24 avril 2001

[Aletheia n°13] La Fraternité Saint-Pie X et la Nouvelle Messe (III)

Aletheia n°13 - 24 avril 2001
LA FRATERNITÉ SAINT-PIE X ET LA NOUVELLE MESSE (III)
I. Réactions à l’étude de la FSPX
II. Quatre questions à M. l’abbé Sulmont (document)
III. Les études précédentes sur le N.O.M.
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A la lecture de la présentation faite du Problème de la réforme liturgique  (éditions Clovis), un prêtre de la FSPX, vivant en Suisse, m’a intimé un ordre  : “ vous n’êtes pas théologien. Alors taisez-vous ” (sic). Il juge aussi que je suis “ un homme dangereux ” (re-sic). En la circonstance, il semblerait que ce prêtre péremptoire ne soit pas le porte-parole d’autorités nettement supérieures à la sienne mais rien de plus que l’écho de lui-même.
Je continuerai donc, en toute liberté, la présentation de quelques faits ou événements de l’actualité religieuse, sans crainte de déplaire ni souci de plaire. Cette voie d’indépendance n’est pas sans intérêt, si j’en crois ceux qui m’encouragent et/ou contribuent à la diffusion de cette petite lettre libre. Alètheia ne prétend à aucun magistère, elle ne se veut qu’un service de la vérité.

I. Réactions à l’étude de la FSSPX
Ce que je redoutais dans le précédent numéro d’Alètheia, le 27 mars dernier, s’est produit. Le même jour, la Croix publiait ce qui semblait être l’extrait d’une lettre adressée par le cardinal Eyt à la Croix. “ Voici ce que nous écrit l’archevêque de Bordeaux ...” disait le journal en citant des extraits d’un texte dont il n’indiquait ni la nature ni la date. En fait, par la Documentation catholique datée du 15 avril, où on peut lire le texte intégral du document, on constate qu’il s’agit d’un communiqué officiel, daté du 25 mars.
L’archevêque de Bordeaux est présenté souvent comme la “ tête théologique de l’épiscopat ”. Sa réaction était attendue. Elle est décevante et, pour tout dire, n’est pas vraiment à la hauteur et du problème posé et des demandes faites.
On ne sait de quoi s’indigner davantage :
. Le cardinal-archevêque de Bordeaux commence ainsi : “ D’après des informations parvenues en France assez mystérieusement, le Saint-Siège et le Saint Père en personne ont manifesté depuis de longs mois déjà, le désir de développer des contacts avec la Fraternité Saint-Pie X. ” Manière détournée pour dire et s’indigner que l’épiscopat français n’en ait pas été informé, à l’origine.
. Le Supérieur général de la FSSPX, Mgr Fellay, est désigné avec un mépris désolant : “ Selon l’homme [sic] qui semble guider la discussion, Mgr Fellay... ”
. Puis, le cardinal Eyt se réjouit qu’à la date où il écrit les discussions soient interrompues : “ je me félicite que la cause de la dite suspension vienne “du côté de Rome” ”.
. Le fond du problème n’est pas vraiment abordé. Les questions abordées  dans le livre ne sont pas traitées : la théologie du “ mystère pascal ” est-elle nouvelle, est-elle au coeur de la nouvelle messe et a-t-elle été introduite une doctrine qui est “ un danger pour la foi ” ?  Le cardinal-archevêque de Bordeaux se contente de qualifier l’étude des “ théologiens lefebvristes ” (sic) d’ “ attristante caricature de la théologie catholique de l’Eucharistie ”.
