| Abbé Lorans : « Les évêques de France se cramponnent à des fantômes (...) la jeunesse ne comprend plus l'ordre sclérosé qu'ils défendent » ("Des prêtres pour l'Eglise romaine") | 
| Nouvelle revue CERTITUDES - juin 2001 - n°6 | 
| Contribution publiée dans le cadre de l'enquête         dirigée par l'Abbé de Tanoüarn De         quelle manière la Fraternité Saint-Pie X se met-elle concrètement au         service de l'Eglise aujourd'hui ? Le         cardinal Gagnon, pour conclure la visite canonique oui a eu lieu à         Ecône et dans toutes les maisons de la Fraternité Saint-Pie X à la         fin de l'année 1987, a tenu à parapher le livre d'or du Séminaire en         exprimant le souhait que « le merveilleux travail de formation         sacerdotale accompli ici rayonne un jour pour le bien de toute la sainte         Eglise ». Concrètement c'est bien par la formation des prêtres         que la Fraternité se met au service de l'Eglise. Ces prêtres sont en         quelque sorte comme en réserve mais ce n'est pas d'une réserve de         Peaux-Rouges qu'il s'agit comme le rappelait récemment Mgr Fellay. Nous         sommes des supplétifs prêts à intervenir, pas des émigrés de         l'intérieur. Grâce à la Fraternité, les richesses de la Tradition         catholique ont été effectivement transmises à toute une génération         comme vient de le montrer la nouvelle enquête d'Agathon menée par des         étudiants de l'Institut saint Pie X et que vous avez publiée         vous-même dans le précédent numéro de Certitudes. Il faut         maintenant que cette richesse trouve des espaces de liberté où elle         puisse devenir féconde. Je crois d'ailleurs que c'est en ce sens qu'il         faut comprendre la fameuse expression de Mgr Lefebvre sur l'expérience         de la Tradition. « Laissez nous faire l'expérience de la Tradition         » demandait notre fondateur à Rome durant le fameux sermon de         Lille en août 1976. La Tradition c'est effectivement une expérience         vécue et qui ne demande qu'à s'étendre, à être vécue le plus         largement possible. Tel est en quelque sorte le risque de la Tradition         (cette surnaturelle fécondité !) et ce risque, les évêques en France         ne veulent pas le prendre parce qu'ils ne sont pas capables comme fait         le père de famille de l'Evangile de tirer de leurs trésors du neuf et         du vieux... Oui des choses anciennes avec les choses nouvelles, vetera         sed noviter dicta. Les jeunes prêtres au contraire ne veulent pas         épouser les crispations de leurs aînés et ils comprennent beaucoup         mieux cette démarche ; ils sentent d'une manière presque intuitive que         la Fraternité Saint Pie X dans sa résistance est au service de         l'Eglise, comme le prouvent leurs réactions à la Lettre à nos frères         prêtres. Qu'est-ce         que cette romanité dont Mgr Lefebvre parlait si souvent ? Historiquement         c'est sa formation au Séminaire français de Rome qu'évoqué Mgr         Lefebvre lorsqu'il parle de romanité. La forte personnalité du père         Le Floc'h avait imprimé à l'enseignement et aux coutumes de cette         maison un incomparable caractère de romanité que ses successeurs ont         su conserver. Le père Victor Berto qui sera le théologien privé de         Mgr Lefebvre pendant le concile fait partie lui aussi des héritiers         directs du père Le Floc'h et il a su décrire avec un lyrisme discret         la beauté de cette romanité qui est avant tout fidélité à         l'enseignement des papes. Mgr Lefebvre a cherché à nous transmettre         cet esprit en instaurant une nouvelle matière scolaire dans         renseignement, le cours des actes du magistère durant lequel on         enseigne aux séminaristes le contenu des grandes encycliques qui         forment un corpus doctrinal homogène et varié de Grégoire XVI à Pie         XII. On pourrait dire aussi sur un plan géographique et historique que         cette romanité spontanée de la Fraternité Saint Pie X (qu'exprimé         fortement son caractère international) est une réponse à la         crispation gallicane des évêques de France. Malgré leurs échecs         répétés, et alors qu'on peut dire en toute objectivité que leurs         diocèses sont exsangues, ils se cramponnent à de vieilles idées, aux         vieilles lunes de l'action catholique par exemple, à des structures         obsolètes qui ne signifient plus rien, ils se cramponnent à des         fantômes, et là encore, tout aussi spontanément, leurs jeunes         prêtres se sentent plus proches de Rome que des apparatchiks français.         