31 janvier 2006

[Julia Duin - Washington Times - Pro Liturgia] Le latin retourne à la messe

SOURCE - Article de Julia Duin paru en anglais dans le "Washington Times" - version française: Pro Liturgia - 31 janvier 2006

Le Latin Retourne à la Messe

Tel est le titre d'un article de Julia Duin paru dans le "Washington Times" du 31 janvier 2006.

"Les catholiques sont de plus en plus nombreux à souhaiter du latin à la messe, la langue des clercs et celle du chant grégorien. Certains affirment que ce retour correspond aux voeux d'une génération qui redécouvre la culture classique de la vieille Europe. Ce que le Père Franklyn MacAfee a en tout cas pu constater, c'est que lorsqu'il a décidé d'ouvrir un cours de latin le samedi matin, 70 paroissiens se sont immédiatement inscrits. (...) Les "étudiants", tasse de café et gâteaux à la main, ont tout de suite appris le sens de Dominus vobiscum et de et cum spiritu tuo. Le samedi suivant, la salle de cours étant devenue trop petite pour les 80 personnes présentes, il a fallu se rendre à la salle paroissiale. Objectif poursuivi: connaître, pour le 1er mars, les principales prières latines de la messe, afin de pouvoir participer à la messe paroissiale du premier dimanche de carême célébrée intégralement en latin à 10h45.

"Je tiens à la célébrer" déclare le Père McAfee, Curé de Saint-Jean, "Je veux que les paroissiens aiment cette liturgie ainsi célébrée parce que, comme l'a rappelé Benoît XVI, elle fait partie de nos traditions et de nos racines." Les "fans du rite", comme on les appelle, découvrent que la messe en latin élève davantage l'esprit de l'homme, évoque davantage le sens de l'éternité et dirige mieux l'attention des fidèles vers le Christ.

La messe en latin, qui a été abandonée durant plus de vingt ans par certains responsables dans l'Eglise, a été remise à l'honneur à l'occasion des funérailles du pape Jean-Paul II en avril 2005. "Les fidèles ont entendu que les funérailles du pape défunt, puis la première messe du pape Benoît XVI, étaient célébrées en une langue dont l'usage avait disparu", déclare le Père De Ladurantaye, professeur de latin au collège Notre-Dame d'Alexandria. Et il ajoute: "Les fidèles ont trouvé cela différent et unique".

Les gens souhaitent redécouvrir les richesses de la tradition de l'Eglise, mais de nombreux prêtres n'ont jamais appris à célébrer la messe en latin; il faudra donc du temps pour réhabituer les fidèles à cette langue. Mais ce n'est pas quelque chose d'impossible à réaliser, dans la mesure où l'on voit que les jeunes, tout particulièrement, apprécient la messe chantée en latin.
Au cours des premiers siècles chrétiens, l'Eucharistie était célébrée en grec. A partir du IIIème siècle, les chrétiens d'Afrique du nord ont commencé à employer le latin dans leurs liturgies. Progressivement c'est toute la chrétienté de l'Europe de l'Ouest qui se mit à utiliser cette langue au cours des célébrations. Au XVIème siècle, l'Eglise catholique généralisa la messe "tridentine" (dont le nom vient du concile de Trente), officialisant ainsi une version de la liturgie qui devait ensuite donner naissance aux grandes oeuvres musicales de Fauré, Mozart, Bach, Schubert, Palestrina... et nous fournir aussi certaines expression passées dans le langage courant, comme par exemple "mea culpa" - c'est ma faute-. La messe "tridentine" demeura la norme jusqu'au concile Vatican II qui, dans les années 1960, autorisa que la messe puisse être célébrée dans les langues courantes. Alors, l'ancienne liturgie, qui n'avait jamais été supprimée, fut interdite par de nombreux évêques jusqu'à ce qu'en 1988, le pape Jean-Paul II déclara qu'elle pouvait encore être célébrée.
Plus récemment, le pape Benoît XVI a fait comprendre qu'une grave erreur avait été faite en changeant si rapidement la langue employée à la messe. Dans "Le sel de la terre", il écrivait, en 1997: "Je suis certain que la possibilité de célébrer selon l'ancien rite devrait être accordée avec générosité aux fidèles qui en font la demande."
Un nouvel Ordo Missae a été publié par le Vatican: c'est celui-ci qu'étudient aujourd'hui les paroissiens de Saint-Jean. Ils ont d'ailleurs envoyé des chèques au Père McAfee, afin qu'il puisse acheter le missel qui lui permettra de célébrer la messe actuelle en latin. "Les jeunes le demandent plus que les paroissiens âgés", précise encore le Père McAfee qui ajoute "... et les nouveaux convertis sont très ouverts à la liturgie latine. A la paroisse Sainte-Catherine, j'ai même converti deux Juifs grâce à la messe en latin!"

Le diocèse d'Arlington semble bien décidé à proposer dans plusieurs paroisses la messe latine célébrée en alternance avec la messe en langue courante. "Pour s'adresser à Dieu, il convient de ne pas employer le langage de la rue" dit le Père McAfee; "C'est comme la glossolalie - le parler en langues - ou encore comme la poésie et la prose. La messe en anglais, c'est de la prose; la messe en latin, c'est de la poésie: il faut un certain temps pour saisir les mots et comprendre le sens qu'ils ont. Si un amoureux a le choix entre la prose et la poésie pour déclarer ses sentiments à la personne qu'il aime, il prendra la poésie. Or la liturgie est un chant d'amour qui s'établit entre le Christ et son Eglise."

L'évêque d'Arlington, Mgr John R. Keating, a publié une lettre pastorale expliquant le respect que l'Eglise devait avoir pour le latin et encourageant la célébration des messes en latin. De son côté, le Père McKafee constate: "Les jeunes prêtres sont très favorables à la messe en latin; ils disent avoir été trop longtemps privés d'une richesse, d'un héritage. Cependant, on souhaiterait qu'ils aient davantage de professeurs pour leur enseigner le latin dans les séminaires." (...)"

[Abbé de Tanoüarn - Objections] Interpréter Vatican II

SOURCE - Abbé de Tanoüarn - Objections - janvier 2006

Nous fêtions le mois dernier le quarantième anniversaire de la clôture du concile Vatican II. Il m'est impossible de laisser s'éloigner une pareille circonstance, sans réfléchir sur l'autorité dont est revêtu ce Concile. En termes moins théologiques, je dirais que la question qui m'obsède en ce moment est la suivante: que faire avec les 1500 pages qui nous en restent?

Il est bien évidemment impossible que l'Église condamne le Concile, ce serait se condamner elle-même et porter un coup fatal à son autorité, déjà bien ébréchée dans la crise postconciliaire.

Si l'on ne peut le rejeter entièrement, il faut donc le « recevoir »…

C'est à le « recevoir » que nous exhorte le pape Benoît XVI. Le Synode de 1985 pour les vingt ans de la clôture du Concile s'était démarqué déjà du langage habituel. Alors que les papes, jusque-là, exhortaient leurs ouailles à « appliquer » le Concile, à partir 1985, les textes officiels demandent simplement de le « recevoir». Benoît XVI a même précisé, dans son livre sur Les principes de la théologie catholique (1985), que cette “réception” du texte conciliaire n'a pas encore commencé, et qu'il importe, par conséquent, de préparer les conditions d'une “réception authentique” de ce texte.

Ce terme de « réception » est devenu depuis quelques années un terme technique en théologie.

En France, c'est le Père Congar qui l'a introduit dans notre réflexion, en publiant sur ce thème un article retentissant, en 1972. Quelle différence doit-on faire entre « recevoir » et « appliquer » le Concile ? Si l'on se réfère au Dictionnaire critique de théologie, on trouve cette note fort intéressante, qui permet de bien distinguer « réception » et « application » du Concile : « La réception est une réalité spirituelle, que l'on ne peut réduire aux actions des dirigeants de l'Église. Comme telle, elle ne peut être imposée ». Autrement dit : appliquer le Concile signifie obéir et mettre en œuvre les décisions qui y ont été prises. Cela a longtemps suffi au Siège de Pierre : Paul VI, Jean Paul I et Jean Paul II ont exprimé leur programme de gouvernement en ces termes. Mais, depuis 20 ans, depuis le Synode de 1985, les choses ne sont plus aussi simples. Chacun est tenu de préparer les conditions d'une véritable réception ecclésiale d'un texte dont l'abondance et la complexité sont désormais reconnues et dont par ailleurs on se gêne de moins en moins, à droite et à gauche, pour souligner combien, par bien des aspects, il apparaît comme marqué par l'optimisme de son époque et insuffisant pour répondre aux défis de la nôtre.

Si le cardinal Ratzinger, dans ses livres, nous oriente vers cette idée de réception (c'est-à-dire de relecture, de réappropriation et d'interprétation), c'est que, selon lui, «la lettre seule» du Concile ne permet pas de «trier le bon grain et l'ivraie ». D'autres conciles apparaissent comme «irréformables par eux-mêmes»; leur autorité ne dépend en aucun cas de leur réception.

Mais tel n'est pas Vatican II vu par Benoît XVI. Reprenant intentionnellement la célèbre formule de Mgr Lefebvre, le pape a été jusqu'à déclarer à Mgr Fellay, le 29 août dernier, qu'il fallait « lire le Concile à la lumière de la Tradition». Non pas pinailler, comme le fit, en son temps, le même Fellay, en déclarant que l'on est d'accord avec Vatican II «à 95%». Ce marchandage quantitatif ne signifie rien, qu'une volonté de négocier au rabais avec notre mère la Sainte Église ! Le défi que nous jette Benoît XVI est bien plus exaltant. Le Concile a suscité pour la conscience chrétienne un certain nombre de questions; pour avoir les réponses, c'est tout le Concile (non pas seulement 5%), qu'il s'agit de re-poser, de re-prendre, à la lumière de la Tradition. Mgr Lefebvre, homme d'Église, ne pensait pas autrement.

30 janvier 2006

[Abbé G. de Tanoüarn - Objections] Interpréter Vatican II

Abbé G. de Tanoüarn - Objections - janvier 2006

Nous fêtions le mois dernier le quarantième anniversaire de la clôture du concile Vatican II. Il m'est impossible de laisser s'éloigner une pareille circonstance, sans réfléchir sur l'autorité dont est revêtu ce Concile. En termes moins théologiques, je dirais que la question qui m'obsède en ce moment est la suivante: que faire avec les 1500 pages qui nous en restent?
 
