29 juin 2001

[Aletheia n°16] Emile Poulat, fin observateur du catholicisme + Jean XXIII: la controverse des traductions

Aletheia n°16 - 29 juin 2001
I. EMILE POULAT, FIN OBSERVATEUR DU CATHOLICISME
Emile Poulat a fait, depuis un demi-siècle, du catholicisme “ un objet de science ”. Ce n’était une évidence, ni pour les théologiens, ni pour les hommes d’Eglise, qui eurent du mal à accepter ses  analyses historiques, sociologiques et distanciées, froides pour ainsi dire, du modernisme, du dossier des prêtres-ouvriers, des variations du catholicisme contemporain. La démarche d’Emile Poulat fut difficilement comprise aussi de l’Université qui fut d’abord étonnée qu’on étudie, dans une perspective historique, des phénomènes en mouvement, en vie.
Aujourd’hui, l’oeuvre d’Emile Poulat s’impose par son acribie exceptionnelle. Je ne rappelerai pas ses nombreux livres et je renverrai, pour une bibliographie complète (du moins, à la date de parution...), au volume collectif d’études et de témoignages qui est paru il y a quelque temps : Un objet de science, le catholicisme : réflexions  autour de l’oeuvre d’Emile Poulat, Paris, Bayard, 2001, 288 pages, 198 F.
On doit signaler aussi le dernier numéro de France Catholique (60 rue de Fontenay, 92350 Le Plessis-Robinson, numéro du 29 juin 2001, 20 F) qui fait sa une avec une belle photographie d’Emile Poulat et publie une longue - sept pages - et intéressante interview. Pour inviter les lecteurs à lire ce passionnant entretien, je n’en citerai que quelques extraits qui incitent à la réflexion :
“ D’une certaine manière, le premier vrai successeur de Léon XIII est Jean-Paul II. ”
“ Le catholicisme français s’est longtemps pensé comme un modèle pour le monde. Il est convaincu que le concile Vatican II est son oeuvre, celle de ses experts. Comme j’ai rencontré beaucoup d’autres personnes qui sont persuadées avoir fait le concile, il y a un peu d’illusions et beaucoup de prétention. L’illusion va loin, car lorsqu’il y a différences d’interprétations, si l’on s’éloigne de l’interprétation qui est la vôtre, on dit que le Concile se pervertit.”
“ On dit que le Concile s’est ouvert à la modernité : or dans l’index des actes du Concile, le mot modernité ne figure pas, ni le mot modernisme. Cinq fois l’adjectif moderne mais dans un sens tout à fait banal. Il faudrait revenir aux textes. Soyons clairs : par qui a été fait le Concile ? Par des évêques formés sous Pie XII et certains encore sous Pie XI, qui n’étaient pas réputés pour leur modernité. Comment auraient-ils pu devenir subitement les héros d’une église progressiste ? ”
“ Après des générations qui ont déserté, voici ces nouvelles générations habitées religieusement, voyez la fréquentation des églises : Notre-Dame qui était vide est à nouveau pleine. (...) J’ai connu le centre historique de Paris au temps où il était religieusement mort, ses églises désertées. Aujourd’hui ce centre est religieusement très vivant. St-Nicolas du Chardonnet mais aussi St-Séverin, St-Gervais, St-Etienne du Mont, St-Médard, vous êtes là dans des paroisses qui vivent. Ce n’est pas vrai partout. On sait ce qu’il en est dans certaines provinces. Dans le diocèse de Cahors, on se demande s’il y aura encore un prêtre dans dix ans, mis à part son évêque. ”
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II. JEAN XXIII : LA CONTROVERSE DES TRADUCTIONS
Le père Gino Concetti, qui est considéré comme le théologien principal de l’Osservatore romano, a publié, le 22 avril dernier, un grand article pour dénoncer la trahison qu’aurait subie Jean XXIII dans la traduction italienne de son célèbre discours d’ouverture du concile Vatican II. Le 11 octobre 1962, Jean XXIII fixait comme objectif  au concile Vatican II qui s’ouvrait :
“ une nette avance dans le sens de la pénétration de la doctrine et de la formation des consciences, en correspondance plus parfaite avec la fidélité professée envers la doctrine authentique, celle-ci étant d’ailleurs étudiée et exposée suivant les méthodes de recherche et la présentation dont use la pensée moderne.”
Cette version a été celle diffusée en France, et dans d’autres pays, selon la version italienne du discours. Or, si l’on se réfère au texte latin paru dans L’Osservatore romano dans son édition du 12 octobre, texte latin, seul officiel, et publié comme tel ensuite dans les Acta Apostolicae Sedis, le sens du discours est fort différent :
“ que la doctrine soit plus largement et plus profondément connue, qu’elle anime et forme plus pleinement les esprits ; il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui a droit au plus fidèle respect, soit étudiée et exposée selon une méthode que demande notre temps. ”.
 Le père Concetti  en conclut : “ La traduction du latin a été épurée dans un sens progressiste ”.
C’est Jean Madiran qui, le premier, je crois, en avait fait la remarque, peu de temps après l’événement ; cf. “ Autour du concile ”, Itinéraires, n° 68, décembre 1962, p. 12-14 (voir aussi Itinéraires, n° 70, février 1963, p. 100-106).
Jean XXIII trahi ? Un de ses biographes les mieux informés, Peter Hebblethwaite, semble montrer que la trahison ne s’est pas faite dans le sens que Jean Madiran puis le père Concetti l’ont cru. Il explique (Jean XXIII, le pape du Concile, Paris, Le Centurion, 1988, p. 472-476) que Jean XXIII a rédigé son discours en italien mais que le texte latin qu’il a prononcé dans la Basilique Saint-Pierre, texte qui sera publié dans les AAS,  est une version corrigée et expurgée (par qui ?). Hebblethwaite ajoute : “ Quand le pape Jean découvrira ces modifications scandaleuses fin novembre 1962 il aura l’habileté de ne pas congédier le responsable des Acta Apostolicae Sedis. Il se contente de citer son texte, dans sa version non publiée, dans des discours importants. ”

24 juin 2001

[Aletheia n°15] Communiqué de l’évêque de Troyes sur l’abbé de Nantes + Mgr Fellay et Fideliter

