29 juin 2004

"... un accord purement pratique est impossible...". Homélie prononcée par Mgr de Galarreta, le 29 juin 2004, lors des ordinations, à Écône
 Publiée dans Le Sel de la Terre n° 50 après révision par Mgr de Galarreta. Les notes et les sous-titres sont de la rédaction de la revue. Mis en ligne par www.laportelatine.org
Excellences, chers confrères dans le sacerdoce, chers ordinands, mes bien chers frères, nous voici réunis à nouveau en ce jour d'ordination, en la fête de saint Pierre et saint Paul, une journée de consolation, consolation parce que nous consolidons, nous assurons la continuation de la foi catholique, du sacerdoce catholique, la continuité de la vraie vie de l'Église catholique, et c'est donc vraiment une occasion de joie, de consolation, et une occasion de remercier Dieu, car nous sommes les plus heureux des hommes dans ce contexte-là. Mais évidemment, nos joies se mêlent toujours aux tristesses dès que l'on essaie de scruter un peu quelle est la situation en général de l'Église, quelle est l'évolution de tous les problèmes qui touchent à la vie même de la sainte Église catholique. Je pense qu'il faut essayer de jeter un coup d'œil profond et serein sur la situation telle qu'elle est. Nous pouvons affirmer sans hésitation que rien ne change, rien ne change pour l'essentiel, ce sont toujours les mêmes principes qui dirigent les activités des autorités ecclésiastiques aujourd'hui, donc de l'Église conciliaire, de l'Église moderniste, appelez-la comme vous voulez, la réalité est claire. On continue toujours dans le même sens, le même but, les mêmes intentions, ça ne change pas. Il est facile de l'illustrer.

La Révolution atteint une certaine perfection

Je prends un premier exemple. Voyez, observez quel est le discours de l'Église officielle ad extra, vis-à-vis du monde, des gouvernements, du pouvoir temporel, des institutions. Regardez le contenu de ces discours et vous ne trouverez que la dignité humaine, les Droits de l'homme, les différentes Déclarations des Droits de l'homme, la liberté, l'égalité, la fraternité. Il est clair que le principe qui dirige toute l'action de l'Église aujourd'hui par rapport à l'extérieur, c'est la liberté de conscience, la liberté religieuse. Et même quand il s'agit de défendre le droit de l'Église ou le droit naturel, on ne recourt qu'à ces arguments-là. Or il faut le dire, ce discours est beaucoup plus approprié pour les loges que pour l'Église catholique. Évidemment, vous le savez comme moi, si tout maçon est un libéral, tout libéral n'est pas un maçon, c'est clair.

Si on regarde ensuite quel est le principe qui dirige toute la vie de l'Église au­jourd'hui ad intra, c'est-à-dire vers l'intérieur, c'est l'œcuménisme, cet œcumé­nisme qui conduit forcément, nécessairement à l'apostasie et à la ruine des mis­sions, c'est-à-dire des conversions. Et le pire est que l'œcuménisme dissout l'Église à l'intérieur même. C'est surtout une dissolution. Bien qu'elle se présente comme une union, c'est surtout une dissolution et particulièrement une dissolution de la vraie foi, la foi catholique. Tout se multiplie dans ce sens-là. Nous avons vu se répéter l'abomination d'Assise. Rappelez-vous l'impression que cela avait produit sur Mgr Lefebvre. Eh bien, nous l'avons vu à Rome et maintenant nous le voyons à Fatima. Donc rien n'est épargné et tout est mis au service de cet oecuménisme qui est moteur. Ils parlent même d'une spiritualité œcuménique. Voyez l'exemple aussi des rapports vis-à-vis des orthodoxes schismatiques. Le cardinal Kasper ne voit pas de problème à sacrifier de nouveau les Uniates sur l'autel de l'œcuménisme. On l'a déjà dénoncé. Donc ce que je vois, si on regarde vraiment d'une façon posée, sereine, objective, c'est que la révolution qui s'est introduite au sein de l'Église atteint une certaine perfection, un certain achèvement.

Un esprit qui pénètre partout

Regardez en arrière dans tous les domaines, il n'y en a pas un seul où ils n'aient pas adapté tout à cette pensée moderniste, anti-chrétienne. Que ce soit la théologie, l'exégèse - l'Écriture sainte donc -, le magistère pontifical, le catéchisme, la liturgie, le droit public de l'Église, le droit canon, la spiritualité. Et on se sert de tout pour établir cette nouvelle religion. Évidemment, lorsque nous disons que c'est une nouvelle religion, nous voulons dire qu'il y a une adultération du ca­tholicisme. Apparemment c'est la même chose et c'est justement là le problème : ils adultèrent la vérité. Il y a un esprit qui pénètre - selon des mesures et des degrés différents - dans la pensée même de l'Église catholique et dans la vie de l'Église catholique. Et c'est clair et net, c'est une pensée révolutionnaire.

S'il faut la définir, quels sont ses caractères ? C'est du naturalisme, c'est du libéralisme, et c'est ce que j'ai appelé l'anthropothéisme, ce n'est plus l'anthropocentrisme, c'est vraiment l'anthropothéisme, c'est le culte de l'homme, et c'est bien cela qui nous sépare.

Pourquoi l'accord pratique est impossible

C'est dans ce contexte précis qu'on nous propose un accord purement pratique. Chose qui a été faite avec Campos, et nous en voyons sur trois ans les effets dévastateurs.

Il faut que ce soit évident pour nous : un accord purement pratique est impossible.

Lorsque a eu lieu un des premiers contacts à Rome, quelqu'un nous a dit : « Ne discutons pas de doctrine nous allons nous embourber ». Voyez, cela semble une phrase anodine, mais c'est grave. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que la vérité divise, et c'est bien ce qu'ils croient. C'est ce qui fonde la liberté religieuse, l'œcuménisme aussi. La vérité divise, donc il faut la mettre de côté. Cela rappelle beaucoup la phrase de Pilate : « Qu'est ce que la vérité ? » Et l'apôtre saint Paul nous avertit dans l'épître aux Thessaloniciens que Dieu enverra un esprit d'aveuglement à ces hommes-là, parce qu'ils n'auront pas reçu avec amour la vérité[1].

Donc voyez, au point de départ pour nous entendre, il manque un fondement essentiel. Et ensuite, comment pourrions-nous nous mettre sous l'autorité de ceux qui démolissent l'Église et qui ne veulent pas changer ? C'est la quadrature du cercle ! Vouloir garder la Tradition et obéir à ceux qui ne veulent pas changer de direction, qui sont dans le sens de la rupture avec la Tradition, la démolition de tout. Cela relève de l'utopie, de la chimère, c'est prendre ses désirs pour la réalité. Tant qu'il n'y a pas un retour de la plus haute autorité de l'Église, nous ne pour­rons pas faire un accord purement pratique. Ce n'est pas possible pour l'heure. Et à son heure, cet accord ne sera pas purement pratique.

Ce serait de la duplicité.

Ensuite, il y a encore un aspect très important, c'est que tout accord purement pratique supposerait une contradiction de notre part, une dissociation entre la foi qu'on a dans le cœur et la foi qu'on a aux lèvres. Autrement dit, entre la foi catholique et la confession de la foi catholique. Cela nous met dans une duplicité, cela relève de l'astuce, et non pas de la prudence. Car il faudrait - au moins publiquement - faire croire que nous admettons ce qui se passe actuellement dans l'Église à Rome.

Ici, je dis que nous ne pouvons pas coopérer avec ceux qui vont contre la foi catholique, c'est ce que dit l'apôtre saint Paul : Quel accord peut-il y avoir entre la lumière et les ténèbres, entre la justice et l'injustice. Ne portez pas un même joug avec les infidèles[2]. Je pense qu'on peut très bien l'appliquer ici. Donc il ne s'agit pas seulement de refuser une confusion du point de vue doctrinal, du point de vue théologique de la foi, du point de vue du culte, mais même du point de vue pratique de l'action, nous ne pouvons pas travailler ensemble parce que nous allons dans un sens contraire, absolument contraire et il s'agit de la foi. Car la condition implicite d'une entente avec nous- et même parfois condition explicite, mais comme ce qui est écrit en petits caractères dans un contrat ! -, c'est que nous reconnaissions le pluralisme, que nous reconnaissions l'œcuménisme. Cela équivaut à dire : la Tradition est admise comme un charisme particulier. Mais si nous admettons cela, nous rangeons la vérité catholique au niveau des opinions, et nous sommes en plein dans le pluralisme, l'œcuménisme, le relativisme, l'indifférentisme. Donc, il y a bien là un problème essentiel. Il est évident qu'à chaque fois ce qu'on nous propose, c'est ce qu'on pourrait appeler : la Tradition libre dans l'Église conciliaire libre. Prenez le dernier entretien du cardinal Castrillon Hoyos, qui est maintenant sur Internet et partout - il fait exprès que ce soit public -, et vous verrez. C'est une réduction extraordinaire. il dit le problème traditionaliste se réduit à une question liturgique et dévotionnelle. Donc notre attachement à la sainte messe est une question liturgique et dévotionnelle qui se réduit à une ques­tion de sensibilité et de sentiment. Notre position relèverait ainsi de la liberté de conscience, et on pourrait très bien la ramener à « l'unité dans la diversité , Le cardinal dit qu'il n'y a aucun problème à ce qu'il y ait des contraires pourvu qu'on fasse référence à cette nouvelle unité qui est fondée exclusivement sur le pape. Bien sûr parce qu'il s'agit d'un pape moderniste. Leur démarche est claire, ce qu'ils nous proposent : on vous reconnaît une particularité, mais vous reconnaissez tout le reste. Vous reconnaissez le principe qui démolit la foi, qui est en train de démolir la foi et aussi le monde. Nous assistons donc vraiment à l'établissement d'une autre foi, d'une autre religion, et nous devons être très prudents.

Ce qui console

Peut-être pouvez-vous vous dire : ce panorama est bien triste, bien désolant.

Je pense que notre consolation ne peut pas venir de la situation que nous vivons. il ne faut pas chercher la consolation là où elle n'est pas. Ce qui nous console, ce n'est vraiment pas la situation que nous avons à vivre, elle vient d'ailleurs et premièrement de Dieu, de la Providence. Saint Paul nous rappelle que toutes les choses coopèrent au bien de ceux qui aiment Dieu[3]. C'est une phrase d'une portée énorme. Tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu, pas seulement les biens, mais aussi les maux, les adversités, les souffrances, les tribulations. Cela veut dire que tout est ordonné au bien de la partie la plus noble de l'univers qui est le Corps mystique de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et donc à l'Église. Tout ce qui nous arrive est ordonné à notre bien, pourvu que nous demeurions dans l'amour de Dieu, car tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu. Et saint Augustin a une belle phrase, il dit : La tribulation sera ce que tu veux qu'elle soit, ou bien épreuve ou damnation. Si elle te trouve comme de l'or elle te purifie, elle enlève les scories; si elle te trouve comme de la paille elle te consume. Et c'est pour cela que l'Apôtre ajoute : Si Dieu est pour nous, qui est contre nous[4] ? Si Dieu est avec nous, si nous sommes avec Dieu qui est contre nous ? Et cela doit nous donner une tranquillité profonde, une espérance surnaturelle bien sûr, mais qui vaut beaucoup plus que toute espérance terrestre. Et la cérémonie que nous avons aujourd'hui précisément nous donne l'un des éléments qui doit être comme le fondement de notre persévérance et aussi de notre consolation.