Il est bien évidemment impossible que l'Église condamne le Concile, ce serait se condamner elle-même et porter un coup fatal à son autorité, déjà bien ébréchée dans la crise postconciliaire.
 
Si l'on ne peut le rejeter entièrement, il faut donc le « recevoir »…
 
C'est à le « recevoir » que nous exhorte le pape Benoît XVI. Le Synode de 1985 pour les vingt ans de la clôture du Concile s'était démarqué déjà du langage habituel. Alors que les papes, jusque-là, exhortaient leurs ouailles à « appliquer » le Concile, à partir 1985, les textes officiels demandent simplement de le « recevoir». Benoît XVI a même précisé, dans son livre sur Les principes de la théologie catholique (1985), que cette “réception” du texte conciliaire n'a pas encore commencé, et qu'il importe, par conséquent, de préparer les conditions d'une “réception authentique” de ce texte.
 
Ce terme de « réception » est devenu depuis quelques années un terme technique en théologie.
 
En France, c'est le Père Congar qui l'a introduit dans notre réflexion, en publiant sur ce thème un article retentissant, en 1972. Quelle différence doit-on faire entre « recevoir » et « appliquer » le Concile ? Si l'on se réfère au Dictionnaire critique de théologie, on trouve cette note fort intéressante, qui permet de bien distinguer « réception » et « application » du Concile : « La réception est une réalité spirituelle, que l'on ne peut réduire aux actions des dirigeants de l'Église. Comme telle, elle ne peut être imposée ». Autrement dit : appliquer le Concile signifie obéir et mettre en œuvre les décisions qui y ont été prises. Cela a longtemps suffi au Siège de Pierre : Paul VI, Jean Paul I et Jean Paul II ont exprimé leur programme de gouvernement en ces termes. Mais, depuis 20 ans, depuis le Synode de 1985, les choses ne sont plus aussi simples. Chacun est tenu de préparer les conditions d'une véritable réception ecclésiale d'un texte dont l'abondance et la complexité sont désormais reconnues et dont par ailleurs on se gêne de moins en moins, à droite et à gauche, pour souligner combien, par bien des aspects, il apparaît comme marqué par l'optimisme de son époque et insuffisant pour répondre aux défis de la nôtre.
 
Si le cardinal Ratzinger, dans ses livres, nous oriente vers cette idée de réception (c'est-à-dire de relecture, de réappropriation et d'interprétation), c'est que, selon lui, «la lettre seule» du Concile ne permet pas de «trier le bon grain et l'ivraie ». D'autres conciles apparaissent comme «irréformables par eux-mêmes»; leur autorité ne dépend en aucun cas de leur réception.
 
Mais tel n'est pas Vatican II vu par Benoît XVI. Reprenant intentionnellement la célèbre formule de Mgr Lefebvre, le pape a été jusqu'à déclarer à Mgr Fellay, le 29 août dernier, qu'il fallait « lire le Concile à la lumière de la Tradition». Non pas pinailler, comme le fit, en son temps, le même Fellay, en déclarant que l'on est d'accord avec Vatican II «à 95%». Ce marchandage quantitatif ne signifie rien, qu'une volonté de négocier au rabais avec notre mère la Sainte Église ! Le défi que nous jette Benoît XVI est bien plus exaltant. Le Concile a suscité pour la conscience chrétienne un certain nombre de questions; pour avoir les réponses, c'est tout le Concile (non pas seulement 5%), qu'il s'agit de re-poser, de re-prendre, à la lumière de la Tradition. Mgr Lefebvre, homme d'Église, ne pensait pas autrement.

29 janvier 2006

[Aletheia n°88] L’Homme contre lui-même (Michel de Corte) - Extrait de l’Avant-propos - par Jean Madiran

Yves Chiron - Aletheia n°88 - 29 janvier 2006
L’Homme contre lui-même
Marcel De Corte (1905-1994), né dans le Brabant, fut non seulement, pendant quarante ans, professeur de philosophie à l’Université de Liège, mais aussi, et d’abord, un philosophe et un croyant. Son œuvre abondante – 993 articles et livres recensés en 1975[1] – a trait à la métaphysique et à la morale, mais aussi au droit, à la politique et aux questions religieuses.
C’est de son vivant que parut la première thèse consacrée à sa pensée[2]. Son auteur, Danilo Castellano, présentait De Corte comme un “ aristotélicien chrétien ”. Aristotélicien, De Corte l’était par sa volonté, limpide, de “ saisie directe et immédiate du réel ”, par sa soif de se soumettre à la “ simplicité du vrai ” et de reconnaître l’ordre naturel des choses.
En 1963, parut L’Homme contre lui-même, aux Nouvelles Editions Latines. Les huit chapitres qui composent le livre examinent, les uns après les autres, les différents “ aspects de la schizophrénie dont souffre l’homme contemporain ”. Cette schizophrénie, ou dissociation, est un refus du réel et de la nature. La liberté de l’homme moderne, nous dit De Corte, est devenue un déracinement “ de l’être ”.
Qui n’aurait lu jamais De Corte se tromperait en s’imaginant un auteur hermétique, au langage compliqué, comme peuvent l’être les philosophes modernes. Saisir le réel en son essence et en ses principes peut se faire en un langage accessible à tous. Dans L’Homme contre lui-même, Marcel De Corte établit un diagnostic de la “ schizophrénie ” contemporaine, mais indique aussi “ la voie de la guérison possible ”. Le livre est “ profondément réactionnaire ”, reconnaît-il. La réaction, ici, n’est pas un simple retour en arrière mais une (re)connaissance des “ évidences vitales ” et, d’abord, d’un ordre naturel.
Ce grand livre est réédité, aujourd’hui, par les Editions de Paris, avec un lumineux avant-propos de Jean Madiran. Cette édition a été “ revue et corrigée ” par Jean-Claude Absil. D’autres ouvrages de Marcel De Corte devraient être réédités à l’avenir.

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Extrait de l’Avant-propos - par Jean Madiran
Marcel De Corte est l’un des quatre grands philosophes thomistes de langue française au XXe siècle. Il est le plus explicitement aristotélicien des quatre. Au Moyen Age, on disait : le Philosophe, pour désigner Aristote. Depuis le XXe siècle, pour désigner Marcel De Corte, nous disons : l’Aristotélicien. Comme les trois autres, et selon l’exemple initial de Platon lui-même dont toute la pensée, on l’oublie trop, fut tournée vers la rectification de la Politique, Marcel De Corte a voulu apporter aux misères politiques de ses contemporains les secours d’une philosophe vraie. Comme Charles De Koninck avec sa Primauté du bien commun, comme Etienne Gilson dans Pour un ordre catholique, et comme Maritain, hélas, dans Humanisme intégral, Marcel De Corte remplit la fonction d’un Alcuin auprès de Charlemagne.
[ …] nous sommes entrés dans un temps qui sera peut-être très long où l’on pourra seulement, au milieu d’un monde radicalement sans Dieu, “ sauver des îlots de santé partiellement intacts ”. Bien avant que nous en soyons nous-mêmes tout à fait persuadés, Marcel De Corte voyait, il y a plus de quarante ans, notre civilisation occidentale complètement effondrée, ayant épuisé ce qui restait en elle de civilisation chrétienne. “ Nous savons, écrivait-il, que les civilisations ne meurent que pour faire place à d’autres qui leur succèdent, et qu’un dépôt précieux …est confié aux générations intermédiaires ”. C’est aux générations intermédiaires, la sienne et les nôtres, qu’il destinait sa pensée. Il expliquait bien sûr que le “ salut de la civilisation repose sur un retour à la politique naturelle et à la religion surnaturelle ”. Mais il pensait surtout à ce “ dépôt précieux ” qui passe d’une génération à une autre, d’une civilisation à une autre. Son idée se fait jour un peu partout aujourd’hui : des îlots, des fortins, où le secret ne sera “ conservé d’une manière vivante que dans des communautés restreintes ”.
Le secret, mais quel secret ? C’est un secret à ciel ouvert, partout visible mais partout inaperçu, un secret simple et de bon sens, mais incompréhensible aux intelligences formatées par la domination médiatique et la pression sociale d’idéologies délirantes. C’est le secret perdu de la loi (morale) naturelle, c’est aussi le secret surnaturel du catéchisme romain, conservés l’un et l’autre dans l’intimité des familles, de quelques monastères, de quelques écoles. En somme le livre de Marcel De Corte est le livre des secrets de santé mentale, à l’usage des générations intermédiaires entre une civilisation qui achève de mourir et ce qui viendra ensuite.
La civilisation chrétienne puis son héritière infidèle la civilisation occidentale ont peu à peu épuisé le capital sur lequel elles ont vécu : le capital de sainteté, de coutumes, de lois, de mœurs, amassé par le Moye Age. Il n’en reste quasiment rien. Sauf dans le livre des secrets.
Le secret de Marcel De Corte, c’était donc de revenir au Moyen Age ?
Point du tout. Son secret, écoutez bien, c’est de guérir ; et guérir, a-t-il dit, n’est pas revenir à l’âge que l’on avait quand on a commencé la maladie.

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Marcel De Corte - L’Homme contre lui-même - Avant-propos par Jean Madiran
Préface
1 - Les transformations de l’homme contemporain
2 - Pathologie de la liberté
3 - La crise du bon sens
4 - La crise des élites
5 - Le déclin du bonheur
6 - Ce vieux diable de Machiavel
7 - Le mythe du progrès
8 - L’accélération de l’histoire et son influence sur les structures sociales
Un volume de 310 pages, aux Editions de Paris.
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ALETHEIA
16, rue du Berry
36250 Niherne (France).
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NOTES
[1] La première Bibliographie de son œuvre a été établie dans le n° 196 d’Itinéraires (septembre-octobre 1975), qui est aussi un volume d’hommage, et de réflexion sur sa pensée, avec, notamment, des articles de Jean Madiran, Thomas Molnar, Louis Salleron, Jacques Vier.
[2] Danilo Castellano, L’aristotelismo cristiano di Marcel De Corte, Florence, Pucci Cipriani, 1975.

27 janvier 2006

[Revue Oremus] Interview de Monsieur l'abbé Loiseau, curé de Saint-François de Paule à Toulon

SOURCE - Oremus - via La Lettre de Paix liturgique - Numéro 49 - 27 janvier 2006

Le 25 septembre dernier, Mgr Rey, évêque de Toulon, a érigé la paroisse Saint-François de Paule, où la messe traditionnelle était déjà célébrée depuis plusieurs années, en paroisse personnelle. Cette formule canonique originale est une première en France. Le curé de cette communauté, l’abbé Fabrice Loiseau, répond à nos questions.

