30 avril 2018

[Disputationes Theologicae] La guerre juste doit être combattue. Même par chacun d'entre nous

Giovanni di Paolo, Sainte Catherine
de Sienne à la Cour Pontifical
d'Avignon n'abandonne
pas la “guerre” pour
le “juste jugement”.
SOURCE - Disputationes Theologicae - 30 avril 2018

L'importance de la vertu de force
Sur la guerre juste Saint Thomas d'Aquin a écrit des mots incisifs qui sont une indication particulièrement actuelle pour les chefs d’États, mais aussi une suggestion morale pour chacun d'entre nous, surtout lorsqu'il s'agit de ne pas sous-évaluer l'exercice que nous devons faire de la vertu de force. En effet, un christianisme “doucereux” a fait souvent oublier que dans certains cas il y a un vrai devoir d'entrer en guerre lorsque est en jeu le bien de la patrie, mais aussi lorsqu'il est nécessaire de rétablir la justice, et cela - dit Saint Thomas - même en prenant des risques pour soi-même. Nous publierons de brefs articles sur des thèmes politiques qui nous touchent de près sur le plan naturel et surnaturel mais aussi sur le plan international, ecclésial et personnel.
Faire la guerre (même dans le sens le plus large du terme) n'est pas un péché
Saint Thomas commence son discours sur la guerre en affirmant qu'il existe une opinion selon laquelle faire la guerre ou dans un sens plus large s'opposer avec la force ou résister aux abus serait toujours un péché. Il rapporte la pensée de Saint Augustin qui avait déjà dû dissiper des doutes sur ce sujet en rappelant que dans l’Évangile on ne trouve aucune interdiction aux militaires d'exercer leur métier1.

Cependant, souligne l'Aquinate, il faut que la guerre soit juste et une telle justesse dérive au moins de trois caractéristiques. Dans les guerres qui regardent les royaumes il n'est pas permis à tout le monde de déclarer la guerre, mais cela doit être une décision prise par l'autorité, c'est-à-dire par le prince légitime qui a parmi ses attributions celle de conduire l'action guerrière. En effet, un homme privé, pour un éventuel rétablissement de la justice, dans des conditions ordinaires, recourt au jugement du supérieur et n'a pas la faculté de déclarer une guerre. La sauvegarde de la tranquillité de l'ordre revient en soi au prince; il déclare la guerre à celui qui trouble l'ordre tant de l'intérieur que de l'extérieur (un cas à part est celui de l'autorité qui va contre le bien commun, sujet sur lequel nous reviendrons). C'est pour ce motif que le prince porte une épée, pour défendre la justice et pour être ce « vindex » dont parle Saint Paul (Rom 13,4). « Vengeur » est à prendre ici dans le sens le plus classique du terme c'est-à-dire dans le sens de « venger la colère divine », synonyme de « rétablir la justice ». Ce « vindex » est donc le protecteur du pauvre qu'il doit sauvegarder des exactions des iniques. En plus d'être une action du prince, la guerre juste doit avoir une caractéristique fondamentale la « causa justa », c'est-à-dire que celui auquel on déclare la guerre le mérite. C'est pour cela que Saint Augustin dit qu'on a l'habitude de définir comme guerres justes celles qui vengent l'injustice commise par une société qui refuse de réparer et persiste dans la prévarication. Troisièmement, la guerre juste doit être accompagnée de la droite intention de celui qui combat, c'est-à-dire que le but doit être la promotion du bien et l'extirpation du mal ou du moins le freiner, pour réprimer les méchants et soulager les bons. Cependant, il ne suffit pas que le prince légitime défende une cause juste parce que - toujours selon Saint Augustin - une telle guerre serait illicite si l'intention était par exemple le désir de nuire, la cruauté dans l'exercice de la vengeance, un tempérament implacable, la férocité dans la conduite de la guerre ou la soif de pouvoir2.

Mais comment concilier alors ce que l'on vient de dire avec le commandement divin de ne pas restituer le mal pour le mal ? Le Saint Évêque d'Hippone dit que quand on est obligé de conduire une guerre, une disposition générale de l'âme à la douceur et au renoncement à se défendre est nécessaire pour être fidèle à l’Évangile. Mais cela pourrait se dire aussi au sujet d'une résistance à actuer aux formes les plus diverses. Toutefois, à un certain moment l'intervention de la force devient nécessaire surtout si le bien commun ou le bien de ceux contre lesquels on combat est en jeu. Ici émerge un autre aspect trop souvent oublié, c'est-à-dire le devoir d'aimer le prochain jusqu'au point de lui déclarer la guerre. Pour son bien. Cela peut être un geste d'amour que de lui enlever la liberté de faire le mal impunément et surtout lui soustraire son bonheur tranquille de malfaiteur, qui renforce la crânerie des impunis et leur mauvaise volonté. En paraphrasant Saint Augustin on pourrait ajouter qu'en plus de combattre pour le bien commun, on combat cet ennemi intérieur qui lutte à l'intérieur de notre ennemi3. Et cela pour son véritable bien. Telle est la charité qui doit animer l'action de s'opposer - même par l'épée si nécessaire - à l'injustice. Cependant, rappelle Saint Augustin à Boniface, il faut toujours tenir présent que le but de la guerre est la paix : « la paix n'est pas recherchée pour faire la guerre, mais la guerre se conduit pour obtenir la paix. Aies donc toujours l'âme pacifique lorsque tu guerroies, afin qu'en gagnant tu puisses conduire au bien de la paix ceux que tu auras soumis »4.
L'importance de s'exposer soi-même dans la guerre juste
Dans un lieu parallèle Saint Thomas rappelle que certaines guerres sont à faire et que, suivant son état, dans certains cas il n'y a pas d'excuses qui valent. S'il y a un bien important à poursuivre il faut aller jusqu'au bout, en exerçant précisément la vertu de force, qui nous fait aller même à l'encontre de la mort ou du moins nous rend prêt à la risquer. Sa propre vie mais aussi - notamment dans les guerres que l'on fait sans armes - d'autres biens comme l'aisance ou la réputation doivent être mis au service de la cause du bien. Ce qui signifie que l'homme doit être prêt à aller même à l'encontre de la mort dans la défense du bien commun par la guerre juste5. Ici Saint Thomas fait un ajout, en donnant une indication à chacun d'entre nous sur le devoir de combattre même si nous ne sommes pas des soldats chargés de défendre le sol de la patrie, mais de simples militants dans la guerre pour le triomphe de la foi attaquée ou de la justice naturelle piétinée. Il y a en effet deux types de guerres justes, le premier est appelé général lorsque l'on combat dans les rangs de l'armée et le second est appelé particulier c'est-à-dire celui qui peut concerner les personnes privées, chacun d'entre nous. Cela se vérifie lorsqu'un homme ne s'écarte pas du juste jugement (« non recedit a justo judicio »)6,qu'il reste ferme dans le choix juste, sans trembler devant le danger de mort ou de n'importe quelles autres menaces. La vertu de force exige en effet une fermeté d'âme contre les intimidations et les dangers même mortels, non seulement dans une éventuelle guerre officiellement déclarée par l'autorité mais aussi dans notre “guerre particulière”, qui à juste titre peut être dite guerre comme l'écrit le Docteur commun7. Même la défense d'un jugement objectivement juste peut - et parfois doit - aller jusqu'à la guerre. Non seulement parce qu'il peut y avoir le devoir pour le bien commun d’exercer la vertu de force en rétablissant la vérité, mais aussi pour ne pas commettre un péché contre l'intelligence, en soumettant cette grande vertu à la tranquillité de sa petite vie et de son propre intérêt personnel.

La Rédaction de Disputationes Theologicae 
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1 S. Thomas d’Aquin, S. Th., IIª-IIae q. 40 a. 1 s. c.

