30 juin 2018

[FSSPX Actualités] La Fraternité Saint-Pie X compte 650 prêtres

SOURCE - FSSPX Actualités - 30 juin 2018

Il y a deux ans, le 3 juin 2016, la Fraternité Saint-Pie X franchissait la barre des 600 prêtres.

En ce 30 juin 2018, trentième anniversaire des sacres de 1988, les six ordinations conférées par Mgr Alfonso de Galarreta au séminaire allemand de Zaitzkofen portent ce nombre à 650.

Puisse le Maître de la moisson susciter de nombreuses et saintes vocations sacerdotales et religieuses pour son Eglise et le salut de beaucoup d’âmes.

[FSSPX Actualités] Une journée historique, le 30 juin 1988 / Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres (5)

SOURCE - FSSPX Actualités - 30 juin 2018

["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
  1. L’annonce des sacres
  2. Après l’annonce des sacres, les propositions romaines
  3. Le protocole de mai 1988
  4. Un vrai renouveau de l’Eglise ou une réintégration dans l’Eglise conciliaire?
  5. Une journée historique, le 30 juin 1988


Le 30 juin 1988
Mgr Lefebvre tient une conférence de presse le 15 juin à Ecône, à laquelle répond le lendemain une Note d’information du Saint-Siège, et le 17 une monition canonique du cardinal Bernardin Gantin, alors Préfet de la Congrégation des évêques.

Devant les journalistes, le prélat livre de nombreux détails des discussions orales qui ont eu lieu à Rome. Par exemple il a été question de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à Paris. Le cardinal Ratzinger explique à son interlocuteur, stupéfait, que désormais il faudra qu’une messe nouvelle y soit régulièrement célébrée, tous les dimanches.

Mgr Lefebvre distribue aux journalistes une courte présentation de chacun des prêtres qu’il a choisis pour assurer la pérennité de la Tradition, spécialement en dispensant les sacrements de confirmation et d’ordre. Il s’agit des abbés Bernard Tissier de Mallerais, un Français ordonné en 1975, Richard Williamson, un Anglais ordonné en 1976, Alfonso de Galarreta, un Espagnol ordonné en 1980, et Bernard Fellay, un Suisse ordonné six ans plus tôt.
Les raisons d’un échec
Le 19 juin, un communiqué du prélat français revient sur les raisons de l’échec des pourparlers. Il explique avoir entretenu « un certain espoir que, l’auto-démolition de l’Eglise s’accélérant, on finisse par nous regarder avec bienveillance ». La lettre du 28 juillet 1987 du cardinal Ratzinger semblait ouvrir « de nouveaux horizons ». Parce que Mgr Lefebvre avait annoncé qu’il allait se donner des successeurs, subitement il semblait que « Rome nous regardait d’un œil plus favorable ».

En effet, dans la proposition romaine initiale, « il n’est plus question de document doctrinal à signer, plus question de demande de pardon, mais un visiteur était enfin annoncé, la société pourrait être reconnue, la liturgie serait celle d’avant le Concile, les séminaristes demeureraient dans le même esprit !… Nous avons accepté alors d’entrer dans ce nouveau dialogue, mais à la condition que notre identité soit bien protégée contre les influences libérales par des évêques pris dans la Tradition, et par une majorité de membres dans la Commission romaine pour la Tradition. Or, après la visite du cardinal Gagnon, dont nous ne savons toujours rien, les déceptions se sont accumulées ».

La déception est venue du texte doctrinal qu’il fallut soudainement signer, de la sous-représentation dans l’organisme chargé de la Tradition à Rome, de l’absence de date pour le sacre épiscopal d’un prêtre de la Fraternité, accordé in extremis. Surtout, le cardinal Ratzinger ne cessait d’insister sur la nécessité d’appartenir à l’unique Eglise, celle de Vatican II, et donc de suggérer que la réconciliation en cours n’était qu’une étape avant d’admettre tout le Concile, ses réformes, son esprit, ses nouveautés… Malgré cela, Mgr Lefebvre a signé le protocole du 5 mai, voulant bien faire confiance au vu des avancées substantielles accordées (liturgie, statut canonique, formation et ordination des candidats, succession dans l’épiscopat).

La date de la consécration épiscopale faisant tant de problème, comme on l’a vu, les nouvelles exigences de Rome – le projet de lettre définitive que lui dictait pratiquement le cardinal Ratzinger le 17 mai – achevèrent de l’éclairer.

Bien qu’il ait obtenu à force d’insistance et d’obstination une date pour un sacre (le 15 août), il doit reconnaître que « le climat n’est plus du tout à la collaboration fraternelle et à une pure et simple reconnaissance de la Fraternité. Pour Rome le but des colloques est la réconciliation, comme le dit le cardinal Gagnon, dans un entretien accordé au journal italien L’Avvenire, c’est-à-dire le retour de la brebis égarée dans la bergerie. C’est ce que j’exprime dans la lettre au Pape du 2 juin : « Le but des colloques n’est pas le même pour vous que pour nous. »

Le prélat octogénaire achève le communiqué : « La Rome actuelle conciliaire et moderniste ne pourra jamais tolérer l’existence d’un vigoureux rameau de l’Eglise catholique qui la condamne par sa vitalité. Il faudra donc encore attendre quelques années sans doute pour que Rome retrouve sa Tradition bimillénaire. Pour nous, nous continuons à faire la preuve, avec la grâce de Dieu, que cette Tradition est la seule source de sanctification et de salut pour les âmes, et la seule possibilité de renouveau pour l’Eglise ».
Une Eglise parallèle ?
Evidemment, la grosse presse crie au schisme et reprend les objurgations de Rome pour que Mgr Lefebvre renonce à sacrer. Celui-ci est habité par une sérénité retrouvée et la certitude d’accomplir la volonté signifiée de Dieu. L’adhésion des fidèles et du clergé vient confirmer sa mâle assurance.

Il faut cependant répondre aux objections et aux accusations qui se répandent. Sur le protocole d’accord, jamais Mgr Lefebvre ne regrettera ou ne remettra en cause le contenu du texte doctrinal qu’il a signé. Lors de la conférence de presse du 15 juin, il déclare que l’article 3 « nous a satisfait ». En affirmant que certains aspects « enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit » étaient « difficilement conciliables avec la Tradition », « en quelque sorte on nous donnait satisfaction sur ces points-là. Cela nous permettait de discuter des points dans le Concile, dans la liturgie, et dans le Droit canon. C’est ce qui nous a permis de signer ce protocole doctrinal, sans quoi nous ne l’aurions pas signé ».

Sur l’accusation de constituer une Eglise parallèle, accusation plusieurs fois formulée par le cardinal Ratzinger pour faire plier l’archevêque, celui-ci répond en balayant l’objection à sa racine : « Eminence ce n’est pas nous qui faisons une Eglise parallèle puisque nous continuons l’Eglise de toujours. Mais c’est vous qui faites l’Eglise parallèle en ayant inventé “l’Eglise du Concile”, celle que le cardinal Benelli a appelé “l’Eglise conciliaire”. C’est vous qui avez inventé une église nouvelle, pas nous, c’est vous qui avez fait de nouveaux catéchismes, de nouveaux sacrements, une nouvelle messe, une nouvelle liturgie, ce n’est pas nous. Nous, nous continuons ce qui a été fait auparavant. Ce n’est pas nous qui faisons une nouvelle Eglise ».

Surtout, la force de la légitimité des sacres, outre les circonstances extraordinaires et l’état de nécessité dans lequel se trouve l’Eglise, réside dans le fait que Mgr Lefebvre distingue bien entre pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction. Il donne des évêques à l’Eglise pour continuer le sacerdoce et la dispensation des sacrements en toute sûreté de doctrine et d’orthodoxie, mais ces évêques n’ont aucune pouvoir de gouvernement, aucune juridiction propre. Il ne s’agit pas de fonder une hiérarchie parallèle, de se substituer à la juridiction ordinaire ou d’attribuer des territoires à l’apostolat des quatre évêques qu’il sacre le 30 juin 1988. Il s’agit de donner les moyens à la Tradition de continuer, de survivre.

Mais cette Tradition n’est pas bâtie dans les nuées. Elle est ancrée dans les réalités qui existent visiblement dans l’Eglise visible, celle de la terre. A commencer par cette société fondée légitimement et abusivement supprimée qu’est la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X.
Des évêques auxiliaires, pas des francs-tireurs

Les évêques sacrés par Mgr Lefebvre sont catholiques parce qu’ils sont auxiliaires de la Fraternité. Autrement ils ne seraient que des vagabonds, à l’instar de ces évêques des milieux sédévacantistes, sacrés sans véritable nécessité, éparpillés et formant une stérile coterie.

Afin de bien faire comprendre que les évêques qu’il va sacrer n’auront pas de pouvoir de gouvernement, Mgr Lefebvre insiste sur le rôle du Supérieur général de la Fraternité auquel ils restent soumis. A la fin de la conférence de presse qu’il tient à Ecône le 15 juin, il explique ainsi que « celui qui aura donc en principe la responsabilité des relations avec Rome lorsque je disparaîtrai, ce sera le Supérieur général de la Fraternité, M. l’abbé Schmidberger, qui a encore six années de supériorat général à accomplir. C’est lui qui, éventuellement, aura désormais les contacts avec Rome pour continuer les colloques, s’ils continuent ou si le contact est maintenu – ce qui est peu probable pendant quelque temps puisque dans L’Osservatore Romano va sans doute titrer : « Schisme de Mgr Lefebvre, excommunication… » Pendant X années, peut-être deux ans, trois ans, je n’en sais rien, cela va être la séparation ». Séparation sans rupture, afin d’organiser la Tradition après sa mort, qui surviendra moins de deux ans plus tard, le 25 mars 1991.