Ces gallicans sont lâchés par la jeunesse qui ne comprend plus l'ordre         sclérosé que défendent leurs aînés dans le sacerdoce. Comment         caractérisez-vous les sacres de 1988 ? À         propos des sacres, on a beaucoup parlé d'opération survie selon         l'expression de Mgr Lefebvre lui-même durant le sermon du trente juin         1988, on a invoqué que le cas de nécessité pour expliquer que nous ne         faisions pas schisme, que nous ne sommes pas une Eglise parallèle.         Personnellement, j'aime beaucoup l'expression de Mgr lissier de         Mallerais qui s'intitule lui-même "évêque supplétif". Nous         exerçons en effet par notre apostolat une sorte de suppléance dans le         grand collapsus actuel. Il faut croire que la nécessité d'une telle         suppléance était visible à l'oeil nu (quoique diversement         appréciée) puisque médiatiquement l'onde de choc des sacres fut         indéniable. En tant que directeur du séminaire d'Ecône à l'époque         j'ai accrédité moi-même quelque 350 journalistes de tous les pays du         monde jusqu'au Japon. Qu'on ne         vienne pas nous dire après cela que ces sacres correspondaient         simplement aux caprices, aux hantises ou à l'entêtement d'un vieil         évêque isolé. Mgr Lefebvre que je voyais tous les jours à l'époque         au moins lorsqu'il résidait au séminaire, a pris cette décision avec         le plus grand calme et une extraordinaire sérénité. Autant il fut         tendu tant qu'il n'avait pas pris cette décision et en particulier         alors qu'il se préparait à signer avec Rome le protocole du 5 mai         1988, autant, revenant de Rome après avoir repris sa signature le 6         mai, il était comme libéré. En fait, il a toujours eu conscience du         décalage que voilait la diplomatie vaticane « c'est dangereux de ne         pas parier sur les mêmes enjeux » me disait-il, comme à d'autres         sans doute, lorsqu'il évoquait l'éventualité d'un accord. De fait le         cardinal Ratzinger envisageait notre intégration dans l'église         conciliaire comme si nous devions disparaître dans le paysage, alors         que Mgr Lefebvre signait pour trouver cet espace de liberté nécessaire         à la pleine expérience de la Tradition. Ce décalage était trop         important pour qu'il en sorte un accord fructueux. C'est ce que Mgr         Lefebvre a compris lorsqu'il a décidé de sacrer lui-même quatre         évêques par un mandat implicite de l'Eglise, sans attendre une         autorisation explicite du Vatican. La Fraternité         Saint-Pie X est-elle une avant-garde ou une arrière-garde dans le         combat catholique aujourd'hui ? Du point         de vue des médias, nous sommes une arrière-garde et je dirais même         une arrière-garde retardataire et, à cause de cela, promise à         l'anéantissement à plus ou moins long terme, autrement dit nous sommes         des vestiges et des débris. Mais j'ai la conviction que c'est         exactement l'inverse qui est vrai du point de vue doctrinal. C'est un         combat d'avant-garde que nous menons, nous possédons la réponse à la         crise post-moderne et c'est ce que l'on peut appeler le combat         catholique pour la civilisation. Lorsque je dis nous possédons, je         dois vous paraître un peu présomptueux ; Pour Mgr Lefebvre c'est la         messe qui est la réponse à la crise morale et culturelle que nous         traversons tous et c'est parce que nous avons la messe que nous tenons         la réponse spirituelle à la crise. Il l'a dit très fortement à         plusieurs reprises mais en particulier lors du sermon qu'il a prononcé         pour son jubilé sacerdotal en 1979 : si on supprime la dimension         sacrificielle qui est au coeur de toute vie humaine et de tout         comportement simplement responsable, on remplace la culture         sacrificielle qui est la culture de chrétienté par une autre culture         que Mgr Lefebvre appelait un sida mental, on parle couramment         aujourd'hui de culture de mort sans doute d'abord parce qu'elle est         essentiellement immuno-déficiente. Dans la ligne de Jean-Paul II, on         oppose un peu trop facilement à la culture de mort une culture de vie.         