Aletheia n°15 - 24 juin 2001
I. Communiqué de l’évêque de Troyes sur l’abbé de Nantes (document).
II. Mgr Fellay et Fideliter.
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Un COMMUNIQUE de l’EVEQUE de TROYES
La presse s’est fait l’écho, ces derniers jours, d’informations relatives à l’abbé de Nantes. Elle l’a fait de façon déformée ou tendancieuse. N’a-t-on pas entendu une grande radio périphérique appeler son correspondant à Nantes pour lui demander d’évoquer “ le cas de l’abbé Georges ” (sic).
A titre d’information, je reproduis donc intégralement le communiqué de l’évêque de Troyes qui a suscité cette vague nouvelle de désinformation :
L’évêque de Troyes communique
Suite à un certain nombre de questions posées récemment, concernant Monsieur l’abbé Georges de Nantes, pour couper court à toute autre rumeur, l’évêque de Troyes communique ce qui suit :
I. Par décret du 1er juillet 1997, l’évêque de Troyes, en vertu du canon 1720, décidait :
1. La suspense a divinis infligée à Monsieur l’abbé Georges de Nantes le 25 août 1966 demeure en vigueur.
2. L’accès au sacrement d’eucharistie et de pénitence lui est interdit dans le diocèse de Troyes*.
3. Cette suspense et cet interdit ne seront levés que lorsqu’il aura signé une rétractation en bonne et due forme des affirmations et attitudes qui ont conduit à les établir, se mettant en accord avec le précepte qui lui a été donné le 9 mai 1997.
4. Cette suspense et cet interdit ont effet sur l’ensemble du diocèse de Troyes, y compris les divers locaux de la “Maison S. Joseph”, à S. Parres-les-Vaudes.
II. Contre ce décret et le décret antérieur du 9 mai 1997, imposant un précepte pénal à l’abbé de Nantes, celui-ci a institué un recours hiérarchique devant la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Celle-ci, le 24 mars 1998, a répondu “ne pas accueillir l’appel”.
III. L’abbé de Nantes, par une lettre du 24 mai 1998 et un libelle du 27 mai 1998, a déposé un recours contre ces deux mêmes décrets au Tribunal de la Signature Apostolique.
Celui-ci, le 7 octobre 2000, a lui aussi répondu que le recours de l’abbé Georges de Nantes manque de fondement et doit être rejeté dès le début.
Dès lors les sanctions établies par le décret de l’évêque de Troyes en date du 1er juillet continuent à être vigueur.
Fait à Troyes le 21 avril 2001.
                                       + Marc STENGER
                                       Évêque de Troyes
Il est rappelé que :
- la “suspense a divinis” consiste principalement à interdire de donner les sacrements (sauf s’il y a danger de mort).
- l’ “interdit”  consiste principalement à interdire de les recevoir.
* En vertu du canon 1332 et du décret porté par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi le 24 mars 1998, l’interdit n’est plus territorial mais personnel. Il a donc valeur pour l’Eglise Universelle.
Je ne commenterai pas ce communiqué officiel. Je renvoie, pour de plus amples informations, au bulletin du diocèse de Troyes, L’Eglise dans l’Aube (3 rue du Cloître Saint-Etienne, 10042 Troyes),  n° 3, mars 1997. Et à Résurrection. La Contre-Réforme Catholique au XXIe siècle (10260 Saint-Parres-lès-Vaudes) pour le commentaire que fera sans doute l’abbé de Nantes à ce communiqué.
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Mgr FELLAY et FIDELITER
Le 22 juin m’est parvenue une lettre du directeur de la revue Fideliter qui accompagnait et commentait une lettre de Mgr Fellay, Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X. Celui-ci y demandait que soit mis fin à ma collaboration à la revue. Comme les lecteurs de Fideliter vont voir disparaître mon nom des pages sans, peut-être, en connaître le motif, je crois utile, sans esprit de polémique, de publier ici la lettre de Mgr Fellay qui est à l’origine de cette exclusion :
Menzingen, le 16 juin 2001
Cher Monsieur l’abbé,
Par cette lettre, j’aimerais confirmer ce dont nous avons déjà parlé lors de notre réunion de la semaine passée. Il s’agit de M. Chiron et de sa collaboration à Fideliter.
Depuis quelques mois, M. Chiron a pris publiquement des positions nettement marquées en opposition à la ligne qu’entend donner la Fraternité à ses fidèles. Même s’il ne l’a pas fait dans Fideliter mais dans sa lettre personnelle, dans notre petit monde traditionnel tout se sait ; en particulier l’annonce publique faite par La Nef de la collaboration régulière de M. Chiron chez eux m’oblige à intervenir et à demander que la collaboration de M. Chiron à Fideliter, pourtant si longue et qui nous oblige à un sentiment de gratitude, soit terminée. La Nef entretient à notre égard une attitude par trop hostile pour que nous puissions tolérer cette double collaboration.
Veuillez croire, cher Monsieur l’abbé, en mes prières in Christo Jesu et Maria
+ Bernard Fellay 
Je ne ferai pas une exégèse, ligne à ligne, de cette lettre de Mgr Fellay au directeur de Fideliter. Je me permettrai, respectueusement, quelques remarques :
• J’ai collaboré à chaque numéro de Fideliter pendant treize ans, parfois par deux, trois ou quatre articles, sous ma signature et en utilisant divers pseudonymes. Il s’agissait de recensions de livres ou d’article à caractère historique. Je ne regrette pas cette collaboration et j’exprime un sentiment de gratitude envers ses deux directeurs successifs, M. l’abbé Aulagnier puis M. l’abbé Celier, qui m’ont laissé m’exprimer en toute liberté. Ni quand j’ai commencé à collaborer à cette revue, à l’initiative de M. l’abbé Aulagnier, ni plus tard, on ne m’a demandé si j’étais dans la “ ligne ” de la FSSPX. A l’époque, 1988 (“ l’année climatérique ”), j’étais collaborateur régulier de la Pensée Catholique, depuis plusieurs années, et de Présent, depuis plusieurs années aussi. On ne peut pas dire, particulièrement en cette année-là, que ces deux publications étaient dans la “ ligne ” de la FSSPX. On ne m’en a fait aucune remarque, ni demandé ne cesser ma collaboration ailleurs (ce que je n’aurais pas accepté). Il me semblait que c’était là un signe suffisant de la liberté d’esprit au sein de la FSSPX.
• La décision de Mgr Fellay est motivée aujourd’hui par “ des positions nettement marquées en opposition à la ligne qu’entend donner la Fraternité à ses fidèles ” que j’aurais prises ces derniers mois. Mgr Fellay entend par là, je suppose, les trois pauvres et petits numéros d’Alètheia que j’ai consacrés au livre collectif de la FSSPX : Le problème de la réforme liturgique (éditions Clovis, B.P. 88, 91152 Etampes cedex, 125 pages, 69 F). Ma présentation, complète et honnête, je crois, de l’ouvrage avait été accompagnée de modestes “ remarques d’un fidèles du dernier rang ”. Ces remarques avaient fortement déplu à Mgr Fellay.
Je ne vois pas d’autres occasions où, “ depuis quelques mois ”, j’aurais “ pris publiquement des positions nettement marquées en opposition à la ligne qu’entend donner la Fraternité à ses fidèles ”. Mgr Fellay ne visait sans doute pas les articles que j’ai consacrés au livre de M. l’abbé Aulagnier, La tradition sans peur (éditions Servir, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris, 350 pages, 125 F). Très bon livre de témoignage et aussi de prospective que j’ai présenté successivement, à partir de janvier, dans un numéro complet d’Alètheia, dans un article de Présent et dans un article d’Ecrits de Paris. M. l’abbé Aulagnier n’avait pas considéré comme des “ positions nettement marquées en opposition à la ligne ” les quelques “ scories ” que j’avais cru utile de relever.
• L’autre reproche qui m’est adressé est d’apporter une “ collaboration régulière ” à la Nef.  A la vérité, j’y ai collaboré épisodiquement depuis des années ; la FSSPX n’y trouvait alors rien à redire. C’est une collaboration régulière, depuis avril, qui est jugée insupportable. Une collaboration qui, c’est à noter, n’a pas été, jusqu’ici, un commentaire de l’actualité religieuse mais n’a comporté que des recensions et des articles d’ordre historique ou culturel.
Il se trouve que la Nef  (B.P. 73, 78490 Montfort l’Amaury) publie ce mois-ci un important dossier sur Le Problème de la réforme liturgique (n° 117, juin 2001, 40 F). C’est ce dossier qui, semble-il, a suscité l’ire de Mgr Fellay.  Il comprend notamment un long article du Père Emmanuel, osb, intitulé “ Une analyse peu convaincante ”. Le Père Emmanuel, du Monastère Sainte-Madeleine du Barroux, relève quatre “ erreurs de méthode ” dans l’ouvrage,  avant de mettre en lumière les         “ bonnes choses ” qu’il comprend néanmoins.
Mgr Fellay, dans une vision étroite du combat pour la Tradition catholique, voit, sans doute, dans ce dossier un nouvel acte de guerre contre la FSSPX. Je préfère, de loin, la réaction de M. l’abbé Aulagnier. Dans le dernier numéro de son très intéressant D.I.C.I. (1 rue des Prébendes, 14210 Gavrus, n° 12, 10 F), après avoir signalé à ses lecteurs la parution du dossier de la Nef,  il commente : “ Un débat va s’instaurer et c’est heureux ”.
• Mgr Fellay  évoque “ la ligne qu’entend donner la Fraternité à ses fidèles ”. L’expression est, en plusieurs points, curieuse et contestable. Je pensais que les fidèles qui assistent à la messe dans un prieuré de la FSSPX, et tout aussi bien les parents qui envoient leurs enfants dans les écoles de la FSSPX, n’étaient point des “ fidèles de la Fraternité ”, mais des fidèles de Notre-Seigneur Jésus-Christ et des fils de l’Eglise Catholique. Et qu’ils n’entendaient point recevoir de la Fraternité une       “ ligne ” de conduite (?), de pensée (?) à tenir. Mgr Fellay connaît-il suffisamment bien les prieurés de la FSSPX, du moins en France, pour ne pas savoir que les fidèles qui assistent aux messes dites par des prêtres de la FSSPX ne sont pas forcément tous d’accord avec toutes les décisions et positions prises dans le passé ou récemment par les dirigeants de la dite-Fraternité (sur les sacres de 1988, par exemple) ? Et qu’un nombre, difficile à déterminer, de fidèles assistent, selon l’occasion, à la messe traditionnelle dans un prieuré de la FSSPX mais, tout aussi bien, aux messes traditionnelles célébrés dans les chapelles de la Fraternité Saint-Pierre, de l’Institut du Christ-Roi, ou dans les abbayes du Barroux, de Randol, de Fontgombault, etc.
  L’axiome “ Hors de la Fraternité Saint-Pie X point de salut ” ne saurait être une “ ligne ” de pensée et de conduite. Je préfère décrire la situation actuelle, mais qui dure depuis trop longtemps maintenant, en reprenant le titre d’un livre de Jean Madiran : “ Quand il y a une éclipse, tout le monde est à l’ombre ”. En estimant aussi que l’éclipse est, me semble-t-il, de moins en moins complète.
Et, à la vérité, les fidèles du dernier rang ont de quoi être déconcertés. L’abbé Aulagnier, qui est, rappelons-le, deuxième assistant du supérieur général de la FSSPX, souhaitait, il y a quelques mois, dans son livre cité plus haut, qu’un front commun des traditionalistes se reconstitue :  “ Il faut faire abstraction des blessures du passé et reprendre le combat commun, fondé sur des fidélités claires, des convictions solides ”. Il en citait deux, “ qui sont incontournables : une condamnation claire du libéralisme catholique et un attachement indéfectible à la messe traditionnelle ” (p. 212). L’abbé Aulagnier affirmait encore : “ les sacres ne sont pas la ligne de partage des eaux. Il faut arrêter de juger les gens en fonction de leur attitude à ce moment-là ” (p. 244).
Aujourd’hui, en reprochant à un collaborateur ancien de Fideliter de ne pas avoir applaudi des deux mains un livre collectif sur la nouvelle messe (qui ne fait pas l’unanimité parmi les prêtres de la FSSPX, d’ailleurs) et de collaborer à une revue qui est, tout de même, une des voix principales des catholiques de tradition hors de la Fraternité Saint-Pie X, Mgr Fellay semble démentir l’enthousiasme généreux de son deuxième assistant.

15 juin 2001

Abbé Nely : « Il existe une manière de transmettre sans concession la doctrine de toujours aux chrétiens d’aujourd’hui » ("Des prêtres pour l'Eglise romaine")
Nouvelle revue CERTITUDES - juin 2001 - n°6
Contribution publiée dans le cadre de l'enquête dirigée par l'Abbé de Tanoüarn