Le fondateur de la Fraternité entrevoit donc une pause dans les contacts et les colloques avec Rome, mais fort brève. Il se montre quelque peu optimiste, puisqu’il faudra attendre une douzaine d’années pour que Rome se tourne à nouveau vers la Fraternité. Le cardinal Darío Castrillón Hoyos, président de la commission pontificale Ecclesia Dei à partir de l’an 2000, constatera que les sacres épiscopaux, bien loin de provoquer la ruine annoncée de l’œuvre de Mgr Lefebvre, avaient providentiellement permis son développement dans un milieu préservé des erreurs et des mœurs modernes.

En un mot, ces sacres serviront à édifier, à construire l’Eglise, contrairement à « ceux qui la démolissent » en répandant des idées condamnées par le magistère constant des pontifes romains : « Voilà le fond de ces événements que nous allons vivre (…), et il y aura un monde fou à la cérémonie du 30 juin pour la consécration de ces quatre jeunes évêques qui seront au service de la Fraternité».
Au service de la Fraternité
Le 4 juillet 1988, juste après les sacres, Mgr Lefebvre revient sur le rôle et la place des évêques. A Ecône, devant les supérieurs de districts et de séminaires réunis autour de lui, il leur tient ce discours : « Les statuts de la Fraternité demeurent la règle de notre mission providentielle. Les sacres épiscopaux ne supplantent pas la structure de la Fraternité. Il est entendu, et les évêques le comprennent bien, qu’ils ne sont que des auxiliaires de la Fraternité, qu’ils ne peuvent supplanter la hiérarchie de la Fraternité, qu’ils n’ont aucune juridiction propre en tant qu’évêques. Même si on trouve parfois des supérieurs généraux évêques, ce n’est pas la norme. Les évêques sont consacrés au service de la Fraternité et les groupes normalement unis à elle, selon le critère que Rome acceptait de retenir, à savoir pour les confirmations et les ordinations. C’est le Supérieur général qui prendra la responsabilité d’ordonner des candidats venant de l’extérieur de la Fraternité, de sociétés constituées, dans la mesure où leurs Constitutions seraient normalement dignes d’être approuvées par l’Eglise. Les supérieurs de districts et de maisons autonomes organisent les confirmations. La juridiction est donnée aux évêques par le cas de nécessité où se trouvent les fidèles ».

Précisons que cette juridiction n’est rien d’autre que la suppléance par l’Eglise à l’absence de juridiction ordinaire ou déléguée, et ce en vue d’assurer la validité des sacrements dans des circonstances extraordinaires. Il ne s’agit nullement de s’attribuer une juridiction propre.

Le même jour, Mgr Lefebvre revient sur l’organisation qu’il entend laisser : « C’est le Supérieur général qui entretient les liens avec Rome et, en un mot, prend la responsabilité de la Tradition, car c’est la structure de la Fraternité qui existe aux yeux de l’Eglise. Nous n’avons jamais voulu d’une organisation de la Tradition ni d’une présidence d’une telle association ; mais il n’en reste pas moins que de facto la Fraternité est la colonne vertébrale de la Tradition, son instrument providentiel, sur lequel doivent s’appuyer toutes les initiatives de tradition. Les évêques n’ont aucune juridiction territoriale, mais pour des raisons pratiques, ils exerceront le plus souvent leur ministère respectivement dans les pays de langue française, anglaise, allemande et espagnole ». Il s’agit de répondre aux besoins de l’apostolat, auxquels l’ancien missionnaire ne peut plus faire face.
Pas de schisme ni de rupture avec la Rome catholique

Les sacres de 1988 ont été bien pensés. Ils répondent à une situation extraordinaire. Ils ne sont pas le fruit d’une sédition, mais un acte pour assurer l’ordre alors que l’anarchie se répand. L’archevêque l’explique très bien au cours de la conférence de presse. L’esprit d’Assise, « les idées modernes et modernistes qui sont passées à travers le Concile » et qui corrompent la foi, justifient un tel acte, malgré les sanctions apparentes. Jamais Mgr Lefebvre ne fera schisme avec le successeur de Pierre. Mais avec le pape moderniste, à savoir « avec les idées qu’il répand partout, les idées de la Révolution, les idées modernes, oui ». Et d’insister : « Nous n’avons personnellement aucune intention de rupture avec Rome. Nous voulons être unis à la Rome de toujours et nous sommes persuadés d’être unis à la Rome de toujours, parce que dans nos séminaires, dans nos prédications, dans toute notre vie et la vie des chrétiens qui nous suivent, nous continuons la vie traditionnelle comme elle l’était avant le concile Vatican II et qu’elle a été vécue pendant vingt siècles. Alors, je ne vois pas pourquoi nous serions en rupture avec Rome parce que nous faisons ce que Rome elle-même a conseillé de faire pendant vingt siècles. Cela n’est pas possible ».

D’ailleurs, l’infraction à une loi ecclésiastique de nature disciplinaire ne saurait constituer un schisme, c’est-à-dire un péché contre l’unité de l’Eglise. Il ne s’agit pas de fonder une « petite Eglise » qui ne reconnaîtrait pas le fondement pétrinien de l’institution fondée par Notre Seigneur Jésus-Christ et s’en séparerait formellement. Les lois de l’Eglise ne sauraient servir à sa destruction alors que les erreurs corrompent partout la foi et les mœurs. Face à un tel enjeu, le télégramme du cardinal Ratzinger du 29 juin, enjoignant le prélat d’Ecône à « partir dès aujourd’hui pour Rome sans procéder aux ordinations épiscopales », apparaît bien futile.
Le mandat de l’Eglise
Lors de la cérémonie historique du 30 juin, Mgr Lefebvre lit un mandat où il explique que le modernisme des autorités de l’Eglise rend nulles les peines et les censures qu’il pourrait encourir. Par contre, c’est l’Eglise romaine elle-même, « toujours fidèle aux saintes traditions reçues des Apôtres », qui « nous commande de transmettre fidèlement ces saintes traditions – c’est-à-dire le dépôt de la foi – à tous les hommes pour le salut de leurs âmes ».

L’archevêque invoque le salut des âmes pour remonter à l’intention du législateur, qui ne peut vouloir que les lois ecclésiastiques soient utilisées au détriment de la foi. Il s’agit d’un acte d’epikie, qui relève de la vertu de prudence dans des cas exceptionnels, où seule une sagesse plus haute est capable d’éclairer l’esprit de la loi pour ne pas s’arrêter à la lettre. Cet esprit, c’est que dans l’Eglise la Loi suprême est le salut des âmes (salus animarum suprema lex).

Ce que l’Eglise commande – l’Eglise que Mgr Lefebvre qualifie souvent « de toujours », pour désigner l’Eglise romaine fidèle à ses traditions, par opposition à l’Eglise conciliaire imbue des nouveautés destructrices de la foi –, oblige en conscience l’archevêque : « C’est pourquoi, ayant pitié de cette foule, j’ai le très grave devoir de transmettre ma grâce épiscopale à ces chers prêtres, afin qu’eux-mêmes puissent conférer la grâce sacerdotale à de nombreux et saints clercs formés selon les saintes traditions de l’Eglise catholique ».

Finalement, en ce 30 juin, Mgr Lefebvre accomplit un acte héroïque dans la plus pure continuité de ce qu’il écrivait le 4 juillet 1984, où en quelques lignes il livrait l’esprit qui l’animait : « C’est pourquoi je m’entête, et si vous voulez connaître la raison profonde de cet entêtement, la voici. Je veux qu’à l’heure de ma mort, lorsque Notre-Seigneur me demandera : “Qu’as-tu fait de ton épiscopat, qu’as-tu fait de ta grâce épiscopale et sacerdotale ?” je n’entende pas de sa bouche ces mots terribles : “Tu as contribué à détruire l’Eglise avec les autres” ».

Face au grave devoir de l’heure présente, Mgr Lefebvre ne s’est pas dérobé.

Abbé Christian Thouvenot 

[Mgr Williamson - Initiative St Marcel] Une Élection-Survie ?

SOURCE - Mgr Williamson - Initiative St Marcel - 30 juin 2018

La Fraternité a servi. Peut-elle continuer ?
A Dieu de voir comment l’Eglise est conservée.

La prochaine élection des trois principaux dirigeants de la Fraternité Saint-Pie X aura lieu dans une quinzaine de jours environ. L’enjeu est d’une grande importance. Durant les 20 premières années de son existence, la FSSPX réussit à s’opposer, avec une rare efficacité, à la nouvelle religion centrée sur l’homme qui, à la suite du Concile Vatican II, avait pris le dessus et occupait l’Église catholique. Mais, depuis vingt ans hélas, le Supérieur Général n’a cessé d’affaiblir cette institution face aux responsables romains qui manœuvrent à la tête de la nouvelle religion conciliaire. Sera-t-il ou ne sera-t-il pas réélu pour un troisième mandat à la mi-juillet ? S’il est réélu, on ne voit pas comment la Fraternité pourra échapper au contrôle des conciliaires. S’il n’est pas réélu, celui qui le remplacera devra bénéficier d’un miracle surnaturel ou faire preuve de grandes qualités naturelles pour restaurer la Fraternité dans l’intention originelle de son Fondateur et pour rétablir Jésus-Christ sur Son Trône en tant que Dieu et Roi de tous les hommes. C’est pourquoi ceux qui tirent la sonnette d’alarme à propos de la pénétration du libéralisme à l’intérieur de la Fraternité n’agissent certes pas en ennemis, mais en amis.

Est-il possible que la noble tentative de Mgr Lefebvre de combattre le libéralisme athée en fondant la Fraternité en 1970 ait été vouée à l’échec dès le départ ? Certes, Monseigneur avait avec lui le Bon Dieu, ainsi que le prouvent tant d’interventions quasi-miraculeuses dans les débuts de la Fraternité ; mais, d’un autre côté, il avait contre lui l’Église conciliaire et le monde moderne tout entier : ce qui était la norme depuis la primitive Église des Apôtres et des martyrs, à savoir la civilisation chrétienne, était, à son époque, devenu tout à fait anormal. Tant et si bie n qu’ on peut se demander comment les jeunes vocations, qu’il avait attirées dans les années 1970 et 1980 et qui sont maintenant à la tête de sa Fraternité, auraient pu connaître cet ordre relativement normal de l’Église ? Ordre que lui-même avait connu entre les deux guerres mondiales. Et alors comment auraient-ils pu construire ce qu’ils ne connaissaient pas ? Et comment, humainement parlant, pourraient-ils aujourd’hui échapper à la pression qu’exerce le monde contemporain contre tout ce qu’il juge anormal ?