2 Ibidem, c.

3 Ibidem, ad 2. “Ad secundum dicendum quod huiusmodi praecepta, sicut Augustinus dicit, in libro de Serm. Dom. in monte, semper sunt servanda in praeparatione animi, ut scilicet semper homo sit paratus non resistere vel non se defendere si opus fuerit. Sed quandoque est aliter agendum propter commune bonum, et etiam illorum cum quibus pugnatur. Unde Augustinus dicit, in Epist. ad Marcellinum, agenda sunt multa etiam cum invitis benigna quadam asperitate plectendis. Nam cui licentia iniquitatis eripitur, utiliter vincitur, quoniam nihil est infelicius felicitate peccantium, qua poenalis nutritur impunitas, et mala voluntas, velut hostis interior, roboratur”.

4 Ibidem, ad 3. “Ad tertium dicendum quod etiam illi qui iusta bella gerunt pacem intendunt. Et ita paci non contrariantur nisi malae, quam dominus non venit mittere in terram, ut dicitur Matth. X. Unde Augustinus dicit, ad Bonifacium, non quaeritur pax ut bellum exerceatur, sed bellum geritur ut pax acquiratur. Esto ergo bellando pacificus, ut eos quos expugnas ad pacis utilitatem vincendo perducas”.

5 Ibidem, IIª-IIae, q. 123 a. 5 c. “Sed pericula mortis quae est in bellicis directe imminent homini propter aliquod bonum, inquantum scilicet defendit bonum commune per iustum bellum”.

6 Ibidem, “Potest autem aliquod esse iustum bellum dupliciter. Uno modo, generale, sicut cum aliqui decertant in acie. Alio modo, particulare, puta cum aliquis iudex, vel etiam privata persona, non recedit a iusto iudicio timore gladii imminentis vel cuiuscumque periculi, etiam si sit mortiferum”.

7 Ibidem, “sed etiam quae imminent in particulari impugnatione, quae communi nomine bellum dici potest”.

29 avril 2018

[Abbé Paul Aulagnier - La Revue Item] Pour l’honneur de Mgr Lefebvre, réponse à Yves Chiron sur son livre sur Dom Gérard

SOURCE - La Revue Item - 29 avril 2018

En mémoire de Mgr Lefebvre et pour son honneur

« Tradidi quod et accepi ». Ces paroles expriment tout l’idéal épiscopal de Mgr Lefebvre, une volonté de fidélité. Il voulut être un évêque fidèle. « J’ai transmis ce que j’ai reçu ».  C’est ce qu’il voulut faire durant sa vie épiscopale tant en Afrique qu’en France. Ces paroles furent prononcées par Mgr Lefebvre lors de sa prédication, du 30 juin 1988, alors qu’il conférait le sacre épiscopal à quatre de ses disciples au séminaire d’Ecône, devant une foule importante de fidèles. D’aucuns y ont vu un « acte schismatique ». Yves Chiron, dans son nouveau livre sur Dom Gérard : « Dom Gérard. Tourné vers le Seigneur » le dit haut et fort, invoquant sans autre argument, la discipline ecclésiastique, le Droit Canon, sans tenir compte de la « crise » de l’Eglise pourtant réelle.

Ce livre est très historique et sous ce rapport, intéressant. Il faut l’en féliciter. Un vrai travail de moine ! Que d’archives consultées, ordonnées, analysées !

C’est un livre  en « commande ». L’auteur ne le nie pas, mais il affirme tout autant avoir gardé toute sa liberté d’écrivain, d’historien…C’est d’autant plus grave et pour lui et pour les commanditaires, tant les accusations sont graves et lourdes de conséquences pour l’honneur de Mgr Lefebvre et pour le monastère.  Les commanditaires en sont les moines du Barroux puisque il est édité aux « éditions Sainte Madeleine », les éditions du monastère…. Si les « accusations » sont du seul chef d’Yves Chiron….la publication du livre laisse entendre que les moines épouse sa pensée, sa « doctrine » ses accusations » (Voir la lettre aux amis du monastère n° 165)… Autrement, les moines ne l’auraient pas édité… Ce livre est révélateur d’une pensée…Il ne faudra pas l’oublier…

Ce livre est très sévère pour Mgr Lefebvre et son « combat » dans l’Eglise, très sévère pour la Fraternité sacerdotale saint Pie X, son œuvre, pourtant si brillante et si missionnaire. L’auteur et donc les moines parlent du « schisme de Mgr Lefebvre », ni plus ni moins, en raison des Sacres » faits par ce dernier, le 30 juin 1988, soutenu par Mgr de Castro Mayer, évêque émérite de Campos, au Brésil. Il en parle non pas une fois, comme en passant, mais « mille » fois. C’est même comme un leit-motif, lancinant et pénible. Il ne donne aucune preuve sinon l’argument « canonique », le seul, l’argument disciplinaire. «Mais attention la lettre tue et l’esprit vivifie ». C’est ce que disait NSJC face aux pharisiens. Ces derniers condamnèrent même Jésus en raison de leur « Loi »…C’est ce qu’ « il » fait  lui aussi condamnant Mgr Lefebvre,  utilisant uniquement la « lettre ». J’ai lu tout le livre avec attention.

C’est ainsi que l’auteur intitule son chapitre 11 : « 1988, refus du schisme » (sous-entendu par Dom Gérard).  Ce jugement est catégorique, loin d’être nuancé. Il est sans cesse répété, justifié auprès des moines et des fidèles qui fréquentent le monastère. Par exemple, l’auteur cite Dom Gérard, au  moment de son éloignement puis de  sa rupture avec Mgr Lefebvre. A cette époque-là, Dom Gérard met en garde contre une erreur bien actuelle : « n’ayons pas le romantisme du petit nombre, le romantisme de nous trouver très contents d’être en dehors de la légalité. Cette situation est un état violent. Elle n’est qu’un ultime refuge. L’Eglise étant une société, le cadre est important (il est d’origine divine). Gardons le sens de l’Eglise. Ne tombons pas dans une mentalité de secte » (p. 481). Dans ce chapitre, l’auteur ne cesse d’utiliser ces mots de secte, de schisme, d’excommunication, « à l’origine de cet acte schismatique… », d’infidélité à l’autorité ecclésiastique… Par exemple il dit que la communauté de l’Annonciation (les bénédictines d’à côté)  s’engagea, elles, sans défection, dans la voie de la réconciliation avec le saint Siège….Mère Elizabeth ne pouvait approuver l’acte schismatiqueaccompli » (p 504). Elle en est félicitée. Tout est à l’encan…

Il va même jusqu’à dire, citant Dom Gérard, que Mgr Lefebvre n’avait pas le « sensus ecclesiae ». Pas moins ! Dans son testament, Dom Gérard écrit « pour le monastère » : « Aimez l’Eglise, sa liturgie, son Magistère, le Souverain Pontife. Ayez le sentire cum ecclesia. C’est l’amour de l’Eglise qui nous a sauvés du schisme. Mgr Lefebvre avait tout d’un grand homme d’Eglise. Ce qui lui a manqué, c’est le sensus ecclesiae, cet instinct surnaturel qui fait sentir ce qui est conforme à la pensée de l’Eglise. Il a progressivement perdu ce sensus ecclesiae par crainte d’affaiblir sa résistance » (p 566). Ce n’est pas très joli d‘écrire cela, après avoir tant reçu de ce prélat. Si les moines jouissent de la messe tridentine, la messe de « toujours », c’est bien grâce au « combat » de Mgr Lefebvre, et à sa fidélité à la Tradition, soutenu par d’autres prêtres, le Père Calmel, l’abbé Coache, le Père Barbara et de nombreux laïques, Jean Madiran, Louis Salleron, Luce Quenette…un vrai général en chef …. Sans cette résistance « héroïque », nous n’aurions jamais eu la joie du Motu Proprio de Benoît XVI Summorum Pontificum  reconnaissant que la messe « ancienne » n’avait jamais été abolie. On a même l’impression, à certains moments du livre, que ses moines ou du moins l’auteur du livre,  lui reprochent ce combat, cette résistance. Il a osé se dresser contre l’autorité ecclésiale ! Dom Gérard est même quelque fois embarqué dans la critique…Je trouve que c’est un manque évident de justice, et même un manque à la piété filiale due.

