21 mars 2004

[Aletheia n°54] Le R.P. Marie-Dominique Philippe et Mgr Lefebvre + L’abbé Aulagnier et le nouveau combat pour la messe + Revue des revues

Aletheia n°54 - 21 mars 2004
Le R.P. Marie-Dominique Philippe et Mgr Lefebvre
Sur le site de ce qu’il appelle sa “ Paroisse électronique ” (http://perso.wanadoo.fr/item.tradition), pour la semaine du 7 au 13 mars 2004, M. l’abbé Aulagnier a publié une “ Déclaration d’honneur ou profession  de foi ” dont nous extrayons le témoignage suivant, à valeur historique désormais :
“ Je me souviens d’une conversation que j’ai eue – un jour – avec Mgr Lefebvre. Nous étions en l’année universitaire 1970-1971, peut-être au printemps, je n’ai plus en mémoire la date exacte. Nous allions de Fribourg à Ecône. Je le conduisais dans ma modeste 2 CV. Il me parlait de la nouvelle attitude du RP Marie Dominique Philippe au sujet de la messe, de la réforme liturgique. Dieu sait si ce dernier s’était engagé dans la fondation du séminaire à Fribourg. Je le revois encore dans la bibliothèque privée du professeur Faÿ, dans son appartement à Fribourg, rue du Vieux Fribourg. Ils étaient cinq autour de la petite table de la bibliothèque. De la belle fenêtre, un peu moyenâgeuse, nous avions une belle vue sur la Sarine, la rivière qui longe la ville et égaye la campagne. Autour de la table, je revois le professeur, à gauche, Mgr Lefebvre, en face, le Père abbé d’Hauterives, le Révérend Père Marie-Dominique, devant lui. Un peu en retrait, votre serviteur et Monsieur l’abbé Piquet, un ami du séminaire français à Santa Chiara, que Monseigneur Lefebvre protégeait. C’était en juin 1969. Mgr Lefebvre exposait la situation de l’Eglise, du sacerdoce, la ruine de toute saine formation. Les deux religieux l’encourageaient à faire quelque chose, une fondation. Le Révérend Père Marie-Dominique, très vibrant, était admiratif, enthousiasmé. Il promettait ses services, son soutien. Le Père Abbé l’assurait de son accueil en son abbaye. Le Révérend Père Marie-Dominique  était particulièrement insistant.
Ainsi encouragé, Mgr Lefebvre décide de rendre visite à Mgr Charrière et de lui demander l’autorisation de faire, en son diocèse, une fondation. Ils se séparèrent. Le RP Marie-Dominique, je vois encore la scène comme si c’était hier, salue Mgr Lefebvre avec une affection, une estime, une émotion remarquables. Il se mit promptement à genou, du coude heurta la petite table, se raidit dans sa douleur et embrassa l’anneau épiscopal, voulant montrer ainsi son adhésion, déjà son action de grâces à une telle décision héroïque.
Le temps passa. Il tint parole un instant puis finit par douter de l’œuvre, de sa réussite ; à petits pas, se retira, discrètement. Cette discrétion est à son honneur. D’autres, en d’autres temps, n’ont pas su l’imiter…
La nouvelle messe fut promulguée, la prise de position de Mgr Lefebvre fut connue, rendue publique avant même le 2 juin 1971… Nous ne vîmes plus le bon Père… Et Mgr Lefebvre qui aimait les personnes, qui était fidèle en amitié, se lamentait – non – souffrait et se plaignait de la nouvelle attitude du R. P. Marie-Dominique : “ Il ne comprend pas. Ils ne comprennent pas l’importance de la messe. Elle est essentielle à l’Eglise. ” J’entends encore le ton de sa voix. Vous imaginez si cette phrase est restée dans mon cœur.
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L’abbé Aulagnier et le nouveau combat pour la messe
