29 juin 2000

Lettre du Cardinal Hoyos, président de la Commission Ecclesia Dei,
lue par Monseigneur Perl lors du Chapitre Général de la Fraternité Saint Pierre en juin 2000
29 juin 2000.
Mes très chers Frères, Votre Fraternité tient en ce moment son Chapitre Général. En ma qualité de nouveau président de la Commission papale "Ecclesia Dei", je serais très volontiers parmi vous, pour vous parler personnellement. Comme ce n'est malheureusement pas possible, du fait de quelques obligations que j'ai prises il y a déjà assez longtemps, je vous écris cette lettre.
Le Chapitre général de votre Fraternité est un moment privilégié pour regarder ensemble, en tant que frères, la personne de Jésus Christ, notre sauveur et notre seul Seigneur. C'est un moment privilégié de Communion trinitaire, dans laquelle l'unité dans l'Église du Seigneur, et l'unité fraternelle entre nous, se renforce. En tant qu'élèves du Christ, nous devons nous tendre vers la perfection, mais en respectant les priorités que le maître lui-même nous a révélées. La priorité absolue est l'amour de Dieu, et l'amour de nos frères, ce qui est la caractéristique qui différencie notre famille de foi. L'amour de Dieu s'exprime dans la prière, dans la célébration de la foi, dans le maintien des certitudes qui concernent la vie morale, et dans les manifestations disciplinaires, qui les protègent et les garantissent. C'est le domaine propre à votre particularité au sein de l'église. Le maintien des nobles traditions dans la célébration du culte saint en est le trait caractéristique.
Depuis ma nomination en avril, j'ai étudié les archives de votre institut, j'ai parlé avec plusieurs d'entre vous, et j'ai lu de nombreuses lettres, qui me sont parvenues ; De même, je me suis informé à Rome auprès de personnes qui connaissent votre situation depuis des années. Après tout cela, je veux maintenant vous faire part de mes réflexions et de mes décisions. Il est indéniable que votre institut vit une crise sévère depuis un certain temps. En février dernier, une première tentative de résoudre cette crise a été faite, avec la réunion générale de Rocca di Papa.
Cette réunion a, vous le savez, élaboré un compromis, qui essayait de concilier les exigences du droit commun de l'Église avec le caractère particulier de votre institut, et d'éviter ainsi vos divisions. Ce compromis a malheureusement été le sujet de nouvelles controverses, entre ceux qui l'acceptent, et ceux qui le rejettent. Malgré cela, les supérieurs ont prié la Commission papale d'approuver ce compromis, et d'en faire pour vous une règle exceptionnelle. Après mûre réflexion, et avoir consulté des experts, je déclare que cela n'est pas possible. La cause en est la position très claire de l'aspect juridique, dans ces circonstances : Un Prêtre, qui jouit du privilège de célébrer la Messe selon l'ancien missel de 1962 ne perd pas le droit d'utiliser également le missel de 1970, qui est officiellement en vigueur dans l'Église latine.
Aucun supérieur, en dessous du Souverain Pontife, ne peut empêcher un Prêtre de suivre la règle générale, qui a été promulguée par le plus haut législateur, c'est-à-dire de célébrer dans le rite réformé du Pape Paul VI. Une limitation de l'exercice de ce droit peut être librement décidée par un Prêtre, mais ne peut jamais devenir la règle commune dans un institut. Elle ne peut pas non plus être infligée à des séminaristes, ni être une cause pour leur refuser l'ordination.
Vous savez bien que ce point est d'une grande actualité pour vous, en ce moment, où un nombre non négligeable de séminaristes, et même de Prêtres, ont l'intention de quitter votre institut, si cette règle leur était infligée - ce qui n'est pas possible, en fait.
C'est pour cela qu'il est urgent de prendre quelques décisions, pour éviter une désagrégation de votre Fraternité, et la perte de vocations, qui sont si précieuses à notre époque.
La première décision est de nature juridique : Vos constitutions, qui ont été approuvées "ad experimentum", laissent ouverte la question du nombre de mandats qu'un Supérieur Général peut remplir. Il semble raisonnable de limiter cela à deux mandats de 6 ans chacun, c'est-à-dire à un maximum de 12 années, en harmonisation de la Fraternité avec la majorité des autres instituts religieux. L'autorité compétente du Saint Siège limite par cela le temps de fonction du Supérieur Général de la Fraternité Saint Pierre à deux mandats de 6 ans chacun, se suivant. Cette commission papale remercie le père Bisig, qui a rempli ces fonctions pendant 12 ans, pour tout ce qu'il a fait pour la Fraternité, qui lui doit, durant la période de commencement de son histoire, sa consolidation et son extension dans plusieurs pays, ce qui est le fruit de son zèle brûlant, et de son exigence de sanctification personnelle et collective. De par son expérience, il restera toujours un pilier et un appui pour votre Fraternité, et je suis sûr qu'il aidera son successeur par ses bons conseils.
La seconde décision est la suivante : Vous savez qu'en 1991, le Cardinal Innocenti, qui était alors président de cette Commission papale, avait nommé le Père Bisig Supérieur Général, pour une période supplémentaire de 3 ans, malgré un vote du Chapitre général qui s'en écartait. La situation conflictuelle de votre institut exige actuellement une intervention semblable de l'autorité supérieure, au regard du danger qu'une élection soit à la source de divisions encore plus profondes. C'est pourquoi, je nomme Supérieur Général de la Fraternité Saint Pierre le Père Arnaud Devillers, pour un mandat de 6 ans. Le Père Devillers remplit les conditions requises, et connaît votre fraternité de l'intérieur. il a une longue expérience en tant que responsable pour le district d'Amérique du Nord, qu'il a fondé, et qu'il a enraciné dans plusieurs diocèses américains, toujours en bonne coopération avec les évêques concernés. Sa première tâche sera de restaurer la paix de votre Fraternité, en travaillant à conserver votre spiritualité commune, et à la renforcer encore, ainsi que de renforcer votre esprit de famille.
La troisième décision concerne le séminaire de Wigratzbad. Avec celui des États-Unis, il est le berceau de futures vocations. Il faut donc lui donner la possibilité de former des Prêtres dans le calme et dans la paix, et de leur donner une solide formation théologique et pastorale. Pour cette raison, un nouveau directeur sera nommé pour le Séminaire international Saint Pierre de Wigratzbad. Il se consacrera à cette tâche de la formation des Prêtres, avec le collège des professeurs, qu'il choisira en accord avec le Supérieur général. Il est important que les séminaristes trouvent là une atmosphère spirituelle, un bon esprit parmi les étudiants, des professeurs à la hauteur de leur tâche, et un esprit d'Église exemplaire, qui évite soigneusement tout extrémisme. Vous savez bien que votre séminaire est observé par beaucoup de gens dans l'Église, et qu'il doit être exemplaire sous tout rapport. En particulier, il faut éviter et combattre un certain esprit de rébellion contre l'Église actuelle, esprit qui trouve facilement des partisans parmi les jeunes étudiants, qui, comme tous les jeunes gens, sont attirés par des positions extrêmes et rigoureuses. Il faut au contraire avoir soin de l'amour de l'Église catholique et de son pasteur suprême, et écouter le Magistère de l'Église. On ne peut pas vivre dans l'Église, et en même temps s'en distancer. Le Supérieur Général choisira de même un directeur pour le séminaire américain, pour lequel sont valables les mêmes constatations que pour Wigratzbad
Je souhaite que tous les membres de la Fraternité acceptent ces décisions avec soumission et humilité. Que tous se gardent, de constituer de nouveau des groupes de pression ou de résistance contre la ligne du Supérieur Général. Je promets que la Commission papale sera plus présente, à partir de maintenant, dans les séminaires et les autres maisons de la Fraternité, et qu'elle veillera attentivement à leur bon état. Il peut aussi arriver qu'elle intervienne à nouveau, si cela est nécessaire.
Pour ce qui concerne la liturgie, tout reste comme cela doit être : Votre Fraternité a le privilège, dans ses chapelles et églises, de célebrer selon les livres de 1962. Les Prêtres de cet institut célèbrent normalement d'après ce rite, mais ils ont le droit -inutile de le rappeler- de célébrer d'après les livres actuellement en usage, dans des cas particuliers qui ne seront pas fréquents, qui restent cependant à la décision raisonable et pleine de tact des Prêtres. Je vous incite à la concélébration avec l'évêque local, particulièrement le Jeudi Saint. De cette manière vous démontrerez de façon visible votre unité avec le pasteur de cette église locale, qui est aussi votre pasteur, et avec son clergé, dont font également partie les Prêtres qui sont membres d'instituts de vie consacrée, ou -comme votre Fraternité- de communautés de vie apostoliques, qui ont charge d'âmes dans le diocèse.
D'un autre côté, il est clair qu'aucun Prêtre ne sera obligé à faire usage de ce droit. Ainsi peut exister une atmosphère de liberté et de confiance dans ce domaine, qui est le contraire de toute exclusivité et de tout extrémisme liturgique. La "Fraternité Saint Pierre", comme l'indique son nom, ne peut être qu'une famille de frères, qui s'acceptent mutuellement avec un amour fraternel, et qui sont insérés dans la grande famille de l'Église catholique romaine, au sein de laquelle il y a une place pour les Catholiques ayant une sensibilité traditionnelle, que je défendrai de toutes mes forces.
Je vous livre encore une réflexion personnelle : Vous ne devez pas voir dans l'aspect du rite le point central de toute l'Église, ni placer cet aspect au même niveau que les bases mêmes, telles que l'unité dans la vraie foi, la discipline commune sous la hiérarchie apostolique, et la liturgie, qui est la célébration des Mystères de la foi. Le rite n'est pas la célébration elle-même, mais il n'est est qu'une des formes possibles. N'oubliez pas non plus que le rite réformé par le Pape Paul VI est le rite commun de l'Église latine. Votre tache n'est pas de modifier cet état de fait, ou de parler de ce rite comme s'il était de moindre valeur, mais d'aider les fidèles qui ont un attachement à l'ancien rite, de mieux se retrouver dans l'Église. S'il est vrai que l'aspect du rite est une aide importante pour la pérennité du sacré, qui est aujourd'hui si menacé dans l'Église par la sécularisation, cette pérennité ne passe cependant pas par une seule forme de rite, comme certain pourrait le croire, mais on doit préserver le sacré dans toutes les relations avec Dieu. Votre tache est de faire cela, en célébrant conformément à vos dispositions. Mais vous ne devez pas donner la priorité à la forme de la liturgie, dans laquelle vous avez le privilège de célébrer ; il convient bien plus de voir en elle la contribution particulière de votre institut à l'oeuvre commune de l'Église. Votre contribution doit s'insérer dans l'harmonie de la sainteté de l'Église, où il y a bien sûr d la place pour ce qui se complète, mais pas pour ce qui ce contredit. En faisant cela, vous contribuez en même temps à la nouvelle évangélisation, à laquelle le saint père nous appelle tous.
J'appelle sur vous tous la protection de la Sainte Vierge Marie, reine des Apôtres, et la plénitude des grâces célestes que puisse vous accorder Dieu le Père, le Fils, et le Saint Esprit.
Rome, le 29 juin 2000.
Cardinal Dario Castillion Hoyos