Mgr Lefebvre est ainsi attaqué injustement dans ce livre et ces commanditaires indignes : les moines. Sur ce chemin, ils vont se perdre. Avec de tels arguments, ils n’auraient pas mené le « bon combat »…il y a trente ans….Et si ce combat se renouvelait, ils se réfugieraient, c’est à craindre,  dans la « sainte obéissance », comme d’autres communautés de l’époque le firent ?

En écrivant ce nouveau livre sur Mgr Lefebvre, j’ai la ferme intention de défendre sa mémoire, son honneur mis à mal par ce livre de Yves Chiron.

 « J’ai transmis ce que j’ai reçu ». Voilà en quelques mots le résumé de la personnalité de Mgr Lefebvre. Il les prononça lors de son discours du 30 juin 1988, le jour des Sacres :

« Loin de moi de m’ériger en pape. Je ne suis qu’un évêque de l’Église catholique qui continue à transmettre, à transmettre la doctrine. Tradidi quod et accepi. C’est ce que je pense…c’est ce  que je souhaiterais qu’on mette sur ma tombe, et cela ne tardera sans doute pas… qu’on mette sur ma tombe Tradidi quod et accepi – ce que dit saint Paul – « Je vous ai transmis ce que j’ai reçu », tout simplement. Je suis le facteur qui porte une lettre. Ce n’est pas moi qui l’ai faite cette lettre, ce message, cette parole de Dieu, c’est Dieu Lui-même, c’est Notre Seigneur Jésus Christ Lui-même, et nous vous l’avons transmis, par l’intermédiaire de ces chers prêtres qui sont ici présents, et par tous ceux qui, eux-mêmes, ont cru devoir résister à cette vague d’apostasie dans l’Église, en gardant la Foi de toujours et en la transmettant aux fidèles. Nous ne sommes que des porteurs de cette nouvelle, de cet évangile que Notre Seigneur Jésus Christ nous a donné et des moyens pour nous sanctifier : la Sainte Messe, la vraie Sainte Messe, les vrais sacrements, qui donnent vraiment la vie spirituelle.  Il me semble entendre la voix de tous ces papes depuis Grégoire XVI, Pie IX, Léon XIII, saint Pie X, Benoît XV, Pie XI, Pie XII, nous dire :

« Mais de grâce, de grâce, qu’allez-vous faire de nos enseignements ? de notre prédication ? de la Foi catholique ? Allez-vous l’abandonner ? Allez-vous la laisser disparaître de cette terre ? De grâce, de grâce, continuez à garder ce trésor que nous vous avons donné. N’abandonnez pas les fidèles ! n’abandonnez pas l’Église ! continuez l’Église ! Car enfin, depuis le concile, ce que nous avons condamné, voici que les autorités romaines l’adoptent, et le professent, comment est-ce possible ? Nous avons condamné le libéralisme, nous avons condamné le communisme, le socialisme, le modernisme, le sillonnisme, toutes ces erreurs que nous avons condamnées, voici maintenant qu’elles sont professées, adoptées, soutenues par les autorités de l’Église : est-ce possible ? Si vous ne faites pas quelque chose pour continuer cette Tradition de l’Église que nous vous avons donnée, tout disparaîtra. L’Église disparaîtra, les âmes seront toutes perdues ».

Nous nous trouvons devant un cas de nécessité. Nous avons tout fait pour essayer que Rome comprenne qu’il faut revenir à cette attitude du vénéré Pie XII et de tous ses prédécesseurs. Nous avons écrit, nous sommes allés à Rome, nous avons parlé, nous avons envoyé des lettres – Monseigneur de Castro Mayer et moi-même – plusieurs fois, à Rome ; nous avons essayé par ces colloques, par ces moyens, d’arriver à faire comprendre à Rome que depuis le Concile, cet aggiornamento, ce changement qui s’est produit dans l’Église, n’est pas catholique, n’est pas conforme à la doctrine de toujours de l’Église. Cet œcuménisme et toutes ces erreurs, ce collégialisme, tout cela est contraire à la Foi de l’Église, est en train de détruire l’Église.

C’est pourquoi, nous sommes persuadés qu’en faisant cette consécration aujourd’hui, nous obéissons à l’appel de ces papes et, par conséquent, à l’appel de Dieu car il représente Notre Seigneur Jésus Christ dans l’Église ».

Il est évident que Mgr Lefebvre affirmait ainsi sa fidélité totale  à l’enseignement de toujours de la saint Eglise, à l’enseignement de  ces Pontifes romains, fidèles eux-mêmes  à l’enseignement de Dieu et de son Fils Jésus. Voilà comment il faut juger les « sacres ». J’y reviendrai.

Il s’inspirait clairement de l’attitude de saint Paul qu’il site même dans cette homélie.

C’est bien en effet à cette fidélité que saint Paul fait allusion alors qu’il transmet, lui aussi,  aux communautés la sainte Eucharistie instituée par Notre Seigneur Jésus-Christ lors de la sainte Cène, le Jeudi Saint. Il affirme cette fidélité aux Corinthiens dans les termes mêmes qu’utilisera Mgr Lefebvre: « Ego enim accepi  a Domino quod et tradidi vobis, quoniam Dominus Jesus in qua nocte tradebatur accepit panem et gratias agens fregit et dixit : accipite et manducate, hoc est corpus meum quod pro vobis tradetur : hoc facite in meam commémorationem. Similiter et calicem postquam cenavit dicens : Hic calix novum testamentum est in meo sanguine. Hoc facite, quotiescumque bibetis, in meam commemorationem ».

« Car, pour moi, j’ai reçu du Seigneur, ce que je vous ai aussi transmis,savoir, que le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain, et après avoir rendu grâces, le rompit et dit : prenez et mangez : ceci est mon Corps qui sera livré pour vous ; faites ceci en mémoire de moi ». De même, après avoir soupé, il prit le calice et dit : « ce calice est la Nouvelle Alliance en mon sang ; faites-ceci ; toute les fois que vous en boirez, en mémoire de moi ». (I Cor 11 23-25)

Saint Paul transmet bien  ce qu’il a lui-même reçu du Seigneur: la Sainte Eucharistie.

Entre saint Paul et Mgr Lefebvre, les mots sont identiques. Ils expriment l’identité d’une pensée. Mais plus encore : la chose elle-même transmise est la même : le saint Sacrifice de la messe, la Sainte Eucharistie.

C’est en effet ce que Mgr Lefebvre déclarait solennellement le 30 septembre 1979, à la porte de Versailles, dans le Hall 6, aujourd’hui détruit,  lors de la grande manifestation que j’ai eu l’honneur d’organiser pour son jubilé sacerdotal. Voilà ses paroles. Elles sont émouvantes :

« Je terminerai, mes bien chers frères, par ce que j’appellerai, un peu, mon testament. Testament, c’est un bien grand mot, parce que je voudrais que ce soit l’écho du testament de Notre-Seigneur, novi et aeterni testamenti.

« Novi et aeterni testamenti », c’est le prêtre qui récite ces paroles à la consécration du précieux Sang. « Hic est calix sanguinis mei, novi et aeterni testamenti », l’héritage que Jésus-Christ nous a donné, c’est son Sacrifice, c’est son Sang, c’est sa Croix. Et cela est le ferment de toute la civilisation chrétienne et de ce qui doit nous mener au ciel.

Aussi je vous dis:
Pour la gloire de la Très Sainte Trinité,
pour l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
pour la dévotion à la Très Sainte Vierge Marie,
pour l’amour de l’Eglise,
pour l’amour du pape,
pour l’amour des évêques, des prêtres, de tous les fidèles,
pour le salut du monde,
pour le salut des âmes,
gardez ce testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ!
Gardez le Sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ!
Gardez la messe de toujours!
Et vous verrez la civilisation chrétienne refleurir, civilisation qui n’est pas pour ce monde, mais civilisation qui mène à la cité catholique, et cette cité catholique, c’est la cité catholique du ciel qu’elle prépare. Elle n’est pas faite pour autre chose, la cité catholique d’ici-bas, elle n’est pas faite pour autre chose que pour la cité catholique du ciel.