De quelle manière la Fraternité Saint-Pie X se met-elle concrètement au service de l'Eglise?
Je dirais qu'on continue à enseigner et à faire ce que l'Eglise a toujours fait. Nous appliquons tous les jours les sages maximes de saint Vincent de Lérins qui peuvent se résumer ainsi : en cas de crise, en cas de doute, « il faut veiller avec le plus grand soin, à ne tenir pour vrai que ce qui a été cru partout, toujours et par tous. » Ce qui me frappe dans l'œuvre de Mgr Lefebvre c'est justement qu'elle manifeste bien ce que l'Eglise a toujours fait sans se complaire dans aucune singularité, sans revendiquer aucune originalité. J'ai 51 ans, j'ai donc connu l'Eglise d'avant le concile, j'étais chez les maristes au collège, je peux dire que j'ai retrouvé à Ecône cet enseignement que nous y avions reçu et c'est cet enseignement que je transmets aujourd'hui sans chercher à innover. Après le concile, beaucoup se sont trouvés dans un véritable no man's land, une sorte de désert spirituel. Mgr Lefebvre a été celui qui a dit à qui voulait l'entendre : je vais vous transmettre ce que j'ai moi-même reçu. Je dirais que c'est ce que j'essaye de faire moi-même à Marseille autant que je le peux : donner paisiblement ce que j'ai reçu. Mais attention, cette ambition de fidélité ne signifie pas non plus que nous soyons figés. La tradition, ce n'est pas un monument monolithe qu'on traînerait derrière soi. Le monde a changé, les tempéraments, les intelligences même, ont changé et nous en prenons acte. Ce sont les mêmes richesses que nous transmettons, avec le désir de nous adapter aux âmes qui doivent les recevoir. Lorsque je remonte dans mon souvenir, il me semble que ce que je peux reprocher à certains prêtres d'il y a quarante ans, c'est une certaine rigidité, une manière de vous faire sentir sans vraiment vous le dire lorsque vous posiez des questions : c'est ainsi et pas autrement. Je crois qu'on remarque de plus en plus aujourd'hui un besoin d'explications. Il y a une telle richesse dans la tradition qu'on peut vraiment emmener les intelligences au seuil du mystère.
Qu'est-ce que cette romanité dont Mgr Lefebvre parlait si souvent ?
Le christianisme est né à Rome parce que saint Pierre y est mort, il y a, c'est incontestable, un rôle providentiel de la ville, et ce rôle dure encore malgré les ruptures. La rupture que nous remarquons aujourd'hui est certainement très grave néanmoins dans tous les domaines, dans le domaine de la foi, dans le domaine des mœurs, dans le domaine de la pastorale sacramentelle. Je voudrais insister aussi sur la rupture culturelle que représente l'abandon du latin. Évidemment une langue, c'est d'abord un véhicule, mais le latin dans l'Eglise c'est plus que cela. Cette langue qui n'évolue pas nous permet de nous ancrer, aujourd'hui comme par le passé, dans l'unité de la foi.
Comment caractérisez-vous les sacres de 1988 ?
Après Mgr Lefebvre lui-même on a beaucoup parlé d'une opération survie. L'ancien archevêque de Dakar avant de faire ce geste a cherché des évêques qui aient le courage et qui voient la possibilité de continuer cette oeuvre, cette œuvre qui n'est pas seulement son oeuvre, qui est l'œuvre de l'Eglise, une œuvre salutaire pour la défense de la foi et pour la sanctification des fidèles. L'expression * opération survie " doit être expliquée en ce sens. On a tendance à faire de la tradition un substantif qui ne désignerait qu'une partie de l'Eglise. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit, il ne s'agit pas de sauver sa partie, la Tradition est le coeur de l'Eglise et c'est vraiment l'Eglise que l'on veut servir dans cette opération survie de la Tradition.
La Fraternité Saint-Pie X est-elle une avant-garde ou une arrière-garde dans le combat catholique aujourd'hui ?
Je répondrai que nous ne sommes ni une avant-garde ni une arrière-garde : la Fraternité Saint Pie X assure par sa fidélité au magistère de toujours, autant qu'elle le peut, la pérennité de la foi dans le monde d'aujourd'hui. Est-ce prétentieux de dire cela ? On peut dire objectivement qu'il y a aujourd'hui une dégradation dans l'enseignement de l'Eglise. Par exemple la doctrine de la liberté religieuse développée durant le concile est contradictoire avec l'enseignement des papes sur le libéralisme et la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ ; cela a été démontré cent fois, notre prétention est toute simple : elle consiste simplement à rester fidèle au magistère de l'Eglise traditionnelle. Ce n'est pas du fixisme, il ne s'agit pas de faire un bloc et de se mettre des oeillères, il suffit de considérer objectivement les doctrines. La conviction que nous entretenons dans la foi, c'est qu'il existe une manière de transmettre sans concession la doctrine de toujours aux chrétiens d'aujourd'hui. Mais cela suppose un travail. Nous ne voulons pas garder nos talents sans les faire fructifier. Il faut qu'il y ait entre nous sur ce point une émulation spontanée. Bien sûr, il faut savoir garder un équilibre... nos bibliothèques n'ont pas à s'arrêter au concile Vatican I et à ce qui se publiait il y a un siècle. Nous ne sommes pas des sectaires même si certains tentent de nous faire passer pour tels. Nous voulons simplement être des chrétiens dans le sens le plus complet, le plus entier du terme, sans concession ni compromission et sans raideur. Je crois que c'est ce que disait Mgr Lefebvre lorsqu'il affirmait : « nous voûtons continuer ». Eh bien oui, cette continuité est belle, nous voulons continuer ni à l'avant-garde ni à l'arrière-garde, chrétiens, catholiques, tout simplement.
Abbé Lorans : « Les évêques de France se cramponnent à des fantômes (...) la jeunesse ne comprend plus l'ordre sclérosé qu'ils défendent » ("Des prêtres pour l'Eglise romaine")
Nouvelle revue CERTITUDES - juin 2001 - n°6
Contribution publiée dans le cadre de l'enquête dirigée par l'Abbé de Tanoüarn

