30 octobre 1998

[Lebry Léon Francis - Fraternité Matin (Côte d'Ivoire)] "Bénédiction de l'Eglise Coeur Immaculé de Marie à Ecône (Suisse) - Un rêve de 25 ans devenu réalité"

Lebry Léon Francis - Fraternité Matin (Côte d'Ivoire)] - octobre 1998

Une belle église de style roman, en forme de croix qui s'élève enfin dans le ciel d'Ecône, 25 ans après que le fondateur de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X l'eut appelée de tous ses voeux. Une cérémonie de bénédiction aussi solennelle que simple. Une multitude de catholiques traditionalistes du Valais Suisse et d'autres pays d'Europe venus communier à la fête du troisième acte majeur (après la fondation du séminaire en 1970 et les sacres de quatre évêques en 1988) posé par Mgr Marcel Lefebvre. Le bel hommage que voilà à l'ancien prêtre français, missionnaire au Gabon (de 1932 à 1945), vicaire apostolique du Sénégal et archevêque de Dakar en 1947 (jusqu'en 1962) et dès l'année suivante nommé par le Pape Pie XII, délégué apostolique pour l'Afrique française, évêque de Tulle (France) et Supérieur général de la congrégation des Pères du Saint-Esprit et enfin Supérieur général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X qu'il a créé dès 1970. Sous les yeux de tous ces témoins de l'évênement (les fidèles, les journalistes et les photographes en grand nombre et soit environ 3000 personnes) et sous la présidence de Mgr Bernard Felly, actuel responsable du séminaire s'est déroulé ce que ceux-ci ont considéré à Ecône comme "le couronnement de la croisade de Mgr Lefebvre". Mgr Fellay qui en avait posé la première pierre en janvier 1995, a béni ce dimanche 10 octobre 1998, l'église consacrée au Coeur Immaculé de Marie. D'un coût de 12 millions de francs suisses (4,8 milliards de FCFA), celle-ci se compose principalement d'une nef de 400 places, de deux transepts en forme de bras de croix pouvant accueillir 140 séminaristes et prêtres de chaque côté de l'autel et où les choeurs pour la cérémonie alternaient des chants d'action de grâce, une tribune de 100 places, une crypte avec six autels, une sacristie, un cloître pour les religieuses et un cloître pour les pélerins. Le tout établi sur un volume bâti de 18.400 m3, avec des surfaces de plancher de 3.120 m2.

C'est donc cette église de style traditionnel qui rappelle les temps anciens, ces temps de chrétienté qui témoignaient de la vivacité de la foi catholique et inspiraient la présence de la majesté divine, qui reçut l'aspersion d'eau bénite des murs extérieurs et intérieurs et de l'autel, avant qu'y soit célébrée la Sainte Messe, point culminant de la cérémonie. Toute église, catholique ou basilique est toujours consacrée par la messe. Selon la liturgie traditionnelle et avec solennité, Mgr Bernard Fellay, l'a célébrée en présence de ses confrères de la Fraternité (Nos seigneurs Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson et Alfonso de Galareta), les prêtres, les séminaristes et les fidèles.

Le prélat, dans une homélie où la charge émotionnelle le disputait à la profondeur de la signification de l'événement, a rappelé le bonheur pour les siens d'avoir pu enfin réaliser cette "maison de Dieu et porte du ciel" et de la placer aussi sous la protection du "Coeur de la mère de Dieu, un coeur rempli de charité indicible". Pour qui, espère-t-il, "sera abondamment récité le Rosaire et pratiquées la méditation et la contemplation de la vie de Notre Seigneur Jésus Christ".

Mgr Fellay n'a pas manqué non plus d'ajouter à la joie de la cérémonie de bénédiction, "le souvenir des sacres de 1988" qu'il a qualifié d'"acte audacieux et geste héroïque" de la part de Mgr Lefebvre. Au total, une église solide comme la Tradition, bâtie par l'architecte Valaisan Félix Porcellana, 25 ans après son annonce par le fondateur de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X.

Lebry Léon Francis - Envoyé spécial à Ecône (Suisse)

26 octobre 1998

[Jean-Paul II] Discours pour le 10ème anniversaire du Motu proprio Ecclesia Dei

Jean-Paul II - 26 octobre 1998

Discours prononcé à Rome
Je vous salue cordialement, chers pèlerins qui avez tenu à venir à Rome à l'occasion du dixième anniversaire du motu proprio Ecclesia Dei, pour affermir et renouveler votre foi au Christ, et votre fidélité à l'Église. Chers amis, votre présence auprès du « Successeur de Pierre à qui revient en premier de veiller à l'unité de l'Église » (Conc. œcum. Vat. I, Constitution dogmatique I Pastor æternus) est particulièrement significative.