Alors en gardant le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en gardant son Sacrifice, en gardant cette messe, messe qui nous a été léguée par nos prédécesseurs, messe qui a été léguée depuis les Apôtres jusqu’à aujourd’hui – et dans quelques instants je vais prononcer ces paroles sur le calice de mon ordination, et comment voulez-vous que je prononce, sur le calice de mon ordination, d’autres paroles que celles que j’ai prononcées il y a cinquante ans sur ce calice, c’est impossible, je ne puis pas changer ces paroles – alors nous continuerons à prononcer les paroles de la consécration, comme nos prédécesseurs nous l’ont appris, comme les papes, les évêques et les prêtres qui ont été nos éducateurs nous l’ont appris, afin que Notre-Seigneur Jésus-Christ règne et que les âmes soient sauvées par l’intercession de notre Bonne Mère du ciel.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il ».

Comment exprimer plus fortement la fidélité à l’enseignement de l’Eglise ! On pourrait mettre dans la bouche de Mgr Lefebvre ce que saint Paul lui-même écrivait aux Galates : « Je m’étonne que si vite vous vous laissiez détourner de celui qui vous a appelés en la grâce de Jésus-Christ, pour passer à un autre Evangile : non certes qu’il y en  ait un autre ; seulement il y a des gens qui vous troublent et qui veulent changer l’Evangile du Christ.Mais quand nous-même, quand un ange venu du ciel vous annoncerait un autre Evangile que celui que vous nous avons annoncé, qu’il soit anathème ! Nous l’avons dit précédemment, et je le répète à cette heure, si quelqu’un vous annonce un autre Evangile que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! En ce moment, est-ce la faveur des hommes ou celle de Dieu que je recherche ? Mon dessein est-il de complaire aux hommes ? Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ. » (Galates 1 3-10)

Oh que ces phrases de saint Paul sont belles !

Oh combien elles reflètent joliment la personnalité de Mgr Lefebvre

« Mon dessein est-il de complaire aux hommes ? Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ ».

Citer ces paroles, c’est faire le plus bel éloge de Mgr Lefebvre ! Il voulut toute sa vie être « le serviteur du Christ ». « Son dessein ne fut pas de complaire aux hommes ». Je l’affirme, moi qui aie vécu de nombreuses années à ses côtés. Cela le conduisit jusqu’aux sacres de 1988. Je l’expliquerai plus loin…

Voilà, je crois, tout l’idéal de Mgr Lefebvre. Il le montrera toute sa vie et dans son enseignement et dans son action.

Ce sera l’objet de ce livre.

Dans sa doctrine. Ce sera l’objet du chapitre 1.

Dans son action, ce sera l’objet du chapitre2.

Aussi est-il bien légitime de prendre la défense de son honneur d’Apôtre, lui qui fut « bafoué » par les hommes tant ecclésiastiques que civils, aujourd’hui comme hier. Ce sera l’objet du chapitre 3. Présenter une apologie de Mgr Lefèvre, apologie  pour répondre aux accusations que répètent iterum et iterum M Yves Chiron dans son tout récent livre sur Dom Gérard : « Dom Gérard. Tourné vers le Seigneur ». On ne peut se taire. Il me faut protester.
Chapitre 1Héritage doctrinal de Mgr Lefebvre
Avant-Propos

Proche collaborateur de Mgr Lefebvre pendant de nombreuses années, dans le cadre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), je n’en resterai pas dans cet essai au niveau des anecdotes, des événements de sa vie. Non! Je voudrais, si possible, aller plus au fond, chercher ce qui fut l’essentiel de sa pensée, ce qui a fait l’unité de sa vie, la raison de tous ses combats, d’abord en terre africaine comme Délégué apostolique de Pie XII, puis en Occident, comme Père conciliaire en tant que Supérieur des Pères du saint Esprit, la Congrégation missionnaire du Père Libermann, puis comme Fondateur de la FSSPX, dès 1970, œuvre essentiellement sacerdotale. Je voudrais étudier l’héritage qu’il nous laisse. Si nous arrivions à trouver le cœur de sa pensée, nous pourrons lui rester plus facilement fidèles et être comptés parmi ses disciples. Ce qui pour moi, serait un honneur. Que sont les anecdotes de sa vie par rapport à sa pensée sinon de simples circonstances, de simples événements qui passent, des aspects fugitifs d’une vie certainement très pleine, toute donnée à Dieu, à l’Eglise, toute donnée aux prêtres… mais enfin des anecdotes qui lui sont personnelles…

Ce qui fait, me semble-t-il, l’unité de la pensée et de l’action apostolique de Mgr Lefebvre, son héritage, c’est sa foi et son amour pour Notre-Seigneur Jésus-Christ et l’Eglise romaine. “Credidimus caritati”. “Nous avons cru à la Charité” du Christ. C’est sa devise. Le Christ, pour lui, est tout, comme il le fut pour saint Pierre et pour saint Paul. Et c’est dans cette foi au Christ, fidèle à la “doctrine pétrinienne et paulinienne” que je trouve l’unité de la doctrine de Mgr Lefebvre. C’est en cette doctrine – l’amour du Christ – que je trouve l’unité de son épiscopat, la raison de son combat pour le sacerdoce ; c’est en cette pensée que je trouve la raison de son insistance sur la Messe, sur la garde de la Messe de toujours, que je trouve la raison de son combat sur la liberté religieuse, contre le laïcisme contemporain, contre le relativisme doctrinal, le propre de notre siècle. C’est en cet amour du Christ que je trouve la raison de sa doctrine sur le Christ-Roi et la fougue avec laquelle il a parlé et défendu cette doctrine essentiellement catholique. Il fut le témoin le plus hardi des Pères conciliaires sur ce sujet; c’est en cette foi au Christ, vrai Fils de Dieu, que je trouve la raison de son opposition si forte à l’œcuménisme “pratiqué follement” et aux réunions interreligieuses, comme celle qui s’est tenue à Assise, le 27 octobre 1986 et qui eut une telle conséquence dans sa vie et sa pensée, ne fut-ce que dans sa décision d’opérer les sacres épiscopaux sans le consentement formel de Rome. Sur cet événement d’Assise, je peux dire qu’il en fut humilié pour le Pape lui-même, parce qu’il aimait absolument la papauté, parce qu’il a toujours vu en le Pape, précisément le Vicaire du Christ. Il avait à un très haut point le sens et l’amour de l’Eglise. C’est enfin en cette pensée du Christ “unique Principe de Vie”, “Lumière unique et seul Sauveur des Nations” – expressions pauliniennes et pétriniennes – que je trouve la raison de son amour pour l’Eglise, puisque l’Eglise, c’est Jésus-Christ continué dans le temps, et qu’en elle s’actualise et s’opère ce salut qui nous vient du Christ. Il a eu un amour de l’Eglise tel, qu’il fut capable d’accepter sinon le martyr physique – il ne lui fut pas demandé -, du moins un martyr moral, le sacrifice de l’honneur de son nom, de sa dignité épiscopale préférant par fidélité au Christ, à l’Eglise même, être déclaré “anathème”, “suspens a divinis”, voire “excommunié”. Quel drame fut le sien! Lui qui n’avait qu’un honneur au monde, celui de sa famille, de ses parents, de l’Eglise. Mgr Lefebvre fut parmi les évêques du XXe siècle, l’évêque le plus “ultramontain”, je veux dire l’évêque romain par excellence, parce que, pour lui, Rome fut providentiellement préparée par Dieu pour devenir le Siège de Pierre, le centre du christianisme. Il écrit, dans son livre “Itinéraire spirituel”, son dernier livre : “On ne peut pas nier que ce soit là un fait providentiel : Dieu, qui conduit toutes choses, a dans sa Sagesse infinie préparé Rome à devenir le Siège de Pierre et le centre du rayonnement de l’Evangile. D’où l’adage “Unde Christo e Romano”. En un mot, c’est parce que le Christ est “la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu” (1 Cor 1 24) que Mgr Lefebvre lui a donné toute sa vie d’Evêque, toute son énergie épiscopale. Comment pouvoir affirmer de lui, comme le fit Dom Gérard, qu’il n’avait pas le « sensus ecclesiae » ? Vraiment je ne comprends pas. (Dom Gérard. Yves Chiron (p 566). C’est ne pas connaître Mgr Lefebvre, sa pensée, son action. C’est lui faire injure ! C’est ne pas reconnaître son œuvre et l’héritage qu’il nous laisse !

