Aletheia        n°16 - 29 juin 2001
I.        EMILE POULAT, FIN OBSERVATEUR DU CATHOLICISME
Emile        Poulat a fait, depuis un demi-siècle, du catholicisme “ un objet de        science ”. Ce n’était une évidence, ni pour les théologiens, ni        pour les hommes d’Eglise, qui eurent du mal à accepter ses         analyses historiques, sociologiques et distanciées, froides pour ainsi        dire, du modernisme, du dossier des prêtres-ouvriers, des variations du        catholicisme contemporain. La démarche d’Emile Poulat fut difficilement        comprise aussi de l’Université qui fut d’abord étonnée qu’on        étudie, dans une perspective historique, des phénomènes en mouvement,        en vie.
Aujourd’hui,        l’oeuvre d’Emile Poulat s’impose par son acribie exceptionnelle. Je        ne rappelerai pas ses nombreux livres et je renverrai, pour une        bibliographie complète (du moins, à la date de parution...), au volume        collectif d’études et de témoignages qui est paru il y a quelque temps        : Un objet de science, le catholicisme : réflexions  autour de l’oeuvre        d’Emile Poulat, Paris, Bayard, 2001, 288 pages, 198 F.
On        doit signaler aussi le dernier numéro de France Catholique (60 rue        de Fontenay, 92350 Le Plessis-Robinson, numéro du 29 juin 2001, 20 F) qui        fait sa une avec une belle photographie d’Emile Poulat et publie une        longue - sept pages - et intéressante interview. Pour inviter les        lecteurs à lire ce passionnant entretien, je n’en citerai que quelques        extraits qui incitent à la réflexion :
“        D’une certaine manière, le premier vrai successeur de Léon XIII est        Jean-Paul II. ”
“        Le catholicisme français s’est longtemps pensé comme un modèle pour        le monde. Il est convaincu que le concile Vatican II est son oeuvre, celle        de ses experts. Comme j’ai rencontré beaucoup d’autres personnes qui        sont persuadées avoir fait le concile, il y a un peu d’illusions et        beaucoup de prétention. L’illusion va loin, car lorsqu’il y a        différences d’interprétations, si l’on s’éloigne de l’interprétation        qui est la vôtre, on dit que le Concile se pervertit.”
“        On dit que le Concile s’est ouvert à la modernité : or dans l’index        des actes du Concile, le mot modernité ne figure pas, ni le mot        modernisme. Cinq fois l’adjectif moderne mais dans un sens tout à fait        banal. Il faudrait revenir aux textes. Soyons clairs : par qui a été        fait le Concile ? Par des évêques formés sous Pie XII et certains        encore sous Pie XI, qui n’étaient pas réputés pour leur modernité.        Comment auraient-ils pu devenir subitement les héros d’une église        progressiste ? ”
“        Après des générations qui ont déserté, voici ces nouvelles        générations habitées religieusement, voyez la fréquentation des        églises : Notre-Dame qui était vide est à nouveau pleine. (...) J’ai        connu le centre historique de Paris au temps où il était religieusement        mort, ses églises désertées. Aujourd’hui ce centre est religieusement        très vivant. St-Nicolas du Chardonnet mais aussi St-Séverin, St-Gervais,        St-Etienne du Mont, St-Médard, vous êtes là dans des paroisses qui        vivent. Ce n’est pas vrai partout. On sait ce qu’il en est dans        certaines provinces. Dans le diocèse de Cahors, on se demande s’il y        aura encore un prêtre dans dix ans, mis à part son évêque. ”
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II.        JEAN XXIII : LA CONTROVERSE DES TRADUCTIONS
Le        père Gino Concetti, qui est considéré comme le théologien principal de        l’Osservatore romano, a publié, le 22 avril dernier, un grand        article pour dénoncer la trahison qu’aurait subie Jean XXIII dans la        traduction italienne de son célèbre discours d’ouverture du concile        Vatican II. Le 11 octobre 1962, Jean XXIII fixait comme objectif  au        concile Vatican II qui s’ouvrait :
“        une nette avance dans le sens de la pénétration de la doctrine et de la        formation des consciences, en correspondance plus parfaite avec la        fidélité professée envers la doctrine authentique, celle-ci étant d’ailleurs        étudiée et exposée suivant les méthodes de recherche et la        présentation dont use la pensée moderne.”
Cette        version a été celle diffusée en France, et dans d’autres pays, selon        la version italienne du discours. Or, si l’on se réfère au texte latin        paru dans L’Osservatore romano dans son édition du 12 octobre,        texte latin, seul officiel, et publié comme tel ensuite dans les Acta        Apostolicae Sedis, le sens du discours est fort différent :
“        que la doctrine soit plus largement et plus profondément connue, qu’elle        anime et forme plus pleinement les esprits ; il faut que cette doctrine        certaine et immuable, qui a droit au plus fidèle respect, soit étudiée        et exposée selon une méthode que demande notre temps. ”.
 Le        père Concetti  en conclut : “ La traduction du latin a été        épurée dans un sens progressiste ”.
C’est        Jean Madiran qui, le premier, je crois, en avait fait la remarque, peu de        temps après l’événement ; cf. “ Autour du concile ”, Itinéraires,        n° 68, décembre 1962, p. 12-14 (voir aussi Itinéraires, n° 70,        février 1963, p. 100-106).
Jean        XXIII trahi ? Un de ses biographes les mieux informés, Peter        Hebblethwaite, semble montrer que la trahison ne s’est pas faite dans le        sens que Jean Madiran puis le père Concetti l’ont cru. Il explique (Jean        XXIII, le pape du Concile, Paris, Le Centurion, 1988, p. 472-476) que        Jean XXIII a rédigé son discours en italien mais que le texte latin qu’il        a prononcé dans la Basilique Saint-Pierre, texte qui sera publié dans        les AAS,  est une version corrigée et expurgée (par qui ?).        Hebblethwaite ajoute : “ Quand le pape Jean découvrira ces        modifications scandaleuses fin novembre 1962 il aura l’habileté de ne        pas congédier le responsable des Acta Apostolicae Sedis. Il se        contente de citer son texte, dans sa version non publiée, dans des        discours importants. ”