Le plus difficile

Et nous devons faire des progrès dans l'amour de la croix. En effet, je crois que, dans la réalité, c'est la parole la plus difficile de Notre-Seigneur dans l'Évangile : aimer la croix. Nous le lisons souvent, et tout le christianisme est fondé sur cette vérité, ce dogme de foi : l'expiation et la rédemption par la douleur, par le sacrifice, par la croix. Toute notre foi est fondée sur cela, c'est cela la grande œuvre de Notre-Seigneur. Et par conséquent il y a une loi morale, une loi spirituelle qui est que le chrétien et surtout le prêtre doit accomplir ce qui manque à la passion du Christ. Voilà la réalité difficile à embrasser. Nous le devons, c'est l'apôtre saint Paul qui le dit aux Colossiens : je me réjouis de mes souffrances pour vous, et ce qui manque aux souffrances du Christ je l'accomplis dans ma chair pour son Corps qui est l'Église, et ensuite il ajoute : C'est pour cela que j'ai été fait ministre[5]. Donc si ce principe de l'amour de la croix est une nécessité, il s'applique surtout à notre sacerdoce, à tel point que notre fidélité au sacerdoce dépend de notre amour de la croix, et tout le problème est là, tout notre problème est là.

Notre-Seigneur est bien formel : Si le grain de froment ne tombe en terre et ne meurt pas il demeure seul, s'il meurt il fructifie beaucoup. Celui qui ne hait pas son âme en ce monde ne peut pas être fidèle[6]. Et il ajoute : Si quelqu'un me sert, qu'il me suive ; si quis mihi ministrat, sequatur me[7]. C'est après l'entrée triomphale à Jérusalem, il parle bien du sacerdoce. Donc cet amour de la croix, auquel chers ordinands, vous devez vous adonner, que vous devez acquérir, approfondir, cet amour sera la garantie de votre persévérance.

La clé, c'est la croix

Cela nous protège par exemple du désir immodéré du succès, des réussites, ce qui a été une occasion de chute pour beaucoup. Il faut accepter la croix avec patience, avec une vision surnaturelle. C'est là que se trouve la fécondité. Et cela peut aussi éviter les dangers de ce monde qui nous rejette, qui nous attire, qui nous séduit. C'est là aussi la clef pour résoudre les problèmes de toutes les familles catholiques. Comment faire pour que vos enfants gardent la foi catholique ? En définitive, je crois qu'il n'y a rien d'autre que l'amour de la croix, l'amour du sacrifice.

Il y a une préservation, un éloignement, une séparation donc un renoncement qui est inévitable si on ne veut pas être contaminé par l'esprit du monde. C'est comme s'il y avait la peste qui se généralise. Une fois qu'on a attrapé la peste, c'est très difficile de s'en sortir. Le meilleur remède c'est de ne pas l'attraper, de l'éviter. Et pour l'éviter, il faut prendre des mesures. Eh bien, ici c'est la même chose ! Plus le temps passe, plus la solution pour persévérer, pour nous maintenir c'est l'éloignement, la séparation de ce monde.

Vous me direz : c'est très dur. Oui, c'est très dur mais ce sera plus dur de perdre les générations qui viendront après nous et perdre notre âme. Et la raison profonde de cette nécessité d'embrasser davantage la croix est que la croix, le sacrifice, la souffrance est comme la condition et l'accomplissement de la charité, de l'amour. C'est bien ce que Notre-Seigneur nous montre.

Pourquoi ce besoin de souffrir ? Nous pourrions nous le dire : mais enfin, pourquoi ? mis à part qu'il y a le péché originel et qu'il faut réparer la justice. Mais cette même justice, elle se répare surtout par l'amour qui est nécessaire pour ce sacrifice. L'essence du sacrifice de Notre-Seigneur c'est cet amour de Notre-Seigneur qui atteint sa perfection, sa plénitude le jeudi saint lors de l'institution de l'eucha­ristie et le Vendredi saint. Et l'amour le plus grand de la sainte Vierge pour nous c'est sa compassion au pied de la croix. Donc la croix, le sacrifice c'est tout sim­plement la condition et l'accomplissement de l'amour, du parfait amour de Dieu, du prochain et de soi-même.

La grâce de Mgr Lefebvre

Et nous avons reçu un secours extraordinaire en la personne de Mgr Marcel Lefebvre, notre fondateur. il est évident que Dieu donne les modèles nécessaires à chaque époque. Qu'il donne les grâces et les hommes nécessaires et les exemples nécessaires pour une époque. Donc il suffirait d'approfondir le patrimoine que Monseigneur nous a laissé, de l'imiter davantage pour être beaucoup plus saint. Et je crois bien que si nous ne sommes pas plus saints c'est que nous ne suivons pas assez l'exemple de Monseigneur Lefebvre. je vous parlais par exemple de la fermeté de la foi qu'il faut aujourd'hui. Voyez quel exemple de fermeté inébranlable sur le principe, sur la foi, quelle cohérence entre sa foi et sa vie et aussi quelle véracité : est, est, non non[8]. Quelle prudence ! Il était extrêmement prudent, perspicace, mais aussi très fort et très simple, très franc.

S'il s'agit de cette confiance qu'il faut avoir dans la Providence, il nous inculquait toujours de suivre la Providence, de ne pas la devancer, de ne pas se substituer à la Providence ; quand on devance la Providence, on se substitue à la Providence. Donc il avait l'humilité, il savait ce qu'il était. Il ne se prenait pas pour l'Église ou pour la Providence. Et en même temps il avait une grande confiance car il ne se confiait pas en lui mais en Dieu, en la Providence qui ne va pas abandonner son Église, ni la vraie foi. Et cette confiance entièrement fondée sur la Providence divine et le secours divin lui permettait d'être magnanime. Et nous sommes tous là grâce à Mgr Lefebvre.

La croix selon le mode le plus doux

Et l'amour de la croix aussi. je pense qu'il nous a appris l'amour de la croix selon le mode le plus doux et le plus adapté à nos misères et à nos faiblesses: l'amour du saint sacrifice de la messe et une spiritualité fondée sur le saint sacrifice de la messe. Et c'est très consolant cette façon d'approcher le mystère de la croix par la sainte messe. Puis par le dévouement, dans le zèle, la charité, l'amour de Dieu et l'amour des âmes, voilà sa façon de vivre le mystère de la croix et l'amour de la croix.

Et c'est cela que Dieu nous demande. Pas besoin de chercher ailleurs, on a suffisamment d'éléments, de conditions et de situations pour vivre profondément tout cela. Et il nous a transmis cet amour de la croix qui consiste à tout donner et à se donner totalement, comme dit saint Thomas, avec joie. Saint Paul dit que Dieu aime ceux qui donnent avec joie[9]. Mgr Lefebvre nous a appris cela. Alors suivons les pas de ceux qui nous ont précédés dans le bon combat et qui ont eu des grâces extraordinaires dans cette crise pour la défense de la vraie foi et de la sainteté. Et demandons donc en ce jour à la très sainte Vierge Marie et à son Cœur Immaculé car c'est à elle que Dieu a confié la situation présente et ses apôtres - bientôt les apôtres des derniers temps - ; plus nous approchons des derniers temps, plus le rôle de la très sainte Vierge Marie est important par rapport à l'Église, par rapport à l'histoire, par rapport aux apôtres. Alors demandons à la très sainte Vierge Marie de nous donner cette fidélité sacerdotale en suivant l'exemple de Mgr Lefebvre, en étant forts dans la foi, en étant pour ainsi dire intraitables au sujet de la foi. Mais aussi d'avoir cette foi profonde dans l'amour de Dieu, c'était sa devise : Credidimus caritati, nous avons cru à l'amour de Dieu. Or cet amour de Dieu, de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c'est l'amour de la croix et du sacrifice. Alors ! Que la sainte Vierge nous donne vraiment à tous cet amour et ce zèle qui est l'ardeur de l'amour, cet amour crucifié, sacrifié pour les âmes, pour la sainte Église, pour l'honneur de Dieu et de la très sainte Vierge Marie, notre mère.

Ainsi soit-il !

Notules
[1] 2 Th 2, 11 : Ideo mittet illis Deus operationem erroris, ut credant mendacio, ut Judicentur omnes qui non crediderunt veritati.
[2] 2 Co 6, 14 : Nolite jugum ducere cum infidelibus; quœ enim participatio justitiœ cum iniquitate ? Aut quae societas luci ad tenebras ?
[3] Rm 8, 28 Diligentibus Deum, omnia cooperantur in bonum.
[4] Rm 8, 31 Si Deus pro nobis, quis contra nos ?
[5] Col 1, 24-25 : Nunc gaudeo in passionibus pro vobis, et adimplebo ea quae desunt passionum Christi in carne mea, pro corpore eius quod est Ecclesia, cujus factus sum ego minister secundum dispensationem Christi […]
[6] Jn 12, 24-25 : Nisi granum frumenti cadens in terram mortuum fuerit, ipsum solum manet ; si autem mortuum fuerit, multum fructum affert. Qui amat animam suam, perdet eam ; et qui odit animam suam in hoc mundo, in vitam œternam custodit eam.
[7] Jn 12, 26.
[8] Mt 5, 37 et Jc 5, 12 : Que votre oui soit oui et que votre non soit non.
[9] 2 Co 9, 7 : Hilarem enim datorem diligit Deus.

27 juin 2004

[Aletheia n°59] "Levez-vous! Allons!"

Aletheia n°59 - 27 juin 2004
Un nouveau livre autobiographique du Pape.
Saint Josémaria Escriva.
Revue des revues.