Car il est devenu tout à fait normal que les hommes ne croient plus en Dieu ou, s’ils croient en Lui, qu’il soit traité comme quantité négligeable. Tout ce qu’il lui reste à faire, c’est de se tenir à l’écart. Face, l’homme gagne ; pile, Dieu perd. Tout bien considéré, Dieu est si bon qu’il ne pourrait jamais condamner un être humain aux feux éternels de l’enfer. Par ailleurs, les hommes sont si bons que le simple fait d ’être homme leur confère une telle dignité, qu’ils méritent tous d’aller au Ciel. Dieu ne nous a-t-il pas donné la vie pour que nous en jouissions ? Et donc, en nous prescrivant les dix commandements, comment a-t-il pu vouloir que nous n’en jouissions pas ? L’église d’hier a donné cette impression, mais, après des siècles de paysannerie arriérée, l’homme de l’âge technique est maintenant arrivé à l’âge adulte. Il était plus que temps que la vieille église cède le pas à l’église du Nouvel Ordre Mondial. C’est maintenant une église qui resplendit par l’intégration plutôt que par l’exclusion ; par la liberté plutôt que par les interdits ; par le libéralisme plutôt que par le catholicisme.

N’empêche, d’un point de vue surnaturel personne ne peut exclure la possibilité d’une aide miraculeuse venue du Ciel, par laquelle le Chapitre Général de la FSSPX choisira trois dirigeants qui comprendront ce que Dieu attend de la Fraternité. Ceux-ci promettront alors de lui donner, avec Son aide, une Fraternité rétablie dans sa vocation de témoin, dans toute l’Église, de la Royauté Sociale du Christ-Roi et de la seule vraie Religion, instituée par le Dieu incarné. Mais, humainement parlant, personne ne doit se faire d’illusion quant à la probabilité d’une telle aide miraculeuse. Dieu ne doit ses miracles à personne. Il était déjà miraculeux que la Fraternité pût naître, survivre, prospérer et rayonner dans toute l’Église durant 40 ans. Peut-être a-t-elle ainsi joué son rôle en transmettant la Tradition aussi longtemps que Dieu l’a voulu. Maintenant, tout ce qu’il lui reste à faire, c’est d’observer comment le même flambeau passera à d’autres. Dieu seul sait. Les hommes proposent, et Dieu dispose.

Pour notre part, nous prions : Très Sainte Mère de Dieu, obtenez de votre divin Fils que le Chapitre Général de la Fraternité se choisisse, pour les 12 prochaines années, des dirigeants qui soient de véritables serviteurs du Christ, qui n’opposent à Ses intérêts ni ambition ni calculs humains, mais qui œuvrent pour la restauration de sa Royauté sur l’humanité tout entière, pour le triomphe de votre Cœur Immaculé et pour le salut des âmes. Ainsi soit-il.

Kyrie eleison.

29 juin 2018

[FSSPX Actualités] Rome : débat sur le modernisme et les racines de la crise dans l’Eglise

SOURCE - FSSPX Actualités - 29 juin 2018

Organisée par le professeur Roberto de Mattei, une rencontre internationale sur le thème « Modernisme ancien et nouveau : les racines de la crise dans l’Eglise », s’est tenue le samedi 23 juin 2018, dans la salle de conférence de l’Hôtel Massimo d’Azeglio, au cœur de Rome.

Le congrès, qui s’inscrivait dans la droite ligne de la Correctio filialis du 16 juillet 2017 – dont beaucoup des signataires étaient d’ailleurs présents comme conférenciers ou assistants –, eut un caractère scientifique élevé, ainsi que l’ont montré le curriculum vitæ des intervenants et le niveau des différentes conférences. Le professeur de Mattei précisa dès le début que le but de la rencontre n’était pas de proposer des conclusions toutes faites – le dernier mot revenant au Magistère solennel de l’Eglise –, mais bien d’ouvrir un débat.

A la fin de la journée, l’universitaire italien a parfaitement résumé le congrès et les aspects essentiels des interventions :

« Nous entendions ouvrir un débat au sein de l’Eglise, plutôt que de le régler. Nous n’avons pas autorité pour clore un débat, mais nous avons tout à fait le droit de l’ouvrir, en posant des questions, en soulevant des doutes et en mettant en lumière des problèmes réels. Dans mon intervention, j’ai cherché à dresser un panorama historique, en commençant par le modernisme, pour tâcher de montrer comment, un siècle plus tard, nous vivons encore immergés dans les mêmes problèmes, ou plutôt dans un néo-modernisme.

« John Lamont a analysé le rapport entre modernisme et “nouvelle théologie”, en faisant des distinctions utiles entre les deux phases de ce phénomène : la première au temps de saint Pie X et la deuxième sous Pie XII – sans mettre pour autant en question leur continuité fondamentale –, et en soulignant également une certaine faiblesse de l’autorité ecclésiastique, lors de la deuxième phase, dans la manière de contrer cette attaque.

« Enrico Maria Radaelli a rappelé la grande figure et l’importance de l’œuvre de Romano Amerio, et a étendu son analyse aux papes les plus récents.

« Le père Albert Kallio o.p. nous a rappelé l’importance, dans le concile Vatican II, de la doctrine de la collégialité, qui a des conséquences importantes tant sur le plan théologique que sur le plan pratique, car elle contredit de nombreuses vérités de la foi.

« L’abbé Claude Barthe a montré qu’à un concile “pastoral” correspond également une liturgie “pastorale”, et a ainsi analysé le problème liturgique sous un rapport nouveau et intéressant.

« Maria Guarini – qui s’est réclamée d’un autre maître à placer aux côtés de Romano Amerio, Mgr Brunero Gherardini – a développé le rapport entre deux problèmes déjà évoqués, mais qu’elle a eu le mérite d’analyser dans leurs relations mutuelles, le problème de la liturgie et celui de la collégialité.

« Don Alberto Strumia a traité d’un sujet assez inédit dans nos congrès : une confrontation constructive entre sciences naturelles et sciences sacrées. Il a souligné un fait paradoxal, à savoir qu’à l’heure où les théologiens catholiques se “dés-hellénisent” en abandonnant la métaphysique aristotélico-thomiste, nombre de chercheurs contemporains, même athées, redécouvrent Aristote et l’utilisent comme base pour leurs études.

« Nous avons aussi reçu un message de Mgr Bernard Fellay, Supérieur de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, lequel nous a montré que les difficultés que nous connaissons et dont nous débattons aujourd’hui, ont leurs racines dans les années du Concile et du post-concile. Il a mis au jour une documentation très intéressante, tirée d’une correspondance entre le cardinal Ottaviani et Mgr Lefebvre.

« Nous avons clôturé nos travaux avec deux conférences très actuelles, celle du professeur Valerio Gigliotti sur la question débattue de l’hypothèse d’un pape hérétique, et celle de José Antonio Ureta sur le “changement de paradigme” qui s’est manifesté avec le pontificat du pape François. Valerio Gigliotti n’a pas fait de références concrètes à la situation actuelle, mais il a abordé la question du pape hérétique à la lumière de l’histoire de l’Eglise et du droit canonique, en rappelant que la tradition théologique et juridique de l’Eglise admet à la quasi-unanimité la possibilité de l’hérésie d’un pape. José Antonio Ureta nous a proposé une voie concrète, celle d’une résistance qui peut même aller jusqu’à interrompre la cohabitation avec les mauvais pasteurs, car il n’est pas possible d’être dans un état d’union ecclésiale habituel – pour ne donner qu’un exemple – avec des hommes d’Eglise favorables à la communion des “divorcés remariés” ou à l’intercommunion : comment pourrions-nous ainsi envoyer nos enfants suivre des cours de catéchisme chez de tels prêtres ?

« Quelles sont, en dernière analyse, la fin et l’importance d’une telle rencontre ? […] La doctrine de l’Eglise n’est pas perdue, mais ce que l’on a perdu, c’est le sensus fidei. Je crois que des initiatives de ce genre permettent notamment de reconstruire et de nourrir le sensus fidei. Nous ne nous faisons pas l’illusion que nous allons changer la situation institutionnelle de l’Eglise ; notre action se situe au niveau du monde catholique, de ceux qui, parmi les catholiques, sont encore assez proches de la Tradition, pour précisément renforcer ce sensus fidei et pour créer, par ces rencontres, un réseau, une convergence d’idées, de pensée et d’esprit, ce cor unum et anima una qui a toujours caractérisé les communautés authentiquement catholiques. […] C’est là une condition indispensable pour que la doctrine puisse trouver une application concrète dans la réalité.

« Cette rencontre, conclut le professeur de Mattei, est une suite idéale de la Correctio filialis. Soyez-en certains, ce ne sera pas la dernière : d’autres suivront. »

Cette journée d’études et de profession de foi se termina par la bénédiction que donna Mgr Marco Agostini, officiel de la Secrétairerie d’Etat et cérémoniaire pontifical, présent au congrès.