Monsieur l’abbé, qu’entend-on au juste par les termes paroisse personnelle ?
Abbé Loiseau – Tout d’abord, il faut préciser qu’il s’agit bien d’une paroisse à part entière, avec la possibilité d’administrer tous les sacrements et de tenir des registres sans dépendre d’une autre paroisse. Saint-François de Paule est donc plus qu’une simple chapelle et, comme pour toute paroisse, c’est un curé que l’évêque désigne à sa tête.
Mais s’il s’agit d’une paroisse comme les autres, qu’y a-t-il de nouveau ?
Il y a bien une particularité ! Conformément à la volonté de notre évêque, la liturgie y est célébrée selon le rite romain traditionnel, qu’il célèbre lui-même lors de ses visites. Cette paroisse est donc celle de tous les fidèles du diocèse qui sont attachés à cette liturgie. Avant d’être territoriale, sa mission est donc personnelle, en ce sens qu’elle s’adresse à des personnes particulières. D’où l’appellation de paroisse personnelle. Cela n’a donc rien à voir avec la personnalité de son desservant !
C’est en effet une situation tout à fait particulière. Mais, pour autant, le cas de Saint François de Paule est-il unique ?
Non, car il existe des exemples similaires au Brésil et aux États-Unis. Le diocèse de Campos au Brésil, érigé en administration apostolique par le pape Jean-Paul II en 2002, se trouve dans une situation à peu près comparable, en ce sens que son évêque et ses prêtres ont la mission de célébrer le rite romain traditionnel. L’existence de cette administration apostolique est le fruit des négociations entre Monseigneur Rangel et le Saint-Siège.
Aux États-Unis, il y a l’exemple de l’église Saint-François de Sales à Mableton (Géorgie) qui a été érigée au rang de paroisse par l’archevêque d’Atlanta en janvier 1999. C’est également le cas de la paroisse du Saint-Sacrement à Kansas City et de deux autres paroisses du même diocèse.
En effet. La volonté de ces évêques était d’intégrer pleinement à la vie du diocèse les fidèles attachés à l’ancien rite, en leur accordant une paroisse à part entière. Mais, dans le cas de Toulon, comment est-on parvenu à une telle solution ?
La reconnaissance de cette paroisse personnelle s’est faite grâce à une étroite collaboration entre le diocèse et la commission « Ecclesia Dei ». Dimanche 25 septembre, le vicaire général est donc venu à Saint-François de Paule pour lui conférer officiellement son nouveau statut. Mais cela n’a été possible que parce qu’à Toulon, il existe depuis des années une réelle ouverture entre le diocèse et les fidèles « traditionalistes ». C’est ainsi que nous participons régulièrement aux activités du diocèse, et qu’un intérêt missionnaire commun a pu se développer au fil des ans.
Quelles seront à votre avis les conséquences de ce nouveau statut sur la vie de votre communauté ?
Le statut canonique fort de notre communauté marque assurément une plus grande reconnaissance de l’ancien rite, comme rite actuel de l’Église catholique. Ce n’est pas une pièce de musée ! Ce statut nous donne également une plus grande liberté dans l’apostolat que l’évêque attend de nous, comme de tous les membres du diocèse, prêtres ou laïcs. C’est un moyen exceptionnel pour développer la mission.
Monseigneur Rey vous envoie donc en mission, à Toulon, en 2005 ?
Assurément ! Il entend nous associer pleinement à l’élan du pape Jean Paul II pour la Nouvelle Évangélisation. C’est l’une des raisons pour lesquelles s’est créée, avec l’encouragement de l’évêque, une nouvelle communauté de prêtres, la Société des Missionnaires de la Miséricorde. L’évêque nous a remis l’habit le dimanche 4 septembre dernier.
Une nouvelle communauté ? N’est-ce pas une division de plus ?
Absolument pas, puisque je continue à travailler avec la Fraternité Saint Pierre, et que j’invite des prêtres d’autres communautés à venir célébrer la messe à la paroisse. La diversité fait partie de la richesse de l’Église. Il s’agit pour nous d’une nouvelle spiritualité autour de la Miséricorde, de l’adoration Eucharistique et de la mission, particulièrement auprès des musulmans. Mais je préfère attendre quelques mois pour vous en parler plus précisément, car nous devons faire nos preuves par une vie commune et une persévérance dans notre spiritualité.
Vous avez dit que la mission est l’une des préoccupations de votre communauté. Concrètement, comment vous y prenez-vous pour annoncer l’Évangile ?
Nous essayons de nous rendre visibles et de témoigner de notre foi. Nous allons dans la rue ! Nous organisons des processions, certains jours de fête. Pour la Fête-Dieu, par exemple, les paroisses du centre de Toulon nous ont demandé d’organiser avec elles une procession autour du port. Nous récitons également le chapelet en public ; nous faisons des prédications de rue. Le parvis de Saint-François de Paule, en plein cœur de Toulon, se prête parfaitement à ces manifestations de prière publique.

26 janvier 2006

[Sensus Fidei] A propos de l’interview de Mgr Fellay à l’A.J.I.R.

SOURCE - communiqué de Sensus Fidei - 26 janvier 2006

L’interview de Mgr Fellay à l’A.J.I.R., tel qu’il a été retransmis par "La Porte Latine", semble marquer une avancée décisive dans les rapports entre la Fraternité et le Vatican. En effet, il y est clairement indiqué que le point de non retour est dépassé et qu’un accord est pratiquement acquis désormais, bien que certains problèmes théologiques nécessitent encore du temps pour être résolus.

Sensus Fidei se félicite de ces déclarations qui confirment bien - pour le moment - les informations dont elle avait fait part à ses adhérents dans sa lettre, datée du 6 janvier 2006. Il y a lieu en particulier de relever que Mgr Fellay envisage pour la Fraternité un statut de prélature personnelle, similaire à celui, obtenu en son temps pour Campos (Mgr Riffan). C’est donc dire que la Fraternité abandonne désormais ses préventions à l’égard d’une démarche qu’elle avait durement stigmatisée par le passé. C’est là un facteur important d’apaisement, voire de réconciliation.

Toutefois, l’interview de Mgr Fellay soulève deux interrogations essentielles. En effet, d’une part, elle indique que la prélature envisagée se traduirait néanmoins, pour les laïcs, par leur sujetion à l’égard des évêques territorialement compétents, ce qui nécessite des informations complémentaires si l’on se souvient des errements passés de nombre d’entre eux.

D’autre part, et surtout, Mgr Fellay semble réduire très sensiblement l’importance de la Messe de Saint Pie V, devenue "seconde" par rapport à l’exigence première d’une Foi commune. Cette dévalorisation d’une messe, qui conserve, exprime, exalte toute la Tradition - c’est à dire toute la doctrine de la Foi - surprend d’autant plus que sa réhabilitation avait été posée comme une exigence première, préalable à tout accord entre Rome et la Fraternité. Il y a donc là motif à de légitimes inquiétudes, dont on espère qu’elles pourront trouver tous apaisements, sachant, par ailleurs, combien Benoît XVI avait regretté le traitement dont elle avait été injustement l’objet.

Alors q’un accord semble aujourd’hui réalisable dans des délais "limités", il importe donc, aujourd’hui, que les négociateurs de la Fraternité s’élèvent pleinement au niveau de leurs responsabilités, comme l’exige la qualité de leurs interlocuteurs Romains et le bien de l’Eglise toute entière.

24 janvier 2006

[Abbé Paul Aulagnier] Une administration apostolique personnelle du "Saint Sauveur". Projet!

Abbé Paul Aulagnier - "Regard sur l’actualité politique et religieuse" n°75 - 24 janvier 2006

On sait maintenant, depuis le vendredi 13 janvier dernier, selon les déclarations de Mgr Fellay, Supérieur général de la FSSPX, faites à la presse, que les autorités romaines, qui ont la charge du dossier, en particulier, le cardinal Castril-lon Hoyos, seraient presque prêtes de «régulariser» la situation canonique de la FSSPX dans le sein de l’Eglise, en lui «accordant» un «statut d’autonomie», - mesurez l’importance de la chose - et qu’à cet effet, elles envisageraient très sérieusement la création d’ «une administration apostolique personnelle comme celle créée en 2001-2002 , à Campos (Brésil).

Le journal «La Croix» résumait ainsi les propos du prélat : «Quelle forme aurait cette régularisation ? Ce pourrait être un statut d’autonomie, par exemple une administration apostolique personnelle comme celle créée en 2001 à Campos (Brésil) pour les fidèles de Mgr Antonio de Castro Mayer, autre évêque intégriste, co-consécrateur lors des ordinations illicites de 1988. «Je suis presque sûr qu’on nous l’accordera, confie Mgr Fellay. Même si nous ne voulons pas être des catholiques à part : l’ancienne messe, nous ne la demandons pas pour nous, mais pour tous. Mais peut-être faudra-t-il passer par cette étape transitoire».
Réagissant à cette excellente nouvelle, j’ai déclaré m’en réjouir sincèrement. (cf. Flash-Info d’Item de la semaine dernière, le 17 janvier 2006) (http://la.revue.item.free.fr).

Je pense même qu’il ne faudrait plus tarder, qu’il faudrait vraiment prendre la balle au bond que Rome propose. Les choses étant ce qu’elles sont aujourd’hui, «nous n’avons rien à craindre. Nous n’avons qu’à y gagner».

Les excellentes considérations doctrinales que certains peuvent faire sur le Concile, son enseignement, sur le dis-cours de Benoît XVI du 22 décembre… auraient plus de poids et d’impacts si elles étaient faites à l’«intérieur de l’Eglise» qu’à l’«extérieur». Je veux dire que la «normalisation» reconnue officiellement aurait un «impact» apostolique formidable. Imaginez ! La «désobéissance» qui, pour beaucoup, est l’argument qui évite toute réflexion, ne pourrait plus être invo-quée. Des cœurs s’ouvriraient enfin à la réflexion. Un obstacle majeur tomberait… Et si l’on avait un peu «pitié» des plus fragiles… Nos confrères vont-ils s’ouvrir à ce réalisme pratique, à ce sens de l’action apostolique ? Il faudrait y préparer les esprits, avec conviction et sans tarder.

