25 février 2001

[Aletheia n°9] Les “ Petits Gris ” : vingt-cinq après - Les négociations de Rome avec la FSPX - La “ manipulation ” de Fatima ? - La “ manipulation ” de F

Yves Chiron - Aletheia n°9 - 25 février 2001
I. Les “ Petits Gris ” : vingt-cinq après.
II. Les négociations de Rome avec la FSPX.
III. La “ manipulation ” de Fatima ?
IV. Revue des revues.

I. Les “PETITS GRIS”, 25e ANNIVERSAIRE
La congrégation des Frères de Saint-Jean, appelés plus familièrement les “ Petits Gris ”, du nom de leur habit, trouve son origine dans la consécration à la Sainte-Vierge que cinq étudiants français en théologie ont faite le 8 décembre 1975. Ils suivaient l’enseignement du dominicain Marie-Dominique Philippe, à l’université de Fribourg (Suisse). Celui-ci, sur les conseils de Marthe Robin, qu’il rencontrait régulièrement depuis 1964, accepta de fonder la Communauté Saint Jean qui reçut sa première reconnaissance officielle en 1978. Etablie comme congrégation de droit diocésain en 1986, elle a connu un expansion considérable : elle compte aujourd’hui 514 Frères, répartis dans 53 couvents, essaimés dans 20 pays.
Dans toute son oeuvre écrite et ses prédications, le père Philippe a allié fidélité à la philosophie de saint Thomas et perspective contemplative. La communauté nouvelle a placé au coeur de sa vocation deux piliers : “ métaphysique et compassion ”, dans une fidélité entière à Rome. On a accusé le père Philippe de former une sorte de clergé parallèle et quand, en 1982, la Communauté Saint Jean a quitté Fribourg et s’est installée à Rimont (Saône-et-Loire), une lettre, anonyme, a été envoyée à tous les évêques de France pour les mettre en garde contre le p. Philippe, sa Communauté et ses liens secrets avec Ecône (M.-D. Philippe, Les Trois sagesses, Fayard, 1994, p. 368).
Le père Philippe s’est toujours défendu de tout lien avec Ecône. Récemment encore, dans un entretien au journal la Croix (8.2.2001), il s’est attaché à combattre cette “ fausse rumeur ” : “ Certains racontaient ... que j’étais proche d’Ecône, alors que je n’y ai jamais mis les pieds ”.
Les choses sont un peu moins simples. S’il n’a “ jamais mis les pieds ” à Ecône, le père Philippe ne fut pas sans lien avec Mgr Lefebvre. Il a encouragé la première communauté établie en 1969, à Fribourg, par le futur fondateur de la Fraternité Saint-Pie X et du séminaire d’Ecône. L’abbé Aulagnier, dans son ouvrage La Tradition sans peur (Editions Servir, 2000, p. 66-67), a raconté : “ Le père Marie-Dominique Philippe venait de temps en temps nous donner des conférences spirituelles ” . Il ajoute aussi : il “ fut très vite agacé par les positions outrancières de certains d’entre nous, en Écriture sainte par exemple. Il prit de lui-même ses distances. ”
Si on considère les choses avec un certain recul, on est frappé par les similitudes entre les origines de la Fraternité Saint-Pie X et celles de la Communauté Saint Jean. Dans l’un et l’autre cas, à la même époque, de jeunes Français animés d’une vocation sacerdotale solide et exigeante, sont venus solliciter l’aide d’une personnalité religieuse éminente qui, sans en avoir eu le projet auparavant, est devenue, par les nécessités de l’époque, fondateur. Les choix des deux fondateurs contemporaines ont ensuite été différents.
En avril prochain, la congrégation des Frères de Saint-Jean réunira son chapitre général. Son fondateur, plus que nonagénaire, cédera la place à un nouveau prieur général, qui sera élu. Sans être dans le secret des dieux, on peut se demander s’il ne s’agira pas de l’ancien dominicain Jean-Michel Garrigues. Celui-ci, théologien et philosophe éminent, avait fondé, en 1975, la communauté des Frères de Saint-Jean de Malte qui exerça un apostolat de “moines dans la ville” en Avignon. Il a rejoint, en 1998, les Frères de Saint-Jean.

II. LES DISCUSSIONS DE LA FRATERNITÉ SAINT-PIE X AVEC LE VATICAN
Les discussions engagées, à l’initiative de Rome, avec la Fraternité Saint-Pie X (cf. Alètheia n° 8), se poursuivent dans une relative discrétion. Les rumeurs les plus contradictoires courent dans les milieux traditionalistes. Une communauté religieuse, jusque-là proche de la Fraternité Saint-Pie X, laisse circuler des documents confidentiels qui, interprétés avec un esprit malin, sèment le trouble. Pour ne pas alimenter le feu des controverses naissantes, je me garderai, ici, de rapporter les rumeurs contradictoires qui circulent et les agissements de certains. Ces pratiques révèlent les coeurs : l’amour et le sens de l’Eglise font décidément bien défaut à certains défenseurs de la “Tradition “.

III. LA “ MANIPULATION ” DE FATIMA ?
Il y a plusieurs mois, déjà, la revue des pères Dominicains d’Avrillé, le Sel de la Terre, avait annoncé la publication d’une recension critique du livre Fatima. Soeur Lucie témoigne (Paris, 1999). Cette recension, établie par l’abbé Fabrice Delestre, prêtre de la FSPX en poste au Portugal, est enfin parue dans le n° 35 de la revue (Le Sel de la Terre, Couvent de la Haye-aux-Bonhommes, 49240 Avrillé, 90 F le numéro de 250 pages).
La recension est d’un ton très mesuré, ce qui change d’un certain écrit, du même auteur, qui a circulé de manière non publique il y a quelques mois (cf. Alètheia n° 1). Même si l’auteur n’a pas réussi à me convaincre, son étude - qui occupe les pages 64 à 88 de la revue - mérite d’être connue de ceux qui s’intéressent aux faits de Fatima, à son message et aux demandes de la Sainte Vierge en ce lieu. C’est la critique la plus sérieuse et la plus argumentée qui ait été faite des deux entretiens que soeur Lucie a eus en 1992, avec le cardinal Padiyara (et d’autres interlocuteurs), et en 1993, avec le cardinal Vidal (et d’autres interlocuteurs).
Dans une première partie, M. l’abbé Delestre s’interroge sur les “Garanties d’authenticité et de véracité ” des deux entretiens publiés. Dans une deuxième partie, il relève “ Des contradictions manifestes ” entre ce que soeur Lucie a déclaré dans ces entretiens et ce qui était connu jusque là. Les contradictions, supposées, ne s’expliquent, selon l’abbé Delestre, que parce que le texte publié ne présente aucun caractère d’authenticité et de véracité.
Je voudrais d’abord relever quelques points et diverses questions :
. M. l’abbé Delestre admet que les deux entretiens ont bien eu lieu. C’est déjà un acquis.
. En revanche, il conteste que la retranscription qu’en a faite Carlos Evaristo, et qui est publiée dans l’ouvrage cité, soit fiable.
Or, après l’entretien de 1992, le cardinal Padiyara a adressé six lettres à Carlos Evaristo. Elles sont reproduites dans l’édition portugaise du livre (mais ne l’ont pas été dans l’édition française). M. l’abbé Delestre estime : “ aucune ne confirme l’authenticité et la véracité du contenu des paroles de soeur Lucie, telles que M. Evaristo nous les rapporte ! ” (souligné dans le texte).
Une telle affirmation étonne puisque le 12 août 1994 le cardinal Padiyara écrivait, en anglais, à Carlos Evaristo : “ Thank you for the beautiful booklet ‘ two hours with Sr. Lucia’ ” Le cardinal remercierait-il d’un “ beau livre ” qu’il n’aurait pas lu ou avec lequel il serait en désaccord ?
. M. l’abbé Delestre affirme : “ l’existence de l’enregistrement audio du second entretien [celui de 1993] , avec le cardinal Vidal] est plus que douteuse ”. Interrogé sur ce point précis, le cardinal Vidal m’avait déjà répondu dans une lettre en date du 25 juillet 2000 : “ As far as I could remember, there was someone among the group with me at that time who di a video coverage. ” Il y eut bien, donc, un enregistrement de l’entretien de 1993.
Interrogé aussi, Carlos Evaristo m’a confirmé, par une lettre du 7 novembre 2000, qu’il existait bien un enregistrement : “ The video I have is in NTSC US system ” ; et, le 14 novembre suivant, il précisait qu’il existe “ 3 audio tps ”.
Le visionnage et/ou l’audition de ces cassettes devrait permettre de vérifier l’authenticité et la véracité de la retranscription qui a été faite de l’entretien de 1993.
. M. L’abbé Delestre dénie toute authenticité au livre Soeur Lucia témoigne, il conclut à une “ absence totale de crédibilité ” (p. 86). Cela signifie-t-il que tous les propos de soeur Lucie contenus dans le livre sont des inventions ? L’abbé Delestre le pense. Il voit dans l’organisation-même des entretiens (qui ont bien eu lieu) puis dans la publication de leur supposée retranscription un complot : il s’agirait rien moins que d’une “ manoeuvre ” (p. 69, p. 72, p. 74), d’une “ manipulation ” (p. 74), dont les fils sont tirés par des “ personnages beaucoup plus considérables ” (p. 72).
L’édition française du livre est précédée d’une “ Présentation ”, en quarante-six pages, que j’ai rédigée. M. l’abbé Delestre en conclut “ M. Chiron, bien connu des milieux traditionalistes français, a dû être choisi à son insu pour faciliter une opération d’intoxication de ces milieux, et s’est laissé entraîner dans ce piège, sans doute par imprudence ” (p. 87).
Il reste à M. l’abbé Delestre à nous dire plus clairement quels furent, selon lui, les commanditaires de l’opération. Il ne livre que deux noms : les cardinaux Casaroli (mort en 1998) et le cardinal Sodano, Secrétaire d’Etat. Pourquoi ces deux hommes d’Eglise ? Parce qu’il existe une photographie où l’on voit le cardinal Casaroli en compagnie de Carlos Evaristo ... (page 71, note 1). L’argument est mince. Pourquoi ne pas remonter plus haut, jusqu’au pape Jean-Paul II ? Puisque, selon la thèse conspirationniste de M. l’abbé Delestre, les deux entretiens de 1992 et 1993 n’auraient eu pour but que de préparer - bien à l’avance ! - les esprits à la fausse révélation du troisième secret de Fatima, faite en 2000...
Le raisonnement de M. l’abbé Delestre rappelle celui de certains sédévacantistes qui, depuis les années 70, soutiennent la thèse du “ sosie ” : l’enseignement de Paul VI étant, selon eux, incompatible avec celui de l’enseignement traditionnel de l’Eglise, ce ne peut être le vrai Paul VI qui a écrit et parlé, c’est un “ sosie ” qui lui a été substitué. Pareillement, pour l’abbé Delestre, le contenu des entretiens de 1992 et 1993 puis celui du troisième secret lui-même étant, selon lui, incompatible avec ce que l’on savait alors du message de Fatima, ce ne peut être soeur Lucie qui a parlé et donné son approbation au texte révélé du troisième secret. M. l’abbé Delestre ne va pas jusqu’à dire qu’un sosie a été substitué à la dernière des voyantes de Fatima mais il évoque une mystérieuse “ manipulation ”.
Posé ainsi, le problème prend une dimension terrifiante. Il faudrait plutôt faire un effort de compréhension spirituelle, surnaturelle. Ceux qui ont la grâce de voir la Sainte Vierge ne sont pas assurés, par la suite, de rester dans leur vie digne de la grâce qu’ils ont reçue (songeons à ce que fut la vie tourmentée d’un des deux voyants de La Salette, Maximin), ni, non plus, tous leurs propos ultérieurs ne sont marqués du sceau de l’infaillibilité.
Dans le cas de soeur Lucie, dans les deux entretiens en question, il faut distinguer les propos de circonstance, les analyses et jugements personnels et les affirmations solennelles. La façon dont soeur Lucie a parlé de l’enfer en 1992 semble à l’abbé Delestre en “ parfaite contradiction ” avec l’enseignement traditionnel de l’Eglise et avec certains passages des Mémoires où soeur Lucie évoquait la vision de l’enfer qu’elle et les deux autres voyants eurent en 1917. Plutôt que de considérer que soeur Lucie n’a pas pu tenir de tels propos sur l’enfer en 1992, pourquoi ne pas considérer, tout simplement, que soeur Lucie, âgée de plus de quatre-vingt ans, au cours d’un entretien à bâtons rompus et qui ne fut pas préparé, a pu s’exprimer de façon trop imprécise et avec des maladresses voire des insuffisances.
Quand soeur Lucie s’exprime sur le communisme et la situation de la Russie, là encore on peut bien considérer qu’elle n’émet pas des analyses infaillibles. Par exemple, elle évoque une visite de Gorbatchev à Jean-Paul II au cours de laquelle le dirigeant communiste se serait agenouillé aux pieds du pape et lui aurait demandé pardon. Le Saint-Siège a dû démentir, en 1998, que Gorbatchev, au cours de la rencontre, ait eu ce geste précis. M. l’abbé Delestre voit dans ce démenti une preuve supplémentaire du manque d’authenticité et de véracité de la retranscription des entretiens.
Tout au contraire, cette affirmation erronée me semble une preuve supplémentaire de l’authenticité des propos de soeur Lucie. On lui avait rapporté de manière erronée la rencontre de Jean-Paul II et de Gorbatchev. Le geste de celui-ci semblait correspondre avec l’analyse qu’elle fait de la situation de la Russie. Aussi elle l’a évoqué dans l’entretien de 1993. Encore une fois, tous les propos de soeur Lucie ne sont pas marqués du sceau de l’infaillibilité. Point n’est besoin d’imaginer une “ manipulation ”. Tout au contraire, comment imaginer que les “personnages beaucoup plus considérables ... qui tirent les ficelles de la manoeuvre ” [les cardinaux Casaroli et Sodano, selon l’abbé Delestre] aient laissé passer voire aient suggéré une telle énorme bourde ?
Quant à la consécration de la Russie - qui est bien le coeur des deux entretiens -, soeur Lucie n’émet plus, à l’évidence, des analyses personnelles. Elle explique longuement, et à plusieurs reprises, pourquoi la consécration accomplie en 1984 a bien correspondu, enfin, à ce qu’avait demandé la Sainte Vierge. Et elle précise, avec une grande discrétion, que la Sainte Vierge , au cours d’une apparition, a accepté cette consécration.
M. l’abbé Delestre estime que la consécration de 1984 n’a pas correspondu à ce que demandait la Sainte Vierge. Selon lui, soeur Lucie n’a jamais pu approuver l’acte de 1994 et ce n’est que par une “ manipulation ” qu’on lui a fait dire le contraire, en 1992 et 1993. Pourquoi ne pas considérer que le jugement de soeur Lucie sur l’acte de 1984 a évolué ? Non suite à des pressions humaines, mais suite à une apparition de la Vierge (Soeur Lucia témoigne, p. 58 et p. 67).