. Le communique du cardinal Eyt se termine par une mise en garde qui semble s’adresser à Rome et qui est clairement indiquée comme l’opinion d’une partie importante de l’épiscopat français : “ nous sommes nombreux à voir sur cette route [les discussions entre Rome et la FSPX] davantage d’obstacles que d’ouvertures. ”
Quelques jours plus tard, le 2 avril, la Croix  publiait un article de Bruno Chenu intitulé “ Pourquoi Vatican II a “corrigé” Trente ”, tout entier consacré à “ riposter ” au livre de la FSSPX. Le théologien assomptionniste - mais à le lire et à le voir, en veste-cravate, le lecteur qui ne le saurait pas, ignorera que Bruno Chenu est un religieux des Augustins de l’Assomption et un spécialiste de la théologie africaine -, lui aussi, traite le livre par le mépris. Il parle de “ la littérature ” de la FSSPX, de “ prétendus théologiens ” et, finalement, d’ “ imposture intellectuelle ”.
Sur le fond, les arguments du père Chenu, plus développés que ceux mis en avant par le cardinal Eyt, ne répondent pas, me semble-t-il, aux critiques exposées par les auteurs du Problème de la réforme liturgique. La doctrine de la messe comme sacrifice propitiatoire, le père Chenu la renvoie aux calendes grecques : “ les catholiques de plus de 50 ans, écrit-il, se rappellent peut-être le catéchisme de 1947 ... ”. Cette doctrine, explique-t-il, était l’héritière du concile de Trente.
Mais le concile de Trente, explique-t-il encore, est daté, il “ ne peut être compris que dans son contexte ”.  L’argument est stupéfiant sous la plume d’un théologien. Que fait-il de la valeur permanente des formules dogmatiques ? En estimant une formulation dogmatique dépassée, on verse dans l’historicisation des dogmes, le relativisme doctrinal. Le père Chenu  affirme aussi qu’avant Luther “ l’expression “le sacrifice de la messe” était pratiquement inconnue en Occident ”. Ce genre d’argument a déjà été avancé pour le port de l’habit ecclésiastique : c’est à partir du concile de Trente que le port de la soutane aurait été introduit dans la discipline du clergé. Cette dernière affirmation peut être contredite, aisément, par l’histoire. Je ne doute pas qu’il ne puisse en être de même pour la notion de sacrifice.
Enfin, comme l’indique le titre de son article, le père Chenu est persuadé que le concile Vatican II a “ corrigé ” le concile de Trente. Un concile pastoral aurait corrigé un concile dogmatique ? Et, ce, sous la motion du Saint -Esprit (qui est, bien sûr, le “ grand oublié de la théologie lefebvriste ” affirme le P. Chenu) ?
Ni le cardinal Eyt, par son communiqué, ni le théologien Chenu, par son article, n’ont répondu aux critiques et requêtes des auteurs du Problème de la réforme liturgique. On peut ne pas être entièrement persuadé par la démonstration de ceux-ci, mais il y a d’autres manières de répondre qu’en jetant des pierres ( “ attristante caricature ” dit le cardinal Eyt, “ imposture intellectuelle ” dit le père Chenu).
Pour être juste, il faut dire aussi que la Croix, ensuite, le 11 avril, a laissé, dans sa tribune des lecteurs, l’abbé de La Rocque, un des auteurs du livre en question, exposer longuement sa position.