 
“ Levez-vous ! Allons ! ”
Après Ma vocation, don et mystère (1996), publié à l’occasion du 50e anniversaire de son ordination sacerdotale, Jean-Paul II publie un nouveau livre autobiographique consacré, cette fois, à son ministère épiscopal[1]. Il y a du pathétique autant que de l’admirable dans ce Pape dont la santé semble, certains jours, tenir à un fil et qui, pourtant, trouve encore la force non seulement d’accomplir l’essentiel de sa mission pontificale mais aussi de livrer longuement son témoignage sur ses années épiscopales (1958-1978).
Si l’on compare la biographie la plus volumineuse parue à ce jour sur le Pape[2] et le dernier livre publié par Jean-Paul II, on trouve dans celui-ci bien des choses nouvelles et éclairantes, et pas seulement sur les années évoquées. Ainsi sur le sens à donner au premier grand voyage pontifical, au Mexique, en janvier 1979. Ce ne fut pas seulement pour s’opposer à la “ théologie de la Libération ”, mais aussi pour ouvrir d’autres portes : “ Je me rappelle que j’ai interprété ce voyage au Mexique comme une sorte de “laissez-passer“ qui pouvait m’ouvrir la route au pèlerinage en Pologne. J’ai pensé en effet que les communistes de Pologne ne pouvaient me refuser l’autorisation de retourner dans ma patrie après que j’eus été reçu dans un pays à Constitution totalement laïque comme le Mexique d’alors. Je voulais me rendre en Pologne et cela a pu se réaliser au mois de juin de la même année ” (p. 58-59).
Le livre nous apprend aussi ou nous confirme les influences intellectuelles, spirituelles ou pastorales qui ont marqué le futur pape.
Sur le plan intellectuel, il y a eu, fait bien connu, l’influence du personnalisme : “ j’ai beaucoup été aidé par le personnalisme, que j’ai approfondi durant mes études de philosophie ” (p. 69). Il y a aussi l’affirmation suivante : “ Ma position philosophique personnelle se situe, pour ainsi dire, entre deux pôles : le thomisme aristotélicien et la phénoménologie ”[3].
Sur le plan spirituel, il y a eu l’influence de Mgr Pelczar, grande figure d’évêque peu connue encore en France (bien que Jean-Paul II l’ait béatifié puis canonisé). De l’œuvre principale de Mgr Pelczar, L’ascèse sacerdotale, Jean-Paul II écrit : “ Ce livre est le fruit de sa riche vie spirituelle, et il a exercé une profonde influence sur des générations entières de prêtres polonais, spécialement de mon temps. Mon sacerdoce aussi a été modelé d’une certaine façon par cette œuvre ascétique ” (p. 118).
Sur le plan pastoral, Jean-Paul II indique que les Journées Mondiales de la Jeunesse – qui seront un des héritages les plus spectaculaires du pontificat – “ en un sens, sont nées ” du “ Mouvement des oasis ” fondé en Pologne par l’abbé Franciszek Blachniki dans la Pologne communiste. “ J’ai été beaucoup lié à ce mouvement et j’ai essayé de l’aider de toutes manières ” écrit le Pape. On ajoutera que Franciszek Blachniki, qui était d’un an le cadet du pape, est mort en 1987 et dès 1995 son procès de béatification a été ouvert.
On pourrait relever encore l’attention portée à “ la pastorale des familles ” dès les premiers temps du ministère épiscopal ou encore, fait bien connu celui-là, la chapelle non seulement comme lieu de prière et de méditation mais aussi comme lieu de réflexion intellectuelle (dans la chapelle privée de l’archevêché de Cracovie, “ non seulement, écrit le Pape, je priais mais je restais aussi assis et j’écrivais. C’est là que j’ai écrit mes livres, entre autres la monographie Personne et Acte ”, p. 133).
Un “ pape dialectique ” ?
Celui qui signe Joël Prieur, dans le dernier numéro paru de Pacte[4], estime que ce livre “ ne nous apprendra pas grand chose de plus sur ce géant spirituel ”. Le jugement est sévère et, au regard des quelques faits relevés ci-dessus, injuste.
En revanche, celui qui signe Joël Prieur est plus convaincant quand, après avoir cité Jean-Paul II (“ les saines traditions favorisent l’audace commune de l’imagination et de la pensée et une vision ouverte sur l’avenir ” p. 159), il voit la clef du pontificat dans l’ “ idéal d’une tradition revisitée par la modernité ou d’une modernité enfin située dans la Tradition. ”
Tous les historiens s’accordent à estimer qu’avec Jean-Paul II il y a eu un “ recentrage ” du discours pontifical et de la pastorale du Saint-Siège (au sens du Retour au Centre [qui est le Christ] du théologien Hans Urs von Balthasar). Celui qui signe Joël Prieur interprète ainsi la politique pontificale : “ Jean-Paul II est le pape qui, consciemment, choisit de ne pas choisir, parce qu’il choisit tout, certain qu’une dynamique naîtra de la dialectique qu’il instaure savamment entre tradition et modernité. ”
Est frappant aussi le regard optimiste que pose Jean-Paul II sur l’Eglise dans le monde. C’est sans doute parce que son regard ne s’arrête pas à l’Europe occidentale déchristianisée mais est ouvert sur l’universalité que Jean-Paul II a une vision ascendante de l’humanité : “ l’homme s’ouvre sans cesse à l’incessante irruption de Dieu dans le monde des hommes ; c’est la marche de l’homme vers Dieu, un Dieu qui, pour sa part, conduit les hommes les uns vers les autres ” (p. 184).
On en revient à la double question de celui qui signe Joël Prieur : “ Peut-on faire confiance aux lois de la dialectique pour que croisse une tradition vivante ? Peut-on envisager l’histoire de l’Eglise sur le mode d’une “Eglise qui se fait histoire“ (card. Hamao), c’est-à-dire qui vit successivement dans son enveloppe terrestre les phases alternées de la thèse, de l’antithèse et de la synthèse ? ”.
Saint Josémaria Escriva
Le fondateur de l’Opus Dei, canonisé par Jean-Paul II en 2002, connaît son biographe le plus scrupuleux avec Andrès Vasquez de Prada. C’est une biographie “ autorisée ”, en ce sens que l’auteur, membre de l’Opus Dei et qui a connu Mgr Escriva de Balaguer depuis 1942, a eu accès aux Archives générales de la Prélature, au Summarium de la Cause de béatification et de canonisation, et à d’autres documents inédits.
Après un premier volume paru en 2001, et déjà présenté ici, le second tome, encore plus volumineux,  nous emmène jusqu’en 1946[5]. Un autre tome suivra bientôt qui ira jusqu’à la mort du fondateur (1975).
Ce second volume porte sur la décennie 1936-1946, marquée, en Espagne, par la terrible Guerre civile. C’est une période dramatique pour tous, y compris pour Josémaria Escriva. Pendant cette période, l’œuvre, dont le fondateur dira avoir eu la première inspiration à Madrid le 2 octobre 1928, reçut sa première approbation canonique comme “ pieuse union ” en 1941. Un statut particulier que nécessitait la situation particulière des membres de l’Opus Dei : ses membres prêtres n’étaient pas des religieux et ses membres laïcs  ne constituaient point un tiers-ordre mais étaient, par leurs engagements, beaucoup plus que les membres d’une confrérie.
Andrès Vasquez de Prada ne cache rien des rumeurs, vraies ou fausses, calomnies et campagnes de dénigrement qui ont accompagné l’Opus Dei presque dès ses origines[6]. Josémaria Escriva était persuadé, en 1941, que dans l’entourage du nonce à Madrid, Mgr Cicognani, certains voulaient faire condamner à Rome son livre, Chemin (p. 504).
Il évoque aussi les grâces extraordinaires dont bénéficiait Josémaria Escriva : “ les illuminations, les locutions intérieures, le don des larmes, la capacité de discerner les esprits, le secours de la Sainte Vierge et des anges gardiens ” (p. 328). Le premier volume nous avait déjà appris que depuis l’âge de seize ans et pendant dix ans, jusqu’à la fondation de l’Opus Dei, Josémaria Escriva avait reçu beaucoup de grâces extraordinaires, “ principalement sous la forme d’inspirations et d’illuminations ” (t. I, p. 291). Beaucoup de ces grâces ne seront jamais connues parce que le fondateur, qui les notait sur un cahier, l’a détruit de peur qu’on ne le prenne pour un saint.
Dans les volumes suivants, l’auteur devra évoquer les relations de l’Opus Dei et du régime franquiste. C’était un des reproches faits habituellement à Mgr Escriva de Balaguer par ses adversaires. Dans ce second volume, on relève deux faits qui permettent déjà un premier éclairage sur le sujet : l’hostilité que la Phalange manifeste, au début des années 40, à l’égard de l’Opus Dei, considéré comme une “ société secrète ” d’esprit “ internationaliste ”. Et, a contrario, l’estime, qu’à cette époque, Franco a pour Josémaria Escriva puisqu’il lui demande, en 1946, de venir prêcher une retraite au palais du Pardo, retraite qu’il suit du 7 au 12 avril en compagnie de son épouse.
REVUE DES REVUES
. La Revue de l’Association des Ecrivains catholiques de langue française (82 rue Bonaparte, 75006 Paris), dans son n° 92, de mai 2004, publie deux articles sur le film de Mel Gibson, “ La Passion ”. Le second, dû à André Blanc, dit en neuf points, bien argumentés, sa “ déception ”. C’est, dans les milieux catholiques traditionnels, un des seuls articles parus qui ne se soient pas joints aux dithyrambes inconditionnels, revers des condamnations et désapprobations en provenance d’autres milieux.
. Certitudes, dans son n° 15 (23 rue des Bernardins, 75005 Paris, 8 ¤ le numéro), revient sur la “ nouvelle religion ” de certains évêques qu’ont révélée certains communiqués et certaines réactions face au film de Mel Gibson comme face à l’exégèse post-moderne de Mordillat dans Corpus Christi.
Ce même numéro contient un intéressant article de l’abbé de Tanoüarn sur Bossuet et les quiétistes.
Signalons encore que le prochain numéro de la revue, le n° 16, contiendra une longue réponse argumentée de Paul Sernine aux critiques qu’ont suscitées son livre, La Paille et le Sycomore. À propos de la “ gnose ”.
. Sedes Sapientiae (Société Saint-Thomas-d’Aquin, 53340 Chémeré-le-Roi, 8 euros le numéro), publie, dans son n° 87, un long article du P. de Blignières intitulé “ Ecclesia Dei, quinze ans après : un bilan contrasté ” (p. 3 à 29).
Après l’évocation des faits marquants de ces dernières années (aussi bien les accords de Campos que la crise au sein de la Fraternité Saint-Pierre et, dans la Fraternité Saint-Pie X, le “ brutal renvoi en 2003 de l’abbé Paul Aulagnier ”), le P. de Blignières relève les faits positifs survenus dans les fraternités et communautés de la mouvance Ecclesia Dei : de nouveaux lieux de culte selon le rite traditionnel s’ouvrent chaque année avec l’accord d’évêques diocésains, “ l’Institut du Christ-Roi est présent dans onze diocèses, la Fraternité Saint-Pierre dans plus d’une vingtaine de diocèses ”. Et encore : “ les camps et pèlerinages trouvent aujourd’hui dans les églises paroissiales, de la part des desservants et des sacristains, voire des évêques, un accueil souvent plus ouvert qu’il y a quelques années. ” Ces faits positifs ne doivent pas masquer les résistances et les refus, auxquels l’auteur ne fait qu’allusion.
Dans cet article intéressant, on relève encore cette remarque avisée sur “ une tendance croissante des théologiens de la Fraternité Saint-Pie X ” : “ déceler en toute évolution – même possiblement homogène – de l’enseignement magistériel, la présence du relativisme ou de l’historicisme […] mettre sur un pied d’égalité toutes les parties des documents magistériels : l’enseignement directement visé sur lequel porte l’assistance, et les considérants ou les instruments d’expression qui peuvent être marqués de défaillances ”[7]. Et encore, la tentation de lire “ les textes du magistériel authentique […] à la lumière de leurs interprétations les plus discutables émanant de théologiens ou de certains évêques ”.
. Dans la dernière Lettre aux Amis et Bienfaiteurs du District de France de la FSSPX, n° 66 (B.P. 125, 92154 Suresnes Cedex), le Supérieur général, Mgr Bernard Fellay, décrit ainsi les relations actuelles entre la Fraternité sacerdotale fondée par Mgr Lefebvre et le Saint-Siège : “ Rome insiste pour que nous acceptions la proposition d’une “juridiction personnelle“. Le problème n’est pas dans la formule juridique, qui nous semble acceptable dans son principe, quoique nous ne connaissions pas les éléments concrets et les implications d’une telle “formule juridique“. Le problème se situe encore et toujours au niveau de la doctrine, de l’esprit chrétien qui habite ou n’habite pas — et c’est là toute la question — des textes ambigus et des réformes désastreuses pour le bien surnaturel des fidèles. “
Mgr Fellay reconnaît : “ Nous sentons certes de plus en plus de sympathie chez certains évêques, aussi à Rome. Il nous semble que nous avançons, que la Tradition fait des progrès dans le monde catholique. ” Néanmoins, estime Mgr Fellay, “ cela n’est pas encore suffisant. Nous avons récemment demandé officiellement le retrait du décret d’excommunication comme un premier pas concret de la part de Rome. Cela changerait le climat et nous pourrions mieux voir comment les choses se développent. ”
----------
[1] Jean-Paul II, Levez-vous ! Allons !, Plon/Mame, 2004, 197 pages, 17 euros.
[2] George Weigel, Jean-Paul II. Témoin de l’espérance, JC Lattès,1999.
[3] La phénoménologie, ce fut surtout, chez le futur pape, la lecture d’Husserl, de Scheler et d’Edith Stein.
[4] Pacte (23 rue des Bernardins, 75005 Paris), n° 86, 2,50 euros le numéro.
[5] Andrés Vazquez de Prada, Le Fondateur de l’Opus Dei. Vie de Josémaria Escriva, vol. II, Paris, Le Laurier/Montréal, Wilson & Lafleur, 2003, 804 pages, 28 euros.
[6] Les rumeurs n’ont pas cessé jusqu’à aujourd’hui. Par exemple, l’ “ Association pour la famille ” (APF), dont le siège est à Paris et qui a de nombreuses filiales en province, est réputée, dans plusieurs ouvrages et sur internet, être un relais de l’Opus Dei. Interrogé sur le sujet, l’Opus Dei déclare ne pas connaître cette association.
[7] Le P. de Blignières cite, en note, deux Instructions de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.