De la même “ Déclaration ”, j’extrais un autre passage, plus actuel, où M. l’abbé Aulagnier exprime sa position sur la nature du combat à mener, aujourd’hui, en faveur de la messe traditionnelle. Un combat qui doit prendre en compte les évolutions perceptibles du Saint-Siège.
Redonnez la Messe à l’Eglise, vous lui redonnez son âme, sa vie.
Redonnez la Messe à l’Eglise, vous lui redonnez sa doctrine. Vous verrez alors de nouveau “ s’étendre le règne de Notre Seigneur Jésus-Christ en ce monde ” (lettre de Mgr Lefebvre à Paul VI, le 17 juillet 1976).
Redonnez la liberté à la Messe catholique et vous rendez – ipso facto – leurs justes conceptions aux idées falsifiées devenues les idoles de l’homme moderne : la liberté, l’égalité, la fraternité, la démocratie. Pourquoi ? Parce que la messe est hiérarchique. Parce que la messe est le mode sublime de l’adoration que tout cœur humain doit à Dieu. (…)
Vous comprenez pourquoi nous sommes attachés à cette messe, pourquoi nous voulons vivre de cette messe et chercherons toujours à la mieux comprendre.
Et c’est ainsi que l’on peut dire que la liberté de la messe dite de Saint Pie V dans l’Eglise est en proportion de la pureté de la doctrine librement exprimée par la hiérarchie catholique.
Elle est totale dans le cœur de Mgr Lefebvre. Il s’en fait le juste défenseur.
Elle est totale dans le cœur de Mgr de Castro Mayer. Il s’en fait le juste Héraut.
Elle est maintenant totale dans le cœur de Mgr Lazo, des Philippines. Il en redevient son libre apologiste.
Qui potest capere capiat.
Et c’est pourquoi tout effort, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, pour rendre à la Messe catholique, dite de saint Pie V, sa place dans l’Eglise, est digne d’intérêt, de joie et d’attention, de reconnaissance La prudence, bien sûr, s’impose après trente ans d’efforts pour la faire disparaître.
Et ne pas voir ces efforts et cette évidente évolution dans l’Eglise aujourd’hui tient de la cécité.
Et l’on connaît les dangers de suivre un aveugle…
Aussi me suis-je réjoui profondément à la lecture des conférences du cardinal Stickler publiées par le CIEL.
Aussi me suis-je réjoui à la publication des livres récents du cardinal Ratzinger dans lesquels il prend la défense du rite tridentin et dans lesquelles il dit que doit cesser ce conflit contre la “ messe tridentine ” :
“ Pour la formation de la conscience dans le domaine de la liturgie, il est important aussi de cesser de bannir la forme de la liturgie en vigueur jusqu’en 1970. Celui qui, à l’heure actuelle, intervient pour la validité de cette liturgie ou qui la pratique, est traité comme un lépreux : c’est la fin de toute tolérance. Elle est telle qu’on n’en a pas connue durant toute l’histoire de l’Eglise. On méprise par là tout le passé de l’Eglise. Comment pourrait-on avoir confiance en elle au présent s’il en est ainsi. J’avoue aussi que je ne comprends pas pourquoi beaucoup de mes confrères évêques se soumettent à cette loi d’intolérance qui s’oppose aux réconciliations nécessaires dans l’Eglise sans raison valable. ” (Card. Ratzinger, Voici quel est notre Dieu. p. 291)
Aussi me suis-je réjoui profondément quand je me suis aperçu que ce désir exprimé par la hiérarchie s’intensifiait pour devenir même une résolution ferme, constante et répétée. C’est encore le cardinal Ratzinger qui affirme dans son livre Le Sel de la terre  :
 “ Je suis certes d’avis que l’on devrait accorder beaucoup plus généreusement à tous ceux qui le souhaitent le droit de conserver l’ancien rite. On ne voit d’ailleurs pas ce que cela aurait de dangereux ou d’inacceptable. Une communauté qui déclare soudain strictement interdit ce qui était jusqu’alors pour elle tout ce qu’il y avait de plus sacré et de plus haut, et à qui l’on présente comme inconvenant le regret qu’elle en a, se met elle-même en question. Comment la croirait-on encore ? Ne va-t-elle pas interdire demain ce qu’elle prescrit aujourd’hui ?...Malheureusement la tolérance envers des fantaisies aventureuses est chez nous presque illimitée, mais elle est pratiquement inexistante envers l’ancienne liturgie. On est sûrement ainsi sur le mauvais chemin. ” (Le Sel de la terre, p. 172-173)
Aussi n’est-il pas étonnant d’avoir vu, enfin, un cardinal, le Cardinal Castrillon Hoyos, célébrer à Rome, sur un autel papal, à Sainte Marie-Majeure, la messe tridentine, le 24 mai 2003. Je m’en suis réjoui.
Car je voyais en cet acte la confirmation du bon droit pour la Messe catholique tridentine de retrouver toute sa place et sa liberté dans l’Eglise.
Et ne fut-ce l’interdiction de mon supérieur, j’aurais été en bonne place en cette basilique pour exprimer ma joie et ma reconnaissance, ainsi que mon soutien à cet effort vrai de la hiérarchie catholique, lui proposant main “ cordiale ”, humble et déférente pour l’aider dans cet effort de restauration liturgique.
Telles sont mes résolutions clairement exprimées…
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Revue des revues
. AVE (Nieuwsbrief over Actuele Verschijningen) publie, en néerlandais, dans son numéro 13, mars 2004, des textes intéressants et documentés sur les pseudo révélations de Maria Valtorta. On trouve de nouveaux échos sur différentes supposées apparitions mariales contemporaines. Et aussi, la reproduction des décrets, en latin, qui mettaient en garde les fidèles, dans les années 1950 et 1960, contre les supposées apparitions de “ Notre-Dame de tous les peuples ” à Amsterdam ; apparitions désormais reconnues au niveau diocésain.
La revue, qui paraît quatre fois par an sur 24 pages, peut être obtenue gratuitement en écrivant à AVE : Kapittelweg 11, NL – 1216 HR Hilversum.
. La revue Le Sel de la terre (Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, 49240 Avrillé), par un supplément gratuit de quatre pages, et le bulletin Lecture et Tradition, dans son n° 324 (B.P. 1, 86190 Chiré-en-Montreuil, 5 euros), ont répondu au livre de Paul Sernine (La Paille et le sycomore). Etienne Couvert dénonce les analyses de Paul Sernine comme une “ imposture ”. “ Je n’ai jamais écrit ni pensé que la clé de toute erreur c’était la gnose ! ” affirme-t-il.
L’abbé de Tanoüarn répond à Alétheia
Hormis les deux publications qu’il dirige (Certitudes et Pacte), Monsieur l’abbé de Tanoüarn se dispense en de nombreux lieux, pour des articles, des conférences ou des colloques. Dans Mascaret, le “ Bulletin mensuel des Catholiques girondins ” (19 avenue De Gaulle, 33520 Bruges, 1,50 euros le numéro), il répond à la recension de son dernier livre parue ici le 8 février.
Parce qu’elle éclaire très utilement le débat, je crois utile de reproduire ici cette réponse.  La forte argumentation de M. l’abbé de Tanoüarn est de discerner dans l’enseignement de Vatican II, et depuis Vatican II, non pas une nouvelle foi, donc des hérésies, mais une “ nouvelle religion ”. S’explique ainsi la persistance de la déchristianisation et de la crise de l’Eglise qu’aucune profession de foi explicite et catholique (comme le fameux Credo de Paul VI, en 1968) ne suffit à enrayer. C’est “ l’ordre philosophique ”, dit l’abbé de Tanoüarn, qui est en jeu.

20 mars 2004

[Abbé G. de Tanoüarn - Le Mascaret] Réponse amicale à Yves Chiron sur « Vatican II et l'Évangile »

Abbé G. de Tanoüarn - Le Mascaret - repris de "La Palombière" - Mars 2004

Dans notre microcosme traditionnel, une recension d'Yves Chiron est toujours un événement. En faire soi-même l'objet est un honneur redoutable, tant le recenseur cultive l'acribie, en particulier lorsqu'il écrit, sans contrainte éditoriale, dans son Bulletin personnel, Alétheia. Il m'avait annoncé depuis longtemps qu'il publierait quelque chose sur mon livre Vatican II et l'Évangile. C'est chose faite, dans le dernier numéro de ce Bulletin, daté du 8 février.

Je passe sur les compliments, qu'Yves Chiron ne me ménage pas, je l'en remercie... Il a bien entendu identifié ce qui fait le coeur de ma démonstration : la distinction entre l'objet de la foi (que Vatican II n'a pas entamé) et la réception que l'on en attend du fidèle (que Vatican II a complètement bouleversée). J'ai appelé "religion nouvelle", cette nouvelle réception de la foi, cette nouvelle relation du croyant à l'objet de sa foi. J'ai tenté d'expliquer que l'identité de la foi était complètement modifiée par une nouvelle "règle de la foi" enseignée à Vatican II, qui se présente comme une sorte de préalable philosophique, définissant l'esprit dans lequel on doit croire désormais. 

Cette nouvelle règle de la foi n'est pas directement susceptible de la qualification d'hérésie, puisqu'elle est intrinsèquement philosophique. On peut la présenter, selon les travaux du Symposium de Paris, en... trois points.

Quels sont-ils ? Vatican II enseigne le plus officiellement du monde la liberté de conscience, dans le sens restreint où Grégoire XVI l'avait condamnée comme "un délire" : premier point. Vatican II enseigne le service de l'homme, c'est-à-dire l'inversion de la divine charité (l'homme au service de Dieu), deuxième point. Vatican II enseigne l'unité spirituelle du genre humain, notion que l'on ne trouve sûrement pas dans l'Evangile mais plutôt dans les Constitutions d'Anderson, et autres documents de la Maçonnerie primitive.

Ces trois éléments construisent, dans leur accord réciproque, ce que l'on peut nommer, faute d'une expression plus précise, la "religion de Vatican II". On pourrait les appeler des 'dogmes' au sens restreint où l'on parlait autrefois des dogmata philosophorum ; ce sont les nouveaux lieux communs de la rhétorique religieuse, on les retrouve dans le moindre sermon, dans la moindre feuille, les prêtres en fonction doivent faire allégeance à ces nouveaux principes, dont la référence est obligatoire partout, ce sont les caractéristiques spéculatives de la nouvelle religion. Ils contredisent frontalement aux exigences de la transmission de la foi et donc à la religion catholique, qui a transmis jusqu'à nous la parole que les apôtres avaient reçue du Christ. Au risque de paraître péremptoire, je me contente ici d'affirmer ce que j'ai tenté de prouver dans mon livre...

Mais je suis surpris de ce qu'en comprend Yves Chiron, dans sa recension-vérité. A deux reprises, il affirme que cette "nouvelle religion" « n'est pas le contraire de la religion catholique mais une nouvelle façon de concevoir et de vivre cette religion ». Cela fait perdre toute force à mon diagnostic. Il est bien évident que chaque époque a sa manière de « concevoir et de vivre le christianisme », dans une foi inchangée. Autre est la vie chrétienne au temps des martyrs, autre au temps des bourgeois, autre dans le totalitarisme soft qui conditionne aujourd'hui notre mental...

J'avais écrit quant à moi : cette nouvelle religion n'est pas le contraire de la foi catholique, puisqu'elle est d'un autre ordre (essentiellement philosophique). Mais elle contredit le dynamisme surnaturel de sa transmission, parce qu'elle renie l'autorité de la Parole de Dieu sur nos consciences d'animaux pas très raisonnables. Et ainsi, disais-je, « en oubliant méthodiquement l'autorité de la parole transmise, les Pères conciliaires ont laissé aux générations de chrétiens à venir une parole sans nerf, sans énergie, sans ressort, une belle image que l'on s'empresse d'oublier comme toutes les images. Il ne faut pas s'étonner si la déchristianisation est et sera toujours proportionnelle à la diffusion de ce concile. Avec les meilleures intentions du monde, les Pères conciliaires ont créé le désert, en éteignant dans la Parole dont ils avaient la garde ce feu sacré de l'autorité qui la profère et qui la garantit ».

Le Concile n'induit donc pas seulement « une nouvelle manière de concevoir et de vivre la religion catholique » mais une nouvelle religion, qui sans être contraire à l'objet matériel de la foi, est contraire au dynamisme religieux à travers lequel elle se diffuse... Bossuet, dans la célèbre oraison funèbre de Henriette d'Angleterre avait compris par avance le drame qui se préparait déjà à l'époque, drame d'un « christianisme de plain-pied », comme il disait, qui est la négation pratique du christianisme réel.


Guillaume de Tanouärn +