IV. REVUE DES REVUES
• Dans le dernier numéro d’Alètheia, à propos de la mort de Gustave Thibon, j’écrivais : “ Sauf erreur de ma part, le quotidien la Croix n’a consacré aucun article au philosophe chrétien ”. En fait, sous la signature de Jean-François Bouthors, dans son numéro du 22 janvier, la Croix lui a consacré un court article.
Danièle Masson, qui a évoqué Gustave Thibon dans le supplément littéraire de Présent déjà cité (3 février), l’évoque aussi dans le numéro à paraître en mars de Fideliter (B.P. 88, 91152 Etampes). On retrouve encore sa signature dans le grand dossier que consacre la Nef (B.P. 73, 78490 Montfort l’Amaury) au philosophe disparu. Rien moins que quatorze articles : outre deux de Danièle Masson, on lira aussi des articles de Gérard Leclerc, Mgr Barbarin (évêque de moulins), les moines du Barroux, Mgr Brincard (évêque du Puy), Philippe Barthelet, Yves Daoudal, Alain de Benoist, Emile Poulat, Bernard Antony, Jacques Trémolet de Villers, Philippe Maxence, et aussi le message de Mgr Blondel (évêque de Viviers) aux obsèques de Gustave Thibon, message déjà publié dans le dernier numéro d’Alètheia.
• Le numéro spécial d’une revue italienne (en français) crée quelques remous. Il s’agit du dossier sur la “Commission canonique” de la Fraternité Saint-Pie X que publie la revue Sodalitium (n° 51, Loc. Carbignano 36, 10020 VERRUA SAVOIA, Italie). La création de tribunaux canoniques par la FSPX pour concéder des dispenses et des annulations de mariage était connue depuis plusieurs années, mais point du grand nombre des fidèles rattachés aux prieurés de la FSPX. De tels tribunaux, selon Sodalitium, qui est une revue qui refuse d’être en communion avec le pape, outrepassent le pouvoir d’ordre des prêtres et évêques ordonnés par Mgr Lefebvre et ils relèvent du pouvoir de juridiction réservé au pape. Mgr Tissier de Mallerais, président de la Commission canonique, avait déjà répondu à l’objection en affirmant : “ nos sentences, comme tous nos actes de juridiction supplétoire, et comme les sacres épiscopaux eux-mêmes de 1988, 1991, etc., devront être confirmés ultérieurement par le Saint-Siège ” (Cor unum, bulletin interne de la FSPX, n° 61, octobre 1998, p. 44).
Ecclesia Dei:Quatre nominations - Une base de dialogue élargi avec la Fraternité Saint Pie X
25 février 2001 (ZENIT.org)
CITÉ DU VATICAN, Dimanche 25 février 2001 (ZENIT.org) - Le pape Jean-Paul II a nommé quatre nouveaux membres de la commission "Ecclesia Dei" qu'il a instituée en 1988. Ces nominations assureront une base de dialogue élargie avec la Fraternité Saint Pie X, qui a eu ces derniers mois des contacts répétés avec le cardinal Dario Castrillon Hoyos, préfet de la congrégation pour le clergé et président de la commission. D'aucuns y voient un signe que le dialogue a été renoué de façon visible à la faveur du Grand Jubilé. Elles surviennent aussi au lendemain du consistoire et de la fête de la Chaire de Saint-Pierre qui a donné à Jean-Paul II l'occasion d'insister sur le ministère d'unité du Successeur de Pierre et de demander aux nouveaux cardinaux de l'aider spécifiquement dans cette tâche.

Les nominations

Les quatre nouveaux membres sont le cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi, Jorge Medina Estévez, préfet de la congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements, Louis-Marie Billé, archevêque de Lyon et président de la conférence épiscopale française, ainsi que Mgr Juliàn Herranz, président du conseil pontifical pour les Textes législatifs.
La nomination du cardinal Ratzinger assure - entre autres - la transmission de la mémoire des négociations et des événements qui ont précédé et conduit à Ecclesia Dei. La nomination du cardinal Medina se comprend aussi par l'importance de la question liturgique et de la pastorale des sacrements, celle de Mgr Herranz souligne l'aspect juridique de la question. Et la nomination du cardinal Billé, comme le relèvent des observateurs autorisés à Rome, est particulièrement importante dans ce processus de dialogue qui concerne particulièrement l'Église en France.

La Lettre apostolique "Ecclesia Dei"

Dans la Lettre apostolique "Ecclesia Dei adflicta", en forme de Motu Proprio et en date du 2 juillet 1988, on lit (nous traduisons de l'italien): "compte tenu de l'importance et de la complexité des problèmes mentionnés dans ce document", Jean-Paul II a institué cette commission (ce passage de la Lettre est repris par l'Annuaire pontifical) "avec pour tâche de collaborer avec les évêques, avec les dicastères de la curie romaine et avec les milieux intéressés, dans le but de faciliter la pleine communion ecclésiale des prêtres, des séminaristes, communautés ou religieux et religieuses jusqu'ici liés de différentes façons à la Fraternité fondée par Mgr Marcel Lefèbvre (mort en 1991, ndlr), qui désirent rester unis au Successeur de Pierre dans l'Église catholique en conservant leurs traditions spirituelles et liturgiques". Et ceci à la lumière du protocole signé le 5 mai précédent par le cardinal Ratzinger et Mgr Lefèbvre.

