travailler « sous notre autorité », il faudrait d’abord mettre fin à ces ambiguïtés et contradictions.

— II —

Venons-en maintenant aux requêtes plus précises que vous avez formulées durant l’audience du 11 septembre. Vous voudriez que soit reconnu le droit de célébrer la messe selon le rite tridentin en divers lieux de culte. Vous tenez aussi à continuer de former les aspirants au sacerdoce selon vos critères, « comme avant le Concile », dans des séminaires à part, tel Écône. Mais derrière ces questions et d’autres semblables, que Nous examinerons plus loin en détail, il importe de bien voir le nœud du problème qui est théologique. Car elles sont devenues des façons concrètes d’exprimer une ecclésiologie qui est faussée sur des points essentiels.

Ce qui est en cause en effet, c’est la question, qu’on doit bien dire fondamentale, de votre refus clairement proclamé, de reconnaître, dans son ensemble, l’autorité du concile Vatican II et celle du pape, refus qui s’accompagne d’une action ordonnée à propager et organiser ce qu’il faut bien appeler, hélas, une rébellion. C’est là le point essentiel, proprement insoutenable.

Faut-il donc vous le rappeler à vous, notre frère dans l’épiscopat et qui, plus est, avez été nommé assistant au trône pontifical, ce qui vous oblige à demeurer plus uni encore au siège de Pierre ? Le Christ a remis l’autorité suprême dans son Église à Pierre et au collège apostolique, c’est-à-dire au pape et au collège des évêques una cum Capite. Pour le pape tout catholique admet que les paroles de Jésus à Pierre déterminent aussi la charge de ses successeurs légitimes : « Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans le Ciel » (Mt, 16, 19) ; « Pais mes brebis » (Jn 21, 16-17) ; « Affermis tes frères » (Luc 22, 32). Et le premier concile du Vatican précisait en ces termes l’assentiment dû au souverain pontife : « Les pasteurs de tout rang et de tout rite et les fidèles, chacun séparément ou tous ensemble, sont tenus au devoir de subordination hiérarchique et de vraie obéissance, non seulement dans les questions qui **concerne la foi et les mœurs, mais aussi dans celles qui touchent à la discipline et au gouvernement de l’Église répandue dans le monde entier. Ainsi, en gardant l’unité de communion et de profession de foi avec le pontife romain, l’Église est un seul troupeau sous un seul pasteur. Telle est la doctrine de la vérité catholique dont personne ne peut s’écarter sans danger pour sa foi et son salut » (Const. dogmatique Pastor æternus, ch. 3. Dz. 3060). Quant aux évêques unis au souverain pontife, leur pouvoir à l’égard de l’Église universelle s’exerce solennellement dans les conciles œcuméniques, selon les paroles de Jésus à l’ensemble des Apôtres : « tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le Ciel » (Mt 18, 18). Or voilà que, dans votre conduite, vous refusez de reconnaître, comme il se doit, ces deux façons dont s’exerce l’autorité suprême.

Chaque évêque est bien docteur authentique pour prêcher au peuple à lui confié, la foi qui doit régler sa pensée et sa conduite et écarter les erreurs qui menacent le troupeau. Mais « les charges d’enseigner et de gouverner... de par leur nature, ne peuvent s’exercer que dans la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres » (Const. « Lumen Gentium » n. 21 ; cf. aussi n. 25). A plus forte raison, un évêque seul et sans mission canonique n’a pas, in actu expedito ad agendum, la faculté d’établir en général quelle est la règle de la foi et de déterminer ce qu’est la Tradition. Or pratiquement vous prétendez être juge à vous seul de ce que recouvre la Tradition.

Vous vous dites soumis à l’Église, fidèle à la Tradition, par le seul fait que vous obéissez à certaines normes du passé, dictées par les prédécesseurs de celui auquel Dieu a conféré aujourd’hui les pouvoirs donnés à Pierre. C’est dire que, sur ce point aussi, le concept de « Tradition » que vous invoquez est faussé. La Tradition n’est pas une donnée figée ou morte, un fait en quelque sorte statique qui bloquerait, à un moment déterminé de l’histoire, la vie de cet organisme actif qu’est l’Église, c’est-à-dire le corps mystique du Christ. Il revient au pape et aux conciles de porter un jugement pour discerner dans les traditions de l’Église, ce à quoi il n’est pas possible de renoncer sans infidélité au Seigneur et à l’Esprit Saint — le dépôt de la foi — et ce qui au contraire peut et doit être mis à jour, pour faciliter la prière et la mission de l’Église à travers la variété des temps et des lieux, pour mieux traduire le message divin dans le langage d’aujourd’hui et mieux le communiquer, sans compromission indue. La Tradition n’est donc pas séparable du Magistère vivant de l’Église, comme elle n’est pas séparable de l’Écriture sainte : « La sainte Tradition, la sainte Écriture et le magistère de l’Église... sont tellement reliés et solidaires entre eux qu’aucune de ces réalités ne subsiste sans les autres, et que toutes ensemble, chacune à sa façon, sous l’action du seul Esprit Saint, contribuent efficacement au salut des âmes » (constitution Dei Verbum n. 10).

C’est ainsi qu’ont agi communément les papes et les conciles œcuméniques, avec l’assistance spéciale de l’Esprit Saint. Et c’est précisément ce qu’a fait le concile Vatican II. Rien de ce qui a été décrété dans ce Concile, comme dans les réformes que Nous avons décidées pour le mettre en œuvre, n’est opposé à ce que la Tradition bimillénaire de l’Église comporte de fondamental et d’immuable. De cela, Nous sommes garant, en vertu, non pas de nos qualités personnelles, mais de la charge que le Seigneur Nous a conférée comme successeur légitime de Pierre et de l’assistance spéciale qu’il Nous a promise comme à Pierre : « J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas » (Lc 22, 32). Avec Nous en est garant l’épiscopat universel.

Vous ne pouvez pas non plus invoquer la distinction entre dogmatique et pastoral pour accepter certains textes de ce Concile et en refuser d’autres. Certes, tout ce qui est dit dans un concile ne demande pas un assentiment de même nature : seul ce qui est affirmé comme objet de foi ou vérité annexe à la foi, par des actes « définitifs », requiert un assentiment de foi. Mais le reste fait aussi partie du magistère solennel de l’Église auquel tout fidèle doit un accueil confiant et une mise en application sincère.

Il reste qu’en conscience, dites-vous, vous ne voyez toujours pas comment accorder certains textes du Concile ou certaines dispositions que Nous avons prises pour les mettre en œuvre, avec la saine tradition de l’Église et en particulier avec le concile de Trente ou les affirmations de nos prédécesseurs, par exemple sur la responsabilité du collège des évêques unis au Souverain Pontife, le nouvel Ordo Missœ, l’œcuménisme, la liberté religieuse, l’attitude de dialogue, l’évangélisation dans le monde de ce temps... Ce n’est pas le lieu, dans cette lettre, de reprendre chacun de ces problèmes. La teneur précise des documents, avec l’ensemble des nuances qu’ils comportent et le contexte qui les encadre, les explications autorisées, les commentaires approfondis et objectifs qui en ont été donnés sont de nature à vous faire surmonter ces perplexités personnelles. Des conseillers absolument sûrs, théologiens et spirituels, pourraient vous y aider encore, dans la lumière de Dieu, et Nous sommes prêt à vous faciliter cette assistance fraternelle. Mais comment une difficulté personnelle intérieure — drame spirituel que Nous respectons — vous permettrait-elle de vous ériger publiquement en juge de ce qui a été adopté légitimement et pratiquement à l’unanimité, et d’entraîner sciemment une partie des fidèles dans votre refus ? Si les justifications sont utiles pour faciliter intellectuellement l’adhésion — et Nous souhaitons que les fidèles troublés ou réticents aient la sagesse, l’honnêteté et l’humilité d’accueillir celles qui sont mises largement à leur disposition —, elles ne sont point par elles-mêmes nécessaires à l’assentiment d’obéissance qui est dû au Concile œcuménique et aux décisions du pape. C’est le sens ecclésial qui est en cause.

Au fond vous entendez, vous-même et ceux qui vous suivent, vous arrêter à un moment déterminé de la vie de l’Église ; vous refusez, par là même, d’adhérer à l’Église vivante qui est celle de toujours ; vous rompez avec ses pasteurs légitimes, vous méprisez l’exercice légitime de leurs charges. C’est ainsi que vous ne prétendez n’être même plus touché par les ordres du pape, ni par la suspens a divini, tout en déplorant la « subversion » dans l’Église. N’est-ce pas dans cet état d’esprit que vous avez ordonné des prêtres, sans lettres dimissoriales et contre notre mandat explicite, créant un groupe de prêtres en situation irrégulière dans l’Église et affectés de graves peines ecclésiastiques ? Plus encore, vous soutenez que la suspens encourue par vous s’applique seulement à la célébration des sacrements selon le rite rénové, comme s’ils étaient importés abusivement dans l’Église que vous allez jusqu’à qualifier de schismatique, et vous pensez échapper à cette sanction en administrant les sacrements dans les formules du passé et contre les règles établies (cf. I Co 13, 10).