C'est bien de défendre la vte, mais ce n'est pas suffisant. L'Evangile         nous apprend à chaque page qu'il faut mourir pour vivre : si le grain         tombé en terre ne meurt, il reste seul mais s'il meurt il porte         beaucoup de fruits. Le mal dont nous souffrons n'est pas seulement         identifiable sous le nom de culture de mort. Saint Pie X dirait « nous         ne souffrons pas seulement de la méchanceté des méchants mais aussi         de la faiblesse des bons. » Et cette faiblesse des bons, en         l'occurrence la grande faiblesse des chrétiens d'aujourd'hui par         exemple, c'est qu'ils ne veulent pas entendre parler du sacrifice et         qu'ils se contentent dans une sorte d'euphorie hébétée d'opposer à         la culture de mort des valeurs de vie. La question que nous posons, la         question que pose notre combat pour la défense du Saint Sacrifice de la         messe est d'avant-garde en ce qu'elle dépasse la dialectique entre         culture de mort et culture de vie, en dénonçant non seulement le mal         mais aussi ce que j'ai appelé la vraie crise des fausses valeurs. En         effet on peut se demander à quoi servent les valeurs de vie si elles ne         sont pas adossées à la possibilité d'un sacrifice. Dans plusieurs         essais récents, on évoque l'ère du vide et le crépuscule du devoir         (Gilles Lipovetzsky) et l'impossibilité où se trouve l'individu         moderne de donner sa vie pour autre chose que soi. Comme le dit         aussi Luc Ferry, rien aujourd'hui ne peut être sacrifié à soi-même.         Ce refus de toutes les formes du sacrifice est sans doute la racine de         la crise morale sans précédent qui secoue les sociétés postmodernes.         Mgr Lefebvre a tenu ce discours pendant trente ans sans être entendu,         il suffit de se replonger dans la très belle compilation de ses sermons         que vous avez réédités aux éditions Servir, pour s'apercevoir que ce         prélat, que l'on a dit ringard afin de le disqualifier sans ouvrir de         débat, avait surtout le tort d'être en avance sur son temps. Il a         très tôt posé un jugement critique que l'optimisme béat du concile         interdisait de poser en son temps aux dignitaires ecclésiastiques de         quelque rang qu'ils fussent. Je crois         que la vocation particulière de la Fraternité au sein même de         l'époque où nous vivons est de rappeler que sans le sacrifice et plus         généralement sans le sens du service, sans la leçon de l'Evangile         dans toute son apparente dureté, il n'y a pas d'humanité digne de ce         nom. Mais ce         combat est gigantesque, nous ne luttons pas seulement contre la chair et         le sang mais contre les puissances et les dominations comme disait saint         Paul, c'est pour cela je crois qu'il ne faut pas attendre de         retournement spectaculaire de la situation présente, notre combat est         celui de David contre Goliath, il se mène à la fronde comme vous         m'avez déjà donné l'occasion de le dire dans le dernier numéro de Certitudes,         Oui il ne faut pas que nous hésitions à être frondeurs en sachant         bien que les coups que nous pouvons donner dans ce combat sont rares         tant les enjeux sont écrasants, il importe par dessus tout qu'ils         soient bien ajustés. C'est         pourquoi une solide formation devient de plus en plus nécessaire à         ceux qui veulent mener cette fronde de l'intelligence et du cœur, à         ceux qui veulent participer à cette insurrection de la grâce contre         les pesanteurs du monde. Mgr Lefebvre n'a pas craint un jour         d'ordination d'évoquer l'Evangile comme une véritable révolution         spirituelle ; je crois qu'il appelait de ses vœux la Fronde que nous         menons aujourd'hui au nom de l'Evangile intégral contre tous les         adoucissements qui sont surtout hélas des amollissements... | 