Le refus du Concile

Ancien archevêque de Dakar, Mgr Marcel Lefèbvre, dans son opposition à certaines réformes conciliaires, en particulier liturgiques, fonda son propre séminaire à Ecône, en Suisse, et ordonna des prêtres, même après avoir été "suspendu" par le Saint-Siège, ce qui lui interdisait l'exercice de ses fonctions épiscopales. Les quatre principales questions faisant difficulté pour Mgr Lefèbvre sont résumées par "Théo" sous les titres de la liberté religieuse, de l'oecuménisme, de la messe, et de l'autorité du pape dans l'Eglise et des évêques dans leurs diocèses. En particulier, estimant que cela signifiait mettre sur le même pied la vérité et l'erreur, Mgr Lefebvre n'a pas voté la déclaration de Vatican II sur la liberté religieuse.

Ecclesia "adflicta"

C'est le 30 juin 1988, après avoir rejeté - le lendemain de sa signature - le protocole signé le 5 mai au bout de longs pourparlers, ainsi qu'une ultime proposition du cardinal Ratzinger, de la part du pape, que Mgr Lefèbvre consacra quatre évêques. Cette désobéissance, considérée comme un "acte schismatique" entraînait son excommunication ipso facto et mettait la Fraternité Saint Pie X en dehors de l'Église catholique. C'est ce qui explique le titre du Motu proprio du 2 juillet 1988: "Ecclesia Dei adflicta": "affligée". Car si Mgr Lefebvre n'avait pas consacré d'évêque, les ordinations sacerdotales n'auraient pas continué après sa mort. Remarquons que les ordinations en question (sacerdotales et épiscopales) sont illicites - mais "valides" - du point de vue du droit canon, ce qui n'est pas sans créer de confusion chez les fidèles.

Fondation de la Fraternité Saint-Pierre

Pourtant, d'autres catholiques de sensibilité "traditionaliste" choisissaient alors l'unité, en particulier en rejoignant la Fraternité Saint-Pierre, qui est, depuis juin 2000, sous l'autorité de l'abbé Arnaud Devillers. En effet, dans son Motu proprio de 1988, le pape, qui constatait et déplorait le schisme, affirmait en même temps sa volonté de faciliter "la communion ecclésiale à ceux qui se sentent attachés à des formes liturgiques et disciplinaires antérieures de la tradition romaine, grâce à des mesures nécessaires pour garantir le respect de leurs justes aspirations". C'est dans cet esprit qu'était fondée la Fraternité Saint-Pierre, Société cléricale de vie apostolique, de droit pontifical. Un séminaire de formation était institué en Bavière. En France, des évêques ont confié à des prêtres de cette Fraternité la célébration de certaines messes selon de rite "de Saint Pie V", en vigueur avant Vatican II. Ces communautés relèvent de l'autorité de l'évêque diocésain.

A la faveur du pèlerinage jubilaire

Néanmoins, le dialogue avec la Fraternité Saint-Pie X s'est poursuivi, officieusement, pendant 12 ans. Aujourd'hui, certains observateurs n'hésitent pas à dire que la Fraternité Saint-Pie X a renoué visiblement le dialogue avec Rome, par le geste même de son pèlerinage jubilaire aux quatre basiliques majeures, les 8 et 9 août 2000. Et le 30 décembre, Mgr Bernard Fellay, supérieur de la Fraternité, s'est rendu à Rome et a rencontré le pape lors de sa messe privée du matin, mais aucune parole importante n'a été échangée.
Mgr Fellay a également rencontré plusieurs fois le cardinal Castrillon Hoyos, au cours du dernier trimestre 2000. Le 16 janvier dernier, il a cependant demandé des "garanties" à Rome pour avancer dans le dialogue auquel il met des conditions.
Dans ce contexte, on comprend que les nominations de ce samedi 24 février assureront aux éventuelles rencontres à venir une base élargie et des approches complémentaires.
Enfin, il semble, d'après des sources bien informées, que ces derniers développements correspondent à une vraie demande à l'intérieur de la Fraternité Saint-Pie X, où pourtant les sensibilités ne sont pas homogènes, avec d'une part ce que d'aucuns appellent des "irréductibles" - face à ce qui est considéré par eux comme la "dérive conciliaire" - et d'autre part ceux qui considèrent nécessaire un rapprochement avec le Successeur de Pierre.
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22 février 2001

"Une évolution se dessine parmi les catholiques traditionaliste..." - Élie Maréchal
Le Figaro, 22 février 2001
Depuis quelques mois, une évolution se dessine parmi les catholiques traditionalistes dont, au Vatican, est chargé le cardinal Dario Castrillon Hoyos, à la fois préfet de la Congrégation du clergé et président de la commission Ecclesia Dei. Cette commission romaine fut créée par Jean-Paul II en juillet 1988, au lendemain des quatre sacres épiscopaux que venait d'effectuer Mgr Marcel Lefebvre sans l'aval du Pape. Cette désobéissance avait alors été considérée comme " un acte schismatique " qui mettait la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X au ban de l'Église catholique, tandis que d'autres traditionalistes, préférant l'unité coûte que coûte, se rangeaient sous la houlette de la Fraternité Saint-Pierre. Dix années durant, la situation a paru figée. Elle ne l'est plus.
La Fraternité Saint-Pierre, restée dans le giron de l'Église, a connu récemment de sévères remous sur la question de savoir si un prêtre traditionaliste pouvait ou non accepter de concélébrer la messe autour d'un évêque, selon le rite issu du concile Vatican II. En juin dernier, Rome a nommé un nouveau supérieur, l'abbé Arnaud Devillers, pour cette Fraternité. Mais les risques d'éclatement demeurent chez ces traditionalistes qui se sentent les mal-aimés de l'Église, malgré leur fidélité, non dénuée d'exigences auprès des évêques.
Quant à la Fraternité Saint-Pie X, elle a voulu, depuis deux ans, éviter de devenir une " petite Église " à la dérive. Elle s'est d'abord employée à nouer des contacts avec le clergé fiançais à travers une Lettre aux prêtres, depuis mars 1999. Puis, à la faveur du Jubilé, elle a organisé un pèlerinage à Rome, les 8 et 9 août 2000. Tout s'y est passé sans heurt. L'impression fut si bonne de part et d'autre que le cardinal Castrillon Hoyos a souhaité entrer en contact avec les évêques de la Fraternité.
Au mois de septembre, le même cardinal aurait été mandaté par Jean-Paul II, afin de rencontrer Mgr Bernard Fellay, supérieur de la Fraternité Saint-Pie X. En perspective, une possible visite chez le Pape. Le dialogue, qui ne s'était jamais vraiment interrompu officieusement depuis douze ans, allait-il prendre une nouvelle tournure, au moment où la Fraternité Saint-Pierre traversait l'orage ? La démarche du Jubilé allait-elle porter ici l'un de ses fruits ?
La Fraternité Saint-Pie X saisit habilement l'occasion qui pouvait faire basculer en sa faveur des membres déçus de l'autre Fraternité. Mais la partie est fine, qui met aux prises le Vatican, la Fraternité Saint-Pie X, la Fraternité Saint-Pierre, l'épiscopat, notamment en France. Rumeurs distillées, communiqués en chaire, atermoiements feront le reste pendant les dernières semaines écoulées. Et chacun de faire patte de velours.
Voici le récit qu'en donne la Fraternité Saint-Pie X : " Le 29 septembre, le cardinal Castrillon propose à Mgr Fellay les divers éléments qui pourraient servir à un possible accord entre Rome et la Fraternité, et le supérieur général exprime son point de vue, ses méfiances, ses appréhensions (bien que Rome ne soit jamais allée aussi loin en faveur de la tradition). Le 30 décembre, pendant quelques instants, le supérieur général entrevoit le Pape dans sa chapelle privée (aucune parole d'importance n'est échangée). Le 13 janvier, réunion spéciale du conseil général des évêques et du délégué de Mgr Rangel (donc, tous de la Fraternité Saint-Pie X, NDLR), où sont établis les principes qui nous guident dans la situation présente. Le 16 janvier, nouvelle rencontre avec le cardinal Castrillon, pendant laquelle le supérieur général expose la nécessité de garanties de la part de Rome, avant d'aller plus loin dans le concret d'éventuelles discussions ou accord : que la messe tridentine soit accordée à tous les prêtres du monde entier; que les censures qui frappent les évêques (de la Fraternité Saint-Pie X, NDLR) soient annulées."
La suite de ce communiqué ne cache pas une " défiance extrême " vis-à-vis de Rome. Le "triomphe final" n'est pas pour demain. Mais il peut être utile de laisser courir le bruit d'un "accord" possible, tandis que le Vatican se tait, tout comme l'épiscopat français qui n'a guère su gérer la crise avec Mg Lefebvre.
Pour sa part, la Fraternité Saint-Pierre ne peut que redouter que le Vatican ne converse mieux avec les fidèles de Mgr Lefebvre qu'avec elle-même, et de là se sentir davantage délaissée. Les bons offices entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X n'ont néanmoins pas atténué les propos durs de celle-ci, assurée d'avoir raison, seule contre tous. Maintes déclarations en témoignent. A Rome de parler clair.

16 février 2001

[Abbé Simoulin, fsspx] "On ne peut trouver l’Église conciliaire sans trouver, ensevelie sous elle [...] l’Église catholique..."

SOURCE - Abbé Michel Simoulin, fsspx - via Si Scires Donum Dei - 13 au 16 février 2001

" Tout a-priori, tels que « il n’y a rien à attendre de Rome » ou « Rome revient à la Tradition », étant à éviter, et chacun devant être toujours disposé à corriger honnêtement ce qu’il croyait être une certitude, ces considérations voudraient nous aider simplement à ne pas perdre le sens de l’Église avec l’amour de Rome, et, avec la grâce de Dieu, aider peut-être quelques confrères à raison garder.

En effet, depuis des années, nous avons l’habitude de parler de la Rome éternelle et de la Rome moderniste, de l’Eglise catholique et de l’Eglise conciliaire, de la religion catholique et de la religion d’Assise, etc…deux Romes, deux églises, deux religions qui s’opposent et s’affrontent, n’ayant apparemment rien de commun entre elles.