Pour sauvegarder le trésor que Jésus lui a confié et en étant résolument tournée vers l'avenir, l'Église a le devoir de réfléchir en permanence sur son lien avec la Tradition qui nous vient du Seigneur par les Apôtres, telle qu'elle s'est constituée tout au long de l’histoire. Selon l'esprit de conversion de la lettre apostolique Tertio millennio adveniente (nn. 14, 32, 34, 50), j'exhorte tous les catholiques à faire des gestes d'unité et à renouveler leur adhésion à l'Église, pour que la légitime diversité et les différentes sensibilités, dignes de respect, ne les séparent pas les uns des autres, mais les poussent à annoncer ensemble l'Évangile ; ainsi, stimulés par l'Esprit qui fait concourir tous les charismes à l'unité, tous pourront glorifier le Seigneur et le salut sera proclamé à toutes les nations.

Je souhaite que tous les membres de l’Église demeurent les héritiers de la foi reçue des Apôtres, dignement et fidèlement célébrée dans les saints mystères, avec ferveur et beauté, afin de recevoir de manière croissante la grâce (cf. Conc. œcum. de Trente, session VII, 3 mars 1547, Décret sur les sacrements) et de vivre une relation intime profonde avec la divine Trinité. Tout en confirmant le bien fondé de la réforme liturgique voulue par le Concile Vatican II et mise en œuvre par le Pape Paul VI, l’Église donne aussi un signe de compréhension aux personnes « attachées à certaines formes liturgiques et disciplinaires antérieures » (Motu proprio Ecclesia Dei, n. 5). C’est dans cette perspective que l’on doit lire et appliquer le Motu proprio Ecclesia Dei ; je souhaite que tout soit vécu dans l’esprit du Concile Vatican II, dans la pleine harmonie avec la Tradition, visant l’unité dans la charité et la fidélité à la Vérité.

C'est sous « l'action de l'Esprit Saint, par laquelle le troupeau du Christ tout entier se maintient et progresse dans l'unité de la foi »  (Conc. œcum. Vat. II, Constitution dogmatique Lumen gentium, n. 25), que le Successeur de Pierre et les évêques, successeurs des Apôtres, enseignent le mystère chrétien ; de manière toute particulière, les évêques, réunis en Conciles œcuméniques cum Petro et sub Petro, confirment et affermissent la doctrine de l'Église, héritière fidèle de la Tradition existant déjà depuis près de vingt siècles comme réalité vivante qui progresse, donnant un élan nouveau à l'ensemble de la communauté ecclésiale. Les derniers Conciles œcuméniques - Trente, Vatican I, Vatican II - se sont particulièrement attachés à éclairer le mystère de la foi et ont entrepris des réformes nécessaires pour le bien de l'Église, dans le souci de la continuité avec la Tradition apostolique, déjà recueillie par saint Hippolyte.

Il revient donc en premier lieu aux évêques, en communion avec le Successeur de Pierre, d'exercer avec fermeté et charité la conduite du troupeau, pour que la foi catholique soit partout sauvegardée (cf. Paul VI, Exhortation apostolique Quinque iam anni ; Code de Droit canonique, can. 386) et dignement célébrée. En effet, selon les formules de saint Ignace d'Antioche, « là où est l'évêque, là aussi est l'Église » (Lettre aux Smyrniotes, VIII, 2). J'invite aussi fraternellement les évêques à avoir une compréhension et une attention pastorale renouvelée aux fidèles attachés à l'ancien rite et, au seuil du troisième millénaire, à aider tous les catholiques à vivre la célébration des saints mystères avec une dévotion qui soit un véritable aliment pour leur vie spirituelle et qui soit source de paix.

En vous confiant à l'intercession de la Vierge Marie, parfait modèle de la sequela Christi et Mère de l'Église, chers Frères et Sœurs, je vous accorde la Bénédiction apostolique, ainsi qu'à tous ceux qui vous sont chers.

Herzlich grüße ich alle Pilger, die anläßlich der zehn Jahre des Motu Proprio Ecclesia Dei zu den Gräbern der Apostelfürsten nach Rom gekommen sind. Gerne erteile ich Euch und allen Euren Lieben daheim den Apostolischen Segen

I warmly welcome the English-speaking pilgrims who have come to venerate the Tombs of the Apostles on the occasion of the Tenth Anniversary of the Motu Proprio Ecclesia Dei. Upon you and your families, I invoke the Almighty God’s abundant blessings.

S.S. Jean-Paul II

24 octobre 1998

[Cardinal Joseph Ratzinger] Dix ans du motu proprio "Ecclesia Dei"

Cardinal Joseph Ratzinger - 24 octobre 1998

Discours prononcé à Rome

Dix ans après la publication du Motu proprio " Ecclesia Dei ", quel bilan peut-on dresser ? Je pense que c'est avant tout une occasion pour montrer notre gratitude et pour rendre grâces. Les diverses communautés nées grâce à ce texte pontifical ont donné à l'Eglise un grand nombre de vocations sacerdotales et religieuses qui, zélées, joyeuses et profondément unies au Pape, rendent leur service à l'Evangile dans cette époque de l'histoire, qui est la nôtre. Par eux, beaucoup de fidèles ont été confirmés dans la joie de pouvoir vivre la liturgie, et dans leur amour envers l’Eglise ou peut-être ils ont retrouvé les deux. Dans plusieurs diocèses - et leur nombre n'est pas si petit ! - ils servent l’Eglise en collaboration avec les évêques et en relation fraternelle avec les fidèles, qui se sentent chez eux dans la forme rénovée de la liturgie nouvelle. Tout cela ne peut que nous inciter aujourd'hui à la gratitude !

Cependant, il ne serait pas très réaliste de vouloir passer sous silence les choses moins bonnes : qu'en maints endroits les difficultés persistent et continuent à persister, parce que tant les évêques que les prêtres et les fidèles considèrent cet attachement à la liturgie ancienne comme un élément de division, qui ne fait que troubler la communauté ecclésiale et qui fait naître des soupçons sur une acceptation du concile "sous réserve seulement", et plus généralement sur l'obéissance envers les pasteurs légitimes de l’Eglise.

Nous devons donc nous poser la question suivante : comment ces difficultés peuvent être dépassées ? Comment peut-on construire la confiance nécessaire pour que ces groupes et ces communautés qui aiment l'ancienne liturgie puissent être intégrés paisiblement dans la vie de l'Eglise ?

Mais il y a une autre question sous-jacente à la première : quelle est la raison profonde de cette méfiance ou même de ce refus d'une continuation des anciennes formes liturgiques?

Il est sans doute possible que, dans ce domaine, existent des raisons qui sont antérieures à toute théologie et qui ont leur origine dans le caractère des individus ou dans l'opposition des caractères divers, ou bien dans d'autres circonstances tout à fait extérieures. Mais il est certain qu'il y a aussi des raisons plus profondes, qui expliqueraient ces problèmes. Les deux raisons qu'on entend le plus souvent, sont le manque d'obéissance envers le concile qui aurait réformé les livres liturgiques, et la rupture de l'unité qui devrait suivre nécessairement, si on laissait en usage des formes liturgiques différentes. Il est relativement facile de réfuter théoriquement ces deux raisonnements : le concile n'a pas reformé lui-même les livres liturgiques, mais il en a ordonné la révision et, à cette fin, a fixé quelques règles fondamentales. Avant tout, le concile a donné une définition de ce qui est la liturgie, - et cette définition donne un critère valable pour chaque célébration liturgique. Si l’on voulait mépriser ces règles essentielles et si l'on voulait mettre de coté les "normae generales", qui se trouvent aux numéros 34-36 de la Constitution "De Sacra Liturgia", - alors là, on violerait l'obéissance envers le concile ! C'est donc d'après ces critères qu'il faut juger les célébrations liturgiques, qu'elles soient selon les livres anciens ou selon les livres nouveaux. Il est bon de rappeler ici, ce qu'a constaté le Cardinal Newman qui disait que l'Eglise, dans toute son histoire, n'avait jamais aboli ou défendu des formes liturgiques orthodoxes, ce qui serait tout à fait étranger à l’Esprit de l'Eglise. Une liturgie orthodoxe, c’est-à-dire qui exprime la vraie foi, n'est jamais une compilation faite selon des critères pragmatiques de diverses cérémonies, dont on pourrait disposer de manière positiviste et arbitraire. - aujourd’hui comme ça et demain autrement. Les formes orthodoxes d'un rite sont des réalités vivantes, nées du dialogue d'amour entre l'Eglise et son Seigneur, - sont des expressions de la vie de l’Eglise, où se sont condensées la foi, la prière et la vie même de générations, et où se sont incarnées dans une forme concrète en même temps l'action de Dieu et la réponse de l’homme. De tels rites peuvent mourir, si le sujet qui les a portés historiquement disparaît, ou si ce sujet s'est inséré dans un autre cadre de vie. L’autorité de l'Eglise peut définir et limiter l'usage des rites dans des situations historiques diverses, - mais jamais elle ne les défend purement et simplement ! Ainsi, le concile a ordonné une réforme des livres liturgiques, mais il n'a pas interdit les livres antérieurs. Le critère que le concile a exprimé, est à la fois plus vaste et plus exigeant : il invite tous à l’autocritique ! Mais nous reviendrons sur ce point.

Il faut encore examiner l'autre argument, qui prétend que l'existence de deux rites peut briser l'unité. Là, il faut faire une distinction entre le côté théologique et le côté pratique de la question. Pour ce qui est du côté théorique et fondamental, il faut constater que plusieurs formes du rite latin ont toujours existé, et qu'ils se sont retirés seulement lentement suite à l'unification de l'espace de vie en Europe. Jusqu’au concile existaient, à côté du rite romain, le rite ambrosien, le rite mozarabe de Tolède, le rite de Braga, le rite des Chartreux et des Carmes, et le plus connu : le rite des dominicains, - et peut-être d'autres rites encore que je ne connais pas. Personne ne s’est jamais scandalisé, que les dominicains, souvent présents dans nos paroisses, ne célébraient pas comme les curés, mais avaient leur rite propre. Nous n’avions aucun doute, que leur rite fût catholique autant que le rite romain, et nous étions fiers de cette richesse d'avoir plusieurs traditions diverses. En outre, il faut dire ceci : l'espace libre, que le nouvel Ordo Missae donne à la créativité, est souvent élargi excessivement, la différence entre la liturgie selon les livres nouveaux, comme elle est pratiquée en fait, célébrée en des endroits divers, est souvent plus grande que celle entre une liturgie ancienne et une liturgie nouvelle, célébrées toutes les deux selon les livres liturgiques prescrits. Un chrétien moyen sans formation liturgique spéciale a du mal à distinguer une messe chantée en latin selon l'ancien Missel d'une messe chantée en latin selon le nouveau Missel ; par contre, la différence entre une liturgie célébrée fidèlement selon le Missel de Paul VI et les formes et les célébrations concrètes en langue vulgaire avec toutes les libertés et créativités possibles, - cette différence peut être énorme !

Avec ces considérations nous avons déjà franchi le seuil entre la théorie et la pratique, où les choses sont naturellement plus compliquées, puisqu'il s'agit des relations entre des personnes vivantes.

Il me semble, que les aversions dont nous avons parlé sont si grandes parce qu'on met en relation les deux formes de célébration avec deux attitudes spirituelles différentes, à savoir avec deux manières différentes de percevoir l’Eglise et l'existence chrétienne tout court. Les raisons pour cela sont multiples. La première est celle-ci : on juge les deux formes liturgiques à partir des éléments extérieurs et on arrive ainsi à la conclusion suivante : il y a deux attitudes fondamentales différentes. Le chrétien moyen considère essentiel pour la liturgie rénovée, qu'elle soit célébrée en langue vulgaire et face au peuple, qu'il y existe un grand espace libre pour le créativité et que les laïcs y exercent des fonctions actives. Par contre : est considéré essentiel pour la célébration selon le rite antique, qu’elle se dise en langue latine, que le prêtre soit tourné vers l'autel, que le rite soit prescrit sévèrement et que les fidèles suivent la messe en priant en privé, sans avoir une fonction active. Dans cette optique, la phénoménologie est essentielle pour une liturgie, non pas ce qu'elle considère elle-même comme essentiel. Il fallait s'attendre à ce que les fidèles s’expliquent la liturgie à partir des formes concrètes visibles et qu’ils soient imprégnés spirituellement par ces formes-là, et que les fidèles ne pénètrent pas facilement dans les profondeurs de la liturgie.

Les contradictions et oppositions que nous venons d’énumérer, ne proviennent ni de l'esprit ni de la lettre des textes conciliaires. La Constitution sur la Liturgie elle-même ne parle pas du tout de la célébration face à l’autel ou face au peuple. Et au sujet de la langue, elle dit que le latin doit être conservé tout en donnant une place plus large à la langue maternelle, "surtout dans les lectures, les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants (36,2)". Quant à la participation des laïcs, le concile insiste d'abord en général que la liturgie est essentiellement l'affaire du Corps du Christ tout entier, Tête et membres, et que pour cette raison, elle appartient au Corps tout entier de l'Eglise "et qu'elle est par conséquent destinée à être célébrée en communauté avec participation active des fidèles". Et le texte précise : "Dans les célébrations liturgiques chacun, ministre ou fidèle, en s’acquittant de sa fonction, fera seulement et totalement ce qui lui revient en vertu de la nature de la chose et des normes liturgiques" (28). "Pour promouvoir la participation active, on favorisera les acclamations du peuple, les réponses, le chant des psaumes, les antiennes, les cantiques et aussi les actions ou gestes et les attitudes corporelles. On observera aussi en son temps un silence sacré" (30).

Voilà les directives du concile ; à tous elles peuvent donner matière à réflexion. Parmi un nombre de liturgistes modernes il y a malheureusement une tendance à développer les idées du concile dans une seule direction ; en agissant ainsi, on finira par renverser les intentions du concile. La position du prêtre est réduite par quelques-uns au pur fonctionnel. Le fait que le Corps du Christ tout entier est le sujet de la liturgie, est souvent déformé au point que la communauté locale devient le sujet autosuffisant de la liturgie et en distribue les divers rôles. Il existe aussi une tendance dangereuse à minimaliser le caractère sacrificiel de la Messe et de faire disparaître le mystère et le sacré, sous le prétexte, soi-disant impératif, de se faire comprendre plus facilement. Enfin, on constate la tendance à fragmenter la liturgie et à souligner unilatéralement son caractère communautaire, en donnant à l'assemblée le pouvoir de décider sur la célébration.

Mais heureusement, il y a aussi un certain dégoût du rationalisme plein de banalité et du pragmatisme de certains liturgistes, soient-ils théoriciens ou praticiens, et on constate un retour au mystère, à l'adoration et au sacré, et au caractère cosmique et eschatologique de la liturgie, dont témoigne la "Oxford-Declaration on Liturgy" de 1996. D'autre part, il faut admettre que la célébration de l'ancienne liturgie s'était égarée trop dans le domaine de l'individualisme et du privé, et que la communion entre prêtre et fidèles était insuffisante. J'ai un grand respect pour nos aïeux, qui disaient durant les messes basses les "Prières pendant la messe", que leur livre de prières proposait, - mais certainement on ne peut considérer cela comme l'idéal de la célébration liturgique ! Peut-être, ces formes réduites de célébration sont la raison profonde pour laquelle la disparition des livres liturgiques anciens n'a eu aucune importance dans beaucoup de pays et n'a causé aucune douleur. On n'a jamais été en contact avec la liturgie elle-même. D’autre part, là où le Mouvement liturgique avait créé un certain amour pour la liturgie, - là où ce mouvement avait anticipé les idées essentielles du concile, comme par exemple la participation priante de tous à l'action liturgique, - là était plus grande la douleur face à une réforme liturgique entreprise trop en hâte et se limitant souvent à l'aspect extérieur. Là où le Mouvement liturgique n'a jamais existé, la réforme n'a d'abord pas posé de problème. Les problèmes se sont posés seulement de façon sporadique là où une créativité sauvage a fait disparaître le mystère sacré.

Voilà pourquoi il est si important d’observer les critères essentiels de la Constitution sur la Liturgie, que j'ai cités plus haut, aussi si l’on célèbre selon le Missel ancien ! Au moment où cette liturgie touche vraiment les fidèles par sa beauté et sa profondeur, alors elle sera aimée, et alors elle ne sera pas en opposition inconciliable avec la Liturgie nouvelle, - pourvu que ces critères soient vraiment appliqués comme le concile l'a voulu.

Des accents spirituels et théologiques différents continueront, certes, à exister, - mais ils ne seront plus deux manières opposées d’être chrétien, mais plutôt des richesses qui appartiennent à la même et unique foi catholique.

Lorsque, il y a quelques années, quelqu'un avait proposé "un nouveau mouvement liturgique" pour éviter que les deux formes de liturgie ne s'éloignent trop l'une de l'autre et pour mettre en évidence leur convergence intime, - alors quelques amis de l'ancienne liturgie ont exprimé leur peur, que ceci ne soit qu'un stratagème ou une ruse, pour pouvoir éliminer enfin complètement l'ancienne liturgie.

Il faut que de telles anxiétés et peurs cessent enfin ! Si dans les deux formes de célébration l'unité de la foi et l'unicité du mystère apparaissent clairement, cela ne peut qu'être pour tous une raison de se réjouir et de remercier le Bon Dieu. Dans la mesure où nous tous croyons, vivons et agissons selon ces motivations, nous pourrons aussi persuader les évêques, que la présence de l'ancienne liturgie ne dérange et ne brise pas l'unité de leur diocèse, mais qu’elle est plutôt un don destiné à construire le Corps du Christ, dont nous sommes tous les serviteurs.

Ainsi chers amis, je voudrais vous encourager à ne pas perdre patience, - à conserver la confiance, - et à puiser dans la liturgie la force nécessaire pour donner notre témoignage pour le Seigneur en notre temps.

Joseph Cardinal Ratzinger