Abbé Angelo Citati

[FSSPX Actualités] Un vrai renouveau de l’Eglise ou une réintégration dans l’Eglise conciliaire? / Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres (4)

SOURCE - FSSPX Actualités - 29 juin 2018

["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
  1. L’annonce des sacres
  2. Après l’annonce des sacres, les propositions romaines
  3. Le protocole de mai 1988
  4. Un vrai renouveau de l’Eglise ou une réintégration dans l’Eglise conciliaire?
  5. Une journée historique, le 30 juin 1988

Dans l’attente du retour de Rome à la Tradition
Depuis Ecône, Mgr Lefebvre prépare une lettre au pape. Il y dresse le constat « qu’une grave difficulté surgit à l’occasion de l’épiscopat accordé à la Fraternité pour me succéder dans ma fonction épiscopale ». Il comprend que, du côté du Saint-Siège, la question de l’épiscopat est « source d’appréhensions et de soucis », « qui provoquent des délais, des réponses évasives (…) depuis plus d’un an ». Tout est prêt pour le 30 juin, date ultime : « Les accords sont signés, les noms des candidats sont proposés. Si le cardinal Ratzinger a un emploi du temps trop chargé pour préparer les mandats, le cardinal Gagnon pourrait peut-être s’en charger. Très Saint Père, veuillez mettre un terme à ce douloureux problème… »

Une fois encore, le prélat explique comment le renouveau serait obtenu si le pape donnait à l’Eglise « des évêques libres de faire revivre la foi et la vertu chrétienne par les moyens que Notre-Seigneur a confiés à son Eglise pour la sanctification des prêtres et des fidèles. Seul, un milieu entièrement dégagé des erreurs modernes et des mœurs modernes peut permettre ce renouveau ». Il ne tient qu’au pape de développer, par ses décisions, un tel milieu rénové. Ce serait le moyen de procurer à l’Eglise, avec la grâce de Dieu « une nouvelle jeunesse » qui « transformera la société païenne en société chrétienne ».
Retour au Palais du Saint-Office
Le 24 mai, Mgr Lefebvre est à Rome où il rencontre le cardinal Ratzinger et ses secrétaires. Il lui remet sa lettre au pape et une autre lettre, celle-ci adressée au cardinal, rédigée le jour-même. Dans ce courrier daté du 24 mai, il revient sur ce qu’il lui écrivait le 6 mai, au lendemain de la signature qu’il avait apposée à la déclaration doctrinale. « A la réflexion, lui confie-t-il, il nous apparaît clairement que le but des colloques et de la réconciliation est de nous réintégrer dans l’Eglise conciliaire, l’unique Eglise à laquelle vous nous faisiez allusion dans les entretiens ». Il y a méprise, puisque « nous pensions que vous nous donneriez les moyens de continuer et de développer les œuvres de la Tradition, spécialement en me donnant quelques coadjuteurs, au moins trois, et en donnant aussi dans l’organisme romain une majorité à la Tradition ». Car il s’agit toujours de se maintenir « en dehors de toute influence progressiste et conciliaire ». Mgr Lefebvre n’a pas varié sur ce point. Dès le début des négociations, un an plus tôt, il avait cru pouvoir travailler officiellement en étant reconnu tel quel, sans avoir à adopter les nouveautés de Vatican II.

Finalement, Mgr Lefebvre reprend les choses en main : « C’est pourquoi, à notre grand regret, nous nous voyons obligés de vous demander qu’avant la date du 1er juin vous nous indiquiez clairement quelle sont les intentions du Saint-Siège sur ces deux points : consécration des trois évêques postulés pour le 30 juin et majorité des membres de la Tradition dans la Commission romaine. Sans réponse sur ces requêtes, je procèderai à la publication des noms des candidats que je consacrerai le 30 juin avec le concours de S. Exc. Mgr de Castro Mayer. Ma santé, les nécessités apostoliques pour la croissance de nos œuvres, ne permettent plus de délais supplémentaires ».

Au cours de l’entretien, le cardinal fait allusion à la date du 15 août, sans répondre aux autres problèmes en suspens. Une semaine plus tard, Mgr Lefebvre est au Pointet, près de Vichy, pour informer les responsables des différentes communautés et leur exposer les tenants et aboutissants de ce que Rome appelle une « réconciliation ». Il parle de sacrer désormais quatre évêques et de la promesse de Mgr de Castro Mayer de venir à Ecône pour l’assister dans cet acte si important.

Le même jour, 30 mai, le cardinal Ratzinger écrit à Mgr Lefebvre pour lui faire part de la réponse de Jean-Paul II à sa lettre du 20 mai et de la sienne à sa lettre du 24 mai. Sur la question de la Commission romaine, il est répondu qu’il convient de s’en tenir aux termes – pourtant vagues – du protocole et que le Saint-Père saura nommer les personnes qu’il faut. Sur la question de la consécration épiscopale, il est répondu que le pape est disposé à nommer un évêque membre de la Fraternité, « et à faire accélérer le processus habituel de nomination, de manière à ce que la consécration puisse avoir lieu pour la clôture de l’Année Mariale le 15 août prochain ». Le cardinal Ratzinger demande enfin à Mgr Lefebvre de renoncer à ordonner trois évêques le 30 juin, bien qu’il l’ait déjà publiquement annoncé. C’est la première fois que Rome propose une date précise, après avoir expliqué qu’au 15 août, en pleines vacances, c’était impossible. Mais il est trop tard. Mgr Lefebvre est fatigué de tant d’atermoiement et d’obtenir si peu après tant d’efforts. Cela fait déjà plusieurs semaines que le lien de confiance ne tient qu’à un fil.
La rupture du processus de réconciliation
Mgr Lefebvre tire les conséquences immédiatement du courrier du cardinal Ratzinger. Le 2 juin, il écrit au Saint-Père une lettre dans laquelle il se déclare convaincu, au terme des échanges qui se sont toujours passés « dans une atmosphère de courtoisie et de charité », que « le moment d’une collaboration franche et efficace n’était pas encore arrivé ».

Il rappelle le bien-fondé de son entreprise, qui demeure visiblement incompris de la part des autorités romaines : « si tout chrétien est autorisé à demander aux autorités compétentes de l’Eglise qu’on lui garde la foi de son baptême, que dire des prêtres, des religieux, des religieuses ? ». Or, « c’est pour garder intacte la foi de notre baptême que nous avons dû nous opposer à l’esprit de Vatican II et aux réformes qu’il a inspirées. Le faux œcuménisme, qui est à l’origine de toutes les innovations du Concile, dans la liturgie, dans les relations nouvelles de l’Eglise et du monde, dans la conception de l’Eglise elle-même, conduit l’Eglise à sa ruine et les catholiques à l’apostasie ».

Dès lors que nous sommes, explique Mgr Lefebvre, « radicalement opposés à cette destruction de notre foi, et résolus à demeurer dans la doctrine et la discipline traditionnelle de l’Eglise, spécialement en ce qui concerne la formation sacerdotale et la vie religieuse, nous éprouvons la nécessité absolue d’avoir des autorités ecclésiastiques qui épousent nos préoccupations et nous aident à nous prémunir contre l’esprit de Vatican II et l’esprit d’Assise.

« C’est pourquoi nous demandons plusieurs évêques, choisis dans la Tradition, et la majorité des membres dans la Commission romaine, afin de nous protéger de toute compromission. Etant donné le refus de considérer nos requêtes, et étant évident que le but de cette réconciliation n’est pas du tout le même pour le Saint-Siège que pour nous, nous croyons préférable d’attendre des temps plus propices au retour de Rome à la Tradition.

« C’est pourquoi nous nous donnerons nous-mêmes les moyens de poursuivre l’œuvre que la Providence nous a confiée, assurés par la lettre de Son Eminence le cardinal Ratzinger datée du 30 mai, que la consécration épiscopale n’est pas contraire à la volonté du Saint-Siège, puisqu’elle est accordée pour le 15 août. Nous continuerons de prier pour que la Rome moderne, infestée de modernisme, redevienne la Rome catholique et retrouve sa Tradition bimillénaire. Alors le problème de la réconciliation n’aura plus de raison d’être et l’Eglise retrouvera une nouvelle jeunesse ».
L’intervention du pape Jean-Paul II
La réaction romaine est semblable à celle des années 1975-1976, lorsque le pape Paul VI se décidait à prendre lui-même la plume. Le 9 juin, Jean-Paul II adresse à Mgr Lefebvre une lettre solennelle. Il revient aux solutions auxquelles avait abouti l’accord du 5 mai : « elles permettaient à la Fraternité Saint-Pie X d’exister et d’œuvrer dans l’Eglise en pleine communion avec le Souverain Pontife, gardien de l’unité dans la Vérité. Pour sa part, le Siège Apostolique ne poursuivait qu’un seul but dans ces conversations avec vous : favoriser et sauvegarder cette unité dans l’obéissance à la Révélation divine, traduite et interprétée par le Magistère de l’Eglise, notamment dans les vingt et un Conciles œcuméniques, de Nicée à Vatican II ».

Le problème doctrinal soulevé par Vatican II, concile atypique parce que pastoral, est évacué. Si le Saint Père avait pour intention de ramener le prélat français à l’obéissance à Vatican II, il ne pouvait que se méprendre. Dès lors, les demandes de l’archevêque au sujet des ordinations épiscopales ne pourront apparaître « que comme un acte schismatique dont les conséquences théologiques et canoniques inévitables vous sont connues. Je vous invite ardemment au retour, dans l’humilité, à la pleine obéissance au Vicaire du Christ. »

L’incompréhension est totale et les tensions ressurgissent, désormais médiatisées pour prendre un tour plus dramatique à mesure qu’approchent les sacres du 30 juin 1988.

["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
  1. L’annonce des sacres
  2. Après l’annonce des sacres, les propositions romaines
  3. Le protocole de mai 1988
  4. Un vrai renouveau de l’Eglise ou une réintégration dans l’Eglise conciliaire?
  5. Une journée historique, le 30 juin 1988

28 juin 2018

[FSSPX Actualités] Le protocole de mai 1988 / Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres (3)


SOURCE - FSSPX Actualités - 28 juin 2018

["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
  1. L’annonce des sacres
  2. Après l’annonce des sacres, les propositions romaines
  3. Le protocole de mai 1988
  4. Un vrai renouveau de l’Eglise ou une réintégration dans l’Eglise conciliaire?
  5. Une journée historique, le 30 juin 1988

Le protocole du 5 mai 1988
La rencontre des experts a lieu du mardi 12 avril au jeudi 14 avril 1988 à Rome. En présence du Père Benoît Duroux o.p., qui joue le rôle de modérateur, don Fernando Ocariz, théologien, et don Tarcisio Bertone, canoniste, font face à l’abbé Bernard Tissier de Mallerais, théologien, et Patrice Laroche, canoniste. Les bases d’un accord sont définies et immédiatement soumises à Mgr Lefebvre. Celui-ci ne cache pas son contentement. Dès le 15 avril, à la lecture du procès-verbal établi par le Père Duroux, il écrit d’Albano au cardinal Ratzinger qu’il est très heureux que « nous nous acheminions vers un accord ».

Mgr Lefebvre se félicite de l’érection de la Fraternité Saint-Pie X comme Société de vie apostolique de droit pontifical, jouissant d’une pleine autonomie et capable de former ses membres, d’incardiner ses clercs et d’assurer la vie commune de ses membres. De plus, selon les termes du procès-verbal qui servira de protocole d’accord, Rome accorde « une certaine exemption par rapport aux évêques diocésains pour ce qui concerne le culte public, la cura animarum et les autres activités apostoliques ». La juridiction à l’égard des fidèles sera conférée soit par les Ordinaires des lieux soit par le Siège apostolique. Une Commission romaine sera constituée par les soins du Saint-Siège, et seulement « un ou deux membres appartenant à la Fraternité » y siègeront. Le document mentionne enfin que, « au niveau pratique et psychologique, on envisage l’utilité de la consécration d’un évêque membre de la Fraternité ». Les propositions de Mgr Lefebvre ont été pour l’essentiel entendues.

Aussi se réjouit-il vivement, dans sa lettre au cardinal Ratzinger, d’avoir enfin un successeur dans l’épiscopat. Mais, observe-t-il, « un seul évêque aura bien de la peine à suffire à la tâche, ne serait-il pas possible d’en avoir deux, ou au moins qu’il soit prévu la possibilité d’en augmenter le nombre d’ici six mois ou un an ? » Il glisse également une idée promise à un bel avenir : à l’occasion de cet accord, « ne serait-il pas souhaitable que soit accordée à tous les évêques et les prêtres la possibilité d’utiliser les Livres liturgiques de Jean XXIII ? » Il faudra attendre presque vingt ans pour que soit reconnu à tous les prêtres du monde catholique le droit d’utiliser la liturgie d’avant le Concile…
La signature
Enfin, Mgr Lefebvre accepte le principe et la teneur d’une courte déclaration doctrinale, bien qu’à l’origine il n’en fut pas question. Il en envoie le texte le jour même, 15 avril 1988. C’est, à quelques détails près, ce même texte qu’il viendra signer trois semaines plus tard à Rome, le 5 mai. Il consiste en cinq points :

1 - « Nous promettons d’être toujours fidèles à l’Eglise catholique et au Pontife romain, son Pasteur suprême, Vicaire du Christ, Successeur du bienheureux Pierre dans sa primauté et Chef du corps des évêques ;

2 - « Nous déclarons accepter la doctrine contenue dans le numéro 25 de la Constitution dogmatique Lumen gentium du Concile Vatican II sur le Magistère ecclésiastique et l’adhésion qui lui est due ;

3 - « A propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit qui nous paraissent difficilement conciliables avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège apostolique, en évitant toute polémique ;

4 - « Nous déclarons en outre reconnaître la validité du Sacrifice de la Messe et des Sacrements célébrés avec l’intention de faire ce que fait l’Eglise et selon les rites indiqués dans les éditions typiques du Missel romain et des Rituels des Sacrements promulgués par les papes Paul VI et Jean-Paul II ;

5 - « Enfin nous promettons de respecter la discipline commune de l’Eglise et les lois ecclésiastiques, spécialement celles contenues dans le Code de Droit canonique promulgué par le pape Jean-Paul II, restant sauve la discipline spéciale concédée à la Fraternité par une loi particulière ».

Entre le 15 avril et le 5 mai, Mgr Lefebvre estime avoir obtenu un bon accord et assuré la stabilité et la pérennité de son œuvre. Enthousiaste, il écrit à l’un de ses prêtres le 20 avril que les pourparlers « semblent s’orienter vers une solution acceptable qui nous accorderait ce que nous avons toujours demandé. Il est difficile de ne pas voir l’action de Notre-Dame de Fatima dans ce recul de Rome. Je dois bientôt me rendre à Rome pour signer les accords définitifs, si rien n’est changé à ce qui a été conclu la semaine dernière ».

C’est ainsi qu’il participe le 4 mai à un ultime colloque à Albano, près de Rome, et qu’il signe le 5 mai la déclaration du protocole d’accord, en la fête de saint Pie V. Le jour même, il écrit au pape Jean-Paul II pour le remercier des initiatives qu’il a bien voulu prendre et qui « ont abouti à une solution acceptable de part et d’autre ». Le document qu’il vient de signer pourrait, estime-t-il, « être le point de départ des différentes mesures qui nous rendraient la légalité dans l’Eglise : la reconnaissance légale de la Fraternité comme société de droit pontifical, l’utilisation des livres liturgiques de Jean XXIII, la constitution d’une Commission romaine et autres mesures indiquées dans le protocole d’accord ». Tout reste encore à faire. Il assure le Souverain Pontife que « les membres de la Fraternité, et toutes les personnes qui lui sont moralement unies, se réjouissent de l’accord, et en rendent grâces à Dieu et à Vous-même ».

Un communiqué de presse est préparé pour le 7 mai, ainsi qu’une nouvelle lettre au pape pour entrer dans le détail des prochaines étapes. Mais après une mauvaise nuit, le lendemain, vendredi 6 mai, Mgr Lefebvre se rétracte. Que s’est-il passé?
Un malaise, une déception, des demandes d’éclaircissement
Jusqu’au bout, Mgr Lefebvre a cru qu’il pouvait signer ce texte et faire confiance à ses interlocuteurs pour obtenir au moins un successeur et garantir la pérennité de son œuvre. Le point essentiel est d’obtenir si possible une ou des consécrations épiscopales avec l’autorisation du Saint-Siège. Le protocole d’accord que Mgr Lefebvre accepte de signer le 5 mai 1988 prévoit que « pour des raisons pratiques et psychologiques, apparaît l’utilité de la consécration d’un évêque membre de la Fraternité » (n°5, 2). Aucune date n’est prévue. Mais surtout, au moment de la signature du protocole, le cardinal Ratzinger remet à Mgr Lefebvre une lettre, datée du 28 avril 1988, qui sème le trouble et la déception dans l’esprit de l’homme d’Eglise.

Dans cette lettre, le Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi écrit que la nomination d’un évêque « ne pourrait toutefois pas intervenir dans l’immédiat, ne serait-ce qu’en raison de l’établissement et de l’examen des dossiers ». Or, on l’a vu, Mgr Lefebvre tient beaucoup à ce que l’on ne tarde plus. Lors des discussions de la mi-avril à Rome, il a été demandé que cette consécration épiscopale d’un prêtre issu de la Fraternité puisse intervenir dans un délai très proche, comme il l’avait mentionné dans sa lettre à Jean-Paul II, le 20 février précédent. L’urgence de la nomination d’un successeur est d’abord motivée par « le grand âge de Mgr Lefebvre et l’épuisement physique qu’il ressent depuis quelques mois » (Note au sujet de l’épiscopat dans la Fraternité, annexée au procès-verbal du 15 avril 1988). Ce qui a été accordé du bout des doigts (« l’utilité de la consécration d’un évêque ») est remis à une date inconnue.

On comprend donc pourquoi Mgr Lefebvre écrit dès le 6 mai au cardinal Ratzinger ces lignes qui en disent long sur son état d’esprit : « Hier, c’est avec une réelle satisfaction que j’ai apposé la signature au protocole élaboré les jours précédents. Mais vous avez pu vous-même constater la profonde déception à la lecture de la lettre que vous m’avez remise m’apportant la réponse du Saint Père au sujet de la consécration épiscopale. Il m’est pratiquement demandé de reporter la consécration à une date ultérieure non fixée. Ce serait la quatrième fois que je remettrais la date de la consécration à plus tard. La date du 30 juin a été bien indiquée dans une de mes lettres précédentes, comme étant la date limite. Je vous ai remis un premier dossier concernant les candidats. Et il reste encore près de deux mois pour établir le mandat. Etant donné les circonstances particulières de ces propositions, le Saint Père peut facilement alléger la procédure pour que le mandat nous soit communiqué à la mi-juin. Si la réponse était négative, je me verrais en conscience obligé de procéder à la consécration, m’appuyant sur l’agrément donné par le Saint-Siège dans le protocole pour la consécration d’un évêque membre de la Fraternité ».

L’archevêque fait état des réticences romaines exprimées tant oralement que par écrit, qui contrastent avec l’attente des prêtres et des fidèles qui ne comprendraient pas un nouveau délai, et qui vivent dans l’attente « d’avoir de vrais évêques catholiques leur transmettant la vraie foi et leur communiquant d’une manière certaine les grâces du salut auquel ils aspirent pour eux et pour leurs enfants ». Il conclut en exprimant « l’espoir que cette requête ne soulèvera pas un obstacle irréductible à la réconciliation en cours ».

Le jour même, le cardinal Ratzinger sursoit la publication du communiqué de presse et demande à Mgr Lefebvre de reconsidérer sa position, estimant que ses intentions concernant la consécration épiscopale d’un membre de la Fraternité le 30 juin sont en contraste très net avec ce qui a été accepté dans le protocole. Bref, il chicane et veut ignorer les demandes plusieurs fois exprimées d’assurer au fondateur d’Ecône une succession épiscopale. Celui-ci s’en retourne, déçu.
« On veut nous mener en bateau »
Lors de la conférence de presse qu’il tiendra à Ecône le 15 juin, il révèlera certains aspects des discussions de ces jours-là.

Mgr Lefebvre : « D’ici le 30 juin vous avez le temps de préparer, de faire une enquête et de me donner le mandat…

Cardinal Ratzinger : « Ah ! non, non, non, c’est impossible ; le 30 juin, impossible.

– Alors quand ? Le 15 août ? À la fin de l’année mariale ? Ah ! non, non, non, Monseigneur. Vous savez bien, le 15 août à Rome il n’y a plus personne. Du 15 juillet au 15 septembre ce sont les vacances, il ne faut pas compter sur le 15 août, ce n’est pas possible.
– Alors disons le 1er novembre, la Toussaint ?
– Ah ! je ne sais pas, je ne peux pas vous le dire.
– Pour Noël ?
– Je ne peux pas vous le dire ».

Le sentiment général, dira Mgr Lefebvre, est qu’on veut « le mener en bateau ». Il perd confiance et ne croit plus aux promesses et aux assurances de ses interlocuteurs… Il a aussi l’impression qu’on abuse de ses forces, alors que les préparatifs vont bon train à Ecône.
De nouvelles exigences de Rome
Le 17 mai, le cardinal Ratzinger remet à l’abbé Emmanuel du Chalard, intermédiaire sur place de Mgr Lefebvre, un projet de lettre « plus conforme aux exigences du style de la Curie romaine ».

En fait, la lettre que l’archevêque a adressée au pape Jean-Paul II le 5 mai ne suffit plus. Il faut encore qu’il « demande humblement pardon de tout ce qui, malgré [sa] bonne foi, a pu causer du chagrin au Vicaire du Christ ». Il doit surtout se contenter de suggérer, « sans exiger aucune date » (« senza esigere alcuna data »), qu’un évêque soit sacré pour lui succéder. Voici les termes mêmes de la lettre définitive qu’il est prié d’envoyer au Saint Père : « Je sais bien que la régularisation canonique de la Fraternité ne prévoira pas, parce qu’elle n’est pas nécessaire en elle-même, l’ordination d’un évêque qui puisse prendre ma place. Cependant, en raison surtout de la nécessité pratique d’un évêque qui célèbre les fonctions pontificales selon les rites antérieurs à la réforme liturgique, je serais très heureux si Votre Sainteté nommait un évêque qui, en ce sens, pourrait me succéder ». La lettre doit être humble et sans condition, de sorte que le pape puisse plus facilement accorder ce qui lui est demandé. Une nouvelle fois, ce qui a été accordé du bout des doigts n’en finit plus de faire l’objet de chicane et d’atermoiement.

De plus, l’abbé du Chalard ayant confirmé l’intention du fondateur d’Ecône de sacrer trois évêques au 30 juin, le cardinal lui demande de transmettre une invitation à revenir à Rome. Une nouvelle rencontre est alors prévue pour le 24 mai.

["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
  1. L’annonce des sacres
  2. Après l’annonce des sacres, les propositions romaines
  3. Le protocole de mai 1988
  4. Un vrai renouveau de l’Eglise ou une réintégration dans l’Eglise conciliaire?
  5. Une journée historique, le 30 juin 1988

[Tagespost - FSSPX Actualités] Entretien avec Mgr Bernard Fellay

SOURCE - Tagespost - FSSPX Actualités - 28 juin 2018

Excellence, comment avez-vous considéré votre consécration épiscopale, il y a 30 ans ? Était-ce pour vous une séparation définitive de Rome ou une étape intermédiaire dans un conflit où vous conserviez l’idée d’une réconciliation ?

Si cela avait été une séparation de Rome, je ne serais pas ici aujourd'hui. Mgr Lefebvre ne m'aurait pas consacré, et je l'aurais refusé. Il ne s'agissait donc pas d'une séparation d’avec l'Eglise, mais plutôt d'une démarcation par rapport à l'esprit moderne, par rapport aux fruits du Concile. Depuis (ces sacres), d’autres personnes que nous reconnaissent qu’il y a quelque chose qui s'est mal passé au Concile. Elles confirment beaucoup des idées et des points que nous avons combattus et continuons de combattre. Nous n'avons jamais dit que le Concile avait directement professé des hérésies. Mais on a enlevé le mur de protection contre l'erreur, et on a ainsi permis à l’erreur de se manifester. Les fidèles ont besoin de protection. C'est en cela que consiste la lutte constante de l'Église militante pour défendre la foi.

Mais tous ceux qui critiquent le « Concile des médias », comme le pape émérite Benoît XVI, n’acceptent pas un conflit allant jusqu'à l'excommunication. Pourquoi n'avez-vous pas renforcé les rangs des traditionalistes à l’intérieur de l'Église et lutté pour la vérité dans l'unité avec Rome ?

C'est sûrement dû, en partie, à l'histoire des Français (et notre fondateur est français. NdT). Depuis la Révolution française, un bon nombre de catholiques français se battent contre l’erreur du libéralisme. Par conséquent, les événements pendant et après le Concile y ont été perçus avec beaucoup plus d’acuité et d'attention qu’en Allemagne. Il ne s'agissait pas d'erreurs flagrantes, mais de tendances visant à ouvrir portes et fenêtres. Les réformes qui ont suivi l'ont montré plus clairement que le Concile lui-même. Le problème s’est cristallisé avec la nouvelle messe. A Rome, on disait à Mgr Lefebvre : « C’est tout ou rien : vous célébrez une fois la nouvelle messe et tout rentre dans l’ordre. » Nos arguments contre la nouvelle messe ne comptaient pas. Pourtant le Missel de Paul VI a été rédigé en collaboration avec des théologiens protestants. Si l’on est forcé de célébrer cette messe, il y a vraiment un problème. Et l’on voulait nous y forcer.

Votre refus de la nouvelle messe a-t-il renforcé à la fois votre idée, et celle de Mgr Lefebvre, que la séparation de Rome était voulue par Dieu ?

J'insiste : nous ne nous sommes jamais séparés de l'Eglise.

Mais le fait de l'excommunication parle de lui-même. Pourquoi le pape Benoît XVI aurait-il dû la lever, si elle n’existait pas ?

Dans le Droit canonique de 1917, la consécration d’un évêque sans mandat du pape n'est pas considérée comme un schisme, mais seulement comme un abus d’autorité et n’entraîne pas d’excommunication. L’ensemble de l'histoire de l'Église manifeste un point de vue différent sur le problème des consécrations épiscopales faites sans mandat du pape. C'est très important.

Pourquoi est-ce si important ? En 1988, le nouveau Code de droit canonique était déjà en vigueur, et le Code de 1917 obligeait aussi l'évêque à la fidélité envers le Saint-Siège.

Nous étions alors dans une situation de nécessité, parce que Rome avait désigné un évêque (pour la Fraternité). La rencontre entre le cardinal Ratzinger et Mgr Lefebvre le 5 mai 1988 portait sur la date de sa consécration. Mgr Lefebvre et le cardinal Ratzinger ne parvenaient pas à se mettre d'accord. Mgr Lefebvre avait fait une proposition. Je suis sûr que si le cardinal Ratzinger avait accepté la date du 15 août immédiatement pour la consécration sans chercher à modifier le nom du candidat retenu, Mgr Lefebvre aurait été d’accord. Mais aucune date n’a été fixée. Quand Mgr Lefebvre a demandé au cardinal : « Pourquoi pas à la fin de l'année ? », il a reçu la réponse : « Je ne sais pas, je ne peux pas le dire ». Par conséquent, Mgr Lefebvre pensait qu’on se jouait de lui. C'était certainement une cause de méfiance. Et la méfiance est - jusqu’à aujourd’hui - un mot clé dans notre histoire. Nous travaillons à surmonter cela, puis quelque chose de nouveau arrive entre-temps... C'est vraiment pénible.

Pourquoi le cardinal Ratzinger, grand connaisseur et partisan de la Tradition catholique, et ami de la messe traditionnelle, n'a-t-il pas pu dissiper la méfiance de Mgr Lefebvre ?

Il n’a pas compris à quel point étaient profonds les motifs de Mgr Lefebvre et l'inquiétude des fidèles et des prêtres. Beaucoup parmi eux en ont eu simplement assez des scandales et des vicissitudes postconciliaires, ainsi que de la façon dont la nouvelle messe était célébrée. Si le cardinal Ratzinger nous avait compris, il n'aurait pas agi ainsi. Et je crois qu'il l’a regretté. C’est pourquoi, une fois pape, il a essayé de réparer ces dommages avec le Motu Proprio et la suppression de l’excommunication. Nous lui sommes vraiment reconnaissants pour ses tentatives de réconciliation.

Mais le cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, devait aussi prendre en compte les difficultés et les irritations des autres fidèles : il est irritant, par exemple, que les membres de la Fraternité Saint-Pie X se contredisent sur des points aussi essentiels que la validité de la messe. Certains des vôtres prétendent qu'en assistant à la nouvelle messe, qu'ils considèrent comme « hérétique », on ne remplit pas le précepte dominical.

Je dois contester cela fermement : certes nous parlons de l’invalidité de beaucoup de messes. Mais prétendre que toutes les messes seraient invalides n'est pas la position de la Fraternité. Nous n'avons jamais dit cela. Dans nos discussions avec Rome, nous avons toujours souligné que nous reconnaissons la validité de la nouvelle messe lorsqu'elle est célébrée selon les rubriques et avec l'intention de faire ce qui est requis par l'Église. Il faut distinguer entre messe valide et bonne messe.

Où se situe la différence pour vous ?

La nouvelle messe comporte des déficiences et présente des dangers. Bien sûr, chaque nouvelle messe n'est pas directement un scandale, mais la célébration répétée de la nouvelle messe conduit à un affaiblissement ou même à une perte de la foi. On voit chaque jour combien de moins en moins de prêtres croient encore à la présence réelle. Avec l'ancienne messe, la liturgie nourrit la foi ; on va là au rocher, on est fortifié dans cette foi ; certaines actions liturgiques nous conduisent plus loin dans la foi, comme la foi dans la présence réelle, dans le sacrifice - seulement en s'agenouillant, en respectant le silence, en observant l'attitude du prêtre. Avec la nouvelle messe, on doit apporter sa foi, on ne reçoit presque rien directement du rite. Ce rite est plat.

Mais même avant la réforme liturgique, il y avait des prêtres avec une foi faible, des modernistes et des hérétiques. Les pères du Concile libéraux que vous critiquez, ont grandi avec l'ancienne messe et ont été ordonnés dans l'ancien rite. Considérez-vous les conversions qui ont lieu aujourd'hui aussi avec la nouvelle messe - pensez à Nightfever (programme d’évangélisation né à Cologne après les JMJ de 2005. NdT) - comme une illusion ?

Non, je ne dis pas cela. Je dis seulement que si vous recevez un chef d’Etat et que vous avez le choix entre une trompette d’argent et une trompette en cuivre, allez-vous prendre la trompette en cuivre ? Ce serait une insulte, vous ne faites pas cela. Et même les meilleures nouvelles messes sont comme des trompettes en cuivre, comparées à l'ancienne liturgie. Pour le bon Dieu, on doit choisir ce qu’il y a de meilleur.

Dans un sermon, vous avez dit récemment : « Comment pouvaient-ils seulement oser faire une messe aussi misérable, vide et plate ? On ne peut pas honorer Dieu comme cela. » Même aujourd'hui, la nouvelle messe est pourtant la chose la plus précieuse dans la vie des croyants catholiques, et aujourd'hui encore, l'Église produit des martyrs et des saints. Pourquoi ne nuancez-vous pas dans la prédication ?

Je suis d'accord qu'il faut faire des distinctions dans la discussion théologique. Mais dans un sermon, on ne peut pas tout présenter de façon théologique. Il faut aussi un peu de rhétorique pour secouer les âmes, réveiller les gens et leur ouvrir les yeux.

Le pape François veut tendre la main à la Fraternité en vue d’une réconciliation. Attendez-vous toujours un accord ou l’occasion a-t-elle été manquée ?

Je suis optimiste. Mais je ne peux pas précéder l'heure de Dieu. Si le Saint-Esprit est capable d'influencer le pape actuel, il fera la même chose avec le prochain. C'est de fait ce qui s'est passé. Aussi avec le pape François. Quand il a été élu, j'ai pensé : maintenant l'excommunication arrive. Cela a été le contraire : le cardinal Müller a voulu obtenir notre excommunication et le pape François a refusé de le faire. Il me l'a dit personnellement : « Je ne vais pas vous condamner ! » La réconciliation va venir. Notre Mère la Sainte Eglise est actuellement incroyablement déchirée. Les conservateurs veulent de nous, et cela nous a été dit à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Les évêques allemands, eux, ne nous veulent pas du tout. Rome doit composer avec tous ces éléments – cela nous le comprenons. Si nous étions simplement acceptés comme cela, il y aurait la guerre dans l'Eglise. Il y a la crainte que nous puissions triompher. Le pape François a dit à des journalistes : « Je vais m'assurer que cela ne soit pas un triomphe pour eux ».(1)

Mais les tensions et les peurs existent aussi au sein de la Fraternité. En France, un bon nombre de prêtres et de laïcs se sont séparés de la Fraternité parce que les discussions avec le Vatican ont suscité de la méfiance. Comment la Fraternité accueillerait-elle une réconciliation avec Rome ? Combien resteraient ? Et combien partiraient ?

Cela dépendra de ce que Rome exige de nous. Si l’on nous laisse continuer ainsi et si l’on nous donne suffisamment de garanties, alors personne ne partira. La méfiance s’appuie sur la peur d'avoir à accepter les nouveautés. Si l’on exige de nous d’aller sur de nouveaux chemins, alors personne ne viendra.

Qu'est-ce qui vous rend si sûr que tout le monde puisse accepter ? La seule annonce des discussions a déjà provoqué des troubles et des démissions massifs. Quelle conclusion pourrait rassurer les vôtres ? La méfiance ne disparaîtrait pas simplement après un accord.

C'est vrai. Mais il y a de la bonté, de la bienveillance. Depuis des années, nous travaillons de concert avec Rome pour rétablir la confiance. Et nous avons fait de grands progrès malgré toutes ces réactions. Si nous parvenons à un accord raisonnable avec des conditions normales, très peu resteront en retrait. Je ne crains pas tellement une nouvelle division dans la Tradition, si une bonne solution est trouvée avec Rome. Nous pouvons désormais contester certains points du Concile. Nos interlocuteurs à Rome nous ont dit : les points principaux - la liberté religieuse, l’œcuménisme, la nouvelle messe - sont des questions ouvertes. C'est un progrès incroyable. Jusqu'à maintenant, on nous disait : vous devez obéir. Aujourd’hui des membres de la Curie nous disent : vous devriez ouvrir un séminaire à Rome, une université pour la défense de la Tradition... - Tout n’est plus noir ou blanc.

Que serait une solution raisonnable ?

Une prélature personnelle.

Si la forme juridique est déjà trouvée et que les discussions à Rome se déroulent bien, qu'est-ce qui a jusqu'ici manqué pour le pas décisif ?

L'année dernière, Mgr Pozzo nous a dit que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi avait approuvé le texte doctrinal que nous devions signer. Avec cela nous devions accepter une prélature personnelle. Un mois et demi plus tard, le cardinal Müller a décidé de réviser ce texte et d'exiger une acceptation plus claire du Concile et de la légitimité de la nouvelle messe. On nous a d’abord ouvert des moyens de discussion, puis on les a refermés. Qu’exige-t-on vraiment de nous ? Le démon est à l’œuvre. C'est un combat spirituel.

Faites-vous personnellement confiance au Saint-Père, le pape François ?

Nous avons une très bonne relation. Si nous lui faisons savoir que nous sommes à Rome, sa porte nous est ouverte. Il nous aide à une moindre échelle. Il nous a par exemple dit : « J'ai des problèmes quand je fais quelque chose de bien pour vous. J'aide les protestants et les anglicans, pourquoi ne puis-je pas aider les catholiques ? » Certains veulent empêcher un accord, car nous sommes un élément perturbateur dans l'Eglise. Le pape se trouve entre les deux.

(Il sourit et montre une lettre manuscrite que le Saint-Père lui a adressée en français, qui commence avec la salutation « Cher frère, cher fils »)


(1) Allusion à la réponse du pape à la question de Nicolas Senèze (La Croix), au retour du pèlerinage de Fatima, le 13 mai 2017 : « Un accord est-il pour bientôt ? Ce serait le retour triomphal de fidèles qui montrent ce que signifie être vraiment catholiques ? » Réponse de François : « J’écarterais toute forme de triomphalisme. Complètement. », avant de conclure : « Pour moi, ce n’est pas un problème de gagnants ou de perdants, mais de frères, qui doivent cheminer ensemble en cherchant la formule pour faire des pas en avant. » (NDT).

27 juin 2018

[FSSP.com] Nouvel Apostolat FSSP annoncé à Providence, Rhode Island (USA)

SOURCE - FSSP.com - (original anglais) - 27 juin 2018

Suite à l'aimable invitation Mgr Thomas Provin, évêque de Providence, Rhode Island, nous avons le plaisir d'annoncer que l'église St. Mary à Providence sera desservi par la Fraternité Saint-Pierre, à compter du 1er août 2018.

Saint Mary est l'une des plus anciennes églises catholiques de Rhode Island, la paroisse a été établie en 1853 et l'église actuelle consacrée en 1869. Conçu par l'architecte d'origine irlandaise James Murphy, pour servir la grande communauté d'immigrants irlandais de la région, l'église est une structure néo-gothique majestueuse, avec les arcades étonnantes typiques du style et de beaux vitraux.

L'église est facilement accessible depuis l'est du Connecticut, le sud du Massachusetts et la région métropolitaine de Boston. Ce sera le deuxième apostolat pour la fraternité dans la région de la Nouvelle-Angleterre et nous sommes reconnaissants pour l'invitation!

[FSSPX Actualités] Après l’annonce des sacres, les propositions romaines / Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres (2)

SOURCE - FSSPX Actualités - 27 juin 2018

["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
  1. L’annonce des sacres
  2. Après l’annonce des sacres, les propositions romaines
  3. Le protocole de mai 1988
  4. Un vrai renouveau de l’Eglise ou une réintégration dans l’Eglise conciliaire?
  5. Une journée historique, le 30 juin 1988

L’aube d’une solution
Le 28 juillet 1987, le cardinal Ratzinger remercie Mgr Lefebvre de sa lettre du 8 juillet. Il lui écrit : « Votre grand désir de sauvegarder la Tradition en lui procurant “les moyens de vivre et de se développer” témoigne de votre attachement à la foi de toujours, mais il ne peut se réaliser que dans la communion au Vicaire du Christ à qui sont confiés le dépôt de cette foi et le gouvernement de l’Eglise. Le Saint-Père comprend votre souci et le partage. C’est pourquoi, en son nom, je vous transmets une nouvelle proposition, désirant vous donner ainsi une ultime possibilité d’un accord sur les problèmes qui vous tiennent à cœur : la situation canonique de la Fraternité Saint-Pie X et l’avenir de vos séminaires ».

Cette proposition prévoit de doter la Fraternité d’une structure juridique adéquate qui permettra au Saint-Siège d’accorder des auxiliaires. Un cardinal visiteur sera nommé sans délai pour trouver une forme juridique satisfaisante. La seule condition est que les supérieurs et membres de la Fraternité témoignent de leur révérence et obéissance au successeur de Pierre selon les normes de la constitution dogmatique du concile Vatican II sur l’Eglise, Lumen gentium, au n°25. Rome se déclare prêt « à concéder à la Fraternité sa juste autonomie et à lui garantir la continuité de la liturgie selon les livres liturgiques en vigueur dans l’Eglise en 1962, le droit de former des séminaristes dans ses séminaires propres, selon le charisme particulier de la Fraternité et l’ordination sacerdotale des candidats ».

Ce n’est pas rien. Bien sûr, la proposition a aussi pour but d’empêcher Mgr Lefebvre de se donner un ou plusieurs auxiliaires sans l’accord du pape et de se rendre ainsi coupable d’une « rupture définitive », continue la lettre. Le cardinal Ratzinger prévient son correspondant des dommages incalculables qu’il causerait à l’unité de l’Eglise par sa grave désobéissance, et qui aurait pour conséquence inéluctable la ruine de son œuvre…

Fidèle à sa conduite qui n’entend jamais précéder la Providence, de concert avec le Conseil que dirige le Supérieur général, l’abbé Franz Schmidberger, Mgr Lefebvre décide de saisir la main tendue, sans illusion mais pas sans espérance.
Un petit espoir
Le 1er octobre 1987, le fondateur de la Fraternité Saint-Pie X remercie le cardinal. Il relève plusieurs indices qui permettent d’espérer « l’aube d’une solution ». Mgr Lefebvre est particulièrement sensible au fait que Rome n’exige aucune déclaration préalable : « l’absence d’une déclaration nous fait penser que nous sommes enfin reconnus comme parfaitement catholiques ». Il se réjouit de la visite d’un cardinal pour constater de visules œuvres et la vitalité de la Tradition. Il salue le fait que soit garantie la continuité de la liturgie de 1962 et reconnu « le droit de poursuivre la formation des séminaristes comme nous le faisons actuellement ». Il suggère vivement que le cardinal visiteur soit le cardinal Edouard Gagnon. Le Saint-Siège répond favorablement à ce souhait et le cardinal Gagnon, Préfet de la Commission pour la famille, est nommé Visiteur apostolique. À l’automne, entre le 11 novembre et le 9 décembre, il se rend dans plusieurs séminaires, visite les prieurés et les maisons principales, les écoles, rencontre prêtres, familles et séminaristes, moines et religieuses. Partout il peut apprécier l’atmosphère profondément catholique qui y règne.

Le 3 octobre, lors d’un sermon prononcé à Ecône à l’occasion du quarantième anniversaire de son épiscopat, Mgr Lefebvre fait part de la perspective nouvelle qui semble devoir s’ouvrir. Sans tomber dans « un optimisme exagéré », « il y a un petit espoir (…) si Rome veut bien nous donner une véritable autonomie, celle que nous avons maintenant, mais avec la soumission au Saint-Père. Nous le voudrions, nous avons toujours souhaité être soumis au Saint-Père. Il n’est pas question de mépriser l’autorité du Saint-Père, au contraire, mais on nous a comme jetés dehors parce que nous étions traditionalistes. Eh bien, si, comme je l’ai souvent demandé, Rome accepte de nous laisser faire l’expérience de la Tradition, il n’y aura plus de problème, nous serons libres de continuer le travail que nous accomplissons – comme nous le faisons maintenant – sous l’autorité du souverain pontife ». Tel est son grand désir, pour lequel il invite prêtres et fidèles à prier : « que le Bon Dieu fasse que nous puissions contribuer d’une manière officielle, libre et publique, à la construction de l’Eglise, au salut des âmes… »

Dans cet esprit, Mgr Lefebvre adresse au cardinal Gagnon un important courrier dans lequel il lui fait des propositions de règlement canonique.
Oui à la reconnaissance canonique de la Fraternité, mais sans compromis avec les réformes conciliaires
Dans sa lettre accompagnatrice, datée du 21 novembre 1987, l’archevêque insiste pour que la grande famille de la Tradition puisse se développer dans une ambiance vraiment catholique, en restant « attachée à l’Eglise romaine, attachée à Pierre et à ses successeurs, mais absolument et radicalement allergique à l’esprit conciliaire de la liberté religieuse, de l’œcuménisme, de la collégialité, à l’esprit d’Assise, fruits du modernisme, du libéralisme tant de fois condamnés par le Saint-Siège ».

Dans ce contexte, Mgr Lefebvre déclare : « Nous acceptons volontiers d’être reconnus par le pape tels que nous sommes et d’avoir un siège dans la Ville éternelle, d’apporter notre collaboration au renouveau de l’Eglise ; nous n’avons jamais voulu rompre avec le Successeur de Pierre, ni considérer que le Saint-Siège est vacant, malgré les épreuves que cela nous a values. Nous vous soumettons un projet de réintégration et de normalisation de nos rapports avec Rome ».

La proposition de Règlement évoque le texte conciliaire Presbyterorum ordinis (n°10) puis exprime une condition sine qua non : « Si le Saint-Siège désire sincèrement que nous devenions officiellement des collaborateurs efficaces pour le renouveau de l’Eglise, sous son autorité, il est de toute nécessité que nous soyons reçus comme nous sommes, qu’on ne nous demande pas de modifier notre enseignement, ni nos moyens de sanctification, qui sont ceux de l’Eglise de toujours ». Aussi Mgr Lefebvre demande-t-il que soit érigé un Secrétariat romain afin de favoriser les initiatives qui maintiennent la Tradition. Ses pouvoirs auraient pour but de normaliser les œuvres de la Tradition en octroyant l’épiscopat à plusieurs de ses membres tout en favorisant une harmonieuse collaboration avec les évêques diocésains.

Quant au statut canonique de la Fraternité et des différentes sociétés religieuses associées, le fondateur d’Ecône propose de les regrouper sous un Ordinariat, à l’image de ce qui se fait pour les militaires. Il réclame la levée des sanctions, la reconnaissance des Statuts de la Fraternité et de pourvoir à sa succession épiscopale. Non seulement Mgr Lefebvre cite un document du Concile, mais il invoque également les normes de la Constitution apostolique Spirituali militum curæ de Jean-Paul II (21 avril 1986) pour trouver un cadre juridique qu’il juge correspondre au développement des différentes congrégations et sociétés qui fleurissent dans la Tradition. Enfin, il demande à ce que la juridiction des prêtres de la Fraternité sur les fidèles soit reçue de Rome par le Supérieur général, et qu’il en soit de même des autres supérieurs de sociétés traditionnelles. En conclusion, Mgr Lefebvre souhaite que les consécrations épiscopales aient lieu avant le dimanche du Bon Pasteur, soit le 17 avril 1988.

Le cardinal Gagnon achève sa visite apostolique au séminaire d’Ecône le 8 décembre, où il assiste officiellement à la messe pontificale que célèbre Mgr Lefebvre, pourtant toujours suspens. Il laisse dans le livre d’or du séminaire une appréciation louangeuse sur le travail qui s’y accomplit et qui devrait, selon lui, être étendu à toute l’Eglise. Quelques mois plus tard, le 15 février 1988, le cardinal écrit à Mgr Lefebvre que le pape Jean-Paul II a lu attentivement son long rapport et les propositions qui lui ont été remises. Il lui annonce que des canonistes sont en train de travailler à la structure canonique et qu’un projet juridique et doctrinal lui sera présenté « d’ici la fin d’avril ». Il invite donc son correspondant à la patience et, également, à la discrétion pour ne pas susciter les oppositions de ceux « qui ne désirent pas une réconciliation ».
Les attentes de Mgr Lefebvre
Le 20 février, Mgr Lefebvre lui répond en lui faisant part de sa crainte « que la procédure employée pour une solution se prolonge indéfiniment et ne me mette ainsi dans l’obligation morale de procéder à des consécrations épiscopales sans l’autorisation du Saint-Siège, ce qui devrait pouvoir être évité ». Il suggère que le Souverain Pontife prenne « une décision même provisoire qui n’engage pas l’avenir et qui permettrait de faire l’expérience de l’exercice de la Tradition officiellement agréé par l’Eglise. Les problèmes doctrinaux pourraient faire l’objet d’échanges postérieurs à la solution canonique, sinon nous nous retrouverons au point de départ ». Enfin, il espère pouvoir prendre connaissance du rapport du cardinal Gagnon, et qu’il n’en sera pas frustré comme lors de la visite du séminaire d’Ecône par trois cardinaux en 1974.

A sa lettre au cardinal Gagnon, l’archevêque joint un courrier adressé au Saint Père. Il y exprime la profonde satisfaction que la visite cardinalice a causée. Il propose à Jean-Paul II une solution provisoire pour ne pas décevoir l’espoir qui est né. Pour cela, « il apparaît exclu de reprendre les problèmes doctrinaux immédiatement ; c’est revenir au point de départ et reprendre les difficultés qui durent depuis 15 ans. L’idée d’une commission intervenant après le règlement juridique est la plus convenable si l’on veut trouver réellement une solution pratique ».

Concrètement, il demande que la Fraternité Saint-Pie X soit reconnue « de droit pontifical » et que soit établie à Rome une commission présidée par un cardinal protecteur. Cet organisme réglerait « tous les problèmes canoniques de la Tradition et entretiendrait les relations avec le Saint Siège, les dicastères et les évêques ». Mgr Lefebvre demande un accord de principe pour présenter au cardinal Gagnon les noms des futurs évêques dont la consécration « apparaît indispensable et urgente ». Il insiste : « étant donné mon âge et ma fatigue. Voilà deux ans que je n’ai pas fait les ordinations au séminaire des Etats-Unis (…), je n’ai plus la santé pour traverser les océans. C’est pourquoi je supplie votre Sainteté de résoudre ce point avant le 30 juin de cette année ». Il précise que les évêques, « toujours choisis parmi les prêtres de la Tradition », auraient une juridiction sur les personnes au lieu d’une juridiction territoriale. Enfin, il demande l’exemption vis-à-vis de la juridiction des Ordinaires des lieux, tout en cherchant à ce que de bonnes relations puissent s’instaurer. Pour cela, les supérieurs d’œuvres traditionnelles feront des rapports sur leurs activités auprès de l’Ordinaire, sans être « tenus à demander une autorisation » pour fonder un nouveau centre. En conclusion, Mgr Lefebvre résume sa position de toujours : « Nous serions très heureux de renouer des relations normales avec le Saint-Siège, mais sans changer, en quoi que ce soit, ce que nous sommes ; car c’est ainsi que nous sommes assurés de demeurer enfants de Dieu et de l’Eglise romaine».

Du Canada, le 11 mars, le cardinal Gagnon informe Mgr Lefebvre qu’un projet devrait lui être présenté à la mi-avril. Le cardinal Ratzinger, le 18 mars, propose une rencontre entre des experts (un théologien et un canoniste) avant de prendre des décisions définitives.

["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
  1. L’annonce des sacres
  2. Après l’annonce des sacres, les propositions romaines
  3. Le protocole de mai 1988
  4. Un vrai renouveau de l’Eglise ou une réintégration dans l’Eglise conciliaire?
  5. Une journée historique, le 30 juin 1988