Ces formules sont excellentes. Elles rendent compte avec vigueur du drame que vit l’Église depuis quarante ans. Elles sont suggestives et justes, mais dans les limites de l’analogie. Si l’on en force le sens, elles peuvent en effet devenir source de terribles confusions, et engendrer un manichéisme dont le sens de l’Église, la foi dans sa divinité et le simple sens du surnaturel seront les premières victimes.

En effet, il est évident que ni Rome, ni l’Église ne sont des substances ou des suppôts, mais elles sont des sociétés, des êtres moraux dont l’unité consiste dans l’unité de la foi, de l’espérance et de la charité, dans la communauté de pensée et de vouloir ordonnés à la même fin: le règne de Notre Seigneur Jésus Christ et le salut des âmes en vue de la gloire de Dieu. Ce qui fait l’Église est la présence en elle de l’Esprit-Saint, âme de l’Église, corps mystique de Jésus-Christ.

Nous ne pouvons donc pas concevoir deux entités parfaitement distinctes, bien individuées et identifiables, mais plutôt un être moral unique, le seul réel, l’Église catholique, mais empoisonné aujourd’hui par un esprit étranger et ennemi qui tend à le corrompre et à le détruire.

De fait ni la Rome moderniste, ni l’Église conciliaire n’ont un être distinct et séparé de celui de la Rome éternelle et de l’Église catholique. Elles ne peuvent en avoir, comme le mal ne peut exister qu’en empruntant son être au bien qu’il veut détruire, et qu’il ne peut détruire sans se détruire lui même.

Qu’est-ce en effet que l’Eglise conciliaire ? Rien d’autre que la défiguration de l’Église catholique par le Concile et ce qu’il y a d’étranger à l’esprit catholique dans l’esprit du concile. Sous ce que nous appelons l’Eglise conciliaire, demeure toujours l’Église catholique, notre mère, ensevelie, endormie et plus ou moins réduite au silence.

Mais il est évident – pour qui garde au cœur la foi dans la divinité de l’Église, corps mystique et épouse de Jésus Christ – que cette « pensée de type non catholique » dont parlait Paul VI, sera toujours impuissante à s’emparer de l’âme de l’Église, de sa pensée et de son cœur, et « ne représentera jamais la pensée de l’Église ». L’esprit du concile ne peut s’emparer que de ses membres et de sa bouche, pour lui faire professer ce qu’elle ne peut penser ni croire ; il peut pénétrer ses entrailles, comme le disait saint Pie X, mais il ne peut et ne pourra jamais s’en rendre totalement maître. Ne pas croire cela, c’est douter des promesses faites par Notre Seigneur à son Église. L’Église catholique est submergée par l’esprit du monde, elle vit son « Exinanivit » dans la fidélité à son époux, mais cela ne signifie pas qu’elle soit absente du corps meurtri qui demeure le sien.

L’Église catholique est à Ecône, c’est vrai. Mais qui, sans tomber dans l’esprit de secte, osera dire qu’elle n’est qu’à Ecône ? Elle est aussi à Rome, elle est d’abord à Rome avec la Rome catholique et éternelle.

L’Église conciliaire est à Rome, c’est vrai. Mais elle est aussi partout dans le monde là où l’esprit du concile a pu pénétrer l’Église et la domine.

Mais on ne peut trouver l’Église conciliaire sans trouver, ensevelie sous elle, son support et sa victime tout à la fois, l’Église catholique.

Il arrive parfois que Jésus Christ permette à son Église de l’emporter et de faire entendre clairement sa voix (sacerdoce des femmes, morale naturelle...). Il arrive hélas que l’Église conciliaire se fasse entendre avec plus de force, dans de grandes occasions (Assise, demandes de pardon, cérémonies œcuméniques ou inter-religieuses). Mais le plus souvent, le pain quotidien que nous distribue l’Église est un mélange au dosage variable de l’une et l’autre voix, insipide et insignifiant, sentimental et philanthrope, sans vigueur pour le bien ni contre le mal, pour le vrai ni contre le faux. C’est notre Église défigurée, trop humaine, trop mondaine, ni franchement catholique et antimoderniste, ni franchement moderniste et anticatholique.

Tout cela n’empêche que, malgré l’orientation générale donnée à l’Église par ses prélats conciliaires, l’Église demeure plus forte, et que quelque chose de bon puisse toujours venir de l’Église à travers l’Église conciliaire, à son insu ou contre son gré. C’est cela seul qui nous explique pourquoi Monseigneur n’a jamais hésité à se rendre à Rome, ou à demander à la Rome moderniste de laisser faire l’expérience de la Tradition, ou à demander la reconnaissance de la Fraternité et la permission de faire les sacres, etc…parce qu’il croyait que l’Église vivait encore à Rome et pouvait user des organes conciliaires pour faire du bien.

En outre, nous ne pouvons pas oublier que l’Église n’est pas un être purement spirituel. Elle est une réalité incarnée. Elle a besoin d’une constitution juridique, plus ou moins développée, pour s’incarner et incarner Jésus Christ. Elle a besoin d’institutions et d’hommes pour rendre visible, agissante et accessible sa réalité spirituelle et divine. C’est là précisément, dans cette seule dimension humaine que peut intervenir concrètement et dominer cet esprit du concile pour constituer cette Église conciliaire, au rebours de l’esprit catholique. Mais les organes et les autorités qu’utilise cet esprit du concile pour faire de l’Église catholique l’Église conciliaire sont ceux de l’Église catholique. C’est le mystère des permissions divines, symbolisé par la parabole de la zizanie : deux esprits, deux religions, deux églises…mêlés inextricablement dans l’unique réalité que constitue l’Église catholique, ma mère sans laquelle je ne peux vivre et pour laquelle je veux bien souffrir et supporter ce qu’elle souffre et supporte.

Cela étant, si nous considérons précisément ces réalités dans leur incarnation, nous avons affaire à des hommes, êtres de chair et de sang, dotés d’intelligence et de volonté, de sentiments et de passions, d’émotions, de qualités et de défauts, de péchés et de vertus, capables des pires trahisons mais toujours accessibles à la grâce.

Les réalités de l’Église ne sont pas des abstractions sur lesquelles on peut travailler à son aise. Dire que deux églises, deux Romes, deux religions sont en présence est vrai, mais concrètement que signifie une telle affirmation? Elle ne peut rien pouvoir dire de plus que ce fait de la pénétration dans l’Église d’un esprit qui n’est pas catholique qui cherche à la dominer pour mieux la détruire. Signifier davantage serait succomber à la tentation de ce manichéisme subtil et simplificateur qui veut que tout soit pur et bon à droite, tout impur et mauvais à gauche. Les réalités sont plus subtiles et moins simplistes, et partant moins faciles à saisir, il est vrai.

Face à un pape, un cardinal, un évêque, un prêtre, un fidèle…un être de chair et de sang, qui saura me dire en toute vérité que tel ou tel est absolument conciliaire au point de n’être plus catholique, ou qu’il est absolument catholique au point de n’avoir rien de conciliaire ? Où se situe précisément la frontière entre les deux esprits, les deux églises, les deux Romes ? A partir de quand est-on vraiment conciliaire ou ne l’est-on pas du tout ?

Il est peut-être facile de répondre avec assez de probabilité pour un petit nombre : d’une part les conciliaires authentiques, docteurs en hérésie, conscients et volontaires destructeurs de l’Eglise… et les saints manifestes d’autre part. Mais avouons que ces deux catégories ont toujours été le petit nombre dans l’Eglise. Dieu seul connaissant les secrets des cœurs, il est seul à savoir s’ils sont plus nombreux que ce que nous en savons.

Le plus grand nombre se situe entre les deux. C’est cette belle masse de l’humanité « velléitaire », dont je fais sans doute partie, qui voudrait choisir, qui choisit parfois, qui navigue d’un bord à l’autre, incertaine d’elle même et de Dieu, et cherche toujours l’impossible troisième voie où l’on pourrait aimer Dieu de tout son coeur sans cesser de s’aimer un peu soi-même, plus ou moins catholique ou conciliaire selon les circonstances. C’est l’Église dans toute sa misère humaine, vrai miracle de la grâce de Jésus Christ pour demeurer unique voie de salut et de sainteté.

Mais l’Église conciliaire, en tant que telle, ne se concrétise que dans un tout petit nombre d’idéologues, hérétiques formels, ceux qui ont formellement rejeté l’Église catholique. Qui sont-ils ? C’est le secret de Dieu.

J’ajoute à cela qu’il me semble que nous ne sommes plus en 1970, ni même en 1988. Je dirais volontiers comme Mgr. Williamson qu’il ne faut pas faire du septantisme ou du quatre-vingt huitisme! D’un côté, si nous n’avons plus avec nous Monseigneur, avec toute sa sainteté, sa sagesse, son expérience de Rome et son sens profond de l’Eglise, nous avons tout ce qui est nécessaire à notre survie et nous sommes aussi plus nombreux, plus forts et plus unis (je l’espère, du moins). Nos chapitres généraux, réunions de supérieurs, ont manifesté cette vigueur et cette unanimité. Dernier en date, notre pèlerinage à Rome l’a fait avec éclat, tout en redonnant à nos prêtres et aux meilleurs de nos fidèles le sens et l’amour de la Rome éternelle.

Si demain l’Église conciliaire, par méprise ou même par calcul, mais toujours par disposition providentielle, nous donnait le moyen, sans que nous ayons rien à renier, rien à changer, rien à promettre – sinon de servir l’Église et la vérité – de servir l’Église catholique ensevelie sous elle pour l’aider à revivre avec toutes ses forces surnaturelles (Messe, sacrements, doctrine, morale, discipline) et à se débarrasser peu à peu de l’esprit du concile, serons-nous vraiment obligés de refuser d’entrer en contact et d’envisager un règlement de notre situation, sous prétexte qu’ils sont tous des bandits ?

L’Église catholique serait-elle à ce point privée des secours divins pour n’avoir plus assez de vigueur pour se servir des organes de l’Église conciliaire, qui sont aussi les siens, pour se débarrasser de ses ennemis et se manifester au monde avec toute sa vigueur retrouvée ? Ne devons-nous pas l’y aider, si la possibilité nous en est offerte ?

Il est bien vrai que nous travaillons déjà pour l’Église catholique. Nous avons gardé pour la servir tout ce que nous avons reçu d’elle, tous ses plus beaux trésors. Mais pourquoi les avons-nous gardés ? Pour nous ? Non, pour elle. Et nous devons reconnaître que toutes les limitations qui nous sont mises par l’Église conciliaire créent de réels obstacles à notre zèle pour l’Église. Si nous obtenons que la Rome moderniste retire ces obstacles à notre action, sans que nous ayons rien à changer, pouvons-nous refuser de considérer cette possibilité d’un service plus généreux et plus large de la Rome éternelle ? Si la Rome moderniste, par exemple nous accorde une reconnaissance canonique, il est clair que cela ne sera pour nous que le moyen de travailler à rétablir la doctrine au sein de l’Église avec la plénitude de la vérité catholique. Cela se fera-t-il sans nous ? Dieu pourrait le faire, c’est clair, au regard de tant de prières, de sacrifices, de vies offertes depuis tant d’années pour l’Église. Mais ce serait de l’ordre du miracle moral, et nous ne pouvons pas compter sur cela. Dieu se sert le plus souvent de causes secondes pour accomplir ses œuvres. Ne voulons-nous pas être au nombre de celles-ci pour le service de la plus noble des causes, et ajouter notre part à l’œuvre de la grâce dans l’Église et dans les âmes ?

On me dit aussi : que Rome se convertisse, et ensuite nous verrons. Ma réponse est identique : il n’est pas catholique de s’en remettre au miracle. Rome ne se convertira pas si personne n’y travaille, si personne n’est reconnu comme « interlocuteur valable » dans un vrai débat théologique, pour ramener la vérité sur son trône. Par ailleurs, il y a tant de chemins qui mènent à Damas. « Il y a des âmes qui vont par la lumière à l’amour, d’autres qui vont par l’amour à la lumière » écrivait si bellement le saint abbé Berto. Les unes se convertissent par l’intelligence ; avides de vérité elles veulent lui appartenir pour lui rendre hommage en faisant dépendre d’elle toute leur vie, puis leur science se tourne à aimer, parce que la lumière qui est en elles veut se répandre sur d’autres et ainsi les leur fait aimer. Mais d’autres aiment d’abord et aspirent à donner, mais à donner plus qu’elles-mêmes car elles sentent leurs limites et ne peuvent se satisfaire de donner moins que l’Infini. Elles se font alors mendiantes de vérité pour pouvoir donner le seul Don en mesure de contenter leur amour et de rassasier la faim de ceux qu’ils aiment, l’Esprit de Vérité. Les écrits des Docteurs de l’Eglise, des grands mystiques, de St Thomas à Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus en passant par St Jean de la Croix sont unanimes sur ce point. Avons-nous le droit d’attendre de tous une conversion doctrinale sans essayer de les conduire à la lumière, par le cœur ou par l’intelligence ? "

Albano du 13 au 16 février 2001. Abbé Michel Simoulin

[Christophe Geffroy - La Nef] "Une expérience originale", entretien avec l'abbé Christian Gouyaud

Christian Gouyaud - Christophe Geffroy - la Nef, n° 113  - février 2001

- La Nef : Pourriez-vous rapidement vous présenter ?
Abbé Christian Gouyaud : Ordonné en 1984, je suis l'un des douze fondateurs de la Fraternité Saint-Pierre. J'ai enseigné pendant quatre ans à Wigratzbad au Séminaire Saint-Pierre dont j'ai été le recteur pendant l'exercice 1991-1992. Ayant exercé mon ministère antérieur en Alsace-Moselle, j'ai été impliqué, dès l'été 1988, dans l'application du Motu proprio Ecclesia Dei dans le diocèse de Strasbourg. En parallèle, j'ai repris des études à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg où j'ai obtenu mon doctorat en théologie. Mon confrère, l'abbé Alexander Leonhardt, a lui-même participé à la fondation de la Fraternité Saint-Pierre, comme séminariste, et a été ordonné prêtre par le cardinal Mayer à Wigratzbad en 1992.
- Quel est votre statut dans le diocèse ?
Depuis 1994, nous sommes prêtres incardinés dans l'archidiocèse de Strasbourg. Nous avons été nommés chapelains de la communauté des fidèles qui, en Alsace, bénéficient des dispositions du Motu proprio Ecclesia Dei. Mgr Brand, alors archevêque de Strasbourg, a érigé cette communauté en association publique de fidèles. Mgr Doré, son successeur, a approuvé définitivement les statuts de la " Communauté traditionnelle Saint-Arbogast " dont je suis le modérateur. 
- Etes-vous considéré comme un prêtre un peu " à part ", et quelles sont vos relations avec votre évêque et avec le diocèse (prêtres et fidèles) ? 
L'autorité diocésaine a eu le souci de ne pas marginaliser les fidèles Ecclesia Dei en ne leur affectant pas une chapelle périphérique ou excentrique mais en les accueillant dans une église paroissiale du ban communal de la métropole. De notre côté, le fait que nous concélébrions avec notre évêque lors de la messe chrismale et de la messe d'ordination et que nous soyons aussi, en dehors de notre mission spécifique, disponibles pour rendre des services ponctuels dans le rite de Paul VI a contribué à débloquer la situation. Notre communauté a fait l'objet, ces derniers mois, d'une visite pastorale et canonique de notre évêque qui a bien voulu reconnaître le caractère ecclésial des activités qui relèvent de notre ministère et souligner notre pleine appartenance au presbyterium local. Bien réalisée dans le diocèse, notre insertion peut certes encore progresser dans les paroisses où nos communautés résident. 
- Pourriez-vous nous dire un mot de la vie de vos chapelles ? 
Notre communauté est domiciliée en deux lieux : à Strasbourg, en l'église paroissiale Saint-Bernard et en l'église paroissiale Notre-Dame de l'Assomption de Colmar-Logelbach. La vie s'y organise principalement autour de la célébration du culte, à laquelle nous essayons de conférer tout son déploiement -notamment par la présence à Saint-Bernard du choeur Laudem gloriae- dirigé par M. Etienne Stoffel et à Logelbach de la chorale dirigée par Mlle Blandine Sutter, ainsi que par le concours de nombreux grands clercs et servants de messe; la transmission de la foi est assurée à différents niveaux -catéchisme, groupes de lycéens, d'étudiants, de jeunes foyers, avec le souci particulier de montrer la compatibilité du magistère actuel avec celui qui le précède; nous nous efforçons enfin de promouvoir la dimension communautaire de la vie ecclésiale - scoutisme, compagnonnage de saint Michel, pèlerinages, sorties et fêtes " paroissiales ". 
- Quel bilan et quelles principales leçons tirez-vous de votre expérience ? 
Dans un contexte ecclésial parfois délétère, l'expression de la foi et de la prière que nous essayons de mettre en valeur constitue assurément un signe de contradiction. En Alsace comme ailleurs se sont développés des groupes de pression qui revendiquent des changements importants de la discipline : mariage des prêtres, ordination des femmes, accès à la communion eucharistique des divorcés remariés... Dans cette configuration, où nous, (relativement) jeunes prêtres, reprenons ce que d'autres ont cru devoir laisser, il peut arriver que nous tenions à notre insu le rôle de " mauvaise conscience " des prêtres plus âgés - qui peuvent nous le reprocher. Il nous faut faire preuve de beaucoup de tact. Le mur de Berlin n'est pas encore tout à fait tombé dans l'Eglise ! Mais nous avons des rapports harmonieux avec nombre de confrères, au-delà des clivages théo-idéologiques, et nous ne regrettons pas notre choix d'appartenir au diocèse de Strasbourg. 
- Douze ans après le Motu proprio Ecclesia Dei, comment voyez-vous l'avenir de la question liturgique ? 
A quels types d'interprétation restrictive du Motu proprio Ecclesia Dei se trouve-t-on parfois confronté ? Le Motu proprio, ce ne serait que la messe dominicale, ce ne serait que pour les " vieux ", ce ne serait que pour ceux qui étaient liés au mouvement de Mgr Lefebvre, ce ne serait que des normes provisoires ! Il est une règle générale d'interprétation dans l'Eglise : les choses onéreuses, il faut les entendre au sens le plus strict : pas plus que ce qui est interdit; les choses favorables, il faut les entendre au sens large : tout ce qui est concédé. Or le Motu proprio n'interdit pas mais concède ! Il concède sous conditions mais sans restriction. Cette concession n'est d'ailleurs pas la tolérance d'un mal (que serait le pluralisme rituel) pour empêcher un plus grand mal (le schisme) : il s'agit au contraire d'un bien (la diversité des charismes et des traditions) dont on affirme " non seulement la légitimité mais aussi la richesse ". Les expressions dans le texte d'" application large et généreuse ", " traditions non seulement de spiritualité mais encore d'apostolat " : c'est-à-dire aussi ce qui prépare (catéchèse) et ce qui suit (vie communautaire ecclésiale) l'acte liturgique, " on devra partout respecter le désir spirituel de tous ceux qui se sentent liés à la tradition liturgique latine " n'autorisent pas, me semble-t-il, de telles interprétations restrictives. Il faut prier pour qu'un nombre croissant d'évêques veuillent bien s'associer à la volonté du pape sur ce point, et qu'ils aient " une attention pastorale renouvelée aux fidèles attachés à l'ancien rite " ainsi que le demandait Jean-Paul Il à l'occasion des dix ans du Motu proprio. L'engagement du cardinal Castrillon Hoyos de défendre de toutes ses forces la place légitime pour tous les catholiques de sensibilité traditionnelle dans la grande famille de l'Eglise catholique romaine me paraît déterminant.

Du côté des prêtres et des fidèles qui se réfèrent au Motu proprio, il importe de réaliser davantage les conditions d'application de ce document, et notamment de ne pas faire de la question liturgique une machine de guerre. Tout ce qui est polémique à l'égard du rite rénové dessert considérablement notre " cause ". Nous pourrions, de surcroît, explorer davantage la voie suggérée par le cardinal Ratzinger qui préconisait d'" observer les critères essentiels de la Constitution conciliaire sur la liturgie aussi si l'on célèbre selon le Missel ancien ". Nous ne devons pas " hypostasier " le rite jusqu'à encourir le reproche que faisait indirectement Mgr Gamber à la codification par saint Pie V du missel romain : celui d'avoir empêché toute évolution organique. La Commission romaine, pour éviter tout arbitraire, a proposé un certain nombre de modifications que l'on peut apporter au missel de 1962 qui n'a jamais été considéré surtout pas par le nouveau bienheureux jean XXIII - comme une apothéose liturgique. Là est, je crois, l'avenir du rite traditionnel auquel nous sommes profondément attachés. Cofondateur de la Fraternité Saint-Pierre dans une situation critique - le schisme de 1988 - je sais trop dans quelle impasse ecclésiale une opposition radicale au rite rénové peut mener. Le " charisme d'exclusivité " n'a jamais existé parce que, dans l'Eglise, c'est le ministère apostolique qui authentifie les charismes. L'autorité compétente, en l'occurrence, sans mettre aucunement en cause ce qui a été concédé, n'a de fait jamais reconnu ce charisme-là. Le charisme fondateur, c'est l'amour de l'Eglise. Le cardinal Castrillon Hoyos rappelle fort judicieusement qu'il y a dans l'Eglise de la place pour les complémentarités mais pas pour des oppositions. En ce qui concerne la compression du schisme Lefebvre, qui reste pour nous tous une mission, je ne crois pas que ce soit en voulant montrer aux dissidents que " nous-n'avons-absolument-pas-changé " que nous serons crédibles à leur endroit. Nous avons changé parce que nous avons compris que le refus de communication sacramentelle dans l'acte concret de célébrer conduit à la rupture de communion ecclésiale. Comment pourrions-nous appartenir au même corps mystique si nous refusions par principe de participer jamais au même corps eucharistique ? 
- Le diocèse de Strasbourg est sous régime concordataire : comment cela fonctionne-t-il concrètement ? 
L'Alsace, au traité de Versailles de 1919, n'a pas accepté les lois de séparation promulguées à l'époque de Combes. Un accord diplomatique entre le gouvernement de la République et la Secrétairie d'Etat lui permit alors de bénéficier du concordat de 1801 entre Pie VII et Bonaparte. Il s'agit avant tout de l'enseignement des trois religions reconnues (catholicisme, protestantisme, judaïsme) dans les écoles publiques, du traitement du clergé par l'Etat et de la nomination de l'évêque par le chef de l'Etat (double nomination puisque c'est le pape qui donne le mandat canonique). L'installation d'un curé requiert elle-même un agrément ministériel. De son côté, l'Eglise célèbre des messes pour la France et prie pour la " chose publique ". Le régime concordataire présente évidemment des avantages. Il pourrait cependant être mis en cause, par exemple si l'enseignement religieux venait à se déliter. Le débat actuellement tourne autour de la revendication par l'Islam de pouvoir aussi jouir du statut concordataire. D'autre part, si le régime reste concordataire, les mentalités sont souvent gagnées par le laïcisme... 
- Avez-vous des activités d'évangélisation pour essayer de toucher des âmes qui ont perdu ou n'ont jamais eu de contact avec le Christ ? 
Votre question me dit que nous n'avons pas réponse à tout et que nous devons rester très humbles. Oui, l'enjeu, c'est le salut des âmes et je suis bien démuni pour toucher ceux qui sont loin, bien loin de nos problématiques. La prière et le sacrifice de la messe non réductible à ce moment-ci de ce rite-là -portent le monde, c'est une perspective de foi. Vous utilisez les mots très appropriés de " toucher " et de " contact " : l'Incarnation, c'est Dieu qui touche l'homme et la Rédemption, c'est Dieu qui touche le pécheur. Comment faire pour que l'Eglise soit l'instrument du toucher du Christ ? je ne connais pas de recette en dehors du témoignage de vie et de l'esprit missionnaire. 
- Dans un monde de plus en plus sécularisé et qui en vient à perdre tout repère moral, comment redonner une place à la vie intérieure ? Et quel rôle peut y jouer la paroisse ? 
Vous avez parlé de " vie intérieure ". L'Eglise de France s'est engagée dans un chantier de restructuration ou de réaménagement qui est sans doute nécessaire. Le maître mot est celui d'interaction ou encore celui de pastorale transversale. Il ne faudrait pas que cela se traduise dans les faits par un surcroît de bureaucratie, au détriment, précisément, de la vie intérieure. A quoi correspondra encore la paroisse territoriale dans ces vastes ensembles ? Il faudrait préserver le lien personnel entre le pasteur et sa communauté, célébrer en certains lieux une liturgie exemplaire, à l'image peut-être de ce que furent les monastères au temps des barbares. Ne sommes-nous pas des néo-barbares ? Rien de tout cela n'est évidemment exhaustif !

15 février 2001

[Pieuse Association Saint Mayol] Pourquoi nous ne voulons pas de la Messe dite de Paul VI

SOURCE - Pieuse Association Saint Mayol - février 2001

1969 – 2001 : voici donc plus de trente ans qu’a été imposé le missel de Paul VI, la " nouvelle messe ". Trente ans, c’est peu pour un nouveau rit, pour ne pas dire que c’est rien face à l’antiquité du missel dit de St Pie V, lentement ciselé par le Saint Esprit. Mais il semble à certains prêtre ou fidèles que trente ans c’est beaucoup, c’est trop. Il faudrait baisser les bras et œuvrer à une coexistence pacifique des deux formes du rit latin.

Il faut le dire à ces " tradis fatigués " : la nouvelle messe n’a pas changé, même si de jeunes prêtres la célèbrent avec plus de ferveur que leurs aînés. Alors ne cédons pas à la tentation d’un irénisme facile, qui sous entend bien souvent le désir d’être enfin " reconnu ".

Quoi qu’on en dise, il n’y a pas deux formes légèrement différentes du rit latin. Il y a en réalité deux rits profondément différents. Chacun peut en faire l’expérience dans sa paroisse. Et des autorités reconnues l’ont admis :
  • les cardinaux Ottaviani et Bacci : " le nouvel Ordo Missae (…) s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte messe, telle qu’elle a été formulée à la XXème session du concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les " canons " du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du mystère " (lettre à S.S. Paul VI, en préface au Bref examen critique du nouvel Ordo Missae)
     
  • le cardinal Ratzinger : "A la place de la liturgie fruit d’un développement continu, on a mis une liturgie fabriquée. On est sorti du processus vivant de croissance et de devenir pour entrer dans la fabrication. On n’a plus voulu continuer le devenir et la fabrication organiques du vivant à travers les siècles, et on les a remplacés – à la manière de la production technique – par une fabrication, produit banal de l’instant " (Préface à La réforme liturgique en question de Mgr Gamber).
La liturgie réformée par Paul VI est réellement une nouvelle liturgie, qui correspond à une nouvelle théologie. Comment se satisfaire de la définition qui fût donnée de la Messe au paragraphe 7 de l’introduction du nouveau missel ? " La Cène du Seigneur ou Messe est la sinaxe sacrée ou le rassemblement du peuple de Dieu sous la présidence du prêtre pour célébrer le Mémorial du Seigneur. "

N’est-on pas là devant un glissement manifeste en direction du protestantisme ? Bien des protestants s’en sont félicités, et il suffit de citer le fondateur de Taizé, Max Thurian : " Un des fruits [de la nouvelle liturgie] en sera peut-être que des communautés non catholiques pourront célébrer la Sainte Cène avec les mêmes prières que l’Eglise Catholique. Théologiquement, c’est possible " (in La Croix du 30 mai 1969)

Oui, il faut être honnêtes et lucides : depuis trente ans la foi des catholiques s’est émoussée et atténuée, tout particulièrement dans les domaines si bien mis en valeur par le rit traditionnel : la Présence réelle de Notre-Seigneur dans la Sainte Hostie, le caractère propitiatoire du sacrifice de la Messe, ou encore la nature du sacerdoce du prêtre.

Alors pourquoi donc accepterions-nous aujourd’hui les réformes qui en sont responsables ? Et notamment ce que nous avons toujours refusé : la communion dans la main, la messe face au peuple, l’abandon du latin et du grégorien, les filles enfants de chœur, les traductions falsifiées, le tutoiement, etc … C’est bien pourtant ce qui nous menace plus que jamais.

Plus profondément, la nouvelle liturgie correspond à une nouvelle vision du monde, à une nouvelle culture. Elle se veut moderne et en phase avec la culture de notre temps. Mais le contexte actuel est celui d’une culture libérale, qui proclame la mort de Dieu et le culte de l’homme.

S’il est légitime de vouloir aller au devant de cette culture pour la christianiser, n’est-il pas exagéré de l’intégrer dans la liturgie pour mieux toucher l’ " homme d’aujourd’hui " ?

Nous constatons l’échec de la pastorale liturgique moderne. Les JMJ ne doivent pas faire oublier la situation dramatique des séminaires diocésains. Et comment ne pas déplorer la chute effrayante de la piété et de la pratique ?

Nouvelle liturgie, nouvelle culture : nouvelle religion ?

Il faut bien se poser la question : " sous le nom d’Eglise nouvelle, d’Eglise post conciliaire, on s’efforce souvent de bâtir une Eglise autre que celle de Jésus Christ : une société anthropocentrique, société qui est menacé d’une apostasie immanente et qui se laisse entraîner à n’être plus qu’un mouvement de laisser aller général sous le prétexte de rajeunissement, d’œcuménisme et de réadaptation " (Cardinal de Lubac).

N’est-ce pas cette tendance que la hiérarchie de l’Eglise devrait s’occuper d’éradiquer, plutôt que de persécuter les catholiques traditionnels ? Pourtant que de chaires elle occupe, tant dans les paroisses que dans les universités !…

Conclusion : la nouvelle messe est valide, c’est entendu. Mais nous constatons qu’elle ne soutient pas suffisamment la piété et ne nourrit pas convenablement la Foi. C’est pourquoi l’heure n’est pas venue, et ne viendra jamais, pour les prêtres " Ecclesia Dei":
  • de concélébrer à la messe chrismale : cela revient à célébrer la messe de Paul VI. Qui cède sur le principe cède sur l’application. Comment refuser alors de célébrer la nouvelle messe dans d’autres cas ? On reprochera aux prêtres Ecclesia Dei de ne pas avoir de charité pastorale ou de zèle apostolique en refusant de remplacer un curé de paroisse. Mais pourquoi ne pourraient-ils pas le remplacer en célébrant l’ancien rit?
     
  • d’aménager le rit traditionnel pour le rapprocher du nouveau. C’est ce que va nous proposer prochainement la Commission Ecclesia Dei, à partir du principe que la nouvelle liturgie n’est pas en rupture avec l’ancienne (cf. La Nef de décembre 2000). On pense résoudre la crise en atténuant les différences trop visibles entre les deux rites… au détriment de l’ancien bien entendu et en préparant d’autres glissements, pour un passage en douceur au nouveau rite.
Pourquoi veut-on tant nous faire adopter une partie des réformes de 1965 (suppression des prières au bas de l’autel et du dernier évangile, liturgie de la parole à la banquette, etc …) ? Nous ne voulons pas de ce missel, hâtivement composé à la fin du Concile Vatican II en attendant la réforme globale de 1969. N’oublions pas que la rite de 1965 est le fruit du travail du Consilium qui, dirigé par Mgr Bugnini, créera la nouvelle messe en 1969. C’est déjà l’esprit du nouveau rit qui est à l’œuvre, avec le primat du pastoral sur le culte.

On nous dira peut-être alors que notre place est à la Fraternité Saint Pie X. Notre départ vers ses chapelles arrangerait sans aucun doute les prêtres et les fidèles qui estiment que le temps est venu de tendre la main aux progressistes. Mais ce n’est pas à nous de partir : nous sommes le peuple du Motu Proprio Ecclesia Dei. C’est à nous que le Pape a ouvert grandes les portes de l’Eglise. Catholiques Romains, nous le sommes et ne demandons que la répercussion dans les diocèses de la générosité du Saint Père.

On nous dira encore que nous exagérons l’importance de la Messe, ou bien on nous accusera d’être attaché à l’ancien rit par rubricisme ou nostalgie. Mais c’est la foi que nous défendons. Par notre fidélité à l’ancienne liturgie, nous restons fidèles au catholicisme traditionnel. Et nous garderons pour cela nos vieux catéchismes, en nous rappelant le terrible constat du Cardinal Journet : " la liturgie et la catéchèse sont les deux mâchoires de la tenaille avec laquelle on arrache la foi ". Ce grand théologien ajoutait : " la crise actuelle est certainement plus grave que celle du modernisme. Un jour les croyants se réveilleront et prendront conscience d’avoir été intoxiqués par l’esprit du monde ".

C’est à ce réveil que nous vous invitons. Sursum corda !

13 février 2001

[Aletheia n°8] Rome renoue le dialogue avec la Fraternité Saint-Pie X (document) - Un nouveau livre d’Alain de Benoist - La disparition de Gustave Thib

Yves Chiron - Aletheia n°8 - 13 février 2001
Sommaire
I. Rome renoue le dialogue avec la Fraternité Saint-Pie X (document).
II. Un nouveau livre d’Alain de Benoist.
III. La disparition de Gustave Thibon (document).

I. Rome renoue le dialogue avec la Fraternité Saint-Pie X
Divers signes, ces derniers mois, laissaient comprendre qu’un nouveau type de relations était en train de s’instaurer entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X. Alètheia, au fil de ses numéros, les avait signalés : le dialogue, en profondeur, de l’abbé La Rocque, de la FSPX, avec les prêtres diocésains de France à travers sa Lettre à nos frères prêtres ; les églises et sanctuaires qui, à Rome et en France, se sont ouverts à la FSPX à l’occasion du Jubile ; l’entretien accordé, cet été, à Trenta Giorni par Mgr Fellay, Supérieur général de la FSPX ; le livre de l’abbé Aulagnier, deuxième assistant général de la FSPX.
Le 22 janvier dernier, Mgr Fellay a publié un “ Communiqué aux membres de la Fraternité et aux Communautés amies ” pour annoncer l’ouverture de négociations entre le Vatican et la FSPX. Ce communiqué était destiné aux seuls prêtres de la Fraternité qui ne pouvaient en informer leurs fidèles “ de vive voix seulement ”. “ Le texte lui-même ne doit pas être remis aux mains des fidèles jusqu’à nouvel avis. Il est interdit de le publier ” était-il précisé. La FSPX, sans doute, ne voulait pas laisser le dialogue engagé être parasité par des commentaires inconsidérés.
Mais comme la consigne n’a pas été respectée et que le texte du communiqué est disponible sur internet, en voici, à titre documentaire, le texte intégral :
Communiqué de la Maison généralice, le 22 janvier 2001
Destiné aux membres de la Fraternité et aux Communautés amies
1. Suite à notre pèlerinage à Rome cet été, le cardinal Castrillon Hoyos a eu un premier contact direct avec les évêques de la Fraternité en août.
2. Au mois de novembre, le même Cardinal mandaté par le pape Jean-Paul II a invité le Supérieur Général à venir “ pour préparer une visite au pape ”.
3. Le 29 décembre, le Cardinal Castrillon propose à Mgr Fellay les divers éléments qui pourraient servir à un possible accord entre Rome et la Fraternité, et le Supérieur Général exprime son point de vue, ses méfiances, ses appréhensions. (Bien que jamais Rome ne soit allé si loin en faveur de la Tradition).
4. Le 30 décembre, pendant quelques instants, le Supérieur Général entrevoit le pape dans sa chapelle privée (aucune parole d’importance n’y est échangée).
5. Le 13 janvier, réunion spéciale du Conseil général, des évêques de la Fraternité et du délégué de Mgr Rangel où sont établis les principes qui nous guident dans la situation présente.
6. Le 16 janvier, nouvelle rencontre avec le cardinal Castrillon, pendant laquelle le Supérieur Général expose la nécessité de garanties de la part de Rome avant d’aller plus avant dans le concret d’éventuelles discussions ou accord :
• Que la messe tridentine soit accordée à tous les prêtres du monde entier.
• Que les censures qui frappent les évêques soient annulées.
Les principes qui nous guident à travers cette situation quelque peu nouvelle sont les suivants :
1. Rome étant l’auteur de la démarche, il est normal que la Fraternité l’examine avec le sérieux qu’elle mérite.
2. Ayant devant les yeux d’une part l’exemple tout récent de la Fraternité Saint-Pierre, d’autre part la continuité de la ligne post conciliaire constamment réaffirmée par Rome, notre défiance est extrême.
3. La Fraternité n’a aucunement l’intention de modifier ses principes et sa ligne de conduite. Les fruits si abondants de grâces d’une part, le désastre conciliaire d’autre part ne font que renforcer sa détermination à conserver la Tradition catholique.
4. Si accord il y avait, il ne serait à envisager que dans la perspective de redonner à la Tradition son droit de cité, même si le triomphe final ne s’obtiendra que graduellement.
5. Les prières demandées aux membres de la Fraternité pendant un mois ne signifient pas du tout notre attente que tout soit réglé durant cette période ou dans une quelconque précipitation. Il s’agit d’un temps de prière où nous demandons plus intensément à Notre Dame qu’elle ouvre les Coeurs des responsables romains et des évêques, qu’elle nous fasse éviter tout piège et qu’elle fasse triompher dans l’Eglise les droits de son divin Fils.
Menzingen, 22 janvier 2001
+Bernard Fellay
On remarque, dans ce communiqué, la “ défiance extrême ” de la FSPX à l’égard des discussions engagées et , aussi, la froideur avec laquelle est évoquée la rencontre avec Jean-Paul II. On remarque aussi, a contrario, le caractère non-excessif des “ garanties ” demandées par la FSPX.
Sans évoquer la teneur des propositions, généreuses, faites par le Saint-Siège, on peut signaler que Mgr Fellay est venu exposer le 1er février dernier, aux prêtres de la FSPX de France (les plus nombreux dans la Fraternité), l’état actuel des discussions avec Rome.
Il semble que la grande majorité des prêtres de la FSPX voit favorablement l’ouverture de ces négociations. Il n’en va pas de même des Dominicains d’Avrillé. Nul doute que si un accord avec Rome intervenait, certains prêtres de la FSPX, peu nombreux, le refuseraient, par principe. Déjà, il y a quelques mois, un prêtre qui avait quitté la FSPX, l’abbé Xavier Grossin, dénonçait les compromissions de Mgr Fellay avec Rome : “ A chaque visite du Supérieur Général au Vatican, un de ses prêtres fidèle au dogme de l’infaillibilité fait les frais de ces politesses en se faisant renvoyer. Il faut bien leur montrer de la bonne volonté en excluant les durs ” (Le Bastion de Saint-Maurice, 35360 Montauban-de-Bretagne, octobre 2000).
Ce même abbé Grossin, avec l’esprit de finesse qui le caractérise , dénonçait, dans une lettre, publiée sans signature dans la revue des Dominicains d’Avrillé (Sel de la terre, n° 31, hiver 1999-2000, Couvent de la Haye-aux-Bonhommes, 49240 Avrillé), “ les hérésies gnostiques avec leur cortège d’immoralité ” de “ monsieur Chiron ” et disait prier pour sa “ véritable conversion ”...

II. Un livre d’Alain de Benoist
Alain de Benoist passe, à gauche, pour un dangereux homme d’extrême-droite qui arbore le masque d’une “ Nouvelle Droite ” improbable. Dans beaucoup de milieux de droite, il passe pour un dangereux “ païen ” dont la pensée se réduirait à l’anti-christianisme. Il est vrai que jadis Alain de Benoist a édité Celse et Louis Rougier et qu’il les a réédités récemment. Il y a quelques mois, il faisait publier un ouvrage de Ram Swarup (1920-1998) qui fut un des principaux théoriciens du fondamentalisme hindou. Cet ouvrage, Foi et intolérance (éditions du Labyrinthe, 70 rue Compans, 75019 Paris, 233 pages, 129 F), est une analyse critique du christianisme et de l’islam sous “ un regard hindou ”.
Il serait injuste de réduire Alain de Benoist à ces caricatures opposées. C’est, avant tout, un homme de réflexion, curieux de tous les domaines du savoir. Son dernier livre est la publication de son journal de l’année 1999 sous le titre : Dernière année. Notes pour conclure le siècle (L’Age d’Homme, 302 pages). A coté de nombreuses considérations sur d’autres sujets non-religieux, il s’y montre quasiment hanté par la figure de saint Paul ; il rapporte ses recherches sur le (faux) problème des supposés “ frères de Jésus ” ; il évoque, à deux reprises, ses conversations avec l’abbé de Tanoüarn sur des questions d’exégèse et de patristique.
Certes, la conception des origines du christianisme qu’a Alain de Benoist est erronée ( “ Paul a créé une religion nouvelle, ce que Jésus n’avait jamais eu l’intention de faire. Bel exemple d’hétérotélie ”, p. 83). Mais Alain de Benoist ne fait peur qu’à ceux qui ne le lisent pas et ne le connaissent pas.

III. La disparition de Gustave Thibon
La disparition de Gustave Thibon, le 19 janvier dernier, n’a pas eu, dans les médias, l’écho dont bénéficie la disparition de personnalités qui ont beaucoup moins apporté à la civilisation. L’Action Française 2000 (10 rue Croix-des-Petits-Champs, 75001 Paris), dans son numéro du 1er février, a publié un intéressant hommage au philosophe “ poète-paysan ” avec des articles de Michel Fromentoux, Eric Vatré, Antoine Clapas, Robert Gaud et Stéphane Blanchonnet. Le quotidien Présent (5 rue d’Amboise, 75002 Paris), dans son supplément littéraire du 3 février, a publié des articles de Danièle Masson, Rémi Fontaine et Olivier Mirande.
Rappelons qu’en 1993, après avoir publié depuis 1934 de nombreux volumes d’essais et d’aphorismes, Gustave Thibon publiait, sous le titre Au soir de ma vie (Plon, 219 pages), un volume de “ mémoires recueillis et présentés par Danièle Masson ”.
Sauf erreur de ma part, le quotidien la Croix n’a consacré aucun article au philosophe chrétien. Mais l’Eglise ne l’a pas oublié. Lors des obsèques de Gustave Thibon, un message de l’évêque du diocèse a été lu. Ce texte n’ayant été publié ni cité dans aucun quotidien ou hebdomadaire, je crois utile de le reproduire ici intégralement :
Message pour les obsèques de Monsieur Gustave Thibon
Le 20 janvier 2001
Je désire me joindre à vous auprès de Monsieur Gustave Thibon.
Vous ses enfants et petits-enfants, vous aussi qui l’avez entouré et accompagné de sollicitude et d’affection. Je vous exprime toute ma sympathie.
Vous les paroissiens de Saint-Marcel d’Ardèche lieu de sa naissance auquel il est toujours resté attaché. Vous perdez un des vôtres dont vous étiez fiers.
Je partage vraiment votre peine. Je regrette profondément de ne pas être physiquement avec vous, cela m’a été impossible, mais je vous suis uni par la prière.
Vous connaissez pour la plupart beaucoup mieux que moi Monsieur Thibon, vous qui lui étiez proches.
Permettez-moi cependant de lui dire en toute vérité mon admiration et mon Merci et ceux de l’Eglise. Il a su dans toute la recherche d’une vie, dans toute sa méditation approfondir le sens de l’homme et de sa vocation indissociablement liés à la foi chrétienne.
Il a su être comme un sillon où se rencontrent une véritable humanité et la grâce de la foi avant de germer ensemble.
Il en a rendu compte par la parole et par ses oeuvres. Ce fut sa façon d’être un témoin. L’Eglise de France lui est reconnaissante.
Deux phrases de lui en correspondance avec ce que nous vivons aujourd’hui :
je porte en moi des morts plus vivants que les vivants. Mon plus haut désir est de les retrouver
mon Dieu, à ma mort prenez-moi tel que vous m’avez fait et tel que je me suis défait, ayez pitié en moi de Votre image
Que le Seigneur de l’espérance exauce cette double prière.
François BLONDEL
Évêque de Viviers

[Yves Chiron, Aletheia] Rome renoue le dialogue avec la Fraternité Saint-Pie X

Yves Chiron, Aletheia n°8 - 13 février 2001

Divers signes, ces derniers mois, laissaient comprendre qu’un nouveau type de relations était en train de s’instaurer entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X. Alètheia, au fil de ses numéros, les avait signalés : le dialogue, en profondeur, de l’abbé La Rocque, de la FSPX, avec les prêtres diocésains de France à travers sa Lettre à nos frères prêtres ; les églises et sanctuaires qui, à Rome et en France,  se sont ouverts à la FSPX à l’occasion du Jubile ; l’entretien accordé, cet été, à Trenta Giorni par Mgr Fellay, Supérieur général de la FSPX ; le livre de l’abbé Aulagnier, deuxième assistant général de la FSPX.
 
Le 22 janvier dernier, Mgr Fellay a publié un “ Communiqué aux membres de la Fraternité et aux Communautés amies ” pour annoncer l’ouverture de négociations entre le Vatican et la FSPX.  Ce communiqué était destiné aux seuls prêtres de la Fraternité qui ne pouvaient en informer leurs fidèles “ de vive voix seulement ”. “ Le texte lui-même ne doit pas être remis aux mains des fidèles jusqu’à nouvel avis. Il est interdit de le publier ” était-il précisé. La FSPX, sans doute, ne voulait pas laisser le dialogue engagé être parasité par des commentaires inconsidérés.
 
Mais comme la consigne n’a pas été respectée et que le texte du communiqué est disponible sur internet, en voici, à titre documentaire, le texte intégral : 
Communiqué de la Maison généralice, le 22 janvier 2001
Destiné aux membres de la Fraternité et aux Communautés amies
1. Suite à notre pèlerinage à Rome cet été, le cardinal Castrillon Hoyos a eu un premier contact direct avec les évêques de la Fraternité en août.

2. Au mois de novembre, le même Cardinal mandaté par le pape Jean-Paul II a invité le Supérieur Général à venir “ pour préparer une visite au pape ”.

3. Le 29 décembre, le Cardinal Castrillon propose à Mgr Fellay les divers éléments qui pourraient servir à un possible accord entre Rome et la Fraternité, et le Supérieur Général exprime son point de vue, ses méfiances, ses appréhensions. (Bien que  jamais Rome ne soit allé si loin en faveur de la Tradition).

4. Le 30 décembre, pendant quelques instants, le Supérieur Général entrevoit le pape dans sa chapelle privée (aucune parole d’importance n’y est échangée).

5. Le 13 janvier, réunion spéciale du Conseil général, des évêques de la Fraternité et du délégué de Mgr Rangel où sont établis les principes qui nous guident dans la situation présente.

6. Le 16 janvier, nouvelle rencontre avec le cardinal Castrillon, pendant laquelle le Supérieur Général expose la nécessité de garanties de la part de Rome avant d’aller plus avant dans le concret d’éventuelles discussions ou accord :

• Que la messe tridentine soit accordée à tous les prêtres du monde entier.
• Que les censures qui frappent les évêques soient annulées.

Les principes qui nous guident à travers cette situation quelque peu nouvelle sont les suivants :

1. Rome étant l’auteur de la démarche, il est normal que la Fraternité l’examine avec le sérieux  qu’elle mérite.

2. Ayant devant les yeux d’une part l’exemple tout récent de la Fraternité Saint-Pierre, d’autre part la continuité de la ligne post conciliaire constamment réaffirmée par Rome, notre défiance est extrême.

3. La Fraternité n’a aucunement l’intention de modifier ses principes et sa ligne de conduite. Les fruits si abondants de grâces d’une part, le désastre conciliaire d’autre part ne font que renforcer sa détermination à conserver la Tradition catholique.

4. Si accord il y avait, il ne serait à envisager que dans la perspective de redonner à la Tradition son droit de cité, même si le triomphe final ne s’obtiendra que graduellement.

5. Les prières demandées aux membres de la Fraternité pendant un mois ne signifient pas du tout notre attente que tout soit réglé durant cette période ou dans une quelconque précipitation. Il s’agit d’un temps de prière où nous demandons plus intensément à Notre Dame qu’elle ouvre les Coeurs des responsables romains et des évêques, qu’elle nous fasse éviter tout piège et qu’elle fasse triompher dans l’Eglise les droits de son divin Fils.

Menzingen, 22 janvier 2001

+Bernard Fellay
On remarque, dans ce communiqué, la “ défiance extrême ” de la FSPX à l’égard des discussions engagées et, aussi, la froideur avec laquelle est évoquée la rencontre avec Jean-Paul II. On remarque aussi, a contrario, le caractère non-excessif des “ garanties ” demandées par la FSPX.

Sans évoquer la teneur des propositions, généreuses, faites par le Saint-Siège, on peut signaler que Mgr Fellay est venu exposer le 1er février dernier, aux prêtres de la FSPX de France (les plus nombreux dans la Fraternité), l’état actuel des discussions avec Rome.

Il semble que la grande majorité des prêtres de la FSPX voit favorablement  l’ouverture de ces négociations. Il n’en va pas de même des Dominicains d’Avrillé. Nul doute que si un accord avec Rome intervenait, certains prêtres de la FSPX, peu nombreux, le refuseraient, par principe. Déjà, il y a quelques mois, un prêtre qui avait quitté la FSPX, l’abbé Xavier Grossin, dénonçait les compromissions de Mgr Fellay avec Rome : “ A chaque visite du Supérieur Général au Vatican, un de ses prêtres fidèle au dogme de l’infaillibilité fait les frais de ces politesses en se faisant renvoyer. Il faut bien leur montrer de la bonne volonté en excluant les durs ” (Le Bastion de Saint-Maurice, 35360 Montauban-de-Bretagne, octobre 2000).

Ce même abbé Grossin, avec l’esprit de finesse qui le caractérise , dénonçait, dans une lettre, publiée sans signature dans la revue des Dominicains d’Avrillé (Sel de la terre, n° 31, hiver 1999-2000, Couvent de la Haye-aux-Bonhommes, 49240 Avrillé), “ les hérésies gnostiques avec leur cortège d’immoralité ” de “ monsieur Chiron ” et  disait prier pour sa “ véritable conversion ”...