Autrement je crains bien que la «cacophonie» s’installe dans le «microcosme» de la Tradition…

Mais au juste qu’est-ce qu’une «administration apostolique» ? Comment l’organiser ? Comment l’imaginer ?
M’appuyant sur la pensée de Mgr Lefebvre telle qu’il l’exprimait dans sa lettre du 21 novembre 1987 au cardinal Gagnon et sur la petite expérience de «Campos», je me suis «amusé» à mettre sur papier une structure «juridique». En voici les grandes lignes.

Je vous renvoie également au dossier de «Campos». Je le remets en ligne sur mon site dans la rubrique : «Dossier de Campos». Allez-le consulter. Là, vous trouverez les documents romains en cette affaire, mes commentaires, les textes des Pères de «Campos». Je précise que le clergé de Campos n’est pas «tombé» comme certains l’avait annoncé, qu’il est toujours fidèle à la messe saint Pie V et qu’il étend, sous l’action brillante de son «administrateur», Mgr Rifan, un bel apostolat appuyé sur la belle messe catholique, au bénéfice des fidèles brésiliens, non seulement dans le diocèse de Campos, mais dans 13 autres diocèses du Brésil et dans 3 archevêchés… et peut-être un jour en Europe… Pourquoi pas ? Ils ne sont nullement «confinés» au Brésil ni à Campos… même s’ils ont toujours eu des difficultés à sortir de leur diocèse… même bien avant la création de l’Administration apostolique…

Quoi qu’il en soit de l’avenir qui n’appartient qu’à Dieu, voilà la proposition que j’ai «imaginée» du règlement de la situation actuelle des communautés attachées exclusivement à la «messe» de Saint Pie V.
Attendu que Rome a reconnu la non abrogation du Missel Romain dit de saint Pie V (1)
Attendu qu’elle reconnaît que ce rite a «droit de citoyenneté» dans l’Eglise (2)
Attendu qu’elle en reconnaît la légitime célébration, dans les églises de rite latin (3)
Attendu que Rome souhaite vraiment que s’instaure la paix liturgique dans l’Eglise et ses sanctuaires (4)
Attendu que ce qu’on a pu appeler la «législation Medina» du 3 juillet et du 18 octobre 1999, est rendue caduque par suite de la création de l’Administration Apostolique Saint Jean Marie Vianney, (5)
Attendu toutefois que le corps épiscopal, d’une manière générale, reste attaché au nouvel Ordo Missae de Paul VI et refuse généralement la célébration de l’ancien «ordo», (6)
Attendu que, l’épiscopat refuse généralement encore la création d’«église personnelle» dans les diocèses permettant de satisfaire la légitime aspiration de nombreux fidèles désirant cette «ancienne» messe… (6)
Attendu que Rome en accepte la réalité en raison de «sa» théologie sur l’autorité de l’épiscope (7)
Attendu toutefois qu’un nombre notable de prêtres diocésains ou religieux et de fidèles désirent rester attachés à la célébration de cette ancienne liturgie (8)
Attendu que ces prêtres reconnaissent cependant la validité de la Nouvelle Messe tout en ne désirant pas célébrer se-lon ce nouvel Ordo, (9)
Attendu qu’ils reconnaissent le Concile oecuménique Vatican II, légitimement convoqué par le Pape Jean XXIII et qu’ils le reçoivent selon le jugement de l’Eglise tel qu’exprimé par le Secrétaire général du Concile, le cardinal Felici, (10)
Attendu qu’ils confessent reconnaître l’autorité du Souverain Pontife Benoît XVI et qu’ils désirent sincère soumission et docilité aux autorités légitimes et hiérarchiques de l’Eglise, hiérarchie elle-même docile à l’enseignement de toujours selon la formule de Saint Vincent de Lérins : «Dans l'Église catholique elle-même, il faut veiller avec grand soin à ce que l'on tienne ce qui a été cru partout, toujours et par tous. Cela est en effet vraiment et proprement catholique...» (11)
Attendu qu’ils confessent dans sa totalité le Credo de Nicée, le Credo des Apôtres
Attendu, dès lors qu’ils sont dans la «pleine communion» avec la Sainte Eglise Catholique et Romaine, qui le re-connaît, Rome crée pour ces prêtres attachés légitimement au rite de Saint Pie V, un «Ordinariat pour la liturgie latine» appelé «ordinariat du Bon Pasteur».

A- Ses membres.

A-1 : Ce serait une fédération d’Instituts et d’Œuvres.A-2 : N’en feraient parti que les Institutions féminines ou masculines, contemplatives ou apostoliques, sacerdotales ou religieuses qui ont toujours utilisé exclusivement les éditions liturgiques de Jean XXIII et prié pour le Pape selon les formules publiques de la Liturgie et celles qui désireraient célébrer ou suivre aujourd’hui la sainte liturgie dans la liturgie traditionnelle de l’Eglise.
A-3 : Le rite latin, traditionnel, grégorien, dit de saint Pie V, serait le rite propre de ces Instituts, à l’exclusion de tout autre.
A-4 : Chaque Institut garderait ses constitutions propres, ses coutumes, son gouvernement, ses manières d’être qui devraient bien évidemment s’accorder avec l’esprit et le Droit de l’Eglise dans leurs constitutions, esprit des fondateurs, esprit des constitutions originelles, pour le choix des sujets, préparation, spiritualité, doctrine, habit, vie de communauté…
A-5 : Chaque Institut et Œuvres garderaient leurs biens propres en pleine propriété.
A-6 : Chaque Institut et Œuvres entreraient dans cet Ordinariat avec ses propres œuvres qui seraient reconnues de plein droit. Seraient ainsi normaliser les œuvres et les institutions qui ont travaillé en faveur de la Tradition
A-7 : Pour ce qui concerne le FSSPX,
- il serait procédé préalablement à la lever des suspenses et interdits
- seraient reconnu à nouveau les statuts de la FSSPX, comme avant 1975 avec modification cependant de quelques articles pour son adaptation à la nouvelle situation
- elle pourrait être considéré comme «le support» de l’«Ordinariat pour la liturgie latine» en inscrivant dans ses Constitutions que le Supérieur Général, s’il est agréé par Rome à travers le Secrétariat Romain, recevrait la Consécration épis-copale et pourrait présenter deux auxiliaires pour l’aider dans sa charge et qui deviendraient évêques auxiliaires et ce, en raison de l’extension providentielle de la FSSPX
A-8 : A ce sujet, on pourrait s’inspirer de l’exemple de l’Ordinariat aux Armées et se référer à ce qui a été décidé, le 21 avril 1986, dans la Constitution apostolique «Spirituali militum curæ». Nul doute que ceux qui ont maintenu la Tradition li-turgique peuvent être considérés comme «une petite armée» dont les soins spirituels pourraient être confiés à la FSSPX et aux Institutions «amies». Ainsi pourraient être réglés heureusement les problèmes d’incardination et de juridiction des prêtres… L’application de la juridiction «cumulative» semblerait très réaliste et résoudrait beaucoup de problème. (cf l’Ordinariat aux Armées, l’Administration Saint Jean Marie Vianney)
A-9 : La juridiction serait donnée par le Secrétariat Romain à chaque autorité majeure qui déléguerait sa juridiction à ses membres selon le droit.
A-10 : Chaque institut pourrait incardiner ses propres sujets.
A-11 : Ces instituts se donneraient mutuel soutien selon leur aptitude et leur nature.
Les relations entre les diverses Œuvres et initiatives d’une part et la FSSPX d’autre part, demeureraient celles qu’elles sont actuellement pour les ordinations, les confirmations et autres assistances : bénédictions, retraites, cérémonies de profession, etc… mais tout ce qui concerne le statut canonique et les dispenses à soumettre à Rome, irait directement au Secrétariat romain.

B- L’autorité sur l’Ordinariat

Elle serait assurée par une organisation qui aurait son siège à Rome : ce serait le «Secrétariat romain». Il serait l’élément fédérateur des divers Instituts et Œuvres et leur représentant dans les instances romaines et diocésaines.

C- Pouvoirs et but du Secrétariat :

C-1 : Ils seraient assez semblables à ceux qu’ont la Propagande vis-à-vis des territoires de Missions et l’Orientale vis-à-vis de Rites Orientaux.
C-2 : Il aurait pour fonction, précisément, de veiller au «maintien et au développement de la liturgie latine selon les prescriptions de Jean XXIII». (NB : On pourrait même envisager de respecter les modifications introduites après 1962, pour la «première partie» de la messe, la première partie se faisant à l’ambon, pour prendre mieux en compte la participation des fidèles).
C-3 : En conséquence, ses pouvoirs auraient pour but de :
C-3-1 : de normaliser les œuvres et les initiatives en faveur de la Tradition et de les aider à remplir leur rôle dans l’Eglise, dans les circonstances présentes ;
C-3-2 : de veiller à la continuité de ces œuvres par l’octroi de l’épiscopat à plusieurs membres, en particulier aux membres de la FSSPX, qui, en raison de son importance, pourrait être considéré comme le «support» de l’Ordinariat, nous l’avons dit plus haut, pour la liturgie latine en inscrivant dans ces constitutions que le Supérieur Général, s’il est agréé par Rome à travers le Secrétariat, recevra la Consécration épiscopale et pourra présenter deux auxiliaires pour l’aider dans sa charge et qui deviendraient évêques auxiliaires.
Etant donné la situation de la Fraternité saint Pierre, son importance, et dans la mesure de son attachement exclusif au rite dit de saint Pie V et donc de son appartenance possible à cet «Ordinariat», il pourrait être conféré aussi l’ordination épiscopale au Supérieur Général.
C-3-3 : de veiller au développement de ces Instituts et œuvres diverses en harmonie et dans la paix avec les Ordinaires des lieux.
C-3-4 : de veiller à amener les Ordinaires des lieux à comprendre le bien de la collaboration à tous les niveaux, pastoraux, spirituels, intellectuels par l’acceptation d’églises «personnelles», œuvres diverses, séminaires… (cf. pour la France, l’exemple du diocèse de Versailles et aujourd’hui de celui de Nanterre)
C-4 : Les Œuvres déjà existantes, églises, chapelles, maisons de retraites spirituelles, séminaires, écoles « hors contrat » pour les écoles françaises … seraient reconnues de plein droit… Et toute fondation nouvelle, création nouvelle… se feraient après «concertation» ou «information» avec les Ordinaires des lieux. Les conflits éventuels seraient réglés par le Secrétariat général.

D- Compositions de ce secrétariat.

D-1 : A l’instar des autres secrétariats et commissions de ce genre, c’est-à-dire :
D-1-1 : Un cardinal préfet, nommé par le Pape avec agrément du Supérieur général de la FSSPX et des Supérieurs majeurs des Instituts.
D-1-2 : Un archevêque ou évêque, Secrétaire et Président et quelques minutanti, pris dans les divers Instituts et présentés par le Supérieur général de la FSSPX et les Supérieurs majeurs des Instituts.
D-2 : Il est absolument nécessaire – c’est là une condition «sine qua non» pour la bonne réussite de la chose – (12) que ce Secrétariat soit confié à des personnes très respectueuses et attachées au Saint Siège, mais aussi convaincues de l’urgente nécessité pour l’Eglise, de favoriser les initiatives qui maintiennent la Tradition et de ne rien faire qui les contraignent à s’en éloigner de nouveau.

Notes

(1). Cf les déclarations nombreuses du cardinal Stickler, du cardinal Ratzinger, du cardinal Médina.
(2) cf. Homélie du cardinal Castrillon Hoyos le 24 mai 2003 lors de la messe célébrée à Sainte Marie Majeure et la création de l’Administration apostolique Saint Jean Marie Vianney à Campos (Brésil)
(3) cf Conférence du cardinal Ratzinger, le 24 octobre 1988, à Rome lors du pèlerinage des communautés Ecclesia Dei.
(4) cf livre du Cardinal Ratzinger : « Voici quel est notre Dieu » p. 291 : « Pour la formation de la conscience dans le domaine de la liturgie, il est important aussi de cesser de bannir la forme de la liturgie en vigueur jusqu’en 1970. Celui qui, à l’heure actuelle, intervient pour la validité de cette liturgie, ou qui la pratique, est traité comme un lépreux : c’est la fin de toute tolérance.
Elle est telle qu’on n’en a pas connue durant toute l’histoire de l’Eglise. On méprise par là tout le passé de l’Eglise. Comment pourrait-on avoir confiance en elle au présent, s’il en est ainsi. J’avoue aussi que je ne comprends pas pourquoi beaucoup de mes confrères évêques se soumettent à cette loi d’intolérance, qui s’oppose aux réconciliations nécessaires dans l’Eglise sans raison valable ».
(5) cf La Bataille de la Messe ; c. 9 et 10 ; p 117-154. Les éditions de Paris.
(6) cf l’attitude de Mgr Hippolyte Simon dans l’«affaire Aulagnier».
(7) cf Déclaration du Cardinal Castrillon Hoyos, du Cardinal Médina.
(8) cf entre autres, les prêtres de la FSSPX et les communautés «amis», les membres des communautés dépendant d’Ecclesia Dei.
(9) cf Déclaration du «Protocole d’accord» 5 mai 1988. Déclarations nombreuses de Mgr Lefebvre et de Mgr Fellay ; les statuts des différentes communautés Ecclesia Dei.
(10) cf Déclaration du Protocole d’accord du 5 mai 1988 ; Déclaration de Monsieur l’abbé Philipppe Laguérie dans le «Mascaret» de septembre 2005 p. 1-2 ; Déclaration du cardinal Felici du 6 mars 1964 de la Commission doctrinale du Concile lui-même (A.S.S. 57. 1965. 72.75) : En raison de la pratique conciliaire (générale) et de la fin pastorale du présent concile (Vat II) le saint Synode n’entend proposer , en matière de foi et de mœurs, comme devant être tenu par l’Eglise, ces seules choses qu’il aura expressément déclarée comme telles. Toutes les autres, que propose ce saint Synode, comme doctrine du magistère suprême de l’Eglise, tous et chacun des fidèles du Christ doivent les recevoir et les accepter selon l’esprit de ce saint Synode, qui se fait connaître, soit à partir de la manière traitée, soit à partir du mode d’expression, suivant les règles (classiques) de l’interprétation théologique».
(11) cf. lettre du 21 novembre 1987 de Mgr Lefebvre au cardinal Gagnon : «Nous formons une grande famille, vivant dans cette ambiance et cette atmosphère catholique attachée à l’Eglise romaine, attachée à Pierre et à ses Successeurs… Nous acceptons volontiers d’être reconnus par le Pape tels que nous sommes et d’avoir un siège dans la Ville Eternelle, d’apporter notre collaboration au renouveau de l’Eglise ; nous n’avons jamais voulu rompre avec le Successeur de Pierre, ni considérer que le Saint Siège est vacant, malgré les épreuves que cela nous a values ».
(12) Cette condition précisée est importante. C’est parce que Mgr Lefebvre ne put avoir satisfaction sur ce point qu’il retira sa signature du protocole du 5 mai 1988.

21 janvier 2006

[Abbé Paul Aulagnier - ITEM] Le "Retournement"

SOURCE - Abbé Paul Aulagnier - ITEM - 21 janvier 2006

Le "Retournement" - Point-presse avec Mgr Fellay

Le vendredi 13 janvier 2006 à 9h00, l'AJIR a organisé, au Cape (Maison de la Radio, 116 avenue du Président-Kennedy, Paris 16e, RER Kennedy-Radio France) un point presse avec : Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X. L’objet de cette rencontre avec les journalistes fut «les relations avec Rome » depuis la rencontre fameuse du 25 août 2005.

Dans aucun entretien, Mgr Fellay ne fut aussi optimiste.

Je suis le premier à m’en réjouir.

La presse s’est particulièrement intéressée à la forme que pourrait prendre cette régularisation. Voici ce qu’elle rapporta sur ce sujet :

« Quelle forme aurait cette régularisation ? Ce pourrait être un statut d’autonomie, par exemple une administration apostolique personnelle comme celle créée en 2001 à Campos (Brésil) pour les fidèles de Mgr Antonio de Castro Mayer, autre évêque intégriste, co-consécrateur lors des ordinations illicites de 1988. « Je suis presque sûr qu’on nous l’accordera, confie Mgr Fellay. Même si nous ne voulons pas être des catholiques à part : l’ancienne messe, nous ne la demandons pas pour nous, mais pour tous. Mais peut-être faudra-t-il passer par cette étape transitoire. »

J’en connais un qui fut exclu de la « société » qui s’appelle, je crois « la Fraternité sacerdotale saint Pie X », pour avoir recommandé, en son temps, avec conviction et légitime indépendance, que l’on adopte une telle position… qui, du reste, était très sérieusement déjà proposée par Rome. Mais c’était, à l’époque, considéré comme « haute trahison ». On a toujours tort d’avoir raison trop tôt…

Si, du reste, vous voulez connaître le statut juridique de cette « administration apostolique » appelée « Saint Jean Marie Vianney », je vous conseille de retrouver les numéros du « bulletin » qui s’appelait alors :

« Bulletin Saint Jean Eudes » ou peut-être même « Nouvelles de Chrétienté ». Vous pouvez vous procurer les numéros auprès de ceux qui ont gardé les archives…en prenant indûment la direction de l’association « Civiroma ».

Ils ne furent pas nombreux ceux qui, avec cœur, scrutaient les documents sans a priori malhonnête, mais avec sympathie.

L’honnêteté intellectuelle voudrait que la situation soit réparée, la justice satisfaite. Il n’en sera rien, du moins pas encore…Les caractères sont trop faibles. Nous ne sommes plus au Moyen Age, tout de même…

Allez ! Sans rancune ?

Sans rancune. Une seule chose me presse le triomphe du bien. Mais toujours très douloureux en voyant combien les cœurs se sont fermés…

C’est une nouvelle expérience, fort utile, pour ne plus se faire d’illusion sur les hommes.

[FSSPX - District de France] L’interprétation du concile Vatican II - A propos du discours du pape Benoît XVI, le 22 décembre 2005

SOURCE - District de France de la FSSPX - 21 janvier 2006

Le 22 décembre dernier, le pape Benoît XVI prononçait un discours fondamental sur l’interprétation de Vatican II. A première vue, ce texte pourrait sembler prendre en compte les objections des traditionalistes. Mais l’analyse plus profonde révèle chez le pape actuel un très fort attachement aux erreurs les plus graves du Concile, ainsi qu’une volonté d’enraciner Vatican II dans l’Église comme un élément clé d’une « nouvelle tradition ».