De quelle manière la Fraternité Saint-Pie X se met-elle concrètement au service de l'Eglise aujourd'hui ?
Le cardinal Gagnon, pour conclure la visite canonique oui a eu lieu à Ecône et dans toutes les maisons de la Fraternité Saint-Pie X à la fin de l'année 1987, a tenu à parapher le livre d'or du Séminaire en exprimant le souhait que « le merveilleux travail de formation sacerdotale accompli ici rayonne un jour pour le bien de toute la sainte Eglise ». Concrètement c'est bien par la formation des prêtres que la Fraternité se met au service de l'Eglise. Ces prêtres sont en quelque sorte comme en réserve mais ce n'est pas d'une réserve de Peaux-Rouges qu'il s'agit comme le rappelait récemment Mgr Fellay. Nous sommes des supplétifs prêts à intervenir, pas des émigrés de l'intérieur. Grâce à la Fraternité, les richesses de la Tradition catholique ont été effectivement transmises à toute une génération comme vient de le montrer la nouvelle enquête d'Agathon menée par des étudiants de l'Institut saint Pie X et que vous avez publiée vous-même dans le précédent numéro de Certitudes. Il faut maintenant que cette richesse trouve des espaces de liberté où elle puisse devenir féconde. Je crois d'ailleurs que c'est en ce sens qu'il faut comprendre la fameuse expression de Mgr Lefebvre sur l'expérience de la Tradition. « Laissez nous faire l'expérience de la Tradition » demandait notre fondateur à Rome durant le fameux sermon de Lille en août 1976. La Tradition c'est effectivement une expérience vécue et qui ne demande qu'à s'étendre, à être vécue le plus largement possible. Tel est en quelque sorte le risque de la Tradition (cette surnaturelle fécondité !) et ce risque, les évêques en France ne veulent pas le prendre parce qu'ils ne sont pas capables comme fait le père de famille de l'Evangile de tirer de leurs trésors du neuf et du vieux... Oui des choses anciennes avec les choses nouvelles, vetera sed noviter dicta. Les jeunes prêtres au contraire ne veulent pas épouser les crispations de leurs aînés et ils comprennent beaucoup mieux cette démarche ; ils sentent d'une manière presque intuitive que la Fraternité Saint Pie X dans sa résistance est au service de l'Eglise, comme le prouvent leurs réactions à la Lettre à nos frères prêtres.
Qu'est-ce que cette romanité dont Mgr Lefebvre parlait si souvent ?
Historiquement c'est sa formation au Séminaire français de Rome qu'évoqué Mgr Lefebvre lorsqu'il parle de romanité. La forte personnalité du père Le Floc'h avait imprimé à l'enseignement et aux coutumes de cette maison un incomparable caractère de romanité que ses successeurs ont su conserver. Le père Victor Berto qui sera le théologien privé de Mgr Lefebvre pendant le concile fait partie lui aussi des héritiers directs du père Le Floc'h et il a su décrire avec un lyrisme discret la beauté de cette romanité qui est avant tout fidélité à l'enseignement des papes. Mgr Lefebvre a cherché à nous transmettre cet esprit en instaurant une nouvelle matière scolaire dans renseignement, le cours des actes du magistère durant lequel on enseigne aux séminaristes le contenu des grandes encycliques qui forment un corpus doctrinal homogène et varié de Grégoire XVI à Pie XII. On pourrait dire aussi sur un plan géographique et historique que cette romanité spontanée de la Fraternité Saint Pie X (qu'exprimé fortement son caractère international) est une réponse à la crispation gallicane des évêques de France. Malgré leurs échecs répétés, et alors qu'on peut dire en toute objectivité que leurs diocèses sont exsangues, ils se cramponnent à de vieilles idées, aux vieilles lunes de l'action catholique par exemple, à des structures obsolètes qui ne signifient plus rien, ils se cramponnent à des fantômes, et là encore, tout aussi spontanément, leurs jeunes prêtres se sentent plus proches de Rome que des apparatchiks français. Ces gallicans sont lâchés par la jeunesse qui ne comprend plus l'ordre sclérosé que défendent leurs aînés dans le sacerdoce.
Comment caractérisez-vous les sacres de 1988 ?
À propos des sacres, on a beaucoup parlé d'opération survie selon l'expression de Mgr Lefebvre lui-même durant le sermon du trente juin 1988, on a invoqué que le cas de nécessité pour expliquer que nous ne faisions pas schisme, que nous ne sommes pas une Eglise parallèle. Personnellement, j'aime beaucoup l'expression de Mgr lissier de Mallerais qui s'intitule lui-même "évêque supplétif". Nous exerçons en effet par notre apostolat une sorte de suppléance dans le grand collapsus actuel. Il faut croire que la nécessité d'une telle suppléance était visible à l'oeil nu (quoique diversement appréciée) puisque médiatiquement l'onde de choc des sacres fut indéniable. En tant que directeur du séminaire d'Ecône à l'époque j'ai accrédité moi-même quelque 350 journalistes de tous les pays du monde jusqu'au Japon.
Qu'on ne vienne pas nous dire après cela que ces sacres correspondaient simplement aux caprices, aux hantises ou à l'entêtement d'un vieil évêque isolé. Mgr Lefebvre que je voyais tous les jours à l'époque au moins lorsqu'il résidait au séminaire, a pris cette décision avec le plus grand calme et une extraordinaire sérénité. Autant il fut tendu tant qu'il n'avait pas pris cette décision et en particulier alors qu'il se préparait à signer avec Rome le protocole du 5 mai 1988, autant, revenant de Rome après avoir repris sa signature le 6 mai, il était comme libéré. En fait, il a toujours eu conscience du décalage que voilait la diplomatie vaticane « c'est dangereux de ne pas parier sur les mêmes enjeux » me disait-il, comme à d'autres sans doute, lorsqu'il évoquait l'éventualité d'un accord. De fait le cardinal Ratzinger envisageait notre intégration dans l'église conciliaire comme si nous devions disparaître dans le paysage, alors que Mgr Lefebvre signait pour trouver cet espace de liberté nécessaire à la pleine expérience de la Tradition. Ce décalage était trop important pour qu'il en sorte un accord fructueux. C'est ce que Mgr Lefebvre a compris lorsqu'il a décidé de sacrer lui-même quatre évêques par un mandat implicite de l'Eglise, sans attendre une autorisation explicite du Vatican.
La Fraternité Saint-Pie X est-elle une avant-garde ou une arrière-garde dans le combat catholique aujourd'hui ?
Du point de vue des médias, nous sommes une arrière-garde et je dirais même une arrière-garde retardataire et, à cause de cela, promise à l'anéantissement à plus ou moins long terme, autrement dit nous sommes des vestiges et des débris. Mais j'ai la conviction que c'est exactement l'inverse qui est vrai du point de vue doctrinal.
C'est un combat d'avant-garde que nous menons, nous possédons la réponse à la crise post-moderne et c'est ce que l'on peut appeler le combat catholique pour la civilisation. Lorsque je dis nous possédons, je dois vous paraître un peu présomptueux ; Pour Mgr Lefebvre c'est la messe qui est la réponse à la crise morale et culturelle que nous traversons tous et c'est parce que nous avons la messe que nous tenons la réponse spirituelle à la crise. Il l'a dit très fortement à plusieurs reprises mais en particulier lors du sermon qu'il a prononcé pour son jubilé sacerdotal en 1979 : si on supprime la dimension sacrificielle qui est au coeur de toute vie humaine et de tout comportement simplement responsable, on remplace la culture sacrificielle qui est la culture de chrétienté par une autre culture que Mgr Lefebvre appelait un sida mental, on parle couramment aujourd'hui de culture de mort sans doute d'abord parce qu'elle est essentiellement immuno-déficiente. Dans la ligne de Jean-Paul II, on oppose un peu trop facilement à la culture de mort une culture de vie. C'est bien de défendre la vte, mais ce n'est pas suffisant. L'Evangile nous apprend à chaque page qu'il faut mourir pour vivre : si le grain tombé en terre ne meurt, il reste seul mais s'il meurt il porte beaucoup de fruits. Le mal dont nous souffrons n'est pas seulement identifiable sous le nom de culture de mort. Saint Pie X dirait « nous ne souffrons pas seulement de la méchanceté des méchants mais aussi de la faiblesse des bons. » Et cette faiblesse des bons, en l'occurrence la grande faiblesse des chrétiens d'aujourd'hui par exemple, c'est qu'ils ne veulent pas entendre parler du sacrifice et qu'ils se contentent dans une sorte d'euphorie hébétée d'opposer à la culture de mort des valeurs de vie. La question que nous posons, la question que pose notre combat pour la défense du Saint Sacrifice de la messe est d'avant-garde en ce qu'elle dépasse la dialectique entre culture de mort et culture de vie, en dénonçant non seulement le mal mais aussi ce que j'ai appelé la vraie crise des fausses valeurs. En effet on peut se demander à quoi servent les valeurs de vie si elles ne sont pas adossées à la possibilité d'un sacrifice. Dans plusieurs essais récents, on évoque l'ère du vide et le crépuscule du devoir (Gilles Lipovetzsky) et l'impossibilité où se trouve l'individu moderne de donner sa vie pour autre chose que soi. Comme le dit aussi Luc Ferry, rien aujourd'hui ne peut être sacrifié à soi-même. Ce refus de toutes les formes du sacrifice est sans doute la racine de la crise morale sans précédent qui secoue les sociétés postmodernes. Mgr Lefebvre a tenu ce discours pendant trente ans sans être entendu, il suffit de se replonger dans la très belle compilation de ses sermons que vous avez réédités aux éditions Servir, pour s'apercevoir que ce prélat, que l'on a dit ringard afin de le disqualifier sans ouvrir de débat, avait surtout le tort d'être en avance sur son temps. Il a très tôt posé un jugement critique que l'optimisme béat du concile interdisait de poser en son temps aux dignitaires ecclésiastiques de quelque rang qu'ils fussent.
Je crois que la vocation particulière de la Fraternité au sein même de l'époque où nous vivons est de rappeler que sans le sacrifice et plus généralement sans le sens du service, sans la leçon de l'Evangile dans toute son apparente dureté, il n'y a pas d'humanité digne de ce nom.
Mais ce combat est gigantesque, nous ne luttons pas seulement contre la chair et le sang mais contre les puissances et les dominations comme disait saint Paul, c'est pour cela je crois qu'il ne faut pas attendre de retournement spectaculaire de la situation présente, notre combat est celui de David contre Goliath, il se mène à la fronde comme vous m'avez déjà donné l'occasion de le dire dans le dernier numéro de Certitudes, Oui il ne faut pas que nous hésitions à être frondeurs en sachant bien que les coups que nous pouvons donner dans ce combat sont rares tant les enjeux sont écrasants, il importe par dessus tout qu'ils soient bien ajustés.
C'est pourquoi une solide formation devient de plus en plus nécessaire à ceux qui veulent mener cette fronde de l'intelligence et du cœur, à ceux qui veulent participer à cette insurrection de la grâce contre les pesanteurs du monde. Mgr Lefebvre n'a pas craint un jour d'ordination d'évoquer l'Evangile comme une véritable révolution spirituelle ; je crois qu'il appelait de ses vœux la Fronde que nous menons aujourd'hui au nom de l'Evangile intégral contre tous les adoucissements qui sont surtout hélas des amollissements...
Abbé Philippe Laguérie : « Cette industrieuse générosité qui ne ferme jamais aucune porte pourvu que l'on puisse l'ouvrir sur l'Evangile » ("Des prêtres pour l'Eglise romaine")
Nouvelle revue CERTITUDES - juin 2001 - n°6
Contribution publiée dans le cadre de l'enquête dirigée par l'Abbé de Tanoüarn

Qu'est-ce que cette romanité dont Mgr Lefebvre parlait si souvent ?
Evitons de faire de la romanité une ambiance, un parfum (encens, bien sûr) un esprit même, volatile et élastique, bref un sentiment. La Romanité est la Foi catholique elle-même lorsqu'elle travaille à tout instaurer dans le Christ. Il faut les deux ; la foi et la volonté de tout instaurer dans le Christ. Rome n'a plus aucune romanité par la raison qu'elle sert l'homme et non plus le Christ. Nous qui voulons « ramener toute intelligence au service du Christ », sachons garder cette industrieuse ingéniosité qui ne ferme jamais aucune porte pourvu qu'on puisse l'ouvrir sur l'Evangile.
La Romanité est un entonnoir spirituel : il ramasse tout, mais ce qui en sort est parfaitement catholique.
Comment caractérisez-vous les sacres de 1988 ?
Les sacres de 1988, c'est la liberté. Laquelle consiste dans le choix des moyens — comme chacun sait— étant sauf l'ordre de la fin. Nous ne sommes rien de plus que nous n'étions avant ; mais Mgr Lefebvre nous a donné le moyen de rester catholiques tout à fait, sans peur du lendemain. À ceux qui comparent les négociations de la Fraternité Saint Pie X aujourd'hui avec celles de la
Fraternité Saint Pierre, je dis seulement qu'ils n'ont pas compris les sacres. Les sacres n'assurent pas notre unité, c'est la foi qui s'en charge. Le trésor de la Fraternité Saint Pie X, c'est la liberté qu'elle donne à ses prêtres de se mouvoir dans la Foi. Le pire obstacle à cette liberté eût été d'avoir peur, en 1988. Cela dit, on l'aura compris, les sacres relèvent du moyen. À nous de profiter de ce moyen, plutôt que d'en ressasser la possession.
La Fraternité Saint-Pie X est-elle une avant-garde ou une arrière-garde dans le combat catholique aujourd'hui ?
Arrière-garde, c'est humiliant. Avant-garde, c'est faux. Je dirai plutôt l'aiguillon dans la chair. Cette chose dont l'église conciliaire voudrait se débarrasser à tout prix, mais que Dieu maintient pour la corriger, l'humilier... la ramener à un devoir.
La Fraternité a(vait) deux options à cet égard : piquer sans cesse, comme peut faire un aiguillon. « Reprend, menace, exhorte... », comme dit saint Paul à Timothée. Ou bien, deuxième option, faire sa place au soleil pour croître et vaincre le mal par l'abondance du bien. Elle n'a plus fait depuis dix ans ce travail de dénonciation publique. Il ne lui reste plus que la deuxième option et ceux qui conseillent aujourd'hui la première (qu'ils n'ont pas faite) arrivent dix ans trop tard, et donnent des conseils qu'ils n'ont pas suivis. Nous payons le silence des années 90... Profitons au moins de la grâce de l'an 2000.
Abbé de La Rocque : « La Tradition catholique n'est pas une pièce de musée. Elle doit s'incarner dans des prêtres convaincus » ("Des prêtres pour l'Eglise romaine")
Nouvelle revue CERTITUDES - juin 2001 - n°6
Contribution publiée dans le cadre de l'enquête dirigée par l'Abbé de Tanoüarn