18 juin 2004

Lettre aux amis et bienfaiteurs n°66 - Mgr Fellay, Supérieur Général de la FSSPX
18 juin 2004
Chers amis et bienfaiteurs,

Comme nous aimons pouvoir vous communiquer de temps en temps nos joies apostoliques ! En effet, que de miracles de la grâce nous pouvons admirer chaque jour qui passe. Sachons remercier le Dieu Tout Puissant, soyons pleins de reconnaissance pour les bienfaits que nous octroie l’intercession du Cœur Immaculé de Marie. La vie de la Fraternité est vraiment un miracle permanent, nous osons le mot. Il exprime l’intervention de Dieu dans notre petite histoire, l’intervention de Notre Dame, des saints anges, de tout ce monde qui nous entoure, qui nous veut du bien, nos amis du Ciel, que nous ne voyons pas et à qui nous pensons malheureusement si peu, alors qu’ils sont si proches, si prêts à nous aider, si efficaces ! Ils sont bien réels, ils font bien partie de notre histoire et leur secours parfois tangible nous force à accepter cette merveilleuse réalité de la communion des saints. Lorsque nous comparons nos propres forces et les résultats de nos efforts, nous sommes bien obligés de confesser que cela ne vient pas de nous.
Tant et tant d’édifices nouveaux, de chapelles, un peu partout dans le monde, aux Philippines, en Inde, en Amérique du Sud, du Nord, en Europe, à l’Est, sont aussi le signe d’une impressionnante vitalité de la grâce. L’expérience nous a enseigné que même l’opposition du clergé que nous rencontrons de manière plus forte dans les régions où nous sommes établis depuis relativement peu de temps sert pour la bonne cause. « Tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu. »

Nous aimerions aussi partager avec vous quelques soucis et peines.
Tout d’abord en Ukraine. Ces derniers mois, les prêtres que nous soutenons à travers la Fraternité saint Josaphat ont eu à subir les assauts furieux de leur évêque, le cardinal Husar. Ce dernier a fulminé par la voie des ondes la grande excommunication contre le Père Wasil et ses compagnons. Parce qu’il s’est associé à un mouvement schismatique…
Cette censure, la plus grave que l’on puisse trouver dans le droit oriental, fut portée sans procès préalable. Après le recours du Père à Rome, le cardinal s’est mis en peine de commencer à suivre les dispositions du droit. Le tout consistait pour lui à compléter le vide juridique justifiant la sentence déjà prête et déjà portée. Nihil novi sub sole.
Bien évidemment, les autorités ecclésiastiques essaient aussi de récupérer les églises, celles construites par le Père Wasyl inclues. C’est certes un coup très dur et vos prières les soutiendront dans ce combat nouveau pour eux. Jusqu’ici, ils dont dû défendre leur foi contre un ennemi terrible, le communisme athée, maintenant, ce sont les propres pasteurs qui les attaquent.
Jusqu’ici, les prêtres résistent bien, les fidèles les secondent. Mais à chaque fois, ce sont des âmes qui sont déstabilisées ; certaines, dégoûtées, abandonnent tout… histoire connue.

Et du côté de Rome ?
Commençons par Fatima. L’an dernier la construction d’un nouvel édifice à usage pluri-religieux a été annoncé.
Même si dans les publications officielles du sanctuaire, l’on reste très silencieux sur la nature du projet, cependant, dans les actes, l’on n’en est pas resté là : le 5 mai, un groupe d’hindouistes a envahi le lieu de l’apparition de la Sainte Vierge, avec bien évidemment toutes les autorisations officielles. Sur ce lieu sacré, si cher aux catholiques, ils se sont livrés à leur idolâtrie :

« C’est un moment unique et sans précédent dans l’histoire du sanctuaire. Le prêtre hindou, ou Sha Tri, récite à l’autel la Shaniti Pa, la prière pour la paix. On peut voir les hindous enlever leurs souliers avant de s’approcher de la balustrade du sanctuaire, pendant que le prêtre prononce les prières à l’autel dans le sanctuaire. »

L’évêque et le recteur du sanctuaire furent affublés par la suite d’un châle de prière hindou… la belle affaire. Quelle provocation contre le christianisme !
Alors parlons d’accord !
Tant que les autorités romaines laissent faire de pareilles abominations, ou pire, les soutiennent, elles s’éloignent de tout accord avec la tradition. Jamais nous ne nous plierons à de tels affronts faits à notre Mère du Ciel, à la Mère de Dieu. L’on se demande parfois si non seulement la foi, mais même le bon sens n’aurait pas été perdu. Deus non irridetur. De Dieu, on ne se moque pas.
De tels actes demandent réparation. Et nous pensons très sérieusement à vous inviter à un acte de solennelle protestation à Fatima l’an prochain.

Pour ce qui est de Rome plus directement, Rome insiste pour que nous acceptions la proposition d’une “juridiction personnelle”. Le problème n’est pas dans la formule juridique, qui nous semble acceptable dans son principe, quoique nous ne connaissions pas les éléments concrets et les implications d’une telle « formule juridique ». Le problème se situe encore et toujours au niveau de la doctrine, de l’esprit chrétien qui habite ou n’habite pas - et c’est là toute la question - des textes ambigus et des réformes désastreuses pour le bien surnaturel des fidèles. Nous sentons certes de plus en plus de sympathie chez certains évêques, aussi à Rome. Il nous semble que nous avançons, que la Tradition fait des progrès dans le monde catholique. Mais cela n’est pas encore suffisant. Nous avons récemment demandé officiellement le retrait du décret d’excommunication comme un premier pas concret de la part de Rome. Cela changerait le climat et nous pourrions mieux voir comment les choses se développent. Une chose est sûre : nous ne voulons pas de la situation dans laquelle s’est mise la Fraternité Saint Pierre et la majorité des groupes Ecclesia Dei. Ils sont ligotés, il leur est tout juste permis de célébrer la messe tridentine. Ils se trouvent la plupart du temps dans des situations vraiment odieuses. Le cardinal Castrillón a parfaitement raison de réclamer pour les traditionalistes un statut qui ne soit pas celui d’un citoyen de seconde zone1. Mais n’est-ce pas à Rome qu’il reviendrait d’abord de changer cet état de fait ?