II. Quatre questions à M. l’abbé Sulmont (document)
Le Bulletin paroissial de Domqueur (80620 Domqueur), que vous dirigez, fête cette année son 30e anniversaire. Pensez-vous qu’en trente ans la situation de l’Eglise s’est aggravée ou, du moins sur certains points, améliorée ?
Pensez-vous que si la liberté de dire la messe traditionnelle était universellement rétablie, et sans conditions, de nombreux prêtres de paroisse la célébreraient à nouveau ?
Les jeunes prêtres de votre diocèse vous semblent-ils plus traditionnels, moins “ idéologisés ”, que leurs aînés (les 40/65 ans) ?
Pensez-vous qu’une réforme du missel de Paul VI soit possible ou sera-t-il nécessaire d’en venir à son abrogation ?

III. Les études précédentes sur le N.O.M.
Par la voix de son président, Loïc Mérian, le CIEL (Centre International d’Etudes Liturgiques), proche de la Fraternité Saint-Pierre, a réagi au livre sur la nouvelle messe publié par la Fraternité Saint-Pie X. Intitulée “ Enfin ! ”, sa chronique, publiée dans la Nef , estime : “ Après plus de 30 années de combat contre le rite de la messe instituée par le pape Paul VI, la Fraternité Saint-Pie X vient enfin de sortir une étude consacrée au “ problème de la réforme liturgique”. (...) En 30 années rien d’autre que quelques conférences de l’été “chaud” 1976, diverses plaquettes écrites par des laïcs, un seul ouvrage celui de Louis Salleron mais qui était surtout une réaction d’époque et c’est tout ! ” Seraient venus ensuite les travaux de Mgr Gamber, des bénédictins du Barroux, des dominicains de Chémeré-le-Roi et du CIEL, tous travaux, écrit Loïc Mérian, qui seuls constituent “ un véritable corpus de réflexion sur ces questions liturgiques qui soit sérieux... mais qui émane de la mouvance Ecclesia Dei. ”
Cette rétrospective caricaturale et injuste de trente années de combat pour la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne a valu à son auteur une réponse, ou plutôt une volée de bois vert, de Jean Madiran. Dans Présent , le 7 avril, Jean Madiran a rappelé, à juste titre, que l’abbé de Nantes, dans la Contre-Réforme catholique, de très nombreux auteurs dans Itinéraires, ont argumenté sur le sujet, produit des analyses qui ne furent pas “ rien ”. Jean Madiran fait remarquer : “ Les écrits de l’abbé Georges de Nantes, sur la messe comme sur quelques autres sujets, font partie de l’état de la question, c’est simple justice de le reconnaître. On trouve que l’omettre est plus facile que le réfuter.” Il y a eu, rappelle encore Jean Madiran, deux ouvrages de Louis Salleron : La nouvelle messe (Nouvelles Editions Latines) et Dix dialogues sur la crise de l’Eglise (Dominique Martin Morin).
Loïc Mérian, après qu’il ait cité les travaux “ de la mouvance Ecclesia Dei  ”, écrit : “ Du côté de la Fraternité Saint-Pie X rien ”.  C’est méconnaître les six ouvrages publiés par la dite-Fraternité avant Le Problème de la réforme liturgique  :
- abbé Paul Aulagnier, La Raison de notre combat, la messe catholique, Editions Saint-Gabriel, 1977.  Texte d’une longue, et très claire, conférence donnée par M. l’abbé Aulagnier en 1977 à Paris.
- abbé Didier Bonneterre, Le Mouvement liturgique, Editions Fideliter, 1980. Histoire du “ mouvement liturgique ” qui a traversé tout le XXe siècle et qui est à l’origine de la réforme liturgique de l’après-concile.
- abbé Grégoire Celier, La Dimension oecuménique de la réforme liturgique, Editions Fideliter, 1987.
- dom Edouard Guillou, Le Canon romain et la liturgie nouvelle, Editions Fideliter, 1989. Ce n’est pas un écrit de circonstance mais un commentaire, ligne à ligne, du canon romain, comparé aux textes de la nouvelle liturgie.
- La Messe traditionnelle, trésor de l’Eglise, Editions Fideliter, 1992. L’ouvrage se voulait une réponse à La Réforme liturgique en question de Mgr Gamber. Après un texte, polémique, de l’abbé Laguérie, on trouvait réédition de trois textes : une conférence de Mgr Lefebvre consacrée à ce qu’il appelait “ la messe de Luther ”, donnée à Florence en 1975 ; la conférence, déjà citée, de l’abbé Aulagnier et le Bref examen critique du Nouvel Ordo Missae  qui fut présenté en 1969 par les cardinaux Ottaviani et Bacci.
- La Raison de notre combat : la messe catholique, éditions Clovis, 1999. Le livre est la réédition des quatre ouvrages précédents (hormis le chapitre polémique de l’abbé Laguérie), augmentés de deux textes parus à l’origine dans Itinéraires : l’un du Père Calmel, en 1970, qui était une “ Déclaration ” où il exprimait les raisons de son refus du N.O.M. ; l’autre de l’abbé Raymond Dulac, en 1972, “ La bulle de saint Pie V promulguant le missel romain restauré ”.
En publiant Le Problème de la réforme liturgique, la Fraternité Saint-Pie X n’a donc pas “ enfin ” apporté sa pierre à la critique du N.O.M., on devra dire plutôt qu’elle l’a fait avec une argumentation nouvelle. C’est cette argumentation qu’il s’agit de discuter. A ce jour, ni le cardinal Eyt, ni le théologien Chenu, ni le directeur du CIEL n’ont apporté des réponses à la hauteur des analyses contenues dans le livre.
Sur le N.O.M., je ferais volontiers miennes les distinctions que m’écrit un religieux :
“ Le N.O.M. est orthodoxe, c’est-à-dire conforme à la foi. Sinon il n’y aurait plus d’Eglise. Cela n’est pas contradictoire, hélas ! avec le fait que son caractère évolutif et de saveur oecuménique puisse travailler contre la foi. Je dirais la même chose du nouveau Code de droit canon. Il n’est pas hétérodoxe mais il fait tomber des remparts. ”