I L’épiscopat de Mgr Lefebvre

Mgr Lefebvre est essentiellement évêque. Il fut un grand évêque. A lui, comme à tout évêque, lui fut confié “l’Evangile” (1 Tim 1 11), “sa prédication” comme le dit saint Paul aux Corinthiens : “Ce n’est pas pour baptiser que le Christ m’a envoyé, c’est pour prêcher l’Evangile…”. Et l’objet de la prédication de l’Evangile n’est pas un objet social, politique comme si les Apôtres avaient été envoyés pour l’instauration d’un ordre social et politique, voire même l’instauration du bien-être en ce monde, ce qui serait anachronique au sermon sur la Montagne… Non ! L’objet de la prédication de l’Evangile c’est “le Christ et le Christ crucifié” contemplé et adoré comme Principe unique de salut. “Nous, nous prêchons le Christ crucifié” (1 Cor 1 17 23), nous dit saint Paul. Il insiste : “C’est une parole certaine et digne de toute créance, que Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier (moi qui étais auparavant blasphémateur, persécuteur, homme de violence)… Mais j’ai obtenu miséricorde précisément afin que Jésus-Christ fit voir en moi le premier, toute sa longanimité, pour que je servisse d’exemple à ceux qui, à l’avenir, croiront en lui pour avoir la vie éternelle” (1 Tim 1 16). La vie éternelle ! C’est pourquoi, pour Saint Paul comme pour Mgr Lefebvre, le Christ “est en nous l’espérance de la gloire”, l’espérance de la vie éternelle. Il faut, de toute nécessité, lui être uni par le Baptême et par la Foi pour connaître la Béatitude éternelle. Sous ce rapport (du salut) Jésus-Christ est tout. Voilà la prédication essentielle de tous les Apôtres, de tous les Evêques. Voilà l’Evangile. Ce fut l’objet des premières prédications de saint Pierre. Une prédication claire et nette, énergique que d’aucuns diraient imprudente selon la chair. Il ne craignit pas de déranger les Juifs et leur religion hébraïque. Il ne tut pas le nom du Christ dans leurs assemblées. Non! Le premier objet de sa prédication, de sa première prédication fut “Jésus de Nazareth” ; fut la confession de sa “filiation divine” ; fut la confession de sa “crucifixion” : “Lui… que vous avez fait mourir en le crucifiant par la main des impies”. Mais sans cette crucifixion, vain est notre salut. Le premier objet de sa première prédication fut la confession de sa “résurrection d’entre les morts” : “Dieu L’a ressuscité, déliant les liens de la mort, parce qu’il n’était pas possible qu’elle Le tînt en son pouvoir”, étant Dieu lui-même. Sans cette Résurrection, vaine est notre foi.

Il en est de même pour la seconde prédication publique au Temple de Jérusalem. Avec saint Jean, Pierre monte au Temple pour prier à la neuvième heure. Pierre est interpellé par un boiteux. Il le guérit au nom de Christ. Avec ces paroles merveilleuses : “Je n’ai rien… Mais ce que j’ai, je te le donne : “Au nom de Jésus-Christ, lève-toi”. Il le prit par la main et il se leva. Je n’ai rien, ce que j’ai, je te le donne : “Au nom de Jésus-Christ lève-toi”. Le Christ! Voilà toute la richesse de Pierre. Et il le confessa de nouveau dans la prédication qui fit suite à ce miracle opéré au nom du Christ. Après avoir en effet opérés ce miracle au nom du Christ qui est tout, qui est “le Béni de Dieu”, Pierre et Jean sont interpellés par les grands-prêtres ; mis en prison, ils reçoivent l’ordre de ne plus prêcher au nom du Christ, “Alors Pierre, rempli du Saint-Esprit, leur dit : …C’est par le nom de Jésus-Christ de Nazareth que vous avez crucifié, que Dieu a ressuscité des morts, c’est par Lui que cet homme est présent devant vous en pleine santé. C’est Lui, la pierre rejetée par vous les constructeurs, qui est devenue tête d’angle. Et le salut n’est en aucun autre, car il n’est sous le ciel aucun autre nom donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés” (Act 4 8-12). Voilà la foi de Pierre sur le Christ. Le Christ est la “pierre angulaire” c’est-à-dire “la pierre qui tient tout”, “qui tient tout l’édifice”. Le Christ, en cet édifice, est le salut, le Sauveur, le seul Sauveur.

Voilà aussi la foi de Mgr Lefebvre. Qu’a-t-il pris comme devise de son épiscopat sinon cette phrase de saint Jean : “Credidimus caritati”. Mais comment se manifesta cette charité de Dieu, précisément dans le salut et l’envoi du Fils de Dieu pour le réaliser dans sa chair, dans sa Passion? C’est ce que dit saint Jean dans son Evangile : “Dieu a tellement aimé le monde qu’Il envoya son Fils bien-aimé, son Monogène, afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas mais ait la Vie éternelle” (Jn 3 16). La finalité de l’Incarnation rédemptrice, c’est la vie éternelle, le salut, manifestation de charité. La cause efficiente du salut, c’est la charité de Dieu manifestée dans le Christ. La cause finale de l’Incarnation, c’est encore la charité possédée, la vie éternelle, la vision de gloire. Tout, en matière de salut, en matière de rédemption, de sainteté, se récapitule dans le Christ Jésus, c’est pourquoi saint Paul pouvait dire : “Omnia instaurare in Christo”. Voilà la Foi de Mgr Lefebvre. Il y conforma toute sa vie épiscopale. Il éleva son épiscopat à ce niveau. Il fut consacré évêque pour prêcher cela et rien d’autre. Voilà la haute idée que Mgr Lefebvre eut de son épiscopat, de sa mission épiscopale et durant toute sa vie. Il n’a pas eu seulement le sens de sa dignité épiscopale qu’il porta toujours avec simplicité et grande noblesse s’appliquant à suivre les conseils que saint Paul donnait à Timothée : « L’évêque doit avoir le “sens rassis”, il doit être “circonspect” “capable d’enseigner”, “il ne doit pas s’adonner au vin, ni violent, mais doux, pacifique, désintéressé, gouvernant bien sa propre maison, il faut encore qu’il jouisse de la considération de ceux du dehors” (1 Tim 3 2-7)… Telle fut l’attitude de Mgr Lefebvre dans sa vie épiscopale. J’en suis le témoin parmi beaucoup d’autres.

Mais au-delà de ses qualités personnelles d’évêque – il était, il faut le dire, agréable de l’approcher -, il a surtout eu le sens de ses obligations, de ses devoirs épiscopaux. Il nous en a donnés de nombreux témoignages. Souvenez-vous de son discours de Lille en juillet 1976 : Il vient d’être frappé d’une suspens, la “suspens a divinis”, il démontre en quoi elle est illégale,en quoi elle est un abus de pouvoir et donc nulle, elle ne l’oblige pas en conscience.

Voilà ce qu’aurait dû rappeler Yves Chiron dans son livre. Et s’il se l’était rappelé, il n’aurait pas parlé avec tant de désinvolture et de mépris, du « schisme » de Mgr Lefebvre, de sa désobéissance.  Dans la pensée de Mgr Lefebvre, il n’y a ni schisme ni désobéissance mais bien au contraire fidélité, une fidélité héroïque.