De quelle manière la FSSPX se met-elle au service de l'Eglise aujourd'hui ?
Dès ses origines, la Fraternité fondée par Mgr Lefebvre s'est retrouvée dépositaire d'un trésor qui ne lui appartient pas en propre, mais était menacée par ceux-là mêmes qui devaient le faire fructifier : la Tradition catholique. Son premier devoir fut de protéger ce trésor, tant d'un point de vue liturgique que doctrinal. Il fallait le mettre à l'abri, dénoncer à temps et à contretemps le mal qui le mettait en péril, afin de le sauvegarder. Pour l'Eglise prise dans son ensemble bien sûr, mais également pour les âmes toujours plus nombreuses qui de partout réclament cette pure fontaine d'eau vive afin de s'y abreuver. Ce fut et ce demeure le premier service ecclésial rendu par la Fraternité Saint-Pie X.
Cette Tradition catholique, il ne s'agit pas de la conserver comme une pièce de musée, cela n'aurait aucun intérêt ! Elle ne peut qu'être incarnée dans des hommes, dans des prêtres convaincus. Et c'est pourquoi la tâche première de la Fraternité Saint-Pie X est son oeuvre de formation et de sanctification des prêtres. En un temps de profonde crise, il s'agit de donner à l'Eglise des prêtres fermement attachés au saint Sacrifice de la Messe, des prêtres aussi saints que doctes je le souhaite.
Parlons de manière plus ponctuelle peut-être. Après les trente dernières années qui ont permis la survie et la stabilisation de la Tradition catholique, l'oeuvre de reconquête est à l'ordre du jour. La situation que nous vivons n'est en effet plus tout à fait la même qu'en 1970. De manière générale, le clergé des années 50 nous haïssait parce que nous représentons tout ce qu'ils ont renié ; de plus leur aveuglement les rendait souvent inaccessibles à la grâce. Aujourd'hui apparaît une nouvelle génération qui n'a rien renié sinon parfois le modernisme reçu au séminaire, et pour qui la Tradition catholique n'est plus un sujet tabou, au contraire. Cette situation nouvelle implique de la part de la Fraternité Saint-Pie X une adaptation dans son oeuvre apostolique. Quoi qu'en tâtonnant encore, elle essaye, en plusieurs pays comme à Rome, d'entreprendre une influence bénéfique au sein du clergé. C'est ce qui explique en partie la recrudescence des débats doctrinaux, menés avec autant de loyauté et de charité que possible. Ce sont là autant de services rendus à l'Eglise, parce que ces clarifications sont les prolégomènes indispensables à toute restauration profonde de la Tradition dans l'Eglise.
Qu'est-ce que cette romanité dont Mgr Lefebvre parlait si souvent ?
Rome ! Que vous dire ? Lors de votre prochain pèlerinage dans la ville éternelle, jetez sur elle un regard de foi. Vous comprendrez alors cette romanité que Mgr Lefebvre nous a si profondément inculquée : c'est sur Pierre que le Christ a bâti son Eglise, les artistes ont su l'écrire dans la pierre. Depuis l'obscurité du confessionnal jusqu'à ces immenses statues de saints qui s'élancent dans le ciel du haut des édifices sacrés, tout indique que Rome est le chemin de la sainteté. Car c'est à Pierre que fut remis le pouvoir de lier et de délier, la puissance de bénir ou de bannir, il est et demeure le dépositaire de la sainteté que le Christ a acquis pour son Eglise. Là encore, la Ville éternelle vient nous le dire : ce ne sont pas de simples aléas de l'histoire qui l'ont transformée en immense reliquaire de la Passion du Christ ! C'est là et là seulement, dans la romanité, que le Christ s'unit à son Eglise et que je m'unis au Christ. Etre romain, c'est donc vivre le grand mystère de l'incarnation et de la médiation de l'Eglise. L'amour pour celle qui est notre Mère n'est pas quelque chose de vaporeux ou d'idéal : parce que j'aime l'humanité sainte du Christ, c'est également une Eglise de chair que j'aime ! Ce n'est pas que j'aime spécialement tel ou tel pape, mais, quel que soit l'individu, ses qualités, ses faiblesses, et même ses fautes, l'amour que j'ai pour l'Eglise fait que je ne suis plus qu'un avec le pape, dans sa dépendance totale, à chaque fois que celui-ci est en acte d'incarner l'Eglise.
C'est cette Rome que Mgr Lefebvre nous a appris à aimer, cette Rome qu'il appelait la Rome de toujours ; car Rome demeure toujours la même, à travers les personnes qui se succèdent. Christus heri, hodie et in saecula ; l'Eglise que j'aime, c'est celle d'hier, d'aujourd'hui et de demain, c'est-à-dire l'unique Eglise qui reste identique à elle-même à travers le temps sans jamais pouvoir se contredire. Etre romain, c'est aussi vivre un amour en souffrance. Là encore, qui ne se rappelle le visage grave de douleur qu'avait Mgr Lefebvre lorsqu'il abordait devant nous les questions romaines ? C'est qu'un fils aimant ne peut que souffrir à voir sa mère malade, d'une douleur qui sera à la mesure de sa romanité. L'amour de la papauté, comme la haine et le combat contre la maladie qui l'infecte, sont parties intégrantes de la véritable romanité. C'est celle-là que Mgr Lefebvre nous a transmise.
Comment caractérisez-vous les sacres de 1988?
Le plus bel acte d'audace et de prudence surnaturelles que Mgr Lefebvre ait posé pour le service de l'Eglise.
La FSSPX est-elle une avant-garde ou une arrière-garde dans le combat catholique aujourd'hui ?
Enracinée dans la foi de toujours, riche d'une liturgie plus que millénaire dont les fruits de sainteté ne sont plus à redire, la Fraternité Scrint-Pie X possède cette stabilité indispensable en période de grands combats. En ce sens, elle est déjà une Valeur sûre, pour ne pas dire La valeur sûre dans le combat catholique de notre époque. Développant son argumentation doctrinale et l'exposant toujours plus au grand jour tout en restant elle-même, notre société religieuse montre chaque jour davantage combien elle anticipe sur le présent de l'Eglise pour préparer le retour des pasteurs à la Tradition.
Maintenant, c'est à chacun d'entre nous de s'interroger pour savoir s'il reste paresseusement dans les arrières lignes ou si véritablement il peut se dire à l'avant-garde du grand combat. Que ce combat soit mené au vu et au su de tout le monde ou qu'il se situe dans l'obscur labeur quotidien, nous serons toujours aux avant-postes si, pour reprendre le mot de saint Augustin nous savons faire rivaliser en nos âmes l'amour de la vérité avec la vérité de l'amour. Car alors notre foi, ainsi vivifiée par la charité, sera notre victoire sur le monde.

[Abbé Bouchacourt - Certitudes] «Contre l’apostolat in vitro de l’Action Catholique spécialisée, les paroisses restent la vie et l’avenir de l’Eglise» ("Des prêtres pour l'Eglise romaine")

Abbé Bouchacourt - Nouvelle revue CERTITUDES (n°6) - juin 2001

Contribution publiée dans le cadre de l'enquête dirigée par l'Abbé de Tanoüarn

De quelle manière la Fraternité Saint-Pie X se met-elle concrètement au service de l'Eglise aujourd'hui?
Concrètement la Fraternité Saint-Pie X se met au service de l'Eglise dans la défense de la messe et du sacerdoce. Elle concourt à manifester ainsi la visibilité de l'Eglise avec une attitude qu'elle veut 100 % catholique. Il s'agit de reformer un tissu catholique en créant des séminaires et des écoles, en encourageant les familles chrétiennes. On peut dire que le mouvement traditionaliste à engendré toute une génération. La rupture de tradition qui menaçait depuis la révolution conciliaire n'a pas eu lieu. A Saint-Nicolas-du-Chardonnet, nous sommes bien placés pour l'attester puisque nous sommes une véritable paroisse catholique. Qu'est-ce qu'une paroisse ? C'est l'instrument idéal de la sainteté pour tous les chrétiens, chacun à sa place. Et plus nos paroisses se sanctifient, plus elles rayonnent. C'est cela aussi, concrètement, le service de l'Eglise. Toute oeuvre apostolique part de l'église paroissiale pour y revenir. C'est une erreur de croire que la paroisse ou le prieuré traditionnel peut effrayer le nouveau venu. Celui qui en franchit la porte, toujours ouverte, est heureux de trouver des prêtres qui ont grâce d'état pour toucher et guider les âmes, il rencontre des laïcs dévoués et zélés ; il y assiste à une belle liturgie sacrée, en un mot il y entrera dans une famille. Les prieurés qui ont été ouverts en France et dans le monde par la Fraternité Saint-Pie X, comme notre église Saint-Nicolas, s'ils n'ont pas un statut canonique de paroisse, ont pour finalité de reconstituer des communautés paroissiales si essentielles à la vie de l'Eglise, car la paroisse est à l'Eglise ce que la famille est à la société civile : la cellule de base. Les mouvements catholiques nationaux sont venus perturber cet ordre au lendemain de la guerre. Ils ont pratiqué un apostolat in vitro, coupé de toute attache paroissial. Indirectement, c'est certainement une des causes du Concile.
Qu'est-ce que cette romanité dont Mgr Lefebvre parlait si souvent ?
La romanité est certainement l'une des valeurs que Mgr Lefebvre vivait de manière extraordinaire. Jusqu'à ses 83 ans, il n'a pas arrêté de se rendre à Rome pour plaider sa cause, pour plaider en faveur de la tradition romaine. C'est que Rome plus que Jérusalem est le berceau des chrétiens. Jérusalem était la ville de l'ancienne alliance, celle contractée avec Moïse, mais elle a perdu sa prééminence lorsque le voile du Temple s'est déchiré en deux le jour du Vendredi saint. Rome aujourd'hui est la Jérusalem nouvelle, la ville vers laquelle tous les regards des catholiques convergent. La découverte du tombeau de saint Pierre, durant le pontificat de Pie XII nous donne une raison supplémentaire d'aimer cette Ville, où sont les catacombes, les églises antiques, les tombeaux des papes. Tant de saints sont venus, tant de bienfaits ont coulé sur la chrétienté depuis Rome. C'est vers elle que nous regardons. Certes, la crise conciliaire l'a défigurée, mais nous sommes convaincus qu'un jour, quand Dieu le voudra, la restauration de la Tradition viendra de Rome et de son Vicaire, il nous faut pour l'instant attendre et tenir par amour pour la Rome éternelle, convaincus qu'ainsi nous servons la papauté. Dans cette perspective, où Rome pour ainsi dire n'est plus dans Rome, il est significatif que le pape se sente à l'étroit à Rome et voyage sans arrêt dans le monde entier. Quant aux traditionalistes, leur pèlerinage à Rome en août dernier manifeste bien leur attachement intérieur à Rome malgré les difficultés actuelles. C'est cet attachement à la fois viscéral et lucide que recommandait Mgr Lefèbvre dans son Itinéraire spirituel : « Plus les scandales viennent de haut et plus ils provoquent des désastres. Certes l'Eglise en elle-même garde toute sa sainteté et ses sources de sanctification, mais l'occupation de ses institutions par des papes infidèles et par des évêques apostats ruine la foi des clercs et des fidèles, stérilise les instruments de la grâce, favorise les assauts de toutes les puissances de l'Enfer, qui semble triompher... » Et notre fondateur ajoutait : « Plus la sainte Eglise est outragée, plus nous devons nous attacher à elle corps et âme, plus nous devons nous efforcer de la défendre et lui assurer sa continuité en puisant dans ses trésors de sainteté pour reconstruire la chrétienté »...
Comment caractérisez-vous les sacres de 1988 ?
Les sacres c'est un acte suprême de charité, charité vis-à-vis de Dieu pour sauver le sacerdoce et la messe, charité vis-à-vis des hommes pour donner aux fidèles des prêtres, charité vis-à-vis de soi-même car le prêtre peut continuer à dire la messe. Au jour d'aujourd'hui, il faut bien reconnaître qu'il n'existe pas un seul évêque qui accepte la fidélité totale à la tradition. Alors cette désobéissance matérielle, si on la regarde sous cet angle-là devient un acte d'héroïsme pour ce que Mgr Lefebvre lui-même appelait l'opération survie de la Tradition.
La Fraternité Saint-Pie X est-elle une avant-garde ou une arrière-garde dans le combat catholique aujourd'hui ?
Avec ses quatre cent trois prêtres qui ont une moyenne d'âge de 35 ans, je suis convaincu que la Fraternité Saint Pie X est une cavalerie légère qui essuie les coups en souffrant à la fois pour et par l'Eglise. Nous répétons que ces deux mille ans d'Eglise dont nous sommes issus ne sont pas pour nous une nostalgie mais un principe d'action et de conversion. On le voit bien à Paris où beaucoup de gens qui avaient arrêté de pratiquer retrouvent une très grande ferveur. Vous me parlez de stratégie. Je ne peux mieux faire que de vous citer le pape saint Pie X, patron céleste de notre Fraternité, dans sa première encyclique E supremi apostolatus : « L'action, voilà ce que réclame les temps présents mais une action qui se porte sans réserve à l'observation intégrale et sans réserve des lois divines et des prescriptions de l'Eglise, à la profession ouverte et hardie de la religion, à l'exercice de la charité sous toutes ses formes sans nul retour sur soi ni sur ses avantages terrestres. D'éclatants exemples de ce genre donnés par tant de soldats du Christ auront plus tôt fait d'ébranler et d'entraîner tes âmes que la multiplicité des paroles et la subtilité des discussions... ». Je crois que l'histoire de saint Nicolas depuis le commencement est l'histoire de ce courage, de cette résolution et de cette fierté, qui n'a que faire de jouer profil bas.

[Certitudes - Abbé Jacques Laguérie] «La romanité, ce n'est pas un pur idéal, c'est une réalité spirituelle, une vitalité, un esprit, plus qu'une administration» ("Des prêtres pour l'Eglise romaine")

Abbé Jacques Laguérie - Certitudes - juin 2001

Contribution publiée dans le cadre d'une enquête dirigée par l'Abbé de Tanoüarn

De quelle manière la Fraternité Saint Pie X se met-elle concrètement au service de l'Eglise aujourd'hui ?
Nous sommes concrètement ou service de l'Eglise chaque jour, dans nos tâches les plus courantes. Par notre apostolat ordinaire, on peut dire que nous continuons la vitalité de l'Eglise à travers les moyens qu'elle a utilisés traditionnellement : d'abord grâce à la pérennité de sacrements non douteux qui transmettent la grâce de Dieu ; ensuite, grâce à toutes les oeuvres que la Fraternité Saint Pie X a créées autour d'elle : prieurés, écoles, etc.
Qu'est-ce que cette romanité dont Monseigneur Lefebvre parlait si souvent ?
La romanité, c'est l'esprit même de l'Eglise, puisque l'Eglise est romaine. Mais ce qualificatif suppose une matérialisation, une localisation, une concrétisation de l'esprit de l'Eglise à Rome. La romanité, ce n'est pas seulement une qualité dans les airs, ce n'est pas une nuée, et, en ce sens, ce n'est pas un pur idéal : c'est une réalité historique, géographique et spirituelle.

Si l'on voulait expliciter cette réalité spirituelle, il me semble qu'il faudrait refaire en théologie tout le traité de l'Eglise, comprendre sa nature hiérarchique, l'envisager comme monarchique et vivante à la fois. Cette vitalité est celle des martyrs qui sont à Rome et dont le sang est et sera toujours une "semence de chrétiens", comme l'a dit Tertullien. Nous n'avons pas le temps de nous livrer à ce travail, mais enfin une chose est claire : Rome, c'est plus un esprit qu'une administration.
Comment caractérisez-vous les sacres de 1988 ?
Sur le moment, j'ai compris les sacres de quatre évêques sans l'autorisation de Rome, comme " l'opération survie " de la Tradition, ainsi que l'expliqua Monseigneur Lefebvre durant le sermon de la cérémonie.

Aujourd'hui, j'y vois beaucoup plus. Dans ce que Monseigneur Lefebvre n'a pas explicité - n'a sans doute pas osé dire - je vois le renouveau de l'Eglise tout entière ; je vois le nouveau surgeon porteur de renaissance ; je vois le relais nécessaire dans la course historique de l'Eglise.

Je voudrais bien préciser ce point : il ne s'agit pas dans mon esprit de limiter toute l'Eglise catholique à la Fraternité Saint Pie X et aux prêtres qui seront issus de ces quatre évêques, mais il faut bien prendre conscience que l'Eglise ne sortira pas de ce marasme où elle se trouve avec la hiérarchie qu'elle s'est donnée aujourd'hui. L'Eglise actuelle va tomber, il n'y a pas un évêque pour racheter l'autre. L'épiscopat qui naîtra ne viendra pas de l'esprit du Concile Vatican Il, ni des oeuvres du Concile. Il naîtra dans l'espérance et la fidélité que portent aujourd'hui nos quatre évêques. Non pas que ces nouveaux évêques, ces évêques de demain, seraient forcément sacrés par les évêques de la Tradition - encore une fois, ce n'est pas ce que je veux dire - mais je crois que l'esprit qui les portera à reconstruire l'église dévastée vit déjà dans nos quatre évêques qui sont en quelque sorte des précurseurs du renouveau authentique de l'Eglise.
Monsieur l'abbé, voulez-vous dire, comme dans l'Evangile, qu'on ne met pas de vin nouveau dans des outres vieilles ?
C'est un peu cela, si vous voulez, mais en même temps, c'est plus compliqué. Notre Seigneur disait cela en parlant des pharisiens qui étaient spirituellement morts et dont il n'y avait rien à tirer. Moi, je ne dis pas que tout est mort dans ce qui est tout de même l'Eglise romaine. Les ruines sont terribles, engendrées par des principes faux, mais il y aurait dans l'Eglise comme un système de vases communicants : ce qu'on perd d'un côté, on va le gagner de l'autre. L'Eglise subit une sorte de mue ; disons que nous avons été les premiers à muer et c'est peut-être pour cela qu'on ne nous a pas très bien compris. Mais ce qui a été construit grâce aux sacres, autour des sacres, servira de référence, de base à la reconstruction. Ce que je tire de ces considérations est très simple : contrairement à ce que certains pensent, les sacres ne sont pas seulement une rustine, une réparation provisoire qui tiendra plus ou moins et qui serait issue du désordre antérieur, c'est un acte de salut, c'est un acte précurseur.
La Fraternité Saint Pie X est-elle une avant-garde ou une arrière-garde dans le combat catholique aujourd'hui ?
Je dirais que la Fraternité est une avant-garde et une arrière-garde, mais pas sous le même rapport. Nous sommes une avant-garde et c'est sans le vouloir, par le fait des circonstances sur tous les sujets. En morale, en doctrine, nous sommes propulsés dans les premières tranchées, en première ligne. Il y a des gens qui se croyaient en avance sur nous dans le combat catholique que vous évoquez et qui se retrouvent bien derrière nous. Je pense ici en particulier, je dois vous le dire, aux sédévacantistes. Mais nous devons aussi camper à l'arrière-garde du troupeau, car il faut patienter avec ceux qui ne comprennent pas le combat, qui ne sont pas des battants. Ils gardent la foi, mais ils ne savent que se raccrocher au bateau pour ne pas couler. Il ne faut pas leur demander tout de suite de défendre toutes les positions les plus exposées ni de voir clair sur la liberté religieuse, sur la messe, etc. A ceux-là, nous donnons les sacrements ; nous voulons leur rendre la vie, leur rendre la santé avant tout.
De quelle manière la Fraternité Saint-Pie X se met-elle concrètement au service de l'Eglise aujourd'hui ?
Le plus grand service dans l'Eglise est le témoignage de la Foi, en doctrine comme dans les faits. À cet égard la FSSPX occupe une place éternellement actuelle et actuellement éternelle. On peut le résumer en ceci que tous les autres catholiques se demandent quelle part de vérité ils ont encore le droit de professer au grand jour dans l'Eglise qui se dit elle-même conciliaire, et, quant à nous, nous nous demandons seulement quelle autorité nous laisse devant les chrétiens notre liberté, notre choix résolument libre de la vérité intégrale. On peut regretter que ce témoignage traditionaliste ne soit plus aussi incisif et récurrent que par le passé. Mais le développement de notre Fraternité et les initiatives de quelques prêtres institutionnalisent heureusement ce qui était charismatique chez Mgr Lefebvre. Mgr agissait d'égal à égal avec les autorités romaines : parmi les successeurs des apôtres, il lut le seul à garder la romanité, cela lui a donné une autorité historique en quelque sorte.
"Des prêtres pour l'Eglise romaine": Enquête dirigée par l'Abbé G. de Tanoüarn
Nouvelle revue CERTITUDES - juin 2001 - n°6
Enquête dirigée par l'Abbé G. de Tanoüarn, avec les contributions de: Abbé Berteaux - Abbé Aulagnier - Abbé Bouchacourt - Abbé Jacques Laguérie - Abbé Philippe Laguérie - Abbé de La Rocque - Abbé Lorans - Abbé Nely

En ces temps de négociations et de post-négociations entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X, il nous a paru opportun de publier une enquête auprès des prêtres de cette Fraternité. Ils ont réputation d'être intraitables et enfermés dans un autre temps. On chuchote qu'ils sont également très divisés.
Cette enquête auprès des VIP du district de France révèle que les calculs des uns et les supputations des autres s'avèrent aux antipodes de la réalité. La Fraternité Saint-Pie X apparaît profondément romaine, vraiment ecclésiale et en même temps chacun de ceux qui s'expriment ici le fait avec son tempérament, son expérience pastorale et, je crois, oui, en un mot, son coeur, son coeur de prêtre de Jésus-Christ. Ces prêtres ne sont pas des clones timides et qui n'ouvrent pas la bouche sans en référer à leur autorité, comme on le voit trop souvent chez ceux qui restent solidaires du funeste Concile. Les différences de sensibilité apparaissent bien dans les réponses à la dernière de nos quatre questions : « Vous sentez-vous plutôt à l’avant-garde ou à l’arrière-garde du combat catholique ? » Il est vrai qu'à peu près toutes les positions ont été tentées ; mais quelle que soit la réponse donnée, on ressent le même élan, la même foi et, en profondeur, la même attitude vis-à-vis de l'autorité de l'Eglise. Au fond, le pape tire sur ses propres troupes. L'état lamentable dans lequel se trouve l'Eglise, l'absence apparente de recours pour assurer la pastorale des diocèses, tout cela suggère que l'Eglise ne traverse pas seulement une crise de société sans précédent mais aussi une crise d'identité, une crise interne. Alors qu'elle met elle-même en question sa romanité à travers des actes d'une exceptionnelle solennité (comme le discours introductif au Concile Vatican II, ainsi que nous le montrons dans ce numéro), la Fraternité Saint-Pie X que l'on essaie de faire passer, au mieux pour une bande d'irréductibles Gaulois attardés dans un autre siècle représente sans doute à vue humaine l'ultime chance de la romanité dans l'Eglise.
On peut trouver présomptueux voire prétentieux un tel jugement, en fait, on est bien obligé de constater que dans l'Eglise, une constellation traditionnelle semblable n'existe pas ailleurs. Ceux qui, à l'intérieur des structures, portent encore le vieil héritage romain sont tout juste tolérés et le plus souvent impitoyablement marqués de l'étoile jaune de l'intégrisme. Leur liberté d'action et de rayonnement existe mais elle est limitée. La Fraternité Saint-Pie X n'a pas - Dieu soit loué ! - le monopole de la romanité dans l'Eglise. Elle est la romanité libre et sûre d'elle-même... 
(G. de T.)

[Abbé Berteaux - Certitudes] «Etre le chaînon qui assure la transmission de la foi» ("Des prêtres pour l'Eglise romaine")

Abbé Berteaux - Nouvelle revue CERTITUDES (n°6) - juin 2001

Contribution publiée dans le cadre de l'enquête dirigée par l'Abbé de Tanoüarn

De quelle manière la Fraternité Saint-Pie X se met-elle concrètement au service de l'Eglise aujourd'hui ?
Nous nous mettons concrètement au service de l'Eglise par le sacerdoce qui se perpétue dans sa forme traditionnelle et par la doctrine maintenue. Alors que la transmission de la foi subit une crise très grave et sans précédent dans l'histoire, j'ai la conviction que Mgr Lefebvre et la Fraternité Saint Pie X à travers lui ont vocation à renouer entre le passé et l'avenir de l'Eglise, à être le chaînon qui assure la transmission de la foi aux générations qui viennent.
Qu'est-ce que cette romanité dont Mgr Lefebvre parlait si souvent ?
C'est vrai qu'on parlait très souvent de la romanité de Mgr Lefebvre et qu'on ne s'est pas assez posé la question de savoir ce qu'elle représentait et quel héritage elle est pour nous. En y réfléchissant je dirais que cette romanité se caractérise comme un amour de la hiérarchie catholique. Il ne s'agit pas d'être les inconditionnels des personnes ; c'est l'Eglise hiérarchique et c'est en elle le principe d'autorité qui vient du Christ auquel Mgr Lefebvre était tout particulièrement attaché. C'est dans ce sens qu'il que disait la crise de l'Eglise est une crise de l'autorité dans l'Eglise. Mais que signifie Rome encore ? Elle est maîtresse de vérité. Notre attachement à Rome à en ce sens quelque chose de viscéral, quelque chose qui prend aux tripes si vous me passez l'expression. Certes, elle peut faire défaut aujourd'hui, cette chaire de vérité mais cela n'enlève rien à l'attachement que nous éprouvons pour elle, aux sentiments romains qui nous animent et au rôle auquel elle ne pourra se passer de revenir.
Comment caractérisez vous les sacres de 1988 ?
Le sacre de quatre évêques sans l'accord de Rome par Mgr Lefebvre constitue un acte de courage au sens de la vertu cardinale, au sens où la force est un signe de noblesse. Voilà ce que je dirais de la personnalité de Mgr Lefebvre au plan naturel. Au plan surnaturel, les sacres ont été un acte de foi dans la pérennité de l'Eglise et en ce sens un acte d'espérance. Si j'éprouve une admiration toujours vive pour la personne de Mgr Lefebvre, c'est en pensant à sa foi si simple, si directe mais aussi à son indomptable espérance.
La Fraternité Saint-Pie X est-elle une avant-garde ou une arrière-garde dans le combat catholique aujourd'hui ?
Je dirais que nous sommes à l'avant-garde. Je lisais récemment une phrase de Bourdaloue qui évoque assez bien je crois ce que nous devons être : « II y a une obligation plus étroite et plus pressante de dire la vérité, puisqu'il n'y a plus que des prédicateurs de l'Evangile dont la vérité puisse espérer un témoignage fidèle et constant ». Nous sommes à l'avant-garde parce que nous essayons de prêcher tout l'Evangile en portant à Notre Seigneur ce témoignage fidèle et constant.

6 juin 2001

[Abbé Christian Laffargue - christicity.com] "Schisme: Quelles voies de réconciliation entre Rome et la Fraternité St-Pie X?"

SOURCE - Abbé Christian Laffargue - christicity.com - 6 juin 2001

LYON, 6 juin 2001, abbé Christian Laffargue [DECRYPTAGE/analyse] - Comme chaque week-end de la Pentecôte, les catholiques attachés à la messe tridentine et au plus long pèlerinage national français se sont retrouvés sur les routes de Chartres. Le cardinal Dario Castrillon Hoyos, préfet de la congrégation pour le Clergé, a célébré la messe dans la cathédrale. Mais dans le même temps, tout aussi rituellement, les catholiques lefebvristes de la Fraternité Saint-Pie X faisaient la route dans le sens Chartres-Paris, manifestant toujours leur opposition à un " ralliement " au Saint-Siège. On parle cependant de perspectives de réconciliation. L'avis de l'abbé Christian Laffargue, auteur de "Pour l'amour de l'Église" (Fayard, 1999).
" On sait qu'à la demande expresse du pape Jean Paul II, des contacts ont été rétablis au Vatican avec les responsables de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X fondée par Mgr Marcel Lefebvre en 1970. Le fondateur du séminaire d'Écône (dans le Valais suisse) et les quatre prêtres qu'il a consacrés évêques sans mandat pontifical et contre la volonté expresse du Saint-Père sont tombés sous le coup de l'excommunication prévue par le droit (1). Cette situation est-elle amenée à durer ?

C'est le cardinal Dario Castrillon Hoyos qui a été chargé de ces contacts. Il a rencontré plusieurs fois les évêques lefebvristes dont Mgr Bernard Fellay, supérieur général depuis 1994. Celui-ci échangera même quelques mots avec le Saint-Père, le 30 décembre 2000, au Palais apostolique.

Le 2 février 2001 il signe une " adresse au Saint-Père " tout entière centrée sur la " question liturgique ". On se souvient que c'est sur la question " de la messe " et de la " nouvelle messe " (promulguée par Paul VI en 1969 suite au concile Vatican II) que la dissidence de Mgr Lefebvre s'est cristallisée. Mgr Fellay cite d'ailleurs le sermon émouvant de Mgr Lefebvre lors des ordinations sacerdotales du 29 juin 1976 à Ecône : " C'est sur le problème de la messe que se joue tout le drame entre Ecône et Rome. Nous avons la conviction que le rite nouveau de la messe exprime une nouvelle foi, une foi qui n'est pas la nôtre, une foi qui n'est pas la foi catholique… "

Mgr Fellay a fait part au pape de l'étude réalisée par la fraternité St-Pie X sous le titre : " Le problème de la réforme liturgique. La messe de Vatican II et de Paul VI. Etude théologique et liturgique " (Ed. Clovis). Il pense que la réforme liturgique a développé une " théologie du mystère pascal " qui " altère la dimension sacrificielle de la messe " et que " les déficiences de cette théologie et de la liturgie qui en est issue est l'une des causes principales de la crise qui affecte l'Eglise depuis trente ans et plus ". Et il demande " parmi les mesures les plus urgentes de faire connaître publiquement la faculté que possède - selon lui - tout prêtre de célébrer selon l'intègre et fécond missel romain révisé par saint Pie V " (2).

Lors de sa rencontre du 16 janvier 2001 avec le cardinal Hoyos, Mgr Fellay faisait de cette demande au Pape un préalable à toute négociation (" Le Figaro " 24 mars 2001).

Si la " question de la messe " ou de la réforme liturgique semblent avoir été le point de départ de la " résistance " de Mgr Lefebvre et être le point essentiel mis en avant par ses successeurs, il ne faut pas perdre de vue que c'est pour des divergences graves avec le magistère universel de l'Eglise que Mgr Lefebvre et la fraternité St-Pie X se sont séparés de l'Eglise et continuent de s'en trouver séparés.
La Fraternité Saint Pie X reconnaît les Papes " régnants " comme légitimes, mais depuis la mort du pape Pie XII, elle ne suit plus le magistère romain. Elle ne reconnaît pas le magistère ordinaire du concile Vatican II qu'elle juge entaché d'erreurs, " en rupture avec la Tradition de l'Église " (Mgr Lefebvre, " Ils l'ont découronné ", 1987) et elle considère que tous les textes de tous les Papes qui ont suivi, y compris le pape Jean-Paul II, sont à rejeter et à fuir absolument.

Pour la même raison, elle a refusé le Catéchisme de l'Eglise catholique (1992). Elle a publié en 1993 la brochure : " Un catéchisme à l'image du Concile : le nouveau catéchisme est-il catholique ? Examen critique. " Le supérieur général de l'époque, l'abbé Franz Schmidberger (1982-1994) écrivait dans la préface : " Nous n'avons pas en mains, avec ce catéchisme, le manuel de la doctrine catholique, mais bel et bien l'exposé de la Foi moderniste de l'Eglise conciliaire " (p. 8).

Cette position absolue va jusqu'aux personnes : les laïcs lefebvristes ne participent pas à des messes célébrées, même dans l'ancien rite, par des prêtres " ralliés " (qui acceptent le magistère conciliaire et les documents qui ont suivi). S' ils y assistent, ils ne communient pas. S'ils n'ont pas de messes célébrées par l'un des leurs, ils la lisent chez eux (ce fut toujours, sur ce point, la position de Mgr Lefebvre, au moins depuis 1972).

La position générale et constante de Mgr Lefebvre et de sa fraternité est de ne se sentir obligé d'obéir qu'au magistère extraordinaire de l'Eglise (proclamation de dogmes définis comme tels). C'est d'ailleurs la même position de l'autre côté des extrêmes : les progressistes ou modernistes rejoignent les intégristes en contestant, discutant et refusant les documents pontificaux (l'encyclique " Evangelium vitae " par exemple) ou ceux des congrégations romaines pourtant approuvés par le pape, comme " Dominus Jesus " (doctr. de la Foi, 6 août 2000). On pourrait ajouter, pour être juste, que s'il y a un vrai schisme d'un côté, il y a, en plus, de l'autre, de nombreuses hérésies. Et les lefebvristes font remarquer que ceux-là ne sont pas exclus et qu'ils tiennent même des postes d'autorité dans les diocèses, séminaires et universités catholiques.

Pour conclure, on pourrait observer que, même si les supérieurs de la fraternité St-Pie X évoluaient, ils ne pourraient le faire qu'en rupture avec l'enseignement constant de Mgr Lefebvre avant et après le schisme. Les quatre évêques, très unis dans une opposition dure et absolue, se diviseraient alors, et leurs fidèles, très motivés de par le monde rejetteraient " les traîtres et les renégats " en les privant de tout soutien, notamment financiers.

Il faudrait, de leur part, une conversion intellectuelle et mentale héroïque, dans l'ordre de la Croix. Or, mes confrères prêtres sont dans le monde du " combat ", de la " croisade contre l'erreur, contre l'ennemi " et tout affaiblissement est interprété comme une trahison.

Ils ne sont pas du tout dans l' esprit d'une " repentance " (terme qu'ils abhorrent) ou d'une simple remise en cause, mais d'une reconquête. Ils souffrent de l'éloignement d'avec l'Eglise mais veulent qu'elle reconnaisse ses torts, ses erreurs et revienne au " statut ante " de façon autoritaire s'il le fallait.

A vue humaine, il y a peu d'espoir de réconciliation. En raison de son importance pour les lefebvristes, la " question liturgique " demeure la seule voie par laquelle un accord pourra se faire. Le Saint-Siège en est conscient qui non seulement dénonce certains excès mais rappelle certains principes (voir la nouvelle " Présentation générale du Missel romain ", publiée le jeudi saint 2000). L'enjeu majeur est de réaliser la réforme voulue par Vatican II, dans le respect et la continuité des rites antérieurs, à la lumière du catéchisme. Un document faisant autorité comme l'encyclique " Mediator Dei " de Pie XII (1947) sur la liturgie pourrait y contribuer. Et provoquer un ébranlement salutaire chez les successeurs de Mgr Lefebvre.
Tout est parti de la messe, tout peut revenir par la messe, au-delà de tel rite."
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[decryptage] L'abbé Christian Laffargue est prêtre du diocèse de Belley-Ars.
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Notes

(1) Excommunication " latae sententiae ", C.I.C., canon 1634, 1 et 1382. Cf. aussi la réponse de la Congrégation romaine des évêques et le conseil pontifical pour l'Interprétation des textes législatifs à l'évêque de Sion (Valais/Suisse) du 16 mai 1997, in Doc. Cath. du 6-VII-97, p. 621-623. (2) : " Lettre à nos frères séparés ", mars 2001, n° 9 in " Fideliter ", mai-juin 2001, p. 14-16 sous le titre " Le préalable de la Messe ".

5 juin 2001

[Abbé Aulagnier - Certitudes] « Nous sommes à la fois à l'avant-garde et à l'arrière-garde, mais toujours en première ligne » ("Des prêtres pour l'Eglise romaine")

Abbé Aulagnier - Nouvelle revue CERTITUDES (n°6) - juin 2001

Contribution publiée dans le cadre de l'enquête dirigée par l'Abbé de Tanoüarn

De quelle manière la Fraternité Saint-Pie X se met-elle concrètement au service de l'Eglise aujourd'hui?
Non seulement la Fraternité sert l'Eglise, mais je crois qu'il ne faut pas hésiter à dire que concrètement elle rend service à l'Eglise. D'abord en maintenant vivace l'esprit sacerdotal et le transmettant aux générations qui frappent aux portes de nos séminaires. Nul ne peut douter du service que rend la Fraternité à l'Eglise par ses séminaires de par le monde. Deuxième service, la Fraternité Saint-Pie X maintient la messe tridentine, le plus beau des trésors, le seul enseignement facile régulièrement suivi aujourd'hui par les fidèles. Si l'on touche la liturgie, c'est l'enseignement du peuple qui est affaibli ; cette messe étant riche de toute la doctrine catholique, il est de la plus haute importance de la maintenir pour que concrètement le peuple en vive. Troisièmement nous maintenons un langage doctrinal clair. Le peuple chrétien a besoin de certitudes et non de ces considérations nébuleuses où brille le modernisme. L'enseignement simple, liturgique, dogmatique que dispensent journellement les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X est sans doute le plus beau service concret qu'ils rendent à l'Eglise car ils forment ainsi toute une génération de vrais chrétiens. Il faut encore ajouter un service trop oublié et très concret aussi cependant : nous maintenons l'usage de la langue latine. Mgr Lefebvre, dans son itinéraire spirituel, a bien noté l'importance de cette transmission du latin sans laquelle il, n'y a pas d'authentique culture ecclésiastique en Occident. Vous m'avez demandé d'être concret, ces idées ne sont pas des idées en l'air ; elles font l'objet des préoccupations quotidiennes des supérieurs dans la Fraternité Saint-Pie X. Nous voulons transmettre ces principes aux jeunes lévites que nous formons et qui, si bienveillants soient-ils à l'égard de toutes les formes de la Tradition catholique, n'en restent pas moins des enfants du siècle. Cette oeuvre de transmission suppose une énergie farouche ; il s'agit d'inculquer des principes catholiques à toute une génération, rien de moins. Nous sommes les seuls à nous opposer aujourd'hui au subjectivisme moderne, qui a envahi l'Eglise sous le nom de liberté religieuse et qui corrompt l'acte de foi lui-même : désormais, même dans l'Eglise, c'est : chacun sa vérité.
 
Voilà l'esprit contre lequel nous luttons et cette lutte ne date pas d'hier, mais désormais nous la menons presque seuls. Imaginez que lorsque Mgr Lefebvre entre au Séminaire français, en septembre 1922, il était lui-même imbu de ces grands principes des droits de l'homme, il le raconte dans Petite histoire de ma longue histoire. Ce sont les encycliques des papes, c'est l'enseignement du Père Le Floc’h qui le détourne de cet esprit, qui, avant la lettre, est celui de la liberté religieuse et du concile Vatican II.
Qu'est-ce que la romanité dont Mgr Lefebvre parlait si souvent ?
La romanité pour nous, c'est un attachement indéfectible à l'Eglise fondée sur Pierre. Pierre a donné son sang dans un glorieux martyre à Rome, il n'y a pas d'autre Eglise romaine que l'Eglise sise à Rome sur le tombeau de Pierre. La romanité n'est pas une abstraction mais un amour physique pourrait-on dire pour Rome et le tombeau de Pierre. D'où notre combat, nous sommes face à des modernistes qui préfèrent Jérusalem à Rome, ainsi le cardinal Martini actuel archevêque de Milan n'a pas fait mystère de son intention de se faire enterrer à Jérusalem. À Jérusalem et non à Rome. Certes la Palestine est une belle terre, celle de la promesse, Jérusalem est la ville où l'on peut mettre ses pas dans les pas du Christ. Loin de moi l'idée de diminuer cette ville et cette terre en quoi que ce soit, mais enfin pour un chrétien Jérusalem reste de l'ordre de la mémoire, Rome est l'ordre de la vie. C'est de Rome que sont partis les missionnaires et que la vitalité sanctifiante de l'Eglise a rayonné. Je ne veux pas dire non plus que l'Eglise romaine est une Eglise centralisée à Rome. La romanité ne s'est jamais manifestée comme la négation du particularisme des régions mais la richesse et la beauté de tous les pays chrétiens vient toujours de Rome d'une manière ou d'une autre. Quoi qu'on en dise c'est du sang de Pierre que l'Eglise tire sa vitalité dans les différentes régions du monde où le message du Christ est prêché.
M. l'abbé, je ne vous pose pas, à vous, la troisième question de cette enquête, car je crois que les deux chapitres que vous consacrez aux sacres de 1988 dans votre ouvrage La Tradition sans peur sont absolument définitifs sur cette question. Je me contente, avec votre permission, d'y renvoyer le lecteur de ces lignes. Et je vous adresse immédiatement la dernière question de cette enquête : selon vous, la Fraternité Saint Pie X est-elle une avant-garde ou une arrière-garde dans le combat catholique aujourd'hui ?
Dans leur cycle d'études théologiques, les membres de la Fraternité étudient les Pères de l'Eglise. On pourrait le leur reprocher en leur objectant que le monde évolue et que ces vieux textes ne sont plus d'aucun secours pour l'homme d'aujourd'hui. Mais ce serait oublier que la Vérité n'a pas d'âge, la foi est toujours la même hier aujourd'hui et demain. Et puis, au-delà de tous les bouleversements qui traversent nos sociétés, la nature humaine demeure et Dieu est Dieu. Lorsqu'on tend vers son éternité, on n'a pas besoin d'être à la mode... Je répondrais donc volontiers à votre question : nous sommes à la fois à l'avant-garde et à l'arrière-garde, mais toujours en première ligne, tant que nous garderons le souci de servir la Vérité. C'est ce que Notre Seigneur nous enseigne dans l'Evangile, lorsqu'il nous dit : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive »...