SOURCE - FSSPX Actualités - 29 juin 2018
["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
- L’annonce des sacres
- Après l’annonce des sacres, les propositions romaines
- Le protocole de mai 1988
- Un vrai renouveau de l’Eglise ou une réintégration dans l’Eglise conciliaire?
- Une journée historique, le 30 juin 1988
Dans l’attente du retour de Rome à la Tradition
Depuis Ecône, Mgr Lefebvre prépare une lettre au pape. Il y dresse le constat « qu’une grave difficulté surgit à l’occasion de l’épiscopat accordé à la Fraternité pour me succéder dans ma fonction épiscopale ». Il comprend que, du côté du Saint-Siège, la question de l’épiscopat est « source d’appréhensions et de soucis », « qui provoquent des délais, des réponses évasives (…) depuis plus d’un an ». Tout est prêt pour le 30 juin, date ultime : « Les accords sont signés, les noms des candidats sont proposés. Si le cardinal Ratzinger a un emploi du temps trop chargé pour préparer les mandats, le cardinal Gagnon pourrait peut-être s’en charger. Très Saint Père, veuillez mettre un terme à ce douloureux problème… »
Une fois encore, le prélat explique comment le renouveau serait obtenu si le pape donnait à l’Eglise « des évêques libres de faire revivre la foi et la vertu chrétienne par les moyens que Notre-Seigneur a confiés à son Eglise pour la sanctification des prêtres et des fidèles. Seul, un milieu entièrement dégagé des erreurs modernes et des mœurs modernes peut permettre ce renouveau ». Il ne tient qu’au pape de développer, par ses décisions, un tel milieu rénové. Ce serait le moyen de procurer à l’Eglise, avec la grâce de Dieu « une nouvelle jeunesse » qui « transformera la société païenne en société chrétienne ».
Retour au Palais du Saint-Office
Le 24 mai, Mgr Lefebvre est à Rome où il rencontre le cardinal Ratzinger et ses secrétaires. Il lui remet sa lettre au pape et une autre lettre, celle-ci adressée au cardinal, rédigée le jour-même. Dans ce courrier daté du 24 mai, il revient sur ce qu’il lui écrivait le 6 mai, au lendemain de la signature qu’il avait apposée à la déclaration doctrinale. « A la réflexion, lui confie-t-il, il nous apparaît clairement que le but des colloques et de la réconciliation est de nous réintégrer dans l’Eglise conciliaire, l’unique Eglise à laquelle vous nous faisiez allusion dans les entretiens ». Il y a méprise, puisque « nous pensions que vous nous donneriez les moyens de continuer et de développer les œuvres de la Tradition, spécialement en me donnant quelques coadjuteurs, au moins trois, et en donnant aussi dans l’organisme romain une majorité à la Tradition ». Car il s’agit toujours de se maintenir « en dehors de toute influence progressiste et conciliaire ». Mgr Lefebvre n’a pas varié sur ce point. Dès le début des négociations, un an plus tôt, il avait cru pouvoir travailler officiellement en étant reconnu tel quel, sans avoir à adopter les nouveautés de Vatican II.
Finalement, Mgr Lefebvre reprend les choses en main : « C’est pourquoi, à notre grand regret, nous nous voyons obligés de vous demander qu’avant la date du 1er juin vous nous indiquiez clairement quelle sont les intentions du Saint-Siège sur ces deux points : consécration des trois évêques postulés pour le 30 juin et majorité des membres de la Tradition dans la Commission romaine. Sans réponse sur ces requêtes, je procèderai à la publication des noms des candidats que je consacrerai le 30 juin avec le concours de S. Exc. Mgr de Castro Mayer. Ma santé, les nécessités apostoliques pour la croissance de nos œuvres, ne permettent plus de délais supplémentaires ».
Au cours de l’entretien, le cardinal fait allusion à la date du 15 août, sans répondre aux autres problèmes en suspens. Une semaine plus tard, Mgr Lefebvre est au Pointet, près de Vichy, pour informer les responsables des différentes communautés et leur exposer les tenants et aboutissants de ce que Rome appelle une « réconciliation ». Il parle de sacrer désormais quatre évêques et de la promesse de Mgr de Castro Mayer de venir à Ecône pour l’assister dans cet acte si important.
Le même jour, 30 mai, le cardinal Ratzinger écrit à Mgr Lefebvre pour lui faire part de la réponse de Jean-Paul II à sa lettre du 20 mai et de la sienne à sa lettre du 24 mai. Sur la question de la Commission romaine, il est répondu qu’il convient de s’en tenir aux termes – pourtant vagues – du protocole et que le Saint-Père saura nommer les personnes qu’il faut. Sur la question de la consécration épiscopale, il est répondu que le pape est disposé à nommer un évêque membre de la Fraternité, « et à faire accélérer le processus habituel de nomination, de manière à ce que la consécration puisse avoir lieu pour la clôture de l’Année Mariale le 15 août prochain ». Le cardinal Ratzinger demande enfin à Mgr Lefebvre de renoncer à ordonner trois évêques le 30 juin, bien qu’il l’ait déjà publiquement annoncé. C’est la première fois que Rome propose une date précise, après avoir expliqué qu’au 15 août, en pleines vacances, c’était impossible. Mais il est trop tard. Mgr Lefebvre est fatigué de tant d’atermoiement et d’obtenir si peu après tant d’efforts. Cela fait déjà plusieurs semaines que le lien de confiance ne tient qu’à un fil.
La rupture du processus de réconciliation
Mgr Lefebvre tire les conséquences immédiatement du courrier du cardinal Ratzinger. Le 2 juin, il écrit au Saint-Père une lettre dans laquelle il se déclare convaincu, au terme des échanges qui se sont toujours passés « dans une atmosphère de courtoisie et de charité », que « le moment d’une collaboration franche et efficace n’était pas encore arrivé ».
Il rappelle le bien-fondé de son entreprise, qui demeure visiblement incompris de la part des autorités romaines : « si tout chrétien est autorisé à demander aux autorités compétentes de l’Eglise qu’on lui garde la foi de son baptême, que dire des prêtres, des religieux, des religieuses ? ». Or, « c’est pour garder intacte la foi de notre baptême que nous avons dû nous opposer à l’esprit de Vatican II et aux réformes qu’il a inspirées. Le faux œcuménisme, qui est à l’origine de toutes les innovations du Concile, dans la liturgie, dans les relations nouvelles de l’Eglise et du monde, dans la conception de l’Eglise elle-même, conduit l’Eglise à sa ruine et les catholiques à l’apostasie ».
Dès lors que nous sommes, explique Mgr Lefebvre, « radicalement opposés à cette destruction de notre foi, et résolus à demeurer dans la doctrine et la discipline traditionnelle de l’Eglise, spécialement en ce qui concerne la formation sacerdotale et la vie religieuse, nous éprouvons la nécessité absolue d’avoir des autorités ecclésiastiques qui épousent nos préoccupations et nous aident à nous prémunir contre l’esprit de Vatican II et l’esprit d’Assise.
« C’est pourquoi nous demandons plusieurs évêques, choisis dans la Tradition, et la majorité des membres dans la Commission romaine, afin de nous protéger de toute compromission. Etant donné le refus de considérer nos requêtes, et étant évident que le but de cette réconciliation n’est pas du tout le même pour le Saint-Siège que pour nous, nous croyons préférable d’attendre des temps plus propices au retour de Rome à la Tradition.
« C’est pourquoi nous nous donnerons nous-mêmes les moyens de poursuivre l’œuvre que la Providence nous a confiée, assurés par la lettre de Son Eminence le cardinal Ratzinger datée du 30 mai, que la consécration épiscopale n’est pas contraire à la volonté du Saint-Siège, puisqu’elle est accordée pour le 15 août. Nous continuerons de prier pour que la Rome moderne, infestée de modernisme, redevienne la Rome catholique et retrouve sa Tradition bimillénaire. Alors le problème de la réconciliation n’aura plus de raison d’être et l’Eglise retrouvera une nouvelle jeunesse ».
L’intervention du pape Jean-Paul II
La réaction romaine est semblable à celle des années 1975-1976, lorsque le pape Paul VI se décidait à prendre lui-même la plume. Le 9 juin, Jean-Paul II adresse à Mgr Lefebvre une lettre solennelle. Il revient aux solutions auxquelles avait abouti l’accord du 5 mai : « elles permettaient à la Fraternité Saint-Pie X d’exister et d’œuvrer dans l’Eglise en pleine communion avec le Souverain Pontife, gardien de l’unité dans la Vérité. Pour sa part, le Siège Apostolique ne poursuivait qu’un seul but dans ces conversations avec vous : favoriser et sauvegarder cette unité dans l’obéissance à la Révélation divine, traduite et interprétée par le Magistère de l’Eglise, notamment dans les vingt et un Conciles œcuméniques, de Nicée à Vatican II ».
Le problème doctrinal soulevé par Vatican II, concile atypique parce que pastoral, est évacué. Si le Saint Père avait pour intention de ramener le prélat français à l’obéissance à Vatican II, il ne pouvait que se méprendre. Dès lors, les demandes de l’archevêque au sujet des ordinations épiscopales ne pourront apparaître « que comme un acte schismatique dont les conséquences théologiques et canoniques inévitables vous sont connues. Je vous invite ardemment au retour, dans l’humilité, à la pleine obéissance au Vicaire du Christ. »
L’incompréhension est totale et les tensions ressurgissent, désormais médiatisées pour prendre un tour plus dramatique à mesure qu’approchent les sacres du 30 juin 1988.
["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
- L’annonce des sacres
- Après l’annonce des sacres, les propositions romaines
- Le protocole de mai 1988
- Un vrai renouveau de l’Eglise ou une réintégration dans l’Eglise conciliaire?
- Une journée historique, le 30 juin 1988