Que d’intentions de prières, chers bienfaiteurs. Soyez assurés de notre profonde reconnaissance pour tous vos sacrifices, si précieux, si agréables à Dieu et qui nous aident puissamment dans notre apostolat. Que Dieu vous le rende, que le Sacré Cœur vous bénisse et que sa très Sainte Mère vous protège ainsi que vos familles



Le 18 juin 2004
en la fête du Sacré Coeur

† Bernard Fellay
Supérieur général
Chers amis et bienfaiteurs,

TRADITION ET MODERNISME

Commentant un incident survenu durant le Concile Vatican II et ayant trait à la collégialité, Monseigneur Henrici déclarait qu'il "illustre au moins clairement l'affrontement de deux traditions différentes de la doctrine théologique, qui ne pouvaient, au fond, se comprendre mutuellement(1). Cette petite phrase n'est pas anodine ; dans sa brièveté elle décrit la grande tragédie qui frappe l'Eglise depuis quarante ans. Deux pensées opposées, deux pensées qui ne peuvent pas se comprendre se livrent un combat sans merci dont l'enjeu n'est rien d'autre que la direction de l'Eglise.
Quinze ans après le concile, le pape Paul VI exprimait à peu près la même pensée à son ami Jean Guitton. "Il y a un grand trouble en ce moment dans l'église et ce qui est en question, c'est la foi. Ce qui m'effraie, quand je considère le monde catholique c'est que, à l'intérieur du catholicisme, semble prévaloir parfois un courant de pensée de type non catholique et qu'il peut arriver que ce courant non catholique à l'intérieur du catholicisme l'emporte demain, mais il ne représentera jamais la pensée de l'église. Il faut que subsiste un petit troupeau, aussi petit soit-il (2). Auparavant, le pape se demandait si nous étions dans les derniers temps.
Dans sa déclaration du 21 novembre 1974, en exprimant son adhésion inébranlable à la Rome éternelle et son rejet tout aussi déterminé de la Rome moderniste, Monseigneur Lefebvre ne disait pas autre chose.
On ne peut qu'être frappé de la concordance de l'analyse des trois personnes citées ci-dessus, surtout du fait qu'elles viennent d'horizons profondément différents. Tous les trois constatent l'existence d'une rivalité extraordinaire entre deux manières de voir, deux Weltanschauung (visions du monde) incompatibles au sein même de l'Eglise catholique. L'une de ces pensées n'est rien d'autre que l'enseignement traditionnel catholique, ce que l'Eglise a toujours et partout enseigné : la foi catholique avec toutes ses implications pratiques. L'autre est une pensée moderne, dénoncée par saint Pie X comme un modernisme agnostique et évolutionniste, et qui, de menace au début du XXe siècle, s'est transformée en véritable plaie gangrenant toute la vie de l'Eglise dans la deuxième moitié de ce même XXe siècle. Cette pensée de type non catholique a effectivement triomphé lors du concile. Depuis, elle paralyse la vie de la foi, la vie surnaturelle, par quantité de réformes imposées à l'Eglise au nom de l'esprit du Concile Vatican II.
Il y a une logique, une cohérence dans tout système de pensée ; et tout système de pensée tend à une réalisation concrète, à une action. Il est ainsi dans la nature des choses que cet ensemble d'efforts que l'on appelle réformes post-conciliaires, reflétant l'esprit de Vatican II, ait provoqué le désastre dont souffre l'Eglise depuis le Concile. Cette pensée est de soi étrangère à l'Eglise. Par quelque fissure, la fumée de Satan a pénétré dans le temple de Dieu. Affublée d'un apparat ecclésiastique, elle entend se faire passer aujourd'hui pour la norme catholique. À cause de notre opposition à ce système nouveau, nous avons été condamnés. La Tradition catholique que nous épousons a été rejetée de la vie de l'Eglise, au moins marginalisée, dépréciée comme désormais désuète.
Pour s'en rendre compte, considérons par exemple la profondeur des changements imposés à la vie religieuse, cette fleur si précieuse de la voie des conseils qui exprime au commun des fidèles et aux hommes du monde entier l'éloignement du monde comme chemin de la perfection chrétienne. "Si quelqu'un veut être mon disciple, qu'il se renonce, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Qu'il vende tous ses biens…" Ce qui a été en grande partie perdu dans la volonté de réforme de la vie religieuse et de son adaptation au monde d'aujourd'hui, ce n'est pas seulement un éloignement physique du monde, objet des conseils évangéliques, mais avant tout et plus profondément ce rejet du monde que demande l'église par les promesses du baptême, avec toutes ses exigences nécessaires au salut. Cette perte se constate dans d'innombrables détails de la vie des Congrégations religieuses, comme par exemple la suppression du port de l'habit.
Il faut dire la même chose de la vie sacerdotale. Cette pensée étrangère à l'Eglise qui s'est introduite en Elle a profondément déstabilisé un élément encore plus profond et plus nécessaire à la vie du Corps mystique : le sacerdoce. La perte de la notion de sacrifice pour réparer les péchés, la perte du sens du sacrifice et même le rejet de la croix chez un nombre impressionnant de prêtres sont intimement liés à cette nouvelle pensée qui a engendré une nouvelle messe, le Novus Ordo Missæ. Et ainsi de toutes les réformes. Tout se tient. Avec une redoutable logique interne. Oui, il faut le dire et le répéter, les bouleversements imposés dans la vie de l'Eglise depuis le Concile sont les fruits de l'irruption en son sein d'une pensée étrangère et destructrice de la spécificité catholique.
Le plus tragique dans cette situation vient de ce que cette pensée non catholique est comme assumée par l'autorité de l'Eglise et imposée au nom de l'obéissance, ce qui a rendu sa diffusion malheureusement si efficace et a empêché une réaction normale d'opposition dans tout le Corps Mystique contre le poison mortifère.

L'ENCYCLIQUE SUR L'EUCHARISTIE ET LA MESSE DU 24 MAI

Lorsque nous considérons les divers événements de ces derniers mois, il me semble important de rappeler cette trame tragique de notre histoire. En effet notre critère de jugement pour apprécier les événements de l'Eglise et du monde doit nécessairement inclure cette donnée fondamentale : nous ne pourrons estimer comme valables, déterminants et vraiment bons, que les événements influant réellement sur cette trame. En clair, nous croirons que Rome fait vraiment un geste envers la Tradition si et lorsque celui-ci, d'une manière ou d'une autre, infléchira et corrigera la ligne générale anti-traditionnelle qui continue à empester l'Eglise.
La nouvelle encyclique sur la sainte Eucharistie a-t-elle eu cette influence ? Malgré les apparences et les très heureux rappels du Concile de Trente, malgré la dénonciation d'un certain nombre d'abus, toutes choses bonnes en soi et que nous saluons avec joie, la pensée de fond et l'ensemble des circonstances qui accompagnent cette Encyclique nous font répondre : malheureusement non. La messe à laquelle fait référence l'Encyclique d'un bout à l'autre est bien la nouvelle messe, la messe réformée au nom de Vatican II. Cela dit tout. Cela implique une volonté de modifications cosmétiques et superficielles et non pas un changement radical absolument nécessaire pour "revenir à la Tradition". Nulle part on ne trouve une remise en question même partielle des réformes liturgiques, même si on admet des erreurs, des abus etc. Cette encyclique n'entend pas revenir en arrière, elle entend seulement ordonner de manière moins mauvaise la doctrine sur la sainte Eucharistie. Si l'on est disposé à changer la confiture, on refuse a priori de changer la tranche de pain moisi sur laquelle on l'a étalée. Si bien que l'ensemble reste indigeste et dangereux pour la santé.
La messe célébrée par le Cardinal Castrillon Hoyos le 24 mai dans la Basilique de Sainte Marie Majeure dont nous nous sommes réjouis serait-elle ce signal du retour ? Serait-elle à interpréter comme une faible expression d'une ferme volonté de changer le cours désastreux des événements ? Par manque de conviction, par peur de l'opposition progressiste, le geste beau restera un geste unique et n'est pas l'heureuse annonce de la libération de la messe tant attendue par les fidèles de la Tradition : le prêtre-assistant de cette messe, celui qui avait l'honneur d'accompagner le Cardinal à l'autel, bien que muni du Celebret Ecclesia Dei s'est vu refuser le matin même du 24 mai la célébration de cette messe tridentine à Saint Pierre. Voilà qui est éloquent.
Il y a ainsi un mélange incompatible d'ancien et de moderne, du moins c'est ainsi que nous le voyons, à la lumière de la Tradition. Mais l'esprit moderne, pour qui le principe de non contradiction est sublimé ne l'entend pas comme nous : il absorbe les deux éléments antagonistes. Il accepte le contradictoire ; à une condition cependant : que l'ancien renonce à le rejeter, qu'il renonce à l'exclusivité.
Le caractère contradictoire se retrouve de manière éclatante - dans l'Encyclique - dans la question de l'admission des non catholiques à la communion. La distinction entre groupe (à qui il faudrait refuser la sainte Eucharistie parce que hors de la communion ecclésiale) et individu (à qui on peut la donner s'il croit en la sainte Eucharistie) n'est pas acceptable. Car et la foi et la communion ecclésiale sont indépendantes de la question de groupe.
La théologie enseigne que la négation d'une seule vérité de la foi suffit pour ôter toute la foi (cf. Pie XII, dogme de l'Assomption). Et donc on ne peut pas dire du non catholique qui rejette certains dogmes qu'il aurait objectivement la "foi en la sainte Eucharistie" et que cette condition serait suffisante pour recevoir la communion.

RELATIONS AVEC ROME

Nous rencontrons le même problème quant à nos relations avec Rome. Si Rome est disposée à nous recevoir et même nous y invite, c'est dans cette nouvelle perspective large et pluraliste qui accepte que des points de vue contradictoires puissent coexister (puisqu'elle ignore la contradiction). Il ne s'agit pas ici d'opinions divergentes acceptables et qui font la richesse de l'Eglise dans leur diversité. Il s'agit d'une pensée non catholique qui veut à tout prix se faire accepter par et pour tous.
La foi catholique par contre est exclusive, comme toute vérité ; elle ne peut accorder de droit à son contraire, même si des circonstances extérieures en vue du bien commun demandent parfois la tolérance.
L'esprit catholique qui découle de cette foi est exclusif, lui aussi, et il est incompatible avec l'esprit du monde, même si dans la vie de nombreux fidèles on peut rencontrer cette incohérence et ce mélange de catholique et de mondain.
Nous sommes conscients que notre exposé est un peu schématique. Lorsque nous parlons de Rome moderne ou de Rome actuelle, il faut ajouter que celle-ci n'est pas moderniste de façon monolithique, et qu'à Rome même un certain nombre de prélats veulent réagir contre cette catastrophe ; mais jusqu'ici, tout indique que la ligne directrice reste encore celle des réformes post-conciliaires, au nom du Concile intouchable. Il reste que implicitement ou explicitement c'est toujours le Concile et la nouvelle messe - en tant que norme actuelle et générale de la vie catholique - que Rome entend nous imposer. C'est bien cette pensée étrangère dont nous avons parlé plus haut que l'on veut encore et toujours nous faire avaler. Rome en fait la condition sine qua non de notre régularisation. Il ne nous reste donc qu'à continuer notre grève de la faim (des nouveautés), jusqu'à ce qu'enfin Rome veuille bien nous donner - et à tout le Corps mystique - le pain nourrissant de la Tradition catholique que nous quémandons dans cette nuit déjà bien longue. Mais nous ne nous lasserons jamais de frapper. C'est le Seigneur qui nous a enseigné à faire ainsi. Et il a les paroles de la Vie Eternelle. Nous croyons à Sa Toute-Puissance, nous croyons à Ses promesses.

Daigne Notre Dame, Mère de l'Eglise, si grande et si maternelle nous protéger, nous conduire sur les chemins de la patience et de la fidélité et, "cum prole pia" (3) vous bénir abondamment.

En la fête du Précieux Sang, 1er juillet 2003

† Bernard FELLAY



(1) Peter Henrici, "La maturation du Concile", Communio, novembre 1990, p. 85 et sq.
(2) Jean Guitton, "Paul VI secret".
(3) "Avec son divin Fils".

17 juin 2004

[DICI] Entretien exclusif avec Mgr Fellay : « Nous sommes fermes, mais pas fermés »

Mgr Fellay - DICI - 17 juin 2004

DICI : Dans cet entretien à la revue «Latin Mass», le cardinal Castrillon Hoyos propose plus qu’une main tendue aux fidèles attachés à la Tradition, il affirme que le Saint Père garde les bras ouverts. Etes-vous insensible à cette offre généreuse ? 
Mgr Fellay : Je suis très sensible à ce geste d’ouverture, et je ne doute pas de la générosité qui l’anime. Mais je suis obligé de constater, dans le même temps, que le cardinal atténue au maximum les difficultés réelles qui se posent de part et d’autre. Du côté des évêques diocésains, il ne veut voir qu’une «perplexité» et des «hésitations» à reconnaître le «droit de cité» de la messe tridentine, là où il y a une réelle opposition à la doctrine traditionnelle du Saint Sacrifice. Il suffit pour s’en convaincre de voir toutes les réactions épiscopales – plus que réservées - au récent document disciplinaire Redemptionis sacramentum. Apparemment personne n’est concerné par ce rappel à l’ordre ! Il n’y a ni abus, ni scandales liturgiques !

Et, chez les fidèles de la Tradition, le cardinal Castrillon Hoyos ne veut reconnaître qu’une «sensibilité» particulière et une «perception» propre, alors qu’il s’agit de fidélité à la doctrine de l’Eglise de toujours. Tous ces euphémismes montrent la diplomatie du cardinal, mais ils ne parviennent pas à masquer son embarras : comment régler la situation douloureuse de la Fraternité Saint Pie X sans soulever les questions doctrinales ? Franchement, s’il ne s’agissait que de dissiper la «perplexité» des évêques et de reconnaître la légitimité de la «sensibilité» traditionaliste, je crois que la crise aurait été résolue depuis longtemps. Mais ce qui est en jeu est d’une nature qui dépasse largement et la perplexité et la sensibilité. 
D. Ne craignez-vous pas de paraître figé dans une attitude constamment critique et négative ? 
Mgr F. Au contraire, nous faisons, depuis le début des conversations avec le cardinal Castrillon Hoyos, des propositions positives. Mais il est nécessaire de s’assurer, avant tout, de la solidité des piliers qui porteront le pont entre Rome et nous. Ces piliers sont doctrinaux, on ne peut passer sous silence cette réalité, sous peine de voir - à plus ou moins court terme - tous les efforts de rapprochement voués à l’échec. La solution du cardinal est de proposer un accord pratique, en minimisant le plus possible les divergences de fond. Est-ce possible ? Peut-on conjurer la dureté de la crise qui secoue l’Eglise avec des expressions adoucies ? Je ne le pense pas. 
D. C’est donc, à vos yeux, la doctrine et toute la doctrine, sinon rien ? Cette position du «tout ou rien» ne manque-t-elle pas de réalisme ? 
Mgr F. Nous sommes fermes, mais pas fermés. La doctrine est fondamentale sans aucun doute, mais nous pensons bien qu’il y a des étapes préalables à observer. C’est pourquoi nous avons proposé aux autorités romaines, dès le début, deux préalables qui permettraient de créer un climat de confiance favorable à la résolution du problème d’Ecône : le retrait du décret d’excommunication frappant les évêques de la Fraternité et le droit reconnu à tout prêtre de célébrer la messe traditionnelle. 
D. Comment voyez-vous ce retrait de l’excommunication ? 
Mgr F. Ce qui a été fait pour les orthodoxes pourrait a fortiori s’appliquer à nous. Rome a levé l’excommunication qui les frappait sans qu’ils aient en rien changé leur attitude envers le Saint Siège. Ne pourrait-on prendre la même mesure à notre égard, nous qui ne nous sommes jamais séparés de Rome et avons toujours reconnu l’autorité du Souverain Pontife, telle que l’a définie le concile Vatican I ? En effet, les quatre évêques sacrés en 1988 ont prêté le serment de fidélité au Saint Siège, et depuis ils ont toujours professé leur attachement au Saint Siège et au Souverain Pontife. Ils ont pris toutes sortes de dispositions pour bien montrer qu’ils n’avaient pas l’intention de constituer une hiérarchie parallèle, — ce que j’ai encore rappelé lors de ma conférence de presse du 2 février dernier, à Rome.

Ce retrait du décret d’excommunication créerait un nouveau climat, indispensable pour aller plus avant. Il permettrait, entre autres, aux prêtres et aux fidèles persécutés de voir que leur attachement à la Tradition n’est pas coupable, mais qu’il a été motivé par tous ces scandales liturgiques graves que Redemptionis sacramentum relève très justement, sans toutefois en considérer la cause qui est sans doute la réforme liturgique elle-même. 
D. Et vous demandez ce retrait unilatéralement, sans vous obliger à aucune contrepartie ? 
Mgr F. Si le décret d’excommunication était retiré, les évêques de la Fraternité Saint Pie X pourraient se rendre à Rome, comme les évêques diocésains effectuent leur visite ad limina. Ils rendraient ainsi compte de leur travail apostolique, et le Saint Siège pourrait constater le développement de «l’expérience de la Tradition» que Mgr Lefebvre a toujours souhaité faire pour le bien de l’Eglise et des âmes. Il ne serait pas nécessaire de prendre davantage d’engagements. Simplement rendre compte — pour la Fraternité —, et se rendre compte — pour Rome — du développement de l’expérience de la Tradition. 
D. N’avez-vous pas l’impression d’avoir été entendu au moins sur votre deuxième préalable, la reconnaissance du «droit de cité» de la messe tridentine ? 
Mgr F. Je ne peux qu’approuver l’effort louable du cardinal Castrillon Hoyos pour réhabiliter la messe, mais là aussi je ne peux pas ne pas constater un certain embarras : un droit de cité concédé par le Saint Père, est-ce un droit ou une concession ? La différence n’est pas mince. Nous ne voulons pas de statut particulier, qui serait la marque d’un quelconque «particularisme liturgique». Nous demandons un droit qui n’a jamais été perdu : la liberté de la messe pour tous. Car, ce à quoi nous sommes attachés est le patrimoine commun de l’Eglise catholique romaine. 
D. Même si vous n’êtes pas fermés au dialogue avec Rome, il n’empêche que vous donnez l’impression de cultiver un certain attentisme : wait and see ! Attendons voir ! Ne pensez-vous pas qu’il est temps de se dégager de cette position marginale, et de s’engager maintenant, comme on vous y invite, pour être plus efficace dans la situation très grave où se trouve l’Eglise ? 
Mgr F. La position de la Fraternité n’est pas wait and see, mais bien plutôt ora et labora, prier et travailler ! Sur le terrain, nos prêtres travaillent à la restauration du règne de Notre-Seigneur, au quotidien, auprès des familles, dans les écoles… Ces 450 prêtres sont plus qu’engagés, ils sont surchargés. Partout dans le monde, on les réclame. Il en faudrait trois fois plus ! Ce qui nous marginaliserait vraiment, ce serait une concession confinant la Tradition dans une réserve ou une enclave au sein de l’Eglise.

C’est bien notre souci d’efficacité au service de l’Eglise et des âmes qui nous oblige à réclamer une vraie liberté pour la Tradition. L’état présent de l’Eglise et du monde est trop grave pour que nous puissions faire croire à Rome qu’avec une simple «sensibilité» traditionnelle — et qui plus est, en liberté surveillée ! — nous pourrions réellement lutter contre «l’apostasie silencieuse», dénoncée par Jean-Paul II dans Ecclesia in Europa. Ce serait profondément malhonnête. Mais les autorités romaines peuvent, si elles veulent, rendre à la Tradition son «droit de cité», partout et pour tous.