C’est à la même conception erronée que se rattache chez vous la célébration abusive de la messe dite de saint Pie V. Vous savez fort bien que ce rite avait été lui-même le résultat de changements successifs, et que le canon romain demeure la première des prières eucharistiques autorisées aujourd’hui. La réforme actuelle a puisé ses raisons d’être et ses lignes directrices dans le Concile et dans les sources historiques de la liturgie. Elle permet aux fidèles de se nourrir plus largement de la Parole de Dieu. Leur participation plus active laisse intact le rôle unique du prêtre, agissant in persona Christi. Nous avons sanctionné cette réforme de notre autorité, en demandant son adoption par tous les catholiques. Si, en général, Nous n’avons pas jugé bon de maintenir plus longtemps des retards ou des exceptions à cette adoption, c’est en vue du bien spirituel et de l’unité de l’entière communauté ecclésiale, car, pour les catholiques de rite romain, l’Ordo Missœ est un signe privilégié de leur unité. C’est aussi parce que, dans votre cas, l’ancien rite est en fait l’expression d’une ecclésiologie faussée, un terrain de lutte contre le Concile et ses réformes, sous le prétexte que là seulement on conserverait, sans que leurs significations soient obscurcies, le véritable sacrifice de la messe et le sacerdoce ministériel. Nous ne pouvons accepter ce jugement erroné, cette accusation injustifiée, ni tolérer que l’Eucharistie du Seigneur, sacrement d’unité, soit l’objet de pareilles divisions (cf. Co 11, 18), et qu’elle soit même utilisée comme instrument et signe de rébellion.

Certes, il y a place dans l’Église pour un certain pluralisme, mais dans les choses licites et dans l’obéissance. Ils ne le comprennent pas, ceux qui refusent l’ensemble de la réforme liturgique ; pas davantage d’ailleurs, ceux qui mettent en péril la sainteté de la présence réelle du Seigneur et de son sacrifice. De même, il ne peut être question d’une formation sacerdotale qui ignore le Concile.

Nous ne pouvons donc pas prendre vos requêtes en considération, parce qu’il s’agit d’actes qui sont déjà posés dans la rébellion contre l’unique et véritable Église de Dieu. Cette sévérité n’est pas dictée, croyez-le bien, par un refus de faire une concession sur tel ou tel point disciplinaire ou liturgique, mais, étant donné la signification et la portée de vos actes dans le contexte actuel, agir ainsi serait de notre part accepter d’introduire une conception de l’Église et de la Tradition gravement erronée.

C’est pourquoi, avec la pleine conscience de nos devoirs, Nous vous disons, frère, que vous êtes dans l’erreur. Et avec toute l’ardeur de notre amour fraternel, comme avec tout le poids de notre autorité de successeur de Pierre, Nous vous invitons à vous rétracter, à vous reprendre et à cesser d’infliger des blessures à l’Église du Christ.

— III —

Concrètement qu’est-ce que Nous vous demandons ?

A. — D’abord et surtout, une déclaration qui remet les choses au point, pour Nous-mêmes et aussi pour le peuple de Dieu qui a droit à la clarté et ne peut plus supporter sans dommage de telles équivoques.

Cette déclaration devra donc affirmer que vous adhérez franchement au concile œcuménique Vatican II et à tous ses textes — sensu obvia —, qui ont été adoptés par les pères du Concile, approuvés et promulgués par notre autorité. Car une telle adhésion a toujours été la règle, dans l’Église, depuis les origines, en ce qui concerne les conciles œcuméniques.

Il doit être clair que vous accueillez également les décisions que Nous avons prises, depuis le Concile, pour le mettre en œuvre, avec l’aide des organismes du Saint-Siège ; entre autres, vous devez reconnaître explicitement la légitimité de la liturgie rénovée, notamment de l’Ordo Missœ, et notre droit de requérir son adoption par l’ensemble du peuple chrétien.

Vous devez admettre aussi le caractère obligatoire des dispositions du droit canonique en vigueur qui, pour la plus grande part, correspondent encore au contenu du code de droit canonique de Benoît XV, sans en excepter la partie qui a trait aux peines canoniques.

En ce qui concerne notre personne, vous aurez à cœur de cesser et de rétracter les graves accusations ou insinuations que vous avez portées publiquement contre Nous, contre l’orthodoxie de notre foi et notre fidélité à la charge de successeur de Pierre, et contre notre entourage immédiat.

En ce qui concerne les évêques, vous devez reconnaître leur autorité dans leurs diocèses respectifs, en vous abstenant d’y prêcher et d’y administrer les sacrements : eucharistie, confirmation, ordres sacrés, etc., lorsque ces évêques s’y opposent expressément.

Enfin vous devez vous engager à vous abstenir de toutes les initiatives (conférences, publications...) contraires à cette déclaration, et à réprouver formellement toutes celles qui se réclameraient de vous à l’encontre de la même déclaration.

Il s’agit là du minimum que doit souscrire tout évêque catholique : cette adhésion ne peut souffrir de compromis. Dès que vous Nous aurez manifesté que vous en acceptez le principe, Nous vous proposerons les modalités pratiques de présenter cette déclaration. C’est la première condition pour que la suspens a divinis soit levée.

B. — Ensuite restera à résoudre le problème de votre activité, de vos œuvres et notamment de vos séminaires. Vous comprendrez, frère, que, vu les irrégularités et ambiguïtés passées et présentes affectant ces œuvres, Nous ne pouvons pas revenir sur la suppression juridique de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Elle a inculqué un esprit d’opposition au Concile et à sa mise en œuvre telle que le vicaire de Jésus-Christ s’appliquait à la promouvoir. Votre déclaration du 21 novembre 1974 est un témoignage de cet esprit ; et sur un tel fondement, comme l’a jugé à juste titre notre commission cardinalice, le 6 mai 1975, on ne peut bâtir d’institution ou de formation sacerdotale conforme aux exigences de l’Église du Christ. Cela n’infirme point ce qui existe de bon dans vos séminaires, mais il faut aussi considérer les lacunes ecclésiologiques dont Nous avons parlé et la capacité d’exercer un ministère pastoral dans l’Église aujourd’hui. Devant ces réalités malheureusement mêlées, Nous aurons le souci de ne pas détruire, mais de corriger et de sauver autant que possible.

C’est pourquoi, en tant que garant suprême de la foi et de la formation du clergé, Nous vous demandons d’abord de remettre entre nos mains la responsabilité de votre œuvre, et notamment de vos séminaires. C’est assurément pour vous un lourd sacrifice, mais c’est un test aussi de votre confiance, de votre obéissance, et c’est une condition nécessaire pour que ces séminaires, qui n’ont pas d’existence canonique dans l’Église, puisse éventuellement y prendre place.

Ce n’est qu’après que vous en aurez accepté le principe que Nous serons en mesure de pourvoir le mieux possible au bien de toutes les personnes intéressées, avec le souci de promouvoir les vocations sacerdotales authentiques et dans le respect des exigences doctrinales, disciplinaires et pastorales de l’Église. A ce stade, Nous pourrons entendre avec bienveillance vos demandes et vos souhaits, et prendre en conscience, avec nos dicastères, les mesures justes et opportunes.

En ce qui concerne les séminaristes ordonnés illicitement, les sanctions qu’ils ont encourues conformément aux canons 985, 7° et 2374 pourront être levées, s’ils donnent une preuve de résipiscence en acceptant notamment de souscrire à la déclaration que Nous vous avons demandée. Nous comptons sur votre sens de l’Église pour leur faciliter cette démarche.

Quant aux fondations, maisons de formation, « prieurés » et autres institutions diverses créées sur votre initiative ou avec votre encouragement, Nous vous demandons également de vous en remettre au Saint-Siège, qui étudiera leur cas, dans ses divers aspects, avec l’épiscopat local. Leur survie, leur organisation et leur apostolat seront subordonnés, comme il est normal dans toute l’Église catholique, à un accord qui devra être passé, dans chaque cas, avec l’évêque du lieu — nihil sine episcopo — et dans un esprit qui respecte la déclaration mentionnée plus haut.

*

* *

Tous les points qui figurent dans cette lettre et que Nous avons mûrement pesés, avec la collaboration des chefs des dicastères intéressés, n’ont été adoptés par Nous qu’en vue du meilleur bien de l’Église. Vous Nous avez dit à un moment de l’entretien du 11 septembre : « Je suis prêt à tout, pour le bien de l’Église. » La réponse est maintenant entre vos mains.

Si vous refusiez — quod Deus avertat — de faire la déclaration qui vous est demandée, vous resteriez suspens a divinis. Par contre, notre pardon et la levée de la suspens vous seront assurés dans la mesure où vous accepterez sincèrement et sans ambiguïté de réaliser les conditions de cette lettre et de réparer le scandale causé. L’obéissance et la confiance dont vous ferez preuve Nous permettront aussi d’étudier, sereinement, avec vous, vos problèmes personnels.

Puisse l’Esprit Saint vous éclairer et vous acheminer vers la seule solution qui vous permettrait de retrouver d’une part la paix de votre conscience un moment égarée, mais d’assurer aussi le bien des âmes, de contribuer à l’unité de l’Église dont le Seigneur Nous a confié la charge, d’éviter le péril d’un schisme. Dans l’état psychologique où vous vous trouvez. Nous avons conscience qu’il vous est difficile d’y voir clair et très dur de changer humblement de ligne de conduite : n’est-il pas urgent alors, comme dans tous les cas semblables, de vous ménager un temps et un lieu de recueillement qui vous permettent le recul nécessaire ? Fraternellement, Nous vous mettons en garde contre les pressions dont vous pourriez être l’objet de la part de ceux qui veulent vous entretenir dans une position insoutenable, alors que Nous-même, tous vos frères dans l’épiscopat et l’immense majorité des fidèles attendent enfin de vous l’attitude ecclésiale qui vous honorerait.

Pour extirper les abus que nous déplorons tous et garantir un renouveau spirituel authentique, en même temps que l’évangélisation courageuse à laquelle Nous convie l’Esprit Saint, il faut plus que jamais l’aide et l’engagement de toute la communauté ecclésiale, autour du pape et de l’épiscopat. Or la révolte des uns rejoint finalement et risque d’accentuer l’insubordination et ce que vous appelez la « subversion » des autres ; alors que, sans votre propre insubordination, vous auriez pu, frère, aider à opérer, dans la fidélité et sous notre autorité, l’avancée de l’Église.

Veuillez donc, cher frère, ne plus tarder davantage à considérer devant Dieu, avec une très vive et religieuse attention, cette adjuration solennelle de l’humble mais légitime successeur de Pierre. Veuillez mesurer la gravité de l’heure et prendre la seule décision qui convient à un fils de l’Église. Tel est notre espoir, telle est notre prière.

Du Vatican, le 11 octobre 1976.

7 octobre 1976

[Mgr Lefebvre - FSSPX - Lettre aux Amis et Bienfaiteurs (n°11)] "Depuis la parution de la dernière lettre au temps de Pâques, que d’événements ont encore marqué l’histoire de notre Œuvre désormais devenue..."


SOURCE - Mgr Lefebvre - FSSPX - Lettre aux Amis et Bienfaiteurs (n°11) - 7 octobre 1976

Chers Amis et Bienfaiteurs,

Depuis la parution de la dernière lettre au temps de Pâques, que d’événements ont encore marqué l’histoire de notre Œuvre désormais devenue un centre d’intérêt universel : preuve de plus, s’il en était besoin, que les hommes de notre temps se passionnent encore pour les problèmes religieux et que ces problèmes ont encore dans notre société un impact beaucoup plus important qu’on le croit généralement.

A l’annonce de ces événements, un grand nombre d’entre vous nous ont fait part de leur peine, de leur indignation, de leur sympathie, parfois de leurs inquiétudes ; tous nous ont assuré de leur fervente prière. Des milliers de lettres et télégrammes nous sont parvenus. Il nous a été impossible matériellement d’y répondre. Veuillez trouver dans ces lignes l’expression de notre profonde gratitude. Puissent-elles être aussi pour vous une source d’encouragement et d’espérance !

Pour vous aider à faire comprendre à des personnes qui nous connaissent peu les raisons de notre attitude, nous insistons sur deux motifs qui nous paraissent très importants : l’aspect disciplinaire et l’aspect théologique ou de la foi.

On ne condamne pas sans jugement et on ne peut juger si la cause n’a pu être entendue dans des formes qui assurent sa parfaite et libre défense devant un tribunal. Or nous avons été condamnés sans jugement, sans pouvoir plaider notre cause, sans comparaître devant un tribunal. De cette condamnation arbitraire et tyrannique de la Fraternité Saint Pie X et de son séminaire découlent l’interdiction des ordinations et la suspense qui m’atteint personnellement. Constatant la nullité évidente de la première sentence, je ne vois pas comment les sentences qui en sont la suite pourraient être valides. C’est pourquoi nous ne tenons aucun compte des décisions d’une autorité qui abuse de son pouvoir. A la rigueur s’il ne s’agissait que d’un problème juridique et si ces sentences injustes n’atteignaient que nous personnellement, nous pourrions nous y soumettre par esprit de pénitence. Mais à cet aspect juridique s’ajoute un motif beaucoup plus grave, celui de la sauvegarde de notre foi.

Ces décisions, en effet, nous contraignent à nous soumettre à une orientation nouvelle dans l’Eglise, orientation qui est le fruit d’un « compromis historique » entre la Vérité et l’Erreur.

Ce « compromis historique » s’est opéré dans le Concile par l’acceptation des idées libérales, mises en œuvre après le Concile par des hommes d’Eglise libéraux qui ont réussi à prendre les leviers de commande dans l’Eglise.

Il se concrétise par le dialogue avec les protestants qui a conduit à la réforme liturgique et aux décrets concernant l’hospitalité eucharistique et les mariages mixtes ; dialogue avec les communistes qui aboutit à livrer des nations entières au socialisme et au marxisme comme Cuba, le Vietnam, le Portugal et bientôt l’Espagne, sinon l’Italie ; dialogue avec les francs-maçons qui conclut à la liberté des cultes, la liberté de conscience, la liberté de pensée, c’est-à-dire à l’étouffement de la Vérité et de la Morale par l’Erreur et l’Immoralité.

C’est à cette trahison de l’Eglise qu’on voudrait nous faire collaborer en nous alignant sur cette orientation maintes fois condamnée par les successeurs de Pierre et par les précédents conciles.

Nous refusons ce compromis pour être fidèles à notre foi, à notre baptême et à notre seul roi Notre Seigneur Jésus-Christ.

C’est pourquoi nous continuons à ordonner ceux que la Providence oriente vers notre Séminaire, après leur avoir donné une formation pleinement conforme à la doctrine de l’Eglise et fidèle au magistère des successeurs de Pierre.

Nous aurons en principe 14 nouveaux prêtres cette année et nous recevrons 35 nouveaux, dont 4 postulants frères. Nous avons la joie d’accueillir quelques Italiens et quelques Belges. Tous ces aspirants suivent actuellement la retraite d’ouverture de l’année scolaire.

Pendant ce temps s’aménagent lentement nos prieurés, dont trois deviendront actifs au cours de 1977. Nous sommes réclamés partout. Les groupes de catholiques fidèles augmentent considérablement et les prêtres ne sont pas assez nombreux.

Nous comptons bien sur votre soutien matériel et spirituel pour nous permettre de continuer l’œuvre la plus nécessaire pour la vraie rénovation des âmes : la formation de vrais prêtres, sans oublier la formation de religieux et religieuses.

Le 26 septembre dernier, deux frères faisaient profession et deux prenaient l’habit, tandis que le 29 nous avions la satisfaction de recevoir la profession de la première religieuse de la Fraternité sœur Marie Michel, d’origine australienne, et de bénir la vêture de trois postulantes américaines. Huit nouvelles se sont présentées au postulat le 20 septembre dernier.

Nous ne sommes par les seuls, heureusement, à maintenir la saine tradition de l’Eglise dans ce domaine. Les noviciats d’hommes et de femmes se multiplient, malgré les épreuves qu’ils subissent de la part de ceux qui devraient les bénir.

Avec le secours de Jésus, de Marie, de Joseph, nous espérons que le dénouement de la persécution que nous subissons injustement approche. Dieu n’abandonne pas son Eglise, même s’il permet qu’Elle continue à subir la Passion de son Divin Fondateur.

Que dans tous les domaines nous fassions régner Notre Seigneur Jésus-Christ ! C’est là notre programme.

Que Dieu vous bénisse par l’intermédiaire de Notre Dame du Rosaire.

+ Marcel LEFEBVRE

7 octobre 1976

31 août 1976

[Jean-Claude Escaffit et Robert Ackermann - la Croix] Paul VI : «Une attitude de défi, un cas regrettable»

SOURCE - La Croix - 31 aout 1976

Par Jean-Claude Escaffit et Robert Ackermann, envoyés spéciaux à Lille

Paul VI a invité dimanche les sept mille Italiens et étrangers, réunis à Castel Gandolfo pour l’Angelus, ainsi que tous ceux qui l’écoutaient à la radio, à unir leurs prières à la sienne. Il
faut prier, a-t-il dit, « pour la concorde, l’unité et la paix à l’intérieur de l’Église », afin qu’« elle soit toujours fidèle au désir suprême du Christ qui l’a voulue à la fois une et catholique, comme une communion universelle de fidèles vivant dans la même foi et dans la même charité ».

Le Pape a attribué à ce moment de prière, au moment où Mgr Lefebvre célébrait la messe à Lille, une signification précise : « Ce moment, a-t-il déclaré, doit confirmer en nos consciences l’adhésion ferme et filiale à notre Église troublée et déchirée à présent par différents cas de contestation qui tendent à soustraire leurs promoteurs et leurs adeptes à la vraie solidarité ecclésiale. Il s’agit d’une contestation qui tend aussi à les pousser sur les voies fuyantes d’opinions personnelles, dispersives et destructives de la famille unie, authentique et unique du Christ. »

Paul VI, sans citer le nom de Mgr Lefebvre, a poursuivi : « Un de ces cas douloureux et maintenant le plus grave – inutile de le cacher – est celui d’un de nos frères dans l’épiscopat que nous avons toujours estimé et vénéré. Malgré nos exhortations, il a commis une grave infraction à une loi de l’Église en conférant indûment ces ordinations sacrées. Il a encouru ainsi la suspension de l’exercice des facultés sacerdotales prévue par le Code de droit canonique. »

« Cependant, a dit encore le Pape, nous apprenons que ce frère, dans une attitude de défi envers ces clés mises dans nos mains par le Christ, veut s’arroger le droit célébrer des actes de culte et de ministère sans la réconciliation préalable, due et attendue, avec l’Église de Dieu. »

« Nous sommes très peinés et, certainement, vous aussi », a ajouté le Pape, s’écartant du texte officiel diffusé par la salle de presse du Vatican. « Mettons ensemble ce cas regrettable au cœur de notre prière avec un humble espoir. C’est une occasion pour nous de vous répéter, à vous, fils bons et sensibles aux amertumes qui affligent la sainte Église, combien il est nécessaire de renforcer notre véritable sens de l’Église, sans nous laisser déprimer par les exemples, aujourd’hui malheureusement fréquents, d’attitudes incorrectes à son égard. »

« Il faut que notre amour pour l’Église, a dit encore le Pape, revenant au texte officiel, augmente en suivant la ligne dans laquelle le Christ l’a aimée jusqu’à se sacrifier pour elle. C’est-à-dire, a conclu Paul VI, jusqu’à lui être fidèle, au milieu du tumulte de l’histoire, avec la conscience profonde de ce qu’elle est dans le dessein divin et avec une force d’âme généreuse et cohérente. »

[La Croix] Le refus du Concile - L’éditorial de Jean Potin

SOURCE - Jean Potin - La Croix - 31 août 1976

La messe célébrée, hier, à Lille, a consommé la rupture de Mgr Lefebvre avec l’ensemble de l’Église catholique. Le schisme existe de fait maintenant, même s’il n’est pas exprimé par une excommunication solennelle. C’est un drame pour l’Église, une souffrance pour chaque chrétien, car toute division est une atteinte à l’amour et à l’unité que le Christ a voulus entre ceux qui croient en lui.

Le discours que Mgr Lefebvre a prononcé au cours de cette messe a clairement manifesté le sens qu’il donnait à sa rupture avec le Pape et l’ensemble des évêques. Certains catholiques ont
pu penser que le mouvement lancé par lui visait simplement à restaurer le latin dans la liturgie, à redresser les abus commis par certains prêtres au nom de la réforme liturgique voulue par le Concile, à freiner l’engagement, à gauche d’une trop grande part du clergé. C’est pourquoi beaucoup avaient accueilli avec satisfaction son entreprise d’assainissement de l’Église. La hiérarchie devra tenir compte de cette aspiration qui s’est exprimée ces jours derniers dans l’ensemble du peuple chrétien.

Mais le discours de Mgr Lefebvre reprenant des déclarations antérieures et la dernière lettre qu’il avait adressée au Pape le 17 juillet, aura permis de découvrir la raison profonde de sa rupture avec Rome. Ce qu’il conteste et rejette, c’est la totalité du Concile, qui serait la négation de vingt siècles de christianisme, et une œuvre encore plus pernicieuse que la Révolution française

Nous ne pouvons pas développer ici les implications politiques de ces prises de position, la nostalgie des États catholiques, le refus de la démocratie, l’encouragement de fait à certaines formes de fascisme. Mgr Lefebvre veut lier l’Église aux courants politiques d’extrême droite, en même temps qu’il reproche à des prêtres de soutenir la gauche. Il crée à nouveau la confusion entre le temporel et le spirituel, cette confusion qui a fait tant de mal à l’Église et qui souvent l’a détournée au cours des siècles de sa mission spirituelle.

Mgr Lefebvre rejette le Concile dans sa totalité. Il l’accuse d’avoir fait capituler l’Église devant le monde moderne. Certes, il sera toujours difficile aux chrétiens d’être dans le Monde, sans être du monde, c’est-à-dire sans se compromettre avec le péché omniprésent. Mais c’est aux hommes d’aujourd’hui, marqués par une histoire, une culture, que l’Église doit faire découvrir la personne du Christ et annoncer l’Évangile. Telle a été la visée fondamentale du Concile.

Il a voulu faire entrer l’Église dans le dynamisme d’une histoire humaine qui est appelée à s’insérer dans la volonté d’amour de Dieu pour tous les hommes. Il appelle tous les chrétiens à participer à cette œuvre, et c’est pourquoi le Concile définit l’Église comme Peuple de Dieu, et non plus comme une société pyramidale où la base n’aurait qu’à être passive. Le Concile n’a pas ouvert une route facile, il est exigeant et cette exigence s’adresse à tous.

La réforme liturgique a cherché à répondre aux besoins actuels de l’Église. La nouvelle liturgie est plus exigeante que l’ancienne, car elle ne veut pas s’adresser seulement au cœur, elle veut
aussi éclairer l’intelligence, car la liturgie est aussi une catéchèse. D’abord en s’exprimant dans la langue de tous les jours. Mais aussi en faisant connaître les textes essentiels de l’Écriture, de l’Ancien et du Nouveau Testament. Le retour à l’Écriture est un des points essentiels de l’aggiornamento voulu par le Concile qui a promulgué précisément une constitution dogmatique sur la Révélation.

Il se pourrait que la nouvelle liturgie soit froide, trop intellectuelle. Mais elle n’est encore qu’à ses débuts. Il a fallu plusieurs siècles pour constituer le répertoire grégorien ; on doit avouer que tous les morceaux dans celui-ci n’étaient pas de la même qualité. Pourquoi dénigrer systématiquement tous les essais actuels, pourquoi ne pas plutôt les encourager ?

Ce sont les évêques du monde entier autour du Pape qui ont donné à l’Église les textes conciliaires pour qu’ils éclairent sa marche. L’Esprit Saint parle à travers eux, et il s’adresse aux Églises du monde entier. Le schisme, au contraire, est toujours repliement sur soi-même, il oublie que le Christ est venu pour tous les hommes.

L’Église est plus vaste que notre civilisation gréco-latine, qui n’est présente que sur un espace restreint du vaste univers et qui ne sera qu’une étape provisoire dans le développement de l’esprit humain. Comment en faire le point définitif et culminant ? L’Église au cours de son histoire a dû affronter à plusieurs reprises de nouvelles cultures. Et c’est bien une nouvelle culture qu’aujourd’hui elle doit évangéliser.

20 août 1976

[Père Congar, op - La Croix] A propos d'Ecône et de la présente tempête. De quoi s'agit-il ?

SOURCE - Père Congar, op - La Croix - 20 août 1976

A propos d'Ecône et de la présente tempête. De quoi s'agit-il ? 
Etude du P. Congar, O.P., du 20 août 1976

Il arrive dans les familles ou entre amis qu'une brouille se perpétue. On répète bien le motif initial de la mésentente, mais c'est surtout la durée de celle-ci qui s'alimente elle-même. Il faudrait pouvoir revenir au point zéro et, sans le poids de la durée, de l'entêtement à avoir raison, sans le durcissement passionnel de résolutions qui dépassent beaucoup leurs justifications réelles, retrouver la fraîcheur et la liberté d'une évaluation sereine. Ah! la question de Foch: « De quoi s'agit-il? » C'est cette question que nous voulons poser à ceux, nombreux et sincères, que le drame entre Ecône et Rome — cette expression est de Mgr Marcel Lefebvre — a jetés dans un trouble grave et douloureux. Oui, de quoi s'agit-il? (1)
Des généralisations injustes
De mises en question, d'excès, de fantaisies liturgiques, de politisation de mouvements et d'activités d'Eglise? Nous ne leur cédons pas, nous les critiquons. Dans une situation très difficile, le Saint-Père fait ce qu'il peut pour rétablir la vérité de la doctrine et de la discipline sans provoquer d'irrémédiables déchirures. Mais je veux à ce sujet noter deux choses.

1° Ceux qui agissent ainsi, ou bien ne se réfèrent nullement au Concile, ou bien s'y réfèrent en l'outrepassant et sans vérité.

2° Je récuse absolument la généralité de propos du type: « On ne prêche plus la grâce, ou le péché »; « Les prêtres ne croient plus à... »

C'est une énorme injustice à l'égard de milliers de chrétiens et de prêtres fidèles. C'est une rumeur infâme. C'est une intolérable intoxication de l'opinion. S'il y a des faits répréhensibles, qu'on les dénonce, en toute charité, avec précision, ponctuellement. Alors nous serons d'accord.
La Déclaration du Concile sur la liberté religieuse
De quoi s'agit-il? Du Concile. Ceux qui le vitupèrent en ont-ils vraiment connaissance? Un prêtre étranger, qui a passé deux ou trois semaines à Ecône, m'a dit que la lecture de Vatican II n'y est pas permise, que le professeur de dogme ne connaît pas la constitution dogmatique Lumen gentium sur l'Eglise. Est-ce exact? Mgr Lefebvre attaque particulièrement la Déclaration sur la liberté religieuse. A l'entendre, on pourrait croire que ce document prône l'indifférentisme. Il n'en est rien. Qu'on le lise sans passion. On s'étonnera plutôt qu'il en ait tant soulevé. Il dit simplement que nul ne peut être empêché par un pouvoir humain de suivre sa conscience ni d'exprimer ses convictions « dans de justes limites ».

Mgr Lefebvre dit: C'est contraire à la tradition catholique, à l'enseignement des papes. La tradition est-elle qu'on peut contraindre à croire ou à se taire? Il a existé des faits en ce sens, qui ont leur explication dans un certain état historique des idées et du droit, mais on peut aligner une suite de déclarations contraires. Le P. John Courtney Murray, qui appartenait à l'élite de l'élite intellectuelle et religieuse, a montré que, tout en disant matériellement le contraire du Syllabus — celui-ci est de 1864 et il est, Roger Aubert l'a prouvé, conditionné par des circonstances historiques précises —, la Déclaration était la suite du combat par lequel, face au jacobisme et aux totalitarismes, les papes avaient de plus en plus fortement mené le combat pour la dignité et la liberté de la personne humaine face à l'image de Dieu. La Déclaration le dit à la fin de son numéro 1 que j'invite nos frères d'Ecône à relire ou à lire.
Le contrecoup de la crise qui secoue le monde
Certains rendent le Concile responsable de la crise actuelle. Qu'il ait facilité une liberté de pensée, de parole, d'initiatives, je l'admets. Que certains en aient abusé, c'est exact. Mais la crise actuelle est, de façon beaucoup plus décisive, le contrecoup, dans l'Eglise, de la crise cosmique qui secoue le monde. Sauf à se constituer en un ghetto fortifié, il est impossible qu'on ne ressente pas, dans l'Eglise, les effets de la fantastique mutation à l'oeuvre dans le monde, et d'abord dans un Occident saturé.

On peut même penser que la crise ne serait pas aussi forte si les autorités n'avaient pas, pendant trop longtemps, gêné la recherche plutôt qu'elles ne l'ont dirigée. Mais je ne peux en quelques mots, que dire sans assez de précisions et de nuances ce qui en demanderait d'attentives. Il s'agit d'une analyse de situation et de causes. C'est un point où je prendrais sans doute quelques distances à l'égard d'amis tels que Gérard Soulages et André Piettre.
« La messe de Saint Pie V »
De quoi s'agit-il? De l'Eucharistie et de la Prêtrise, deux réalités très saintes. J'ai été ordonne le 25 juillet 1930. Je célèbre tous les jours. Parfois, quand son tour revient, selon la Prière eucharistique I, qui est le canon romain. Parfois même en latin. Qu'est-ce qui me différencie alors des prêtres d'Ecône, des abbés Coache ou Ducaud-Bourget? Simplement le fait que je célèbre aussi en usant des autres prières eucharistiques, celles dont usent chaque jour deux mille évêques et quatre cent mille prêtres catholiques à travers le monde. Elles n'exprimeraient pas l'idée de sacrifice? Ce n'est pas vrai, le mot même revient deux fois dans l'offertoire, et la Prière eucharistique III est on ne peut plus explicite. Quant à la II, on sait qu'elle reprend le texte eucharistique le plus ancien que nous possédions, celui de saint Hippolyte. Ecône, Coache, Ducaud-Bourget ont fait de « la messe de saint Pie V » une sorte de mythe qui ne répond pas à la réalité.

Le Concile de Trente a chargé la papauté de publier un Missel et une traduction standard des saintes Ecritures, cela a été le Missel de Pie V, 1570, et la Vulgate de Sixte V, 1590. Tout comme Vatican II a chargé la papauté de faire aboutir la réforme liturgique préparée par soixante ans de mouvement liturgique, par des études historiques très sérieuses, par la Constitution conciliaire (un texte rédigé avant le Concile par la Commission préparatoire). Il est vrai que toucher à la messe est très grave. On ne peut le faire qu'en modifiant l'expression et les gestes, non la foi qu'ils traduisent.

Arrive-t-il que certaines fantaisies trahissent cette exigence? On le dit. Si c'est vrai, je le désapprouve sans ambiguïté et ne m'y associerai pas. Est-ce le cas du rite et des prières eucharistiques approuvés par l'autorité pastorale légitime? Non. Les livres de Dom Oury et de Dom Paul Nau, tous deux moines de Solesmes, sont suffisamment probants (2). Mais, avec une masse de catholiques, je dis qu'on devrait laisser ceux qui le veulent célébrer selon le Missel de saint Pie V s'ils n'en faisaient pas un cheval de bataille contre la réforme liturgique approuvée par l'autorité pastorale.

L'Eucharistie « cheval de bataille »! Le corps sacrifié et le sang versé de Jésus, moyens de protestation! Est-ce possible?
Le discours de Mgr Lefebvre à l'ordination du 29 juin 1976
Deux choses doivent être relevées ici dans le discours que Mgr Lefebvre a prononcé au cours de l'ordination du 29 juin 1976 à Ecône, car cela ne va pas.

1° II accuse le nouveau rite de célébration eucharistique de faire célébrer l'assemblée, de faire venir le pouvoir du peuple et d'en bas, non d'en haut: « Cette messe n'est plus une messe hiérarchique, c'est une messe démocratique. » Je passe pour le moment sur ce que ces mots témoignent d'un fond politique des attitudes prises. Après tout, il est permis d'être contre la démocratie; le tout est de l'être intelligemment. Mais la question est théologique. Elle est résolue par le Concile de Trente qui enseigne: le Christ a laissé à son Eglise le sacrement de sa Pâque à célébrer par l'Eglise par (le ministère des) prêtres, « seipsum ab Ecclesia per sacerdotes sub signis visibilibus immolandum » (Denz.Sch. 1741). C'est bien l'ecclesia qui célèbre, par le ministère des prêtres ordonnés.

2° Voulant exalter la dignité des prêtres qu'il allait ordonner, Mgr Lefebvre a déclaré: « Ils seront des hommes, je dirais presque, qui participeront à la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ par son caractère sacerdotal. [...] La grâce à laquelle ces jeunes prêtres vont participer n'est pas la grâce sanctifiante dont Notre-Seigneur Jésus-Christ nous fait participer par la grâce du baptême. C'est la grâce d'union, cette grâce d'union unique en Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Le vocabulaire de la participation est toujours difficile à manier, mais ici les formules sont, telles quelles, insoutenables. La qualité sacerdotale du Christ est une qualité qui vient à son humanité du fait de l'assomption de celui-ci par la Personne du Verbe de Dieu (union hypostatique), qui consacre cette humanité (idée d'onction) à un service absolu du Dieu très saint, capable de communiquer aux hommes sainteté et salut. Par l'ordination, nous sommes, à cette image, consacrés à servir d'instruments à cette activité sanctifiante que le Christ daigne exercer par nous. Cela nous fait « participer » à cette consécration de son humanité, non à la grâce d'union comme telle.
Acculé au schisme
Et cela dans une Eglise qui a ses structures de bon ordre. Il existe de par le monde quelque deux cents episcopi vagantes, naguère étudiés en détail par A. J. Macdonald et par H. R. T. Brandreth. Ce sont des évêques qui n'ont pas de diocèse régulier, parfois une petite communauté personnelle et qui vont, accomplissant des confirmations ou des ordinations. Je n'assimile pas Mgr Lefebvre à un episcopus vagans. Son cas est tout à fait particulier et d'une qualité morale subjective incontestée. Mais que représentent sa situation et son action au regard d'une saine ecclésiologie soit de l'Eglise locale (diocèse), soit de la communion universelle à laquelle préside l'évêque de Rome, successeur de Pierre, soit des institutions religieuses qui ont un statut canonique précis? Il y a de belles formules: « ma profonde soumission au Successeur de Pierre que je renouvelle dans les mains de Votre Sainteté ». La voix est la voix de Jacob, mais les actes sont d'Esaü. Il doit lui-même être déchiré dramatiquement, douloureusement. Contre son âme profonde, contre son intention foncière, il s'accule au schisme: « autel contre autel ».

L'Eglise, dit-il, continue à Ecône; c'est le Pape, ce sont les quelque 2 250 chefs de diocèses ou circonscriptions ecclésiastiques en communion avec lui qui seraient schismatiques? Cela ne tient pas! « Securus judicat Orbis terrarum », écrivait saint Augustin. L'univers entier est un critère sûr. Lorsque, revenant du Ier concile du Vatican (en 1870) l'archevêque de Munich invita les professeurs de la faculté de théologie à travailler pour la Sainte Eglise, Doellinger répliqua sèchement: « Oui, pour l'ancienne Eglise! » Il n'y a qu'une Eglise, reprit l'archevêque, il n'y en a pas de nouvelle ou d'ancienne. « On en a fait une nouvelle », répliqua Doellinger qui, n'ayant jamais voulu se dire « vieux catholique », mourut en catholique excommunié, selon la qualité qu'il se reconnaissait à lui-même.
« La messe de toujours»
Monseigneur, c'est impossible, n'est-ce pas? Du reste, on n'a pas fait une autre Eglise, pas plus qu'une autre Eucharistie. Mais ici, je dois dire un mot de la Tradition.

Vous dites: « La messe de la Tradition, la messe de toujours. » Vous entendez par là, telle quelle, celle du Missel publié par Pie V en 1570, Mais cette messe-là était celle qu'avait célébrée saint Marcel, Pape, votre patron, avant la paix constantinienne, et même celle que Jésus a célébrée la veille de sa passion: car toutes nos consécrations se font par la vertu des paroles qu'il a prononcées ce soir-là! Mais il est évident qu'entre la Cène du Cénacle, la Rome de l'an 300, le Missel de 1570, la forme de la célébration a changé. La Tradition est transmission et adaptation. Pour être transmis, il faut être reçu; pour être reçu, il faut être compris. Il y a dans la Tradition quelque chose d'absolu et quelque chose de relatif, d'historique. C'est une erreur que d'absolutiser l'historique, si vénérable soit-il. C'est ce que font les tenants entêtés du Missel de 1570, en mettant dans leur entêtement l'absolu de la fidélité qu'ils donnent, avec raison, à l'Eucharistie de toujours. Mais la messe n'a été la messe de toujours qu'en passant par certains changements de formes.

Cela ne signifie pas qu'on puisse tout changer, ni tout le temps. Je concède pour ma part qu'en quelques matières on a procédé trop vite et surtout sans assez efficacement expliquer. Mais quand on participe, serait-ce à la télévision, à des célébrations vraiment communautaires, on mesure le bénéfice global de la réforme liturgique qui, du reste, reprend si souvent les dispositions d'une tradition plus ancienne, pleine de la sève des Pères. C'est pourquoi aussi, et pas pour une autre raison, certains protestants, qui ont fait eux-mêmes un ressourcement au-delà du XVIe siècle, ont pu déclarer s'y retrouver.
La seule solution
Jeunes gens et moins jeunes d'Ecône, catholiques et prêtres qui voulez être fidèles à la forme de foi et de pratique de votre enfance, écoutez, à travers les paroles d'un homme passionné de Jésus-Christ, de son Evangile et de son Eglise, la voix de votre propre conscience chrétienne. La révolte? C'est impossible. Voyez où elle a mené Luther, Doellinger, de grands esprits cependant. Elle mènerait au schisme. Si les mesures qui frappent Ecône sont si lourdes, c'est parce que la création d'un ministère irrégulier a toujours été le moment décisif d'une rupture: l'histoire de Wesley à l'égard de la Communion anglicane est typique à ce sujet. Et tant d'autres! Tout ce qui a été fait par vous dans la Communion catholique actuelle et vivante devra y trouver sa place et y demeurer. Je ne vois qu'une solution: vous dépassionner, critiquer calmement, lucidement, les attitudes de manichéisme, finalement sectaires, qui voient tout en noir ici, tout en blanc là. C'est une maladie qui sévit en France où tout prend finalement les allures d'une guerre de religion.

Etudier tranquillement le Concile et faire un effort serein pour comprendre le mouvement présent de l'Eglise. Puis remettre vos générosités à la disposition d'une Eglise maternelle, d'un Père commun qui vit trop douloureusement le drame des crises présentes pour garder un visage sévère le jour où vous viendrez lui offrir votre humble service. En dehors de cela, vous courrez en vain (cf. Ga 2, 2). Vous ajouterez vos coups aux blessures d'une Eglise d'autant plus aimée qu'elle souffre, non seulement de ses maux internes, mais de tous les drames du monde Elle ne peut être l'Eglise de toujours aujourd'hui qu'en étant autre, en quelque façon, que l'Eglise d'hier. Rendez-vous compte des conditions si difficiles dans lesquelles l'Evangile doit être annoncé, vécu et célébré aujourd'hui. Ne vous isolez pas de ceux qui essaient de le faire. Nous l'aimons. Nous vous aimons. Au service et à l'honneur de Dieu Père, Fils et Saint-Esprit.

Fr. YVES CONGAR
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Notes

(1) Cette étude a paru dans la Croix du 20 août 1976. Texte original, sous-titres de la DC.
(2) Dom Guy OURY, la Messe, de saint Pie V à Paul VI. Solesmes, 1975, Dom Paul NAU, le Mystère du Corps et du Sang du Seigneur. La messe d'après saint Thomas d'Aquin, son rite d'après l'histoire. Solesmes, 1976.

6 août 1976

[André Vimieux - Témoignage Chrétien] La rébellion de Mgr Lefebvre - le schisme?

SOURCE - André Vimieux - Témoignage Chrétien - 5 août 1976

DANS NOS ARCHIVES - TC n°1674 - En 1976, aux yeux du Vatican, la Fraternité Saint-Pie-X n'existe plus juridiquement. En juin de cette année-là,  Mgr Marcel Lefebvre a ordonné treize prêtres sans accord de sa hiérarchie. Le 22 juillet, Paul VI a alors suspendu l'évêque de ses droits à célébrer la messe et dissous son institut. Celui-ci, créé en 1970, avait pourtant été pendant cinq ans reconnu par le Saint-Siège. Si l'on n'en est pas encore à la rupture officielle (1988), la situation est déjà très tendue.  
 
Cette fois, l'épiscopat français se met en branle. Devant la rébellion de Mgr Lefebvre, un évêque français, ancien archevêque de Dakar, puis de Tulle, ancien supérieur général des spiritains, les désapprobations se multiplient. Déjà le cardinal Marty, archevêque de Paris, avait protesté lors de la messe célébrée, dans la capitale, aux arènes de Lutèce, par un jeune prêtre, tout frais promu du séminaire intégriste d'Ecône. 
 
Depuis que le Vatican a décidé de suspendre Mgr Lefebvre « a divinis », c'est-à-dire de lui interdire de distribuer les sacrements et de célébrer la messe, celui-ci refuse de s'incliner. On lui a prêté l'intention de dire une messe publique, selon le rite de Saint-Pie-V, à Lille, le 29 août 1976. Il serait prêt, dit-on, à y renoncer pour « éviter des complications ». 

L'évêque du lieu, Adrien Gand, qui se serait volontiers passé sans doute de cette dissidence ouverte par un homme originaire du Nord – Mgr Lefebvre est natif de Tourcoing – vient de réagir. Dans un entretien avec Luc Verschave de La Voix du Nord, il affirme que l'attitude de Mgr Lefebvre lui « paraît grave parce qu'elle risque d'entrainer un phénomène sectaire ».
 
« Par un étrange paradoxe, dit l'évêque de Lille, Mgr Lefebvre qui reproche à l'Église actuelle son « protestantisme » se range parmi ceux qui élèvent au-dessus de tout leur interprétation personnelle sans référence au magistère. » Comme en écho l'évêque de Saint-Dié, Jean Vilnet, constate « un fait historique troublant : après la plupart des grands conciles, qui s'efforcent d'améliorer et de vivifier le comportement de notre Église, des groupes obstinés dans ce qu'ils estiment la vraie voie, la leur, se coupent de l'Église, fondant en quelque sorte leur Église à eux ».
 
Le cardinal Renard, archevêque de Luçon, invite de son côté les fidèles à rester « indéfectiblement unis au pape », thème repris également par la « Semaine religieuse » du diocèse d'Aix et d'Arles.

Et, enfin, de retour d'un voyage en URSS sur invitation de l'Église orthodoxe, le président de la Conférence épiscopale française, Roger Etchegaray, s'adresse « à tous les catholiques de France » pour exprimer sa « profonde tristesse » « de voir un évêque discréditer systématiquement le dernier concile ». Il faut « du tact, du temps... surtout une fidélité à toute épreuve » pour faire passer dans la vie quotidienne du peuple de Dieu l'enseignement et les décisions d'un Concile, déclare Mgr Etchegaray et, dit-il, « le drame de Mgr Marcel Lefebvre doit interroger chacun de nous ».
 
« Voici pour nous tous, poursuit-il, l'heure de nous demander devant Dieu si nous n'avons rien tronqué ni altéré dans la mise en œuvre du Concile. » Mais affirme-t-il, « dès qu'il s'agit de sauvegarder la foi, l'unité de l'Église garantie par la communion avec le pape passe avant tout le reste »
 
En somme, les évêques français paraissent redouter que le « schisme » – terme mentionné pour la première fois par l'Osservatore Romano – de Mgr Lefebvre ne prenne quelque ampleur. Pourtant, les traditionalistes eux-mêmes paraissent divisés. Les « silencieux de l'Église » de Pierre Debray ne suivent pas Mgr Lefebvre, le périodique L'Homme nouveau reste muet sur ce sujet. N'est-ce pas, alors, en train de majorer un mouvement somme toute limité à des cercles restreints ? La grande presse et les médias audiovisuels, faute d'autres sujets, mènent grand bruit sur les sanctions qui frappent Mgr Lefebvre.
 
Mais qui, hier, parmi eux, parlait des menaces de réduction à l'état laïc qui pèsent en Italie sur Don Franzoni, ex abbé bénédictin de Saint-Paul-hors-les-murs, pour avoir, entre autres, aux dernières élections invité à soutenir des listes communistes où figuraient des chrétiens? 
 
Article publié jeudi 5 août 1976, dans le TC n°1674.

5 août 1976

4 août 1976

[Mgr Lefebvre - Le Figaro] Interview de Mgr Lefebvre faite à Ecône, le 2 août 1976

Mgr Lefebvre - Le Figaro - 4 août 1976

Le Figaro : « Après la mesure de suspense a divinis qui l'a frappé, Mgr Lefebvre n'envisage nullement de se soumettre. Il ne croit pas à la possibilité d'un rapprochement avec Rome et n'exclut pas le risque d'une excommunication prononcée contre lui et ses disciples. » 

"Monseigneur, n'êtes-vous pas au bord du schisme ?"

"C'est la question que se posent beaucoup de catholiques à la lecture des dernières sanctions prises par Rome contre nous ! Les catholiques, pour la plupart, définissent ou imaginent le schisme comme la rupture avec le pape. Ils ne poussent pas plus loin leur investigation. Vous allez rompre avec le pape ou le pape va rompre avec vous, donc vous allez au schisme.

"Pourquoi rompre avec le pape est-ce faire schisme ? Parce que là où est le pape là est l'Église catholique. C'est donc en réalité s'éloigner de l'Eglise catholique. Or l'Eglise catholique c'est une réalité mystique qui existe non seulement dans l'espace et sur la surface de la terre, mais aussi dans le temps et dans l'éternité. Pour que le pape représente l'Eglise et en soit l'image, il doit non seulement être uni à elle dans l'espace mais aussi dans le temps, l'Église étant essentiellement une tradition vivante. Dans la mesure où le pape s'éloignerait de cette tradition, il deviendrait schismatique, il romprait avec l'Eglise. Les théologiens comme saint Bellarmin, Cajetan, le cardinal Journet et bien d'autres ont étudié cette éventualité. Ce n'est donc pas une chose inconcevable.

"Mais, en ce qui nous concerne, c'est le Concile Vatican II et ses réformes, ses orientations officielles, qui nous préoccupent plus que l'attitude personnelle du pape, plus difficile à découvrir. Ce Concile représente, tant aux yeux des autorités romaines qu'aux nôtres, une nouvelle Eglise qu'ils appellent l'Eglise conciliaire.

"Nous croyons pouvoir affirmer, en nous en tenant à la critique interne et externe de Vatican II, c'est-à-dire en analysant les textes et en étudiant les avenants et aboutissants de ce Concile, que celui-ci, tournant le dos à la Tradition et rompant avec l'Eglise du passé, est un Concile schismatique. On juge l'arbre à ses fruits. Désormais, toute la grande presse mondiale, américaine et européenne, reconnaît que ce Concile est en train de ruiner l'Eglise catholique à tel point que même les incroyants et les gouvernements laïcs s'en inquiètent.

"Un pacte de non-agression a été conclu entre l'Eglise et la maçonnerie. C'est ce qu'on a couvert du nom d'aggiornamento, d'ouverture au monde, d'oecuménisme. Désormais, l'Eglise accepte de n'être plus la seule religion vraie, seule voie de salut éternel. Elle reconnaît les autres religions comme des religions soeurs. Elle reconnaît comme un droit accordé par la nature de la personne humaine que celle-ci soit libre de choisir sa religion et qu'en conséquence un État catholique n'est plus admissible.

"Admis ce nouveau principe, c'est toute la doctrine de l'Eglise qui doit changer son culte, son sacerdoce, ses institutions. Car tout jusqu'alors dans l'Eglise manifestait qu'elle était seule à posséder la Vérité, la Voie et la Vie en Notre-Seigneur Jésus-Christ qu'elle détenait en personne dans la sainte Eucharistie, présent grâce à la continuation de Son sacrifice. C'est donc un renversement total de la tradition et de l'enseignement de l'Eglise qui s'est opéré depuis le Concile et par le Concile.

"Tous ceux qui coopèrent à l'application de ce bouleversement acceptent et adhèrent à cette nouvelle Eglise conciliaire, comme la désigne Son Excellence Mgr Benelli dans la lettre qu'il m'adresse au nom du Saint-Père, le 25 juin dernier, et entrent dans le schisme.

"L'adoption des thèses libérales par un concile ne peut avoir eu lieu que dans un concile pastoral non infaillible et ne peut s'expliquer sans une secrète et minutieuse préparation que les historiens finiront par découvrir à la grande stupéfaction des catholiques qui confondent l'Église catholique et romaine éternelle avec la Rome humaine et susceptible d'être envahie par des ennemis couverts de pourpre.

"Comment pourrions-nous, par une obéissance servile et aveugle, faire le jeu de ces schismatiques qui nous demandent de collaborer à leur entreprise de destruction de l'Église ?

"L'autorité déléguée par Notre-Seigneur au pape, aux évêques et au sacerdoce en général est au service de la foi en sa divinité et de la transmission de Sa propre vie divine. Toutes les institutions divines ou ecclésiastiques sont destinées à cette fin. Tous les droits, toutes les lois, n'ont pas d'autre but. Se servir du droit, des institutions, de l'autorité pour anéantir la foi catholique et ne plus communiquer la vie, c'est pratiquer l'avortement ou la contraception spirituelle. Qui osera dire qu'un catholique digne de ce nom peut coopérer à un crime pire que l'avortement corporel ?

"C'est pourquoi nous sommes soumis et prêts à accepter tout ce qui est conforme à notre foi catholique, telle qu'elle a été enseignée pendant deux mille ans, mais nous refusons tout ce qui lui est opposé.

"On nous objecte : c'est vous qui jugez de la foi catholique. Mais n'est-ce pas le devoir le plus grave de tout catholique de juger de la foi qui lui est enseignée aujourd'hui par celle qui a été enseignée et crue pendant vingt siècles et qui est inscrite dans des catéchismes officiels comme celui de Trente, de saint Pie X et dans tous les catéchismes d'avant Vatican II ? Comment ont agi tous les vrais fidèles face aux hérésies ? Ils ont préféré verser leur sang plutôt que de trahir leur foi.

"Que l'hérésie nous vienne de quelque porte-parole que ce soit aussi élevé en dignité qu'il puisse être, le problème est le même pour le salut de nos âmes. A ce propos il y a chez beaucoup de fidèles une ignorance grave de la nature et de l'extension de l'infaillibilité du pape. Beaucoup pensent que toute parole sortie de la bouche du pape est infaillible.

"D'autre part, s'il nous apparaît certain que la foi enseignée par l'Église pendant vingt siècles ne peut contenir d'erreur, nous avons beaucoup moins l'absolue certitude que le pape soit vraiment pape. L'hérésie, le schisme, l'excommunication ipso facto, l'invalidité de l'élection sont des causes qui éventuellement peuvent faire qu'un pape ne l'ait jamais été ou ne le soit plus. Dans ce cas, évidemment très exceptionnel, l'Eglise se trouverait dans une situation semblable à celle qu'elle connaît après le décès d'un souverain pontife.

"Car enfin un problème grave se pose à la conscience et à la foi de tous les catholiques depuis le début du pontificat de Paul VI. Comment un pape vrai successeur de Pierre, assuré de l'assistance de l'Esprit-Saint, peut-il présider à la destruction de l'Église, la plus profonde et la plus étendue de son histoire en l'espace de si peu de temps, ce qu'aucun hérésiarque n'a jamais réussi à faire ?

"À cette question il faudra bien répondre un jour, mais laissant ce problème aux théologiens et aux historiens, la réalité nous contraint à répondre pratiquement selon le conseil de saint Vincent de Lérins : «Que fera donc !e chrétien catholique si quelque parcelle de l'Eglise vient à se détacher de la communion de la loi universelle ? Quel autre parti prendre sinon préférer au membre gangrené et corrompu, le corps dans son ensemble qui est sain, et si quelque contagion nouvelle s'efforce d'empoisonner, non plus une petite partie de l'Eglise mais l'Eglise tout entière à la fois ! Alors encore son grand souci sera de s'attacher à l'antiquité, qui, évidemment, ne peut plus être séduite par aucune nouveauté mensongère !»

« Nous sommes donc bien décidés à continuer notre oeuvre de restauration du sacerdoce catholique quoi qu'il arrive, persuadés que nous ne pouvons rendre de meilleur service à l'Eglise, au pape, aux évêques et aux fidèles. Qu'on nous laisse faire l'expérience de la tradition. »

28 juillet 1976

[François Bernard - La Croix] Le drame de Mgr Lefebvre

SOURCE - François Bernard - La Croix - 28 juillet 1976
Le refus de Mgr Lefebvre ne porte pas seulement sur des formes extérieures comme les textes de la liturgie ou la langue dans laquelle elle est célébrée. Le refus de la « messe de Paul VI », l’attachement à la « messe de saint Pie V » célébrée en latin, sont l’expression d’un refus plus fondamental portant sur les enseignements du Concile lui-même, sur les réformes postconciliaires, sur les orientations données à l’Église par le Pape et les évêques. C’est en fait « l’autorité d’aujourd’hui qui est refusé au nom de celle d’hier », comme le disait Paul VI dans l’allocution aux cardinaux du 24 mai.

La gravité de la situation créée par Mgr Lefebvre provient de ce qu’il est évêque et qu’il a donc la possibilité de donner naissance à une Église en dehors de la communion avec Rome, en ordonnant des prêtres et en consacrant d’autres évêques. Après les ordinations du 29 juin dernier, accomplies malgré l’interdiction formelle et réitérée du Pape et les interventions personnelles faites auprès du supérieur d’Ecône, un tel risque commençait à prendre une forme concrète et rendait inévitable la sanction rendue publique samedi.

Autour de la nouvelle de la suspension de Mgr Lefebvre, la plupart des commentaires ou points de vue publiés dans la presse montrent que les réactions de l’opinion semblent s’orienter dans deux directions. Ou bien on met l’accent sur la question des formes liturgiques et en particulier de l’usage du latin. Ou bien on met en relief le contraste entre les deux courants opposés qui contestent le Pape et les évêques, l’un au nom de la tradition en rejetant le concile Vatican II, comme Mgr Lefebvre, et l’autre au nom de l’avenir en invoquant, au contraire, le Concile.

Dans le premier cas, réduire le débat à des questions de formes extérieures et surtout à la question de la langue liturgique, risque de le rendre parfaitement incompréhensible. En réalité, comme le dit la constitution de Vatican II, la célébration de la liturgie, et d’abord de la messe, est à la fois le point de départ et le point d’arrivée, la source et le sommet de toute la mission de l’Église, qui est de porter l’Évangile aujourd’hui dans le monde. L’attitude de Mgr Lefebvre rentre exactement dans la logique de ce principe : sa contestation de la réforme liturgique postconciliaire signifie un refus radical et global de l’orientation pastorale donnée par Vatican II et de l’application qu’en a faite Paul VI.

Dans le second cas, lorsqu’on centre le débat sur l’antagonisme entre « conservateurs » et « progressistes », on voit sans doute plus facilement que l’enjeu est la mission de l’Église. Mais on risque de donner une idée réductrice de cette mission et on risque davantage encore de méconnaître ce qu’est la réalité concrète de l’Église aujourd’hui en n’y voyant que des affrontements stériles, et en exagérant le nombre de ceux qui dévient jusqu’aux extrêmes.

On peut se référer ici au discours de Paul VI aux cardinaux, le 24 mai, qui comportait trois volets. Après avoir fait sévèrement le procès de Mgr Lefebvre, il avait tenu à réprouver avec la même fermeté l’attitude de ceux qui en viennent à déformer la liturgie, la doctrine et la morale ou à réduire la vie de la foi à une action politique, tout en soulignant qu’ils sont peu nombreux. Mais il avait commencé par dire sa joie pour la vitalité de l’Église, les signes d’un renouveau de la vie spirituelle, l’engagement croissant de tant de chrétiens dans une solidarité profonde avec les pauvres, la renaissance des vocations sacerdotales et religieuses dans divers pays.

Un autre aspect paraît laissé dans l’ombre par les commentaires : c’est le caractère international de l’entreprise de Mgr Lefebvre. Des communautés liées à Ecône se sont créées en divers pays d’Europe et aux États-Unis. Il existe de fortes différences, à travers la diversité des situations, et chaque épiscopat devra trouver la ligne pastorale adaptée.

Dans le contexte français, Mgr Etchegaray en indiquait une, au cours de l’interview donnée à la Croix, le 30 mars dernier. Pour « guider des courants divergents », disait-il, de telle sorte que les chrétiens soient aidés à vivre leur foi, « nous avons besoin de communautés diversifiées, surtout dans le monde urbanisé ; mais toutes doivent s’enraciner dans la vraie tradition de l’Église ». Et il indiquait deux conditions : la solidité doctrinale des animateurs et la communication entre ces communautés.

Au cœur de la vraie tradition catholique se trouve le nœud qui lie, indéfectiblement, l’Évangile et l’Église rassemblée autour du Pape et des évêques. Sur ce point, l’histoire lointaine ou récente est pleine de témoignages d’une fidélité dont donnèrent encore l’exemple, en France, Marc Sangnier et ses compagnons démocrates du Sillon et ensuite beaucoup de ceux qui se sentirent atteints par la condamnation de l’Action française. On pourrait citer aussi tant de pionniers l’œcuménisme, du renouveau liturgique, pastoral, théologique, et relire l’admirable Méditation sur l’Église écrite, dans l’épreuve, par le P. de Lubac.

Mais dans le fracas de l’événement, la révolte est spectaculaire tandis que la fidélité ne l’est pas, et d’autre part, dans la situation actuelle, des intérêts politiques peuvent facilement influer sur les polémiques et empoisonner les débats. C’est encore une réalité dont il faut tenir compte pour comprendre les remous de l’opinion et chercher à les éclairer. Le risque est grand de voir les vraies questions défigurées et réduites à des mesquineries, avec pour résultats d’augmenter encore le nombre de ceux qui quittent l’Église en silence et sur la pointe des pieds.

23 juillet 1976

Notification de la Suspense a divinis - 22 juillet 1976
Lettre du secrétariat de la Congrégation pour les Evêques
Mis en ligne par http://fsspx.org
Monseigneur,

Le 6 juillet 1976 (Prot. N. 514/76), le cardinal Sebastiano Baggio vous adressait une monition formelle, aux termes de laquelle vous étiez averti que des peines canoniques vous seraient infligées, si une preuve de résipiscence ne parvenait pas à la Congrégation pour les Evêques dans le délai de dix jours qui suivrait la réception de la monition.

Attendu que :

— d’une part, Mgr le nonce apostolique en Suisse atteste que vous avez eu communication, le 11 juillet de la monition formelle du cardinal préfet de cette congrégation, et que vous avez signé un accusé de réception en faisait foi ;

— et que, d’autre part, le délai fixé à dix jours est à présent écoulé sans que la preuve de résipiscence espérée soit parvenue au siège de cette même congrégation ;

en exécution des instructions laissées par le cardinal Baggio, actuellement absent de Rome, j’ai référé à Sa Sainteté.

Le Saint-Père m’a confié qu’il avait reçu, de votre part, une lettre datée du 17 juillet. A ses yeux, elle ne saurait malheureusement être considérée, bien au contraire, comme satisfaisante ; je puis même vous dire qu’il est très affligé de l’attitude manifestée envers Lui dans cet écrit.

Par conséquent, le Souverain Pontife Paul VI, en date du 22 juillet 1976 et conformément au canon 2227, § 1, en vertu duquel les peines pouvant être appliquées à un évêque lui sont expressément réservées, vous a infligé la suspens a divinis prévue au canon 2279 § 2, 2°, et a ordonné quelle prenne immédiatement effet.

Le soussigné secrétaire de la Congrégation pour les Evêques a reçu mandat de vous en donner notification par la présente lettre.

Mais c’est, vous le pensez bien, avec une grande douleur que le Saint-Père s’est résolu à prendre cette mesure disciplinaire, en raison du scandale causé dans le peuple chrétien par votre obstination, après tant d’essais fraternels pour vous détourner de l’impasse où vous vous engagez. Sa Sainteté garde toujours l’espérance que vous voudrez y réfléchir encore, et prie Notre-Seigneur de vous inspirer la décision de renouer au plus tôt votre communion avec Elle.

Fait à Rome, au siège de la Congrégation pour les Evêques, le 22 juillet 1976.

Signé : illisible.

18 juillet 1976

Lettre de Mgr Lefebvre à Paul VI - 17 juillet 1976
Mis en ligne par http://fsspx.org
Très Saint-Père,

Tous les accès permettant de parvenir jusqu’à Votre Sainteté m’étant interdits, que Dieu fasse que cette lettre La rejoigne pour Lui exprimer nos sentiments de profonde vénération, et par la même occasion Lui formuler avec une prière instante l’objet de nos désirs les plus ardents qui, hélas ! semblent être sujet à litige entre le Saint-Siège et de nombreux catholiques fidèles.

Très Saint-Père, daignez manifester votre volonté de voir s’étendre le Règne de Notre Seigneur Jésus-Christ en ce monde, en restaurant le Droit public de l’Église,

en rendant à la Liturgie toute sa valeur dogmatique et son expression hiérarchique, selon le rite latin romain consacré par tant de siècles d’usage,

en remettant en honneur la Vulgate,

en redonnant aux catéchismes leur vrai modèle, celui du concile de Trente.

Ce faisant, Votre Sainteté restaurera le sacerdoce catholique et le règne de Notre Seigneur Jésus-Christ sur les personnes, sur les familles et sur les sociétés civiles.

Elle rendra leur juste conception aux idées falsifiées devenues les idoles de l’homme moderne : la liberté, l’égalité, la fraternité, la démocratie, à l’exemple de ses prédécesseurs.

Que Votre Sainteté abandonne cette néfaste entreprise de compromission avec les idées de l’homme moderne, entreprise qui tire son origine d’une entente secrète entre de hauts dignitaires de l’Église et ceux des loges maçonniques, dès avant le Concile.

Persévérer dans cette orientation, c’est poursuivre la destruction de l’Église. Votre Sainteté comprendra aisément que nous ne pouvons collaborer à un si funeste dessein, ce que nous ferions si nous consentions à fermer nos séminaires.

Que l’Esprit Saint daigne donner à Votre Sainteté les grâces du don de force, afin qu’Elle manifeste par des actes non équivoques qu’Elle est vraiment et authentiquement le successeur de Pierre proclamant qu’il n’y a de salut qu’en Jésus-Christ et en son épouse mystique, la sainte Église catholique et romaine.

Et que Dieu...

Marcel lefebvre.

7 juillet 1976

Lettre du cardinal Baggio à Mgr Lefebvre - 6 juillet 1976
Mis en ligne par http://fsspx.org
[NOTE DE FSSPX.ORG: Le cardinal Sebastiano Baggio est préfet de la Congrégation romaine chargée des Evêques : c’est en cette qualité, et par ordre de Paul VI, qu’il écrit cette lettre officielle, sous le n° 514/77.]
Monseigneur,

C’est le Saint-Père qui me charge de vous adresser cette lettre. Elle veut être avant tout, de la part de Sa Sainteté et non au nom de Jésus-Christ, une nouvelle expression du très vif désir, et de l’ardente espérance éprouvée depuis déjà bien longtemps, de vous voir enfin, après une reprise de conscience épiscopale et ecclésiale, revenir sur vos pas et rétablir cette communion que, par votre attitude, vous venez encore de briser plus ouvertement, et précisément en la fête des saints apôtres Pierre et Paul.

Je ne veux pas toucher ici la question de la non-observation des conditions auxquelles doit se tenir un évêque qui procède à l’ordination de sujets qui ne sont pas les siens, non-observation pour laquelle le Code du droit canonique prévoit lui-même, aux canons 2373, 2374 et 985, n. 7, les sanctions opportunes.

Il m’incombe par contre, en exécution d’une charge venue de plus haut, de constater que, en passant outre à l’interdiction expresse du Saint-Père, clairement et légitimement manifestée dans les documents des 12 et 25 juin dernier et avec des interventions fraternelles de personnes qualifiées, vous avez publiquement désobéi à cette interdiction en procédant à l’ordination de plusieurs prêtres et de quelques « sous-diacres ».

Aussi, par la présente monition, je vous conjure de changer d’attitude, de demander humblement pardon au Saint-Père, et de réparer le dommage spirituel infligé aux jeunes ordonnés et le scandale causé au peuple de Dieu.

Je nourris la confiance que vous ne refuserez pas de saisir la main que Sa Sainteté vous tend encore une fois.

Si pourtant l’invitation devait s’avérer vaine et si une preuve de résipiscence ne parvenait pas à cette congrégation dans le délai de dix jours qui suivra le moment où vous recevrez ma lettre, il faut que vous sachiez que, en se fondant sur un mandat spécial du Souverain Pontife, il sera du devoir de ce Dicastère de procéder à votre égard en vous infligeant les peines qui s’imposent, conformément au canon 2331, § 1.

Je vous prie de croire que c’est avec une grande souffrance que j’ai écrit cette lettre à un confrère dans l’épiscopat, et je vous assure, Monseigneur, de mon respectueux dévouement en N.S.

Sébastiano card. BAGGIO, préfet.

4 juillet 1976

2 juillet 1976

[Vatican] Déclaration de la salle de presse

SOURCE - Vatican - Salle de Presse - 1er juillet 1976

NOTE DE FSSPX.ORG: Le P. Romeo Panciroli, porte-parole de la salle de presse du Saint-Siège, a déclaré le 1er juillet (déclaration publiée le 8 juillet dans le bulletin diocésain de Mgr Mamie et reproduite dans la Documentation catholique du 1er août):

"Selon des informations parvenues de Suisse, Mgr Marcel Lefebvre a effectivement procédé à l’ordination d’un certain nombre de prêtres et de diacres. Selon ces mêmes informations, les candidats seraient dépourvus de lettres dimissoriales de leur Ordinaire ou d’un titre canonique valide.

Dans ce cas, s’appliquent les normes suivantes du Code de droit canonique :

1. Mgr. Lefebvre a encouru automatiquement la suspension pour un an de la collation des ordres, suspension réservée au Siège apostolique. (Il en est de même pour les précédentes ordinations qui auraient pu avoir lieu dans les mêmes conditions, avec la circonstance aggravante, dans ce cas, de l’irrégularité liée à une récidive.) Cette suspension s’ajoute à l’interdiction de conférer les ordres prononcée par le Saint-Père et transgressée par Mgr Lefebvre, mais évidemment toujours valide et active.

2. Ceux qui ont été ordonnés sont ipso facto (automatiquement) suspendus de l’ordre reçu et s’ils l’exerçaient seraient dans une situation irrégulière et délictueuse. Les prêtres qui auraient été déjà suspendus pour une précédente promotion irrégulière au diaconat pourraient être punis avec des peines sévères selon les circonstances, en plus du fait de s’être mis dans une situation irrégulière.

3. Le Saint-Siège examine le cas particulier de la désobéissance formelle de Mgr Lefebvre aux instructions du Saint-Père qui, par des documents des 12 et 25 juin 1976, lui interdisait expressément de procéder aux ordinations. Même des interventions fraternelles ces derniers jours, mises en œuvre par le Saint-Père pour faire renoncer Mgr Lefebvre à son projet, n’ont pu empêcher que cette interdiction fût violée."