En effet voyez la conclusion de ce même discours de Lille. C’est clair, c’est même  pathétique : “Je pense, en toute sincérité, en toute paix, en toute sérénité, que je ne puis pas contribuer par l’obéissance à cette suspense, par ces peines dont je suis frappé, par la fermeture de mes séminaires, par le refus de faire des ordinations, à la destruction de l’Eglise catholique. Je veux qu’à l’heure de ma mort, lorsque Notre Seigneur me demandera : “Qu’as-tu fait de ta grâce épiscopale et sacerdotale ? “Je ne puisse pas entendre de la bouche du Seigneur : “Tu as contribué à détruire l’Eglise avec les autres” (p. 72).

Et cette grâce épiscopale l’obligea à rester fidèle à Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est la Vérité. “On nous dit, poursuit-il, vous jugez le Pape. Mais où est le critère de la vérité ? Mgr Benelli m’a jeté à la figure : “Ce n’est pas vous qui faites la vérité”. Bien sûr, ce n’est pas moi qui fais la vérité, mais ce n’est pas le pape non plus! La vérité, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ (NSJC) et donc il faut nous reporter à ce que NSJC nous a enseigné, à ce que les Pères de l’Eglise et toute l’Eglise nous ont enseigné pour savoir où est la vérité. Ce n’est pas moi qui juge le Saint-Père. C’est la Tradition. Un enfant de cinq ans avec son catéchisme peut très bien répondre à son évêque. Si son évêque venait à lui dire : “NSJC n’est pas présent dans la Sainte Eucharistie. C’est moi qui suis le témoin de la vérité et je te dis que NSJC n’est pas présent dans la Sainte Eucharistie”, eh bien, cet enfant, malgré ses cinq ans, a son catéchisme, il répond : “Mais mon catéchisme dit le contraire”. Qui a raison? L’évêque ou le catéchisme ? Le catéchisme évidemment qui représente la foi de toujours et c’est simple, c’est enfantin comme raisonnement. Mais nous en sommes-là” (pp. 77-78). Pour Mgr Lefebvre, “la Vérité, c’est le Christ”. Et cette vérité, le Christ l’a enseignée à ses Apôtres et par eux, à l’Eglise. La Vérité du Christ c’est la Tradition. Et la mission de l’Evêque, c’est de la garder dans son intégrité pour la transmettre fidèlement. Voilà ce que fut son épiscopat. Que demande-t-on à un ministre, “qu’il soit trouvé fidèle”, dira saint Paul. Fidélité à sa mission! Ce sont presque les dernières paroles de Mgr Lefebvre prononcées lors du sermon des Sacres, le 30 juin 1988, nous n’étions qu’à trois ans de son décès. Nous les avons déjà citées en introduction. Mais il faut les reprendre là,  tant elle sont primordiales pour juger sainement de l’esprit de Mgr Lefebvre et comprendre combien sont injustes les paroles de Dom Gérard disant qu’il a perdu le « sens ecclésial » : “Cette vie de Notre-Seigneur, dont nous avons besoin pour aller au ciel – vous voyez, nouvelle insistance de Mgr Lefebvre sur le Christ, c’est vraiment le souci de son épiscopat -, elle est en train de disparaître partout dans cette église conciliaire parce qu’elle suit les chemins qui ne sont pas les chemins catholiques. Loin de moi, loin de moi de m’ériger en Pape! Je ne suis qu’un évêque catholique, qui continue à transmettre, à transmettre la doctrine. “Tradidi quod et accepi” (J’ai transmis ce que j’ai reçu), c’est ce que je pense… C’est ce que je souhaiterais que l’on mette sur ma tombe et le moment ne tardera sans doute pas. Que l’on mette sur ma tombe : Tradidi quod et accepi, ce que dit saint Paul. Je vous ai transmis ce que j’ai reçu, tout simplement. Je suis le facteur qui porte une lettre. Ce n’est pas moi qui l’ai faite cette lettre, ce message, cette parole de Dieu, c’est Dieu Lui-même, c’est NSJC, et nous vous l’avons transmise – voilà de nouveau affirmé la fonction de l’Evêque : transmettre la doctrine du Christ, sur le Christ – , par l’intermédiaire de ces chers prêtres qui sont ici présents et par tous ceux qui, eux-mêmes, ont cru devoir résister à cette vague d’apostasie dans l’Eglise, en gardant la foi de toujours et en la transmettant aux fidèles. Nous ne sommes que des porteurs de cette nouvelle, de cet Evangile que NSJC nous a donné, nous vous transmettons les moyens de sanctification, la vraie et sainte Messe, les vrais sacrements qui donnent la vie spirituelle”. Je crois que l’on ne peut pas exprimer en termes plus simples, le rôle de l’Evêque : transmettre le Christ, sa doctrine, et tous les moyens de salut, ses sacrements qu’Il remit aux Apôtres et par les Apôtres à l’Eglise apostolique. Et c’est pourquoi, durant les dernières années de son épiscopat, en raison de cette crise moderniste post-conciliaire, – ce qu’il ne faut jamais oublier si l’on veut comprendre l’œuvre et les actions de notre prélat– et ce qu’oublie malheureusement tellement Yves Chiron –  - Mgr Lefebvre n’a cessé de réclamer entre autres choses au Saint-Père qu’il nous redonne, outre le droit public de l’Eglise, j’y reviendrai –, “la Bible catholique, la Vulgate et non une Bible œcuménique, la vraie Messe et enfin le catéchisme… “Rendez-nous la vraie Bible, telle qu’était la Vulgate autrefois, qui a été tant de fois consacrée par les Conciles et par les papes… Enfin, rendez-nous notre catéchisme suivant le modèle du Catéchisme du Concile de Trente, car, sans un catéchisme précis, que seront nos enfants demain, que seront les générations futures? Elles ne connaîtront plus la foi catholique, et nous le constatons déjà aujourd’hui” (p. 72). Vraiment transmettre la foi, la doctrine de NSJC, transmettre NSJC et ses moyens de salut, voilà ce que fut le souci de l’épiscopat de Mgr Lefebvre. Il l’exprima très clairement aussi dans son petit ouvrage “Itinéraire spirituel”, son testament. Il a des pages sublimes sur le Christ Jésus. C’est l’objet de son chapitre 6. NSJC doit être, comme le dit saint Paul, “notre vie” et qu’à ce titre, nous devons “être toujours plus chrétiens”. Il écrit : “Si l’on pense et croit que ce mystère de l’Incarnation est pour le mystère de la Rédemption, alors il va de soi que sans Jésus-Christ, il n’y a pas de salut possible”. Il en déduit que “tout acte, toute pensée qui ne sont pas chrétiens sont sans valeur salvifique, sans mérite pour le salut” (p. 46) et c’est pourquoi, écrit-il, “l’avenir (d’un chacun) pour l’éternité dépendra désormais de (sa) relation avec Jésus-Christ, qu’il en soit conscient ou non, qu’il le veuille ou non” (p. 47). Et c’est là que se fonde le zèle missionnaire de Mgr Lefebvre et de tout prêtre. C’est très beau.

Monsieur Yves Chiron je vous interpelle publiquement : Peut-on être plus fidèle que Mgr Lefebvre à l’enseignement de l’Eglise?

II Le Christ, Mgr Lefebvre et le Sacerdoce

 Et parce que le prêtre est “le collaborateur” de l’Evêque dans “la vigne du Seigneur”, on comprend volontiers que Mgr Lefebvre s’attacha toute sa vie à la formation sacerdotale. Le prêtre est  en quelle que sorte le prolongement de son “bras”, de “sa puissance” épiscopale. Voilà le deuxième grand thème de l’épiscopat de Mgr Lefebvre : son amour du Sacerdoce. Et là aussi, il faut dire que, puisque tout sacerdoce ministériel est une participation au sacerdoce unique et éternel de NJSC, Mgr Lefebvre aima le sacerdoce catholique plus que tout. Il porta son amour du Christ sur ce qui était le plus cher au cœur de Notre-Seigneur : le prêtre. Comme d’autres saints, Mgr Lefebvre aimait dire : “NSJC est mort, Il s’est sacrifié pour faire un prêtre”. Aussi la Providence permit-elle qu’il consacra de nombreuses années de sa vie à la formation sacerdotale, au Gabon, puis à Mortain, en France et, enfin, les vingt dernières années de sa vie, à Ecône, dans le cadre de la FSSPX. Si tous les évêques de l’Eglise avaient fait autant de prêtres qu’en fit Mgr Lefebvre en vingt ans de sa vie, il n’y aurait pas aujourd’hui de crise sacerdotale… Il veilla à la sainteté sacerdotale. Elle lui tenait à cœur, cette sainteté. Car le prêtre doit être le reflet de la sainteté du Christ en son sacerdoce puisque le sacerdoce ministériel participe à l’unique sacerdoce, celui du Christ. Dénaturer le sacerdoce ministériel, le diminuer, le confondre avec le sacerdoce des fidèles était, pour Mgr Lefebvre, insupportable : c’était porter atteinte au sacerdoce de Jésus-Christ. La crise sacerdotale qui agita le prêtre dans les années 1960-1970, fut la grande blessure de son épiscopat. Voir des prêtres demander leur réduction à l’état laïc, défroquer même tout simplement, était pour lui un scandale, une infidélité au Seigneur qui, vous dis-je, a donné sa vie pour faire un prêtre. Avoir remis, le Jeudi Saint, entre les mains du prêtre, son Corps, son Sang, preuve, ô combien, de son amour, et voir ensuite le prêtre “frivole”, “mondain”, “gardant des habitudes mondaines”, lui était particulièrement pénible. Il ne le supportait pas en ses propres prêtres. La sainteté sacerdotale : ce fut toute sa préoccupation. Je me souviens très bien des conseils qu’il nous donnait alors que nous étions au Séminaire français, dont il était le supérieur hiérarchique. Voyez ce qu’il écrivait aux séminaristes, le 19 août 1970 alors qu’ils se préparaient à rejoindre Ecône : “Ainsi tout nous invite et nous encourage à continuer cette œuvre de sainteté sacerdotale”. “Car c’est bien de cela qu’il s’agit, soit à Ecône, soit à Fribourg, faire de vous d’ardents disciples de NSJC que vous devez revêtir, dans lequel vous devez vous rénover comme le dit saint Paul – c’est, vous le voyez toujours la même idée : le Christ est tout pour le prêtre, il doit le revêtir, se rénover en Lui, le prêtre se définit par rapport au Christ. C’est si vrai que toute la tradition affirme que le prêtre est “un alter Christus” – le connaître, connaître Dieu en Lui, Le prier nuit et jour, L’aimer de tout votre être, telles doivent être vos dispositions, et les fruits de sagesse, de vérité, de charité inonderont nos âmes”. Alors il médite ensuite, dans cette même lettre, sur les vertus sacerdotales. Ce sont celles-là mêmes que le Christ a pratiquées : la vertu d’humilité, d’oubli de soi, de condescendance, mais surtout la vertu d’obéissance : “Notre Seigneur a donné un exemple particulier de la vertu d’obéissance qui doit être la règle fondamentale de notre conduite. Obéissance à Dieu, à l’Eglise par la soumission de nos intelligences à la foi, à la vérité révélée et à la loi de Dieu qui commande à nos volontés. Obéissance aussi à ceux qui ont la mission de nous transmettre cette Révélation et cette Loi. C’est pourquoi je vous demande de venir dans de saintes dispositions à cet égard”. Et parce que la situation de l’Eglise en matière sacerdotale était véritablement atroce – elle l’est toujours -, il nous demandait de réagir fortement, de nous attacher vraiment à NSJC : “Parce qu’aujourd’hui l’enseignement de l’Eglise et la Tradition est délaissé ou déformé dans la conduite des actes quotidiens, parce que le sacerdoce tend à se séculariser et donc à se profaner, parce que les vices de ce monde déchu tendent à pénétrer partout dans la société chrétienne et dans les membres de l’Eglise, nous entendons l’appel du Cœur de NSJC, de l’Esprit Saint, l’appel de la Vierge Marie : “Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous”. C’est pourquoi nous voulons prêcher plus que jamais au monde la pénitence, le mépris des vanités de ce monde, par notre habit ecclésiastique, par la soutane, par notre répulsion pour tout ce qui respire la concupiscence de la chair, en nous abstenant de la lecture de revues ou journaux dont les illustrations sont indécentes et les articles pétris d’esprit licencieux, en évitant généralement cinéma, télévision et musique lascive. Nous voulons garder nos âmes et nos sens purs pour aller à Dieu et Le recevoir dans la sainte Eucharistie”. Voyez toujours cette insistance de Mgr Lefebvre sur le Christ, la sainte Eucharistie. C’est tout un. Et Mgr Lefebvre était conscient de rien faire d’extraordinaire. Il imitait seulement les grands saints de l’Eglise catholique, les grands réformateurs du sacerdoce catholique : “Ce faisant, nous imiterons tous les saints qui, au cours de l’histoire de l’Eglise, ont réagi avec courage contre les erreurs et les mœurs corrompues de leur époque. C’est ainsi que nous servirons vraiment les personnes de notre temps en leur donnant l’exemple de l’Evangile vécu au XXe siècle”. Ainsi pour Mgr Lefebvre, c’est parce qu’on oublie le vrai sens de l’Evangile, le vrai sens du Christ, que l’on délaisse l’idéal sacerdotal et que l’on tombe dans “les erreurs” sur le sacerdoce. En effet, qu’est-ce que l’Evangile ? C’est essentiellement la Révélation du plan divin de salut voulue par Dieu de toute éternité et réalisé par son Fils, le Verbe de Dieu fait chair, par le sacrifice de la Croix. “Le sacrifice du Calvaire” est le point central et de l’Ancien Testament qui l’annonce dans les figures, les prophètes, et c’est le point central du Nouveau Testament qui le réalise par la victime “sainte, et sans tache”, NSJC. Le sacrifice du Calvaire est la raison de l’Ancien Testament, c’est la raison de l’Incarnation, la réalisation de la Rédemption, celui qui glorifie Dieu infiniment et ouvre les portes du Ciel à l’humanité pécheresse. “On ne peut qu’être frappé par l’insistance de NSJC, écrivait Mgr Lefebvre dans son “Itinéraire spirituel”, durant toute sa vie terrestre, sur son “heure”. “Desiderio desideravi” dit NSJC; j’ai désiré d’un grand désir cette heure de mon immolation. Jésus est tendu vers sa croix. Le “mysterium Christi”, qui est tout l’Evangile, c’est avant tout le “mysterium Crucis”. C’est pourquoi dans les desseins de l’infinie Sagesse de Dieu, pour la réalisation de la rédemption, de la Recréation, de la Rénovation de l’Humanité, la Croix de Jésus est la solution parfaite, totale, définitive, éternelle, par laquelle tout sera résolu. C’est dans cette relation de chaque âme avec Jésus crucifié que le jugement de Dieu sera porté. Si l’âme est dans une relation vivante avec Jésus crucifié, alors elle se prépare à la vie éternelle et participe déjà à la gloire de Jésus par la présence de l’Esprit Saint en elle. C’est