7 juin 2004

[Aletheia n°58] Vers un Patriarcat ukrainien

Aletheia n°58 - 6 juin 2004
Vers un Patriarcat ukrainien
Mgr Slipyi, archevêque de Lviv, grande figure de l’Eglise catholique ukrainienne du XXe siècle, connut pendant dix-huit années, de 1945 à 1963, les prisons et les camps soviétiques avant d’être libéré au moment du concile Vatican II. Depuis sa libération, il demandait avec insistance que le Saint-Siège reconnaisse l’archevêché majeur de Lviv comme un patriarcat. Le 23 octobre 1971 – une de ses multiples interventions parmi d’autres –, prenant la parole devant le IIe Synode des évêques réuni à Rome par Paul VI, il déclarait avec quelque amertume :
Les communistes ont cruellement détruit l’Eglise ukrainienne en incarcérant toute sa hiérarchie et en l’annexant de force à l’orthodoxie. Cette grave injustice est encore actuelle. Les Ukrainiens catholiques sont encore persécutés sans être défendus par personne… Le régime soviétique nous a obligés à revenir aux catacombes pour célébrer la liturgie… Des milliers de fidèles d’Ukraine sont encore incarcérés ou déportés. Aujourd’hui, pour la diplomatie ecclésiastique, les Ukrainiens catholiques sont considérés comme gênants. Le Vatican est intervenu pour intercéder en faveur des catholiques latins, mais il s’est tu sur les six millions d’Ukrainiens persécutés… La création du patriarcat ukrainien proposée au Concile Vatican II a été refusée.
Il lui semblait que la reconnaissance d’un Patriarcat ukrainien était sacrifiée au nom de l’Ostpolitik.  Aujourd’hui, alors que le cardinal Slipyi est mort en 1984, il pourrait sembler que cette même demande n’aboutit pas, non pour des raisons canoniques ou théologiques, mais pour ne pas contrarier la politique œcuméniste en direction des orthodoxes.
Dans un livre qui vient de paraître, le P. Augustyn Babiak fait le point sur la question[1]. Le P. Babiak, prêtre gréco-catholique né en Pologne d’une famille ukrainienne, exerce son ministère auprès des catholiques ukrainiens en France et en Europe. Docteur en théologie, il a publié ces dernières années deux livres historiques importants. L’un, auprès de l’Université Catholique de Lyon : Le Métropolite André Cheptytskyi et les synodes de 1940 à 1944 (1999, 790 pages) ; l’autre, auprès de l’Université Catholique ukrainienne de Rome, Les Nouveaux martyrs ukrainiens du XXe siècle (2001, 635 pages).
Significativement, son troisième livre, qui est fondé sur des archives inédites d’une grande importance, notamment la correspondance échangée entre le cardinal Slipyi et le Saint-Siège dans les années 1970-1980, n’a pu trouver d’éditeur. Le P. Babiak a dû l’éditer à compte d’auteur.
Il entend montrer la pertinence de l’établissement de l’Eglise d’Ukraine en patriarcat. Il le fait d’un quadruple point de vue : historique, théologique, canonique et pastoral.
Si, avec les premiers conciles œcuméniques, cinq patriarcats ont été définis dans un ordre hiérarchique bien fixé : Rome, Constantinople, Antioche, Jérusalem, Alexandrie, la suite de l’histoire de l’Eglise a vu le titre de patriarche accordé aux chefs de plusieurs Eglises catholiques orientales.
Le P. Babiak montre comment d’Urbain VIII à Léon XIII, en passant par Grégoire XVI et Pie IX, plusieurs papes ont considéré positivement l’élévation du métropolite de Kiev-Halytch à la dignité de patriarche.
Sans faire référence explicitement aux gréco-catholiques, le concile Vatican II, dans le décret sur les Eglises orientales, a admis la légitimité d’instaurer de “ nouveaux patriarcats  (…) lorsque cela est nécessaire ” ; leur institution étant réservée au concile œcuménique ou au Pontife romain. Le même décret définissait un patriarche comme “ un évêque qui a juridiction sur tous les évêques y compris les métropolites, sur le clergé et les fidèles de son territoire ou de son rite, selon les normes du droit et restant sauve la primauté du pontife romain ”.
“ …de son territoire ou de son rite ”, la précision est importante puisqu’elle permettra au cardinal Slipyi de demander l’érection d’un Patriarcat ukrainien qui placerait sous une juridiction unique non seulement les gréco-catholiques d’Ukraine mais aussi les très nombreux gréco-catholiques ukrainiens exilés dans le monde et organisés, déjà, avec des évêques ou exarques à leur tête.
Depuis sa libération du Goulag jusqu’à sa mort, le cardinal Slipyi réclamera avec insistance l’instauration de ce Patriarcat. Auprès de diverses instances (Congrégation pour les Eglises orientales, Secrétairerie d’Etat, et auprès du Pape lui-même), il renouvellera, dans des lettres argumentées, sa demande. Le P. Babiak publie de larges extraits de ces lettres et aussi, ce qui est très intéressant, les réponses reçues.
Si la hiérarchie ukrainienne se montra, parfois, provocatrice – le P. Babiak ne le cache pas –, les autorités romaines, elles aussi, se montrèrent, parfois, maladroites. Ainsi, en 1971 l’Exarchat apostolique pour les fidèles ukrainiens de rite byzantin résidant au Brésil fut transformé, par le Saint-Siège, en un diocèse placé sous la dépendance de la Congrégation pour les Eglises orientales, mais le premier évêque consacré, Mgr Kryvyi, le fut dans le rite latin et le nouveau diocèse était suffragant de l’archevêque (latin) de Curitiba !
À défaut de se voir reconnu le titre et la fonction de Patriarche, Mgr Slipyi avait été nommé “ archevêque majeur ” en 1963 puis créé cardinal en 1965. Paul VI, s’il refusa toujours d’accéder à la demande principale du cardinal, accepta finalement, et non sans réticences, que se réunisse régulièrement le “ synode permanent ” de l’épiscopat ukrainien.
Jean-Paul II fut le premier Pape à rendre un juste hommage à l’Eglise ukrainienne et à ses martyrs : dès 1979, avec en point culminant la béatification solennelle de vingt-huit martyrs ukrainiens en 2001. Il n’a pas encore, à ce jour, satisfait la demande que le successeur du cardinal Slipyi, le cardinal Husar, a réitérée. Celui-ci estime que le patriarcat est une “ forme normale d’existence de la tradition byzantine et orientale ” et serait “ un développement de la structure de l’Eglise  [ukrainienne] ”.
L’ouvrage du P. Babiak a été achevé d’imprimer, en Ukraine, le 11 avril 2004 et commence tout juste à être diffusé. Par une heureuse coïncidence, Jean-Paul II, alors que le synode permanent de l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine est réuni à Rome depuis le 1er juin, a semblé faire un pas important vers ce que souhaitent les évêques ukrainiens puisqu’il a dit partager “ par la prière et aussi par la souffrance ” leur aspiration. Il a dit attendre “ le jour fixé par Dieu ” pour confirmer, en tant que Successeur de saint Pierre, le “ développement ecclésial ” que tous les Ukrainiens espèrent et réclament.
----------
La guerre picrocholine
La controverse suscitée par le livre signé Paul Sernine, paru en novembre dernier[2], n’a guère fait avancer la question sur le fond. Les principaux reproches faits au livre sont d’ordre méthodologique. Dans un article signé Dominicus, la revue Le Sel de la terre, estime qu’il s’agit d’une “ mauvaise querelle ”[3]. Dominicus estime que Paul Sernine “ a falsifié la pensée des autres, n’a pas exprimé sa propre pensée sur ses sujets, a enfermé le débat dans un dilemme absurde et ajouté d’inutiles querelles de personnes (tout en protestant du contraire). Il faudrait repartir sur de meilleures bases. ”
La principale “ falsification ” relevée par Le Sel de la terre est une citation extrapolée. Dans un de ses ouvrages, Etienne Couvert écrit que pour comprendre certaines œuvres de Victor Hugo “ il y a une clé… et c’est la Gnose ”. Paul Sernine a généralisé cette affirmation : “ En toute erreur “ il y a une clé…et c’est la gnose“ ”.  Dominicus estime : “ La phrase en question n’a jamais été prononcée en l’état par M. Couvert et ne correspond même pas à sa pensée. ”
La revue des religieux d’Avrillé estime, à juste titre, que cette controverse sur la gnose ne doit pas devenir “ un véritable affrontement qui distrairait du combat principal ” : “ le combat contre le néo-modernisme qui cherche à détruire l’Eglise de l’intérieur, la formation d’intelligences vraiment catholiques, le soutien spirituel des pères et des mères de famille voulant éduquer chrétiennement leurs enfants nous paraissent beaucoup plus importants. ”
Si la revue Le Sel de la terre se refuse aux querelles de personnes, il n’en est pas de même d’autres publications. Par exemple, depuis quelques semaines se diffuse, sous forme de brochure ou sur internet, un texte anonyme de 53 pages, intitulé Leçon de gnose. L’auteur, courageusement anonyme, de cette brochure publiée sans nom d’éditeur, ni lieu de publication, entend montrer que la gnose est l’ “ ennemi traditionnel de l’Eglise ”. Il prétend aussi dénoncer, “ par les documents ”, dit-il, “ les infiltrations gnostiques actuelles dans la Tradition catholique” . Cette seconde partie nous vaut des chapitres, plus ou moins abondants, intitulés : “ Dom Gérard gnostique ? ”, “ La double vie de Monsieur Yves Chiron ”, “ L’abbé de Tanoüarn est-il gnostique ? ”, “ L’abbé Célier [sic] est-il gnostique ? ”.
Quel crédit accordé à un auteur, courageusement anonyme (à moins qu’ils ne soient plusieurs), qui croit que le grand Olier est gnostique, qui s’imagine que Pacte est un “ magazine ”, qui s’obstine à écrire “ Etait t’il ” [sic], etc. ?
Quant aux huit pages qui me concernent – “ La double vie de Monsieur Yves Chiron ” –, je pourrais répondre comme l’avait fait le grand antilibéral, le Père Emmanuel Barbier : “ je fais comme l’honnête homme qui, dédaignant les fausses imputations, trouve plus simple de déployer grand ouvert le livre de sa vie ”[4]. Quand le courageux anonyme – pour éviter les procès en diffamation ? – affirme : “ Monsieur Chiron a des contacts avec les loges maçonniques, au moins les loges féminines ”, je pourrais lui répondre que les seules loges que j’aie jamais fréquentées sont celles des concierges des immeubles parisiens où j’ai habité jadis : rue du Cloître-Notre-Dame, à l’ombre de Notre-Dame, puis rue Cail...
En fait, le véritable cours de ma vie quotidienne, ma supposée “ double vie ”, les lecteurs les moins mal intentionnés savent qu’ils la trouveront dans les quatre petits livres qui me tiennent le plus à cœur : Journal de Saigon et du Mékong (1994), Voyage vers Cyprien (1998), Nos enfants de Lituanie (2002) et Ma Mère (2003). Livres qu’ignorent les courageux anonymes de la guerre picrocholine.
----------
Avis aux lecteurs
. Cette lettre d’informations n’est pas soumise à abonnement, malgré les instances de certains lecteurs qui souhaiteraient que soit fixé un prix d’abonnement. Parfois, pour les numéros plus volumineux, je donne un coût estimatif, à l’intention de ceux, lecteurs non réguliers, qui voudraient se procurer, exceptionnellement, ce numéro ou en commander plusieurs exemplaires. En revanche, pour satisfaire aux demandes de certains lecteurs, il est fixé désormais qu’Aletheia aura quinze numéros par an ; ce qui permet de prévoir à peu près le rythme des publications (environ toutes les trois semaines).
C’est au lecteur à déterminer lui-même la contribution et la forme de la contribution qu’il veut apporter aux frais d’impression et de diffusion. Certains lecteurs et certaines communautés le font avec une régularité, et parfois une générosité, qui permettent à cette modeste lettre de continuer à paraître.
D’autres lecteurs et d’autres communautés, qui pourtant, un jour, ont demandé à recevoir cette lettre d’information, ne se signalent jamais à l’attention d’Aletheia, sinon parfois pour réclamer un numéro qu’ils croient n’avoir pas reçu !
. Cette lettre d’informations est, bien sûr, libre de droits. Quiconque peut utiliser et reproduire les informations et les textes qu’elle contient. Mais la déontologie journalistique veut que, dans ce cas, on indique ses “ sources ”. Sinon, il arrive que les “ utilisateurs ” s’emmêlent les pinceaux. Deux exemples récents :
1. La revue Lectures françaises, n° 562, en février 2004, a annoncé la parution d’un ouvrage de Robert Faurisson, intitulé, dit-elle, Pie XII, révisionniste ?, et elle en a donné le résumé. Un tel livre n’existe pas. Existe en revanche un livre de Robert Faurisson intitulé Le révisionnisme de Pie XII.
Aletheia avait présenté cet ouvrage dans son n° 45, le 8 septembre 2003. L’article qui présentait cet ouvrage était intitulé “ Pie XII, révisionniste ? ”. Le rédacteur, trop pressé, de Lectures Françaises, a cru qu’il s’agissait du titre du livre, donné pourtant dans la suite de l’article qu’il s’est contenté de résumer. Le rédacteur-“ utilisateur ” aurait dû être plus attentif et il aurait mieux fait de mentionner sa source d’informations.
2. L’auteur d’un essai récent, et fort pertinent, sur la laïcité, reproduit, sur une pleine page, un texte d’Alain de Benoist. Il donne comme référence : La “ nouvelle évangélisation ” de l’Europe. La stratégie de Jean-Paul II, Arianna Editrice, p. 100. Le lecteur, curieux, qui voudrait consulter cet ouvrage, aura bien du mal à se le procurer puisqu’il n’existe pas ! Le livre n’existe que dans sa version italienne, publiée, à Casalecchio, près de Bologne,  sous le titre La “ nuova evangelizzazione ” dell’Europa. La strategia di Giovanni Paolo II.
Aletheia avait présenté cet ouvrage dans son n° 47, le 18 octobre 2003, donnant notamment, en version française, la citation telle que l’a reproduite intégralement notre auteur. Il aurait mieux fait de donner le titre exact de l’ouvrage et de mentionner sa source d’informations.
----------
[1] Augustyn Babiak, De la légitimité d’un Patriarcat ukrainien, Lyon, avril 2004, 223 pages. Disponible chez l’auteur : Augustyn Babiak, 155 rue de Vendôme, 69003 Lyon.
[2] Paul Sernine, La Paille et la poutre – à propos de la “ gnose ”, éditions Servir (15 rue d’Estrées, 75007 Paris), 219 pages, 15 ¤.
[3] Dominicus, “ La mauvaise querelle de Paul Sernine ”, Le Sel de la terre, n° 48, printemps 2004, p. 215 - p. 242 (Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, 49240 Avrillé, 14 euros le numéro).
[4] P. Emmanuel Barbier, Allocutions de collège. Mon crime, Librairie Ch. Poussielgue, 1901, p. 5.

6 juin 2004

Lettre du Supérieur Général n°67 (janvier 2005), suivie de sa "Lettre à Son Eminence le Cardinal Castrillon Hoyos" (6 juin 2004)
Mgr Fellay a communiqué en janvier 2005 la lettre qu'il a écrit au Cardinal le 6 juin 2004

Chers amis et bienfaiteurs,
Qu’en ces jours bénis où nous célébrons l’Avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ, l’Enfant Nouveau-né vous comble de ses bienfaits. Nous Lui demandons qu’il vous rende au centuple vos générosités et votre dévouement !
La Nativité est si remplie de leçons pour notre temps. En particulier, le Dieu parmi nous, le Vrai Dieu, Éternel et Tout Puissant, Créateur de toutes choses et Souverain absolu vient au milieu de nous pour nous sauver.
Tout en faisant diligence et usant au mieux des moyens qu’Il nous donne, nous devons TOUT attendre de Lui. « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » - « C’est la volonté du Père que vous portiez beaucoup de fruits. » Ces deux phrases ne sont pas du tout contradictoires, mais complémentaires, elles indiquent l’effort personnel et la coopération qui doit accompagner la grâce de Dieu. Elles nous disent que, avec Notre Seigneur, nous pouvons tout, quelle que soit la situation dans laquelle nous nous trouvons, et spécialement la nôtre, en ce XXIe siècle de décadence inouïe. Les temps que nous vivons pourraient en décourager plus d’un. La rébellion contre Dieu se fait de plus en plus ouverte, manifeste, blasphématoire, dans le monde entier. L’Église semble comme inerte, hébétée et sans force devant ce nouveau déluge.
Plus que jamais, nous devons tout regarder sous le regard de la foi, cette foi qui vainc le monde, qui donne le courage de continuer le combat, cette foi avec laquelle on résiste même au démon. Cui resistite fortes in fide.
C’est bien cette foi qui nous fait reconnaître dans le petit nouveau-né de la crèche notre Dieu, le Verbe fait chair, Sauveur du monde et qui nous demande de tout miser sur Lui. Venite adoremus !
Nous voulons saisir l’occasion de cette lettre pour vous communiquer le courrier que nous avons envoyé au Cardinal Castrillon Hoyos au mois de juin. Elle exprime notre situation inchangée vis-à-vis de Rome.
Que Notre-Dame vous protège en cette année nouvelle et nous obtienne à tous cette fidélité jusqu’au bout qui nous sauvera ; qu’avec l’Enfant Jésus elle vous bénisse, comme le dit si bien la Liturgie : Nos cum prole pia, benedicat Virgo Maria.
Avec toute notre gratitude, en la Fête de Noël 2004
 + Bernard Fellay

Lettre à Son Eminence le Cardinal Castrillon Hoyos
+ Menzingen, le 6 juin 2004
S.Ém. le cardinal Castrillón Hoyos
Éminence Révérendissime,
Votre lettre du 30 décembre, lettre de vœux et de nouvelle proposition d’accord nous est bien parvenue. Nous avons beaucoup tardé à y donner réponse car elle nous laisse perplexes. Permettez-moi d’essayer d’y répondre avec le maximum de franchise, seul moyen d’aller de l’avant.
Nous sommes sensibles à vos efforts et à ceux du Saint Père pour nous venir en aide, et nous voyons que ce geste d’ouverture de votre part est certainement très généreux, par suite, nous craignons beaucoup que notre attitude et notre réponse ne soient pas comprises. Lorsque nous avons émis notre requête de deux préalables tout au début de nos discussions, et que nous avons plusieurs fois répété notre demande, nous indiquions tout simplement une démarche à suivre ontologique, nécessaire : avant de lancer le tablier d’un pont, il est indispensable de construire les piles de celui-ci. Sinon l’entreprise sera vouée à l’échec. Nous ne voyons pas comment nous pourrions arriver à une reconnaissance sans passer par un certain nombre d’étapes.
Parmi ces étapes, la première nous semble être le retrait du décret d’excommunication. L’excommunication frappant les orthodoxes a pu être levée sans que ceux-ci aient en rien changé leur attitude envers le Saint Siège; ne serait-il pas possible de faire une chose semblable à notre égard, à nous qui ne nous sommes jamais séparés et avons toujours reconnu l’autorité du Souverain Pontife, telle que l’a définie le concile Vatican I. Lors de notre sacre en 1988 nous avons prêté le serment de fidélité au Saint Siège ; nous avons toujours professé notre attachement au Saint Siège et au Souverain Pontife, nous avons pris toutes sortes de mesures pour bien montrer que nous n’avions pas l’intention de monter une hiérarchie parallèle : il ne devrait tout de même pas être si difficile de nous laver de l’accusation de schisme…
Et en ce qui concerne la peine pour la réception de l’épiscopat, le code de Droit canonique de 1983 prévoit que la peine maximale ne doit pas être appliquée dans le cas où un sujet a agi sous la nécessité subjective. Si le Saint Siège ne veut pas accorder qu’il y a état de nécessité objective, il devrait pour le moins admettre que nous percevons les choses ainsi.
Une telle mesure serait reconnue comme une ouverture réelle de la part de Rome et elle créerait un nouveau climat, nécessaire pour aller plus avant.
En même temps, la Fraternité se soumettrait à ce que nous pourrions appeler analogiquement une visite ad limina, le Saint-Siège pourrait nous observer et examiner notre développement sans qu’il y ait pour l’instant davantage d’engagement des deux côtés.
En ce qui concerne les formules que vous nous demandez de signer, elles supposent un certain nombre de conditions que nous ne pouvons accepter et qui nous laissent fort mal à l’aise.
Les propositions supposent que nous soyons coupables et que cette culpabilité nous a séparés de l’Église. Pour réparer, et pour s’assurer de notre orthodoxie, on nous demande une sorte de profession de foi limitée (le concile Vatican II et le Novus Ordo).
La plupart de nos prêtres et fidèles ont dû faire face directement à l’hérésie, souvent au scandale liturgique grave, provenant de leurs propres pasteurs, tant des prêtres en charge que d’évêques. Toute l’histoire de notre mouvement est marquée par une suite tragique de faits de ce genre, jusqu’à ce jour où continuent de nous joindre religieux, séminaristes et prêtres qui ont dû faire la même expérience. Vous ne pouvez pas demander d’amende honorable ou de contrition parce que, seuls, délaissés des pasteurs et trahis par eux, nous avons réagi pour conserver la foi de notre baptême ou pour ne pas déshonorer la divine Majesté. Il est impossible d’analyser les sacres de 1988 sans considérer le tragique contexte dans lequel ils se sont déroulés. Sinon, les choses deviennent incompréhensibles et la justice ne peut plus y trouver son compte.
De plus, il est souvent mentionné que notre statut serait une concession, et que l’on nous accorderait une situation due à notre « charisme propre ».
Faut-il rappeler que ce à quoi nous sommes attachés est le patrimoine commun de l’Église catholique romaine ? Nous ne demandons ni ne voulons de statut particulier dans le sens qu’il serait la marque d’un particularisme, mais nous voulons une place « normale » dans l’Église. Tant que la messe tridentine sera considérée comme une concession particulière, nous restons des marginalisés, dans une situation précaire et suspecte. C’est aussi dans cette perspective que nous réclamons un droit qui n’a jamais été perdu : celui de la messe pour tous. C’est déjà léser ce droit que de le réduire à un indult (qui plus est provisoire selon certaines voix romaines).
Dans la situation actuelle où tout ce qui est de saveur traditionnelle devient immédiatement suspect, nous avons besoin d’un protecteur et défenseur de nos intérêts auprès de la Curie. Il s’agit bien davantage de représenter la Tradition à Rome que d’établir un délégué du Saint Siège aux affaires traditionnelles, comme c’est le cas pour Ecclesia Dei aujourd’hui. Pour que cet organisme ait quelque crédibilité et corresponde à son but, il est important qu’il soit composé de membres provenant de la Tradition catholique.
Accomplir une « reconnaissance » sans avoir d’abord réglé dans leur principe ces questions, c’est vouer « l’accord pratique » que l’on nous propose à l’échec, car demain nous espérons bien agir avec la même fidélité qu’aujourd’hui à la Tradition catholique.
Voulant conserver la franchise avec laquelle nous traitons de ces questions, (ce qui n’est pas une question d’arrogance ou de manque de charité), nous serions condamnés demain comme nous l’avons été hier.
Au baptême s’établit un contrat entre l’âme chrétienne et l’Église : « Que demandez-vous de l’Église ? » « - la foi ». C’est ce que nous réclamons de Rome : que Rome nous confirme dans la foi, la foi de toujours, la foi immuable. Nous avons le droit strict de réclamer cela des autorités romaines et nous ne pensons pas pouvoir progresser réellement vers une « reconnaissance » tant que Rome n’aura pas montré sa volonté concrète de dissiper le nuage qui a envahi le temple de Dieu, obscurci la foi et paralysé la vie surnaturelle de l’Église sous le couvert d’un Concile et de ses réformes subséquentes.
En espérant que cette lettre apporte sa contribution au dépassement de l’immobilité actuelle, nous Vous assurons, Éminence, de nos prières quotidiennes pour l’accomplissement de Votre lourde charge en cette heure grave de la sainte Église.
+ Bernard Fellay
Supérieur général