Le discours du 22 décembre 2005, capital pour comprendre l’évolution actuelle des mentalités dans l’Église, a été précédé par quelques actes intéressants.
Le 9 novembre, par un Motu proprio, le pape a annulé des dispositions prises en 1969 par Paul VI, et qui accordaient un large statut d’autonomie aux franciscains d’Assise. Ceux-ci en avaient profité pour s’adonner à l’innovation liturgique et pastorale. Désormais, ils se trouvent dépendre à nouveau de l’évêque du lieu, et devront suivre les normes liturgiques et canoniques.
Le 1er décembre, c’est une lettre de la Congrégation du Culte qui, « au nom du Saint-Père », est venue rappeler à ses obligations le « Chemin néocatéchuménal », mouvement jusqu’ici fermement soutenu par Jean-Paul II. Le point le plus remarquable est l’injonction de « ne pas utiliser exclusivement la Prière eucharistique II, mais aussi les autres contenues dans le missel ».
Le 8 décembre, quarantième anniversaire de la clôture de Vatican II, le pape a posé un geste fort… en ne faisant rien. Là où Jean-Paul II aurait sans doute prévu un rassemblement triomphaliste pour célébrer la réussite du Concile, Benoît XVI a consacré l’essentiel de son sermon à la sainte Vierge, même s’il a prononcé une introduction très convenue à propos de Vatican II.
Mais ces actes, bien qu’ils présentent un grand intérêt pour l’observateur, sont loin d’avoir l’importance du discours du 22 décembre.
Un discours programme
L’occasion de ce discours est une tradition inaugurée par Jean-Paul II : chaque année, un peu avant Noël, le pape reçoit la Curie à l’occasion des vœux, et en profite pour faire un bilan de l’année.
Un peu moins de la moitié de ce discours est donc consacrée à un passage en revue des événements de l’année écoulée : la mort de Jean-Paul II, les JMJ, le Synode sur l’Eucharistie et, bien entendu, la propre élection de Benoît XVI.
On peut relever, dans ce panorama, la censure sévère que fait le pape d’une des thèses essentielles des promoteurs de la Réforme liturgique :
« Au cours de la période de la réforme liturgique, la messe et l’adoration en dehors de la messe étaient souvent considérées comme en opposition : le Pain eucharistique ne nous aurait pas été donné pour être contemplé, mais pour être mangé, selon une objection alors courante. Dans l’expérience de prière de l’Église s’est désormais manifesté le manque de sens d’une telle opposition. »
Benoît XVI continue en blâmant cette critique méprisante de la tradition eucharistique catholique.
Mais le « cœur nucléaire » du discours est un retour sur Vatican II. Ce texte mérite de retenir notre attention, car il précise la pensée de Benoît XVI sur un sujet crucial. 
Un texte capital
L’analyse est assez ample, d’une grande densité de pensée. On sent que Josef Ratzinger y a beaucoup travaillé et exprime là une réflexion qui lui tient profondément à cœur, qui représente sans aucun doute un axe majeur de sa pensée et de sa vie.
Par rapport à Jean-Paul II, diffus et assez compliqué, Benoît XVI se révèle agréable à lire, même si la précision du discours réclame de l’attention. Les reproches souvent faits à la philosophie allemande, de devenir illisible à force de néologismes obscurs, n’ont pas lieu d’être ici.
Le propos du pape se situe dans la continuité du livre Entretien sur la foi (cf. abbé Loïc Duverger, « Le retournement », Fideliter 169). Les deux avancées majeures du présent texte sont d’abord un caractère synthétique, ensuite et surtout le fait qu’il ne s’agit plus d’un écrit du théologien Ratzinger, mais d’un acte du pape Benoît XVI.
Une volonté de clarification
Le souverain pontife, et c’est là tout l’intérêt de son intervention, prend à bras-le-corps la question du statut exact du Concile, qui empoisonne l’Église depuis quarante ans. On sent qu’il souhaiterait, par cet effort de clarification, dégager la route pour l’Église.
Les questions qui nous apparaissent comme essentielles pour le dénouement de la crise sont abordées de front, et l’on constate avec intérêt que le pape connaît, au moins en partie, les objections faites par la mouvance traditionnelle.
On ne peut d’ailleurs que souligner l’intention louable du pape de s’inscrire dans la tradition catholique, de vouloir marcher dans cette ligne. Nous le verrons, il n’y parvient pas réellement, mais le simple fait de le désirer est déjà une avancée.
Par ailleurs (et ceci est un fait acquis), Benoît XVI a le courage de condamner avec vigueur certaines erreurs. Toutefois, nous ne devons pas prendre ce texte pour ce qu’il n’est pas : la fin de la crise de l’Église. Le pape procède comme un chirurgien qui reçoit un homme accidenté. Il y a du sang partout, le vêtement est déchiré, etc. Le médecin va commencer par dégager et laver la plaie, pour la faire mieux apparaître. Tel est le travail effectué par Benoît XVI en ce discours du 22 décembre.
Mais, à ce moment, la blessure se présente avec toute sa gravité, et c’est alors que commence le temps, beaucoup plus long et complexe, de la soigner. De la même façon, en la deuxième partie de son discours, comme on le verra plus loin dans notre Annexe, Benoît XVI se révèle attaché à certaines des erreurs les plus graves de Vatican II.
Le désir d’inscrire Vatican II dans la tradition
La volonté du pape, en ce texte, est très claire : montrer que le Concile peut et doit être compris, malgré certaines apparences contraires, dans le droit fil de la tradition catholique, qu’il s’inscrit dans la continuité de tous les conciles.
Pour tenter de démontrer exhaustivement ce point, Benoît XVI aborde de nombreux thèmes connexes. Certains le sont de façon assez brève : par exemple, seul un membre de phrase évoque le « rapport entre l’Église et la foi d’Israël », un thème pourtant important de Vatican II, et de la pensée de Benoît XVI.
D’autres sont présentés de façon beaucoup plus approfondie : la liberté religieuse, le rapport entre Église et monde. Le cœur de son propos est une distinction sur la façon d’interpréter les textes du Concile.
Ce texte du 22 décembre est d’une telle importance et d’une telle densité qu’il appellera plusieurs études théologiques approfondies.
Ici, nous n’allons nous arrêter que sur le thème de la « mauvaise » interprétation du Concile, qui permet de saisir tout l’intérêt de cette tentative de Benoît XVI pour résoudre le problème de Vatican II, mais aussi ses limites et ses incohérences.
Une crise après le Concile
Dans son analyse, l’orateur commence par confesser, de façon franche, la crise postconciliaire :
« Personne ne peut nier que, dans de vastes parties de l’Église, la réception du Concile s’est déroulée de manière plutôt difficile.»
Il revient à plusieurs reprises sur ce thème, par exemple en signalant l’erreur de ceux qui pensaient que l’ouverture au monde supprimerait toutes les difficultés : ceux-là « avaient sous-estimé les tensions intérieures et les contradictions de l’époque moderne », ainsi que « la dangereuse fragilité de la nature humaine ».
En sorte que, même lorsque le pape veut reconnaître de bons fruits au Concile, il est obligé d’user de circonlocutions, de nuances et de sous-nuances :
« Aujourd’hui, nous voyons que la bonne semence, même si elle se développe lentement, croît malgré tout.»
Les deux herméneutiques
Pour expliquer cette crise, Benoît XVI oppose deux interprétations (il utilise un terme plus savant, « herméneutique ») de cet événement. L’une, la mauvaise interprétation ou mauvaise herméneutique, « a engendré la confusion ». L’autre, la bonne, « a porté et porte des fruits ».
L’orateur fait une critique méthodique de cette « mauvaise » interprétation, à base de « discontinuité et rupture ». Soutenue par « les médias et par une partie de la théologie moderne », cette interprétation pose que le vrai concile ne se trouve pas dans les textes votés entre 1962 et 1965, mais dans les « élans vers la nouveauté qui apparaissent derrière les textes ».
Cette interprétation postule qu’on ne reste fidèle au Concile qu’en dépassant sa lettre, fruit de compromis ponctuels et qui ne reflète que de façon imparfaite la réalité de l’événement conciliaire. Benoît XVI conclut sévèrement : « L’herméneutique de la discontinuité risque de finir par une rupture entre Église préconciliaire et Église postconciliaire. »
La constitution essentielle de l’Église
A ce moment de son exposition et de sa critique de la « mauvaise » interprétation de Vatican II, le pape apporte un argument nouveau et d’un grand intérêt. Cette interprétation, nous dit-il, considère le Concile « comme une sorte de Constituante, qui élimine une vieille Constitution et en crée une nouvelle ». Or, objecte-t-il, « les Pères n’avaient pas un tel mandat, personne ne leur avait jamais donné et personne, du reste, ne pouvait le donner, car la constitution essentielle de l’Église vient du Seigneur ».
L’argument, répétons-le, est saisissant : un changement dans la constitution de l’Église par le Concile est impossible, premièrement parce que les Pères n’avaient pas ce mandat ; deuxièmement, parce que personne ne le leur avait donné ; troisièmement, parce que personne ne pouvait le leur donner. Bref, dans l’Église, la Révolution (fût-elle « conciliaire ») est par principe illicite et sans valeur normative.
L’interprétation « autorisée »
A cette doctrine de la « discontinuité », à cette révolution en tiare et en chape, à cette « mauvaise » interprétation de Vatican II, Benoît XVI va opposer la « bonne » interprétation, celle de la « réforme ».
D’après le souverain pontife, dans le processus de « réforme » (dont l’exemple parfait est le Concile), « les principes, demeurant à l’arrière-plan et motivant la décision de l’intérieur, expriment l’aspect durable » de la tradition, tandis que « les formes concrètes, les faits contingents », les décisions ecclésiales ponctuelles, « peuvent être soumis à des changements en fonction de la situation historique ».
Cette « bonne interprétation », intellectuellement très contestable (c’est le moins qu’on puisse dire), méritera des analyses approfondies. Nous en donnons un exemple dans notre Annexe. Mais essayons ici d’approfondir la question de la « mauvaise interprétation ». Le pape, il est vrai, n’emploie pas les mots de « bonne » ou de « mauvaise » interprétation.
Ils traduisent toutefois son propos. Or, cette distinction entre une « bonne » et une « mauvaise » interprétation est-elle la seule pertinente dans notre situation ?
Concernant un concile, la distinction pertinente n’est-elle pas entre interprétation « autorisée » et interprétation « sauvage » ? Et les interprètes « autorisés » de Vatican II ne sont-ils pas les papes ? Benoît XVI a conscience de cette objection puisqu’il cite, pour appuyer sa « bonne » interprétation, un discours de Jean XXIII et un de Paul VI.
L’interprétation de Paul VI
Passons sur Jean XXIII, dont la pensée sur Vatican II n’est pas très claire. Le fragment cité par le pape actuel en fait foi : il existe, en effet, deux versions de ce fragment, l’une italienne nettement plus progressiste, l’autre latine plus traditionnelle. Or, en deux occasions différentes, Jean XXIII a utilisé les deux versions.
En revanche, pour Paul VI, nous bénéficions d’une abondance de discours. Or, peut-on exonérer Paul VI d’une interprétation de Vatican II comme rupture au moins partielle avec le passé de l’Église ?
Benoît XVI voit cette difficulté. Il dit du discours de clôture du Concile par Paul VI qu’à travers lui, « une herméneutique de la discontinuité peut sembler convaincante ». Parlant du Concile, il affirme qu’une « certaine forme de discontinuité pouvait ressortir et que, dans un certain sens, s’était effectivement manifestée », en sorte que la continuité est « un fait qui échappe facilement au premier abord », une « apparente discontinuité » étant plus visible.
Or, bien plus que ne veut l’admettre le souverain pontife actuel, Paul VI s’est situé dans la perspective d’une certaine discontinuité entre Église préconciliaire et Église postconciliaire. Citons-en trois exemples caractéristiques.
Une certaine volonté de rupture
Nous avons vu que, selon Benoît XVI, un concile ne peut modifier la constitution de l’Église. Par ailleurs, nous savons que Josef Ratzinger déplore, dans la Réforme liturgique, la rupture intervenue.
Or, comment interpréter, sinon en termes de rupture constitutionnelle et liturgique, la phrase de Paul VI du 13 janvier 1965 :
« La nouvelle pédagogie religieuse que veut instaurer la présente rénovation liturgique s’insère, pour prendre presque la place de moteur central, dans le grand mouvement inscrit dans les principes constitutionnels de l’Église, et rendu plus facile et plus impérieux par le progrès de la culture humaine » ?
Dix ans plus tard éclate « l’affaire Lefebvre ». Or, là aussi, en deux occasions majeures, Paul VI va opter pour une forme de rupture.
Le 29 juin 1975, écrivant à Mgr Lefebvre, Paul VI a ces mots extraordinaires et significatifs :
« Le deuxième concile du Vatican ne fait pas moins autorité, il est même sous certains aspects plus important que celui de Nicée.»
Qu’un concile pastoral soit plus important que le concile qui a défini le dogme de la divinité du Christ signifie que ce concile est, en réalité, « fondateur » d’une nouvelle Église.
Cette nouvelle forme d’Église va être caractérisée un an plus tard par Mgr Benelli, Substitut de la Secrétairerie d’État, dans une lettre où il note que, pour les séminaristes d’Écône, « il n’y a rien de désespérant dans leur cas : s’ils sont de bonne volonté et sérieusement préparés à un ministère presbytéral dans la fidélité véritable à l’Église conciliaire, on se chargera de trouver la meilleure solution ».
Il appartient à Benoît XVI de nous dire si cette vision de Vatican II fut une interprétation autorisée, ou si elle ne fut que l’interprétation sauvage du théologien Montini.
A la distinction autorisée/sauvage, il faut en ajouter une autre, encore plus importante : celle entre « vraie » et « fausse » interprétation.
Vraie et fausse interprétation
Car, après tout, une interprétation n’est pas censée être une « création de sens », elle doit au contraire découler du texte lui-même de façon logique et spontanée. La vraie interprétation de Vatican II est celle qui « jaillit » de ses textes, lus dans leur sens obvie.
Est d’ailleurs caractéristique des problèmes que pose le texte du Concile le fait que, quarante ans après sa promulgation, un pape doive consacrer un tel effort théologique à tenter d’expliquer son sens.
Or, il suffit de citer de bons observateurs pour s’apercevoir que l’impression dominante du Concile fut celle d’une rupture. Qu’il s’agisse du cardinal Suenens affirmant que « Vatican II a été 1789 dans l’Église », du père Congar soulignant qu’au Concile « l’Église a fait sa Révolution d’octobre », du cardinal Ratzinger confessant que « Vatican II fut un anti-Syllabus », la liste est longue des témoins de premier plan qui l’ont ainsi perçu.
Là aussi, il est nécessaire que le pape actuel nous dise clairement d’où peut provenir une impression aussi dominante, sinon des textes mêmes.
Le débat sur le fond est enfin ouvert
Sans oublier le fait le plus fondamental : l’analyse objective des textes du Concile montre, sur certains points, une discontinuité avec l’enseignement constant de l’Église.
Le débat est ouvert, et il convient de remercier le pape de l’avoir lancé avec clarté. Il faudra cependant, en ce débat qui doit être mené dans l’amour de l’Église, affronter audacieusement le réel.
Or, nous pensons que, dans la réalité objective, « l’herméneutique de la rupture », ce ne sont pas exclusivement les médias et une partie des théologiens, c’est d’abord, au moins sous certains aspects, Vatican II lui-même dans sa lettre et ses textes. Le débat devra nécessairement éclaircir ce point crucial.
 
Suresnes, le 21 janvier 2006.

Annexe : La question de la liberté religieuse

Pour expliquer et illustrer son « herméneutique de la réforme », le pape propose plusieurs thèmes. La notion qu’il développe le plus est celle de la liberté religieuse ou, comme il dit, de la « liberté de religion ».On comprend mieux, à travers cet exemple, comment Benoît XVI essaie de faire droit à plusieurs de nos objections, tout en soutenant mordicus l’une des plus graves erreurs de Vatican II.
Raisonnement du pape
Son analyse est la suivante. Au XIXe siècle, « la liberté de religion a été considérée comme une expression de l’incapacité de l’homme de trouver la vérité » et comme « une exaltation du relativisme », « élevé de façon impropre au niveau métaphysique ». C’était l’esprit de la « phase radicale de la Révolution française ». Devant cette grave erreur, qui prétend que l’homme n’est pas « capable de connaître la vérité sur Dieu », l’Église, sous Pie IX, a justement fulminé des « condamnations sévères ».
Mais, par la suite, « l’époque moderne a connu des développements », une maturation s’est opérée et, de principe métaphysique, la liberté de religion est revenue à sa juste place de nécessité sociale et historique, liée à la coexistence humaine dans le cadre d’une pluralité de religions. C’est le « modèle de la révolution américaine ».
Principes de Vatican II
Aussi Vatican II, « reconnaissant et faisant sien à travers le Décret sur la liberté religieuse un principe essentiel de l’État moderne, a repris à nouveau le patrimoine plus profond de l’Église », de façon à se trouver « en pleine syntonie avec l’enseignement de Jésus lui-même ».
En effet, le Concile a entendu montrer que la liberté religieuse, non seulement découle d’une nécessité sociale et politique, mais s’enracine dans la réalité « intrinsèque de la vérité, qui ne peut être imposée de l’extérieur, mais qui doit être adoptée par l’homme uniquement à travers le mécanisme de la conviction ».
« Exemple » des martyrs
Pour illustrer et appuyer sa démonstration, le pape utilise « l’exemple » des martyrs. D’après lui, l’Empire romain imposait une religion d’État. Les premiers chrétiens, adorant uniquement Jésus, ont logiquement refusé d’adorer les dieux païens et donc, « à travers cela, ont rejeté clairement la religion d’État ».
« Les martyrs de l’Église primitive sont morts pour leur foi dans le Dieu qui s’était révélé en Jésus-Christ et, précisément ainsi, sont morts également pour leur liberté de conscience et pour leur liberté de professer leur foi, une profession qui ne peut être imposée par aucun État. »
Faible raisonnement
La faiblesse du raisonnement du pape actuel apparaît avec évidence à celui qui a étudié un tant soit peu la question, notamment à travers l’ouvrage de Mgr Lefebvre, Mes doutes sur la liberté religieuse (Clovis, 2000).
Prétendre que la condamnation de la liberté religieuse au XIXe siècle avait pour raison unique son fondement relativiste, et non pas sa nature propre, est une contre-vérité tant historique que doctrinale.
Ne parler que de Pie IX à propos de la liberté religieuse suppose d’oublier, avant lui, Pie VI, Pie VII ou Grégoire XVI. C’est esquiver, plus gravement encore, les enseignements si nombreux sur ce sujet de Léon XIII, Benoît XV, Pie XI (Quas primas) et Pie XII.
Affirmer que, désormais, la conception qui prévaut n’est plus le relativisme métaphysique, mais une simple constatation des nécessités dans un monde pluraliste, c’est se réfugier dans un monde imaginaire. En réalité, plus le laïcisme se répand, plus s’accroît cette volonté légale de mettre Dieu hors de toute vie sociale.
Il est d’ailleurs bien caractéristique, pour le pape, de se référer à un « principe essentiel de l’État moderne » à ce propos. S’il ne s’agissait que de la constatation d’une nécessité, il parlerait plus prosaïquement d’une « pratique usuelle de l’État moderne ».
Au demeurant, concernant la coexistence de religions diverses dans un même pays, la doctrine de la tolérance, poussée dans ses conséquences par Pie XII le 6 décembre 1953, douze ans seulement avant le Décret sur la liberté religieuse, était amplement suffisante. Si le Concile a opté pour le « principe de la liberté religieuse », c’est parce qu’il voulait rejoindre ce « principe essentiel de l’État moderne ».
Débat faussé
Parler uniquement, dans la question de la liberté religieuse, de la « connaissance de la vérité » est fausser le débat. Tout le monde est d’accord, et depuis toujours, avec ce principe du Code de droit canonique : « Personne ne peut être contraint à embrasser la foi catholique contre son gré. » Mais il s’agit, en l’occurrence, de savoir si personne ne peut être empêché de répandre une doctrine religieuse fausse. Ce n’est pas la même chose : que quelqu’un soit empêché d’agir n’a jamais signifié qu’il soit contraint d’agir.
Rejeter par principe toute notion de religion d’État, et ne faire aucune allusion au devoir des sociétés d’honorer Dieu, revient à mettre aux oubliettes un enseignement constant de l’Église, y compris du Décret sur la liberté religieuse qui rappelait encore ce devoir (même si c’était de façon assez hypocrite, puisqu’il s’agit d’un ajout de dernière minute par Paul VI pour « casser » l’opposition persistante à ce texte) :
« [La liberté religieuse] ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ. »
Ne faire aucune différence entre la vraie religion et les fausses est éliminer d’emblée une distinction cruciale, car les droits de la vérité sont essentiellement différents des « droits » de l’erreur. Comme le disait Pie XII :
« Ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n’a objectivement aucun droit à l’existence, à la propagande, ni à l’action.»
Enfin, appeler au secours de la liberté religieuse, c’est-à-dire au secours du refus de reconnaître la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ, les martyrs chrétiens qui sont morts précisément pour le « Seigneur Jésus », c’est dénaturer toute l’histoire, toute la doctrine catholique et toute la réalité. On ne peut, sur un fondement aussi faux, construire une « herméneutique de la réforme » de quelque valeur que ce soit.

[Aletheia n°87] La première encyclique de Benoît XVI - Deus Caritas Est

Aletheia n°87 - 21 janvier 2006
La première encyclique de Benoît XVI sera publiée le 25 janvier prochain.
Dans l’histoire récente de la papauté, la première encyclique des papes est toujours apparue comme programmatique du pontificat. Elle a été publiée, selon les Souverains Pontifes, dans un délai plus ou moins long après l’élection pontificale :
  • le bienheureux Pie IX, élu le 21 juin 1846, a publié sa première encyclique le 9 novembre suivant, soit quatre mois et demi après son élection ;
  • Léon XIII, élu le 20 février 1878, a publié sa première encyclique le 21 avril suivant, soit deux mois après son élection ;
  • Saint Pie X, élu le 4 août 1903, a publié sa première encyclique le 4 octobre suivant, soit deux mois, aussi, après son élection ;
  • Benoît XV, élu le 3 septembre 1914, publie sa première encyclique le 1er novembre suivant, soit deux mois, encore, après son élection ;
  • Pie XI, élu le 6 février 1922, publie sa première encyclique le 23 décembre suivant, soit neuf mois et demi après son élection ;
  • Pie XII, élu le 2 mars 1939, publie sa première encyclique le 20 octobre suivant, soit sept mois et demi après son élection ;
  • Jean XXIII, élu le 28 octobre 1958, publie sa première encyclique le 29 juin 1959, soit huit mois après son élection ;
  • Paul VI, élu le 21 juin 1963, publie sa première encyclique le 6 août 1964, soit treize mois et demi après son élection ;
  • Jean-Paul II élu le 16 octobre 1978, publie sa première encyclique le 4 mars 1979, soit près de cinq mois après son élection.
En publiant sa première encyclique neuf mois après son élection, Benoît XVI s’est donné un temps de réflexion et de méditation qui n’est pas particulièrement plus long que celui qu’avaient pris la plupart de ses prédécesseurs de l’époque contemporaine.
C’est l’impatience des temps présents qui a fait émettre, au fil des mois, des supputations erronées. Par exemple, le 14 décembre dernier, le grand quotidien économique et financier Les Echos, sous la signature de son supposé correspondant au Vatican, Pierre de Gasquet, annonçait que le pape avait signé sa première encyclique le 8 décembre. Le journaliste s’ébaudissait que Benoît XVI y commente le Faust de Goethe. En réalité, le texte cité par le journal économique était l’homélie prononcée le 8 décembre au cours d’une Chapelle papale tenue pour le 40e anniversaire du concile Vatican II.
Quelque temps plus tard, c’est La Croix qui s’étonnait que Benoît XVI n’ait pas encore publié sa première encyclique. Le journal catholique s’interrogeait, le 30 décembre, sur ce “ pape du silence ” : “ le silence de Benoît XVI remplit la place Saint-Pierre ”. Ce qui est plus qu’exagéré si on considère l’importance de discours comme celui du 22 décembre consacré à l’interprétation du concile Vatican II ou les interventions auprès du Chemin catéchuménal pour rectifier sa liturgie, interventions qui, au contraire, ont provoqué bien des clameurs.
Plutôt que de commenter un texte qui n’est pas encore connu intégralement, je me contenterai de reproduire une dépêche du Bureau de Presse du Saint-Siège. Elle rapporte l’annonce que Benoît XVI a faite de son encyclique au cours de l’Audience générale du 18 janvier dernier.


CITE DU VATICAN, 18 JAN 2006 (VIS). Au cours de l'Audience générale de ce matin, Benoît XVI a annoncé que le 25 janvier serait publiée sa première Encyclique, intitulée : Deus Caritas est, dont la présentation officielle aura lieu près la Salle-de-Presse du Saint-Siège.
Évoquant le contenu du document, le Pape a dit: "Aujourd'hui, l'amour apparaît souvent bien loin de ce qu'enseigne l'Eglise. Or, il s'agit d'un mouvement unique doté de diverses dimensions".
La charité, a ajouté le Saint-Père, "est l'amour qui renonce à lui-même pour autrui. L'Eros s'y transforme en Agapé, à la recherche du bien des autres. Il devient charité s'ouvrant à sa propre famille comme à la famille humaine toute entière".
Puis Benoît XVI a dit que son encyclique "tend à montrer que l'acte d'amour personnel doit s'exprimer dans l'Eglise avec un but fonctionnel. S'il est vrai que l'Eglise est expression de Dieu, l'amour doit y devenir un acte ecclésial".
"Providentiellement, ce document sera rendu public le jour de la clôture de la Semaine de prière pour l'unité. Le 25 janvier, je me rendrais à la basilique St.Paul-hors-les-murs pour prier avec nos frères protestants et orthodoxes".
Benoît XVI a conclu son intervention extra-catéchistique en espérant que cette nouvelle encyclique éclairera la vie des chrétiens.
La première condamnation de Benoît XVI
L’abbé Gotthold Hasenhüttl, théologien allemand, s’est vu retirer le droit d’enseigner au nom de l’Eglise catholique. Le décret a été signé le 2 janvier dernier par Mgr Reinhard Marx, évêque de Trèves, après que ce dernier a été reçu dans les semaines précédentes par Benoît XVI.
Les faits en cause remontent à 2003. En mai 2003, à Berlin, eut lieu un Kirchentag œcuménique, un grand rassemblement où se retrouvèrent, pendant cinq jours, 200.000 catholiques et protestants pour des réunions, des conférences et des prières. À l’appel du mouvement, contestataire, le “ Mouvement du peuple de l’Eglise ”, l’abbé Gotthold Hasenhüttl, professeur émérite de théologie à l’université de Sarrebruck, accepta de célébrer un “ office œcuménique avec eucharistie selon le rite catholique ”. Le 23 mai, il célébra un office religieux dans le temple protestant de Gethsémani à Berlin. Au cours de la célébration, il avait invité les participants, catholiques et protestants, “ à participer au repas du Seigneur ”. Cette pratique d’intercommunion était en infraction avec le Code de Droit canon qui maintient que “ les ministres catholiques administrent licitement les sacrements aux seuls fidèles catholiques ” (Can. 844, § 1).
L’archevêque de Berlin, le cardinal Sterzinsky, avait alors demandé à l’abbé Hasenhüttl de venir s’expliquer. Celui-ci, par une lettre en date du 10 juin, avait refusé, tout en multipliant les articles et les entretiens dans la presse pour justifier son initiative. En conséquence, le 1er juillet suivant, Mgr Marx, évêque de Trèves, lieu de résidence habituel de l’abbé Hasenhüttl, lui adressait une longue lettre où, après avoir exposé les infractions commises contre les normes du droit canon, il lui demandait de signer une “ Déclaration ” dans laquelle il aurait dit son regret pour son “ comportement ” et dans laquelle il aurait promis “ de ne plus enfreindre les canons cités ”.
Gotthold Hasenhüttl refusa de signer la Déclaration présentée par Mgr Marx : “ Votre ultimatum exigeant un repentir inconditionnel et une obéissance aveugle ne correspond en rien, lui écrivait-il, aux enjeux pour lesquels j’ai lutté et travaillé dans ma vie de prêtre et de théologien. ” Gotthold Hasenhüttl s’insurgeait aussi contre “ des mesures relevant de l’inquisition ”.
Devant ce refus de soumission, le 17 juillet 2003 Mgr Marx suspendait l’abbé Hasenhüttl de toutes ses “ fonctions ministérielles ”[1].
Le théologien allemand fit appel de la sanction canonique qui le frappait auprès du Saint-Siège. Un an plus tard, le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, confirmait la sanction.
Malgré cela, Gotthold Hasenhüttl a continué, dans différents écrits, à soutenir la légitimité canonique de son initiative et à la justifier théologiquement. En conséquence, le 2 janvier dernier, Mgr Marx a signé le décret lui retirant le droit d’enseigner au nom de l’Eglise catholique. “ Tous ses écrits […], dit le décret, ont clairement démontré qu’il n’y avait de sa part aucun pas de conciliation, qu’il considérait son attitude comme juste et qu’il ne voyait aucune raison d’accepter la discipline de l’Eglise. ” Le décret affirme aussi : “ Puisqu’il se met en dissidence par rapport à l’autorité de l’Eglise dans des affaires graves et ne se montre pas prêt à observer les règles de l’Eglise, celle-ci ne peut lui accorder le droit d’enseigner en son nom.[2] ”
La désinformation de "la Croix"
Cette double condamnation de la pratique de l’intercommunion (ou de la communion interconfessionnelle) n’étonnera que ceux qui s’imaginent que la doctrine de l’Eglise sur le sujet a changé ou peut changer. La Croix, dans son numéro du 20 janvier, consacre un dossier à “ L’œcuménisme au pays de Benoît XVI ”. La question de l’intercommunion est longuement évoquée. Or il n’est fait aucune mention des condamnations qui ont frappé Gotthold Hasenhüttl. N’est-ce pas là une désinformation manifeste ?
Au contraire, le journal catholique de référence fait semblant de croire que, sur cette pratique de l’intercommunion, Benoît XVI pourrait faire changer la position de l’Eglise : “ Des idées pour Benoît XVI, catholiques et protestants allemands en ont. Depuis plusieurs décennies, nombreux sont ceux qui souhaiteraient communier ensemble, tout particulièrement les couples biconfessionnels qui représentent près de la moitié des couples mariés. […] Le nouveau pape adressera-t-il un signal fort à ses compatriotes ? Les théologiens allemands s’accordent à lui reconnaître une très bonne expertise du dossier œcuménique. ”
À l’évidence, le Magistère pontifical ne se réduit pas à une “ expertise ” (au sens de “ compétence ”, si l’on comprend bien le journal La Croix). La doctrine et la pratique de l’Eglise restent que les protestants ne peuvent pas être admis à la communion catholique. La communion de Frère Roger Schutz, fondateur de la communauté œcuménique de Taizé, lors des obsèques de Jean-Paul II en avril dernier – communion que lui a donnée le cardinal Ratzinger – a surpris. Pourtant, elle n’a pas fait exception à la règle et à la doctrine de l’Eglise. Elle a une autre explication[3].
Le droit à la liberté religieuse
Dom Basile Valuet, moine à l’abbaye bénédictine Sainte-Madeleine du Barroux, a soutenu, en juin 1995, une thèse de doctorat en théologie consacrée à “ La liberté religieuse et la Tradition catholique ”. La thèse, publiée un mois plus tard, en 3 volumes, avait été beaucoup commentée dans les milieux traditionalistes, mais peu lue. La 2e version, revue et augmentée, publiée en 3 tomes (six volumes) en 1998, n’a guère été lue au-delà du cercle des théologiens et des spécialistes.
Il est heureux, et utile, de disposer désormais d’une édition abrégée où Dom Basile Valuet a recueilli la substance des démonstrations de sa thèse. Cette édition lui a permis aussi d’apporter des développements à certains points.
On ne prétendra pas résumer ici cet ouvrage de doctrine. L’auteur entend répondre à la question suivante : “ La doctrine de Dignitatis humanæ sur le droit à la liberté sociale et civile en matière religieuse est-elle un développement doctrinal homogène effectué par le magistère authentique dans la Tradition de l’Eglise ? ”. Dans sa conclusion générale, il termine ainsi ses analyses et démonstrations : “ L’Eglise ne fonde pas le droit à la liberté religieuse sur l’indifférentisme individuel, social ou étatique, mais sur la dignité de la personne humaine, et sur l’obligation, le droit et la liberté de chercher la vérité qui en découlent. Et elle ne fonde pas non plus ce droit sur la sincérité de la conscience du sujet. Celle-ci est fin et non fondement… ”.
Fr. Basile, o.s.b. Le droit à la liberté religieuse dans la Tradition de l’Eglise, Editions Sainte-Madeleine (84330 Le Barroux), 676 pages, 39 euros.


[1] On trouve les différentes pièces de ce dossier de 2003 sur le site officiel du diocèse de Trèves (www.diozese-trier.de) et dans un dossier de la revue Golias (n° 94, janvier-février 2004).
[2] Le décret de janvier 2006 est cité par Infocatho (semaine du 8 au 11 janvier).
[3] Cf. mon article, à paraître, dans le numéro de février de La Nef (B.P. 48, 78810 Feucherolles, 6 euros le numéro).