la vie même du Corps mystique de Jésus. “Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il sèche, puis on ramasse les sarments, on les jette au feu et ils brûlent” (Jn 15 6). Pour notre justification, pour notre sanctification, Jésus organise tout, autour de cette fontaine de Vie qu’est son sacrifice du Calvaire. Il fonde l’Eglise, il transmet son sacerdoce, Il institue les sacrements, pour faire part aux âmes des mérites infinis du Calvaire; saint Paul n’hésite pas à dire : “Je n’ai pas jugé que je devais savoir parmi vous autre chose que Jésus et Jésus crucifié” (1 Cor 2 2) (Itinéraire spirituel, p. 59). Voilà ce qu’est l’Evangile, “l’Evangile de la Vie”, de la Vie divine obtenue par le Calvaire. Or, ce sacrifice du Calvaire devient sur nos autels le Sacrifice de la Messe qui, en même temps qu’il réalise le sacrifice de la Croix, réalise le sacrement de l’Eucharistie qui nous rend participants à la divine Victime Jésus-Christ. C’est donc autour du Sacrifice de la Messe que s’organisera l’Eglise, Corps mystique de NSJC, que vivra le Sacerdoce pour édifier ce Corps mystique, par la prédication qui attirera les âmes à se purifier dans les eaux du Baptême pour être digne de participer au Sacrifice Eucharistique de Jésus, à la manducation de la divine Victime, et s’unir ainsi toujours plus à la Trinité Sainte, inaugurant déjà ici-bas la vie céleste et éternelle. Or ce programme merveilleux élaboré par la Sagesse éternelle de Dieu ne pourrait se réaliser sans le Sacerdoce. Ainsi donc, la grâce particulière du Sacerdoce est de perpétuer l’unique Sacrifice du Calvaire, source de vie, de Rédemption, de sanctification et de glorification. Voilà le sens profond du Sacerdoce. Jésus, crucifié et ressuscité, est au cœur du Sacerdoce. Il se définit par rapport au Sacrifice du Christ. Il le perpétue. Le prêtre est vraiment un “alter Christus”. Mgr Lefebvre n’a cessé de nous rappeler cette vérité. Le rayonnement de la grâce sacerdotale, c’est le rayonnement de la Croix. Le prêtre est donc au cœur de la rénovation méritée par NSJC. Le prêtre n’est pas un homme “social”, un homme “politique”, il n’a pas directement à inventer une société « démocratique », une nouvelle civilisation. Il n’a pas d’abord l’ordre temporel comme objet, ce n’est pas l’objet de ses responsabilités. Les laïcs sont là pour cela. Le prêtre doit prêcher Jésus-Christ et Jésus Crucifié. Il doit garder sans faille et sans compromission la foi en la vertu de la Croix de Jésus, unique source de salut. Il ne doit pas verser, à l’image du monde, dans la recherche des moyens humains pour un apostolat soi-disant plus efficace. Il y aurait là un signe de la perte de la foi en Jésus-Christ crucifié, un signe de la perte du sens du sacerdoce. Le prêtre, sa mission essentielle, est d’appeler son “peuple” au pied de l’autel, pour le faire vivre du mystère de la Rédemption, du mystère de la Croix, dans l’espérance du mystère de la gloire céleste. Le Sacrifice du Calvaire : voilà l’essence du Sacerdoce catholique. Voilà ce que Mg Lefebvre nous a enseigné. Voilà ce qu’il a restauré : le Sacerdoce catholique. Et c’est ce Sacerdoce catholique dans sa relation au Sacrifice du Calvaire, à la Messe qui est le “bien”, le “trésor” de tous les instituts sacerdotaux dépendant aujourd’hui de la Commission “Ecclesia Dei”. Sous ce rapport, ne craignons pas de le dire, ces instituts qui gardent, tous, cet idéal sacerdotal, font tous honneur à Mgr Lefebvre, tous, non seulement la FSSPX, mais aussi tous les instituts de droit pontifical dépendant de la Commission “Ecclesia Dei” car tous, comme la FSSPX, gardent le sens du Sacerdoce, l’amour de la Messe, l’amour de Jésus et de Jésus crucifié. C’est ce que leur ont transmis les “anciens” de la FSSPX… C’est ce qu’ils ont reçu, tout comme nous, de Mgr Marcel Lefebvre. Et si cela ne dépendait que de moi, il y aurait belle lurette que j’aurais rétabli de bonnes relations amicales avec tous ces instituts puisque nous partageons sur ce point, même idéal : celui-là même de Mgr Lefebvre, mais plus encore celui de l’Eglise catholique. Car ce que je viens de vous rappeler, c’est l’enseignement de l’Eglise catholique. Mgr Lefebvre n’a rien inventé, là aussi. Il n’a fait que transmettre fidèlement ce qu’il avait reçu de l’Eglise. « Tradidi quod et accepi »…Ah !, comme on aime relire les paroles que Mgr Lefebvre prononçait en Allemagne, à Friedrichshafen, le 1er novembre 1990, à l’occasion du 20ème Anniversaire de la fondation de la FSSPX : “Faire de bons prêtres, c’est pour cela que la FSSPX a été fondée”. “Mais qu’est-ce donc qu’un prêtre? Le prêtre, selon l’esprit de l’Eglise, selon la définition de l’Eglise catholique, le prêtre est celui qui offre le Sacrifice de la Croix de NSJC, qui a le pouvoir par la grâce du sacrement de l’Ordre d’offrir le même sacrifice que Jésus-Christ a offert sur la Croix. Et donc le prêtre est un homme qui a un pouvoir sur Dieu Lui-même, sur le Verbe de Dieu incarné, il a le pouvoir de faire descendre sur l’autel, pour renouveler son sacrifice, NSJC Lui-même. Voilà ce qu’est le prêtre… Et par le fait même, deuxième pouvoir du prêtre, par le fait même qu’il a un pouvoir sur le Corps physique de Notre Seigneur, sur son Corps, son Ame et sa Divinité dans la sainte Eucharistie, le prêtre a aussi un pouvoir sur le corps mystique de NSJC qu’est l’Eglise. Il reçoit de Dieu une autorité sacrée pour amener tous les hommes – tous, toute l’humanité – à participer au Sacrifice de NSJC. Les prêtres, par conséquent, doivent préparer toutes ces âmes qui s’uniront à NSJC, et ils le font par les sacrements de Baptême, de Confirmation et tous les autres sacrements qui préparent les âmes à recevoir dignement Jésus-Christ, leur Créateur et leur Rédempteur. Voilà le travail du prêtre. Voilà ce qu’est le prêtre catholique… Quelle dignité que la dignité sacerdotale, quel idéal que l’idéal sacerdotal, idéal magnifique et c’est pourquoi, pendant ces vingt années, nous nous sommes efforcés d’insuffler dans l’âme de ces jeunes séminaristes, un amour profond pour leur vocation, pour NSJC… Etait-il vraiment nécessaire de fonder cette FSSPX? N’y avait-il pas assez de séminaires dans le monde… ? (MBCF), c’est le sacerdoce qui est l’objet des attaques les plus tragiques, les plus persistantes, les plus méchantes du démon dans l’Eglise. Le démon a une haine du vrai prêtre, une haine de la vraie Messe, de la Messe qui est la Croix de Jésus parce qu’il a été vaincu par la Croix de Jésus. Depuis ce temps-là, il ne cesse d’attaquer le Sacerdoce pour pouvoir détruire la Messe parce qu’il sait que c’est par la Messe que nous le vaincrons. Comme NSJC a vaincu le démon par sa Croix, nous aussi, prêtres, nous vaincrons le démon par la Croix…. Mais tout autour de nous, il faut le reconnaître, l’esprit de sacrifice disparaît. On ne veut plus se mortifier. On veut jouir. On veut profiter de la vie. Pourquoi? Parce qu’il n’y a plus la Croix de Jésus-Christ. Et s’il n’y a plus de Croix, il n’y a plus d’Eglise catholique… Il n’y a plus de sacerdoce catholique… puisque le prêtre est fait pour offrir le Sacrifice de la Croix, pour continuer le Sacrifice de la Croix, le prêtre a été atteint aussi par le fait même, il n’a plus été l’homme du Sacrifice. Il a été l’homme du partage, il a été l’homme du rassemblement, de la communion. Il a été l’animateur social. Il n’est plus l’homme du Sacrifice de la Croix. Et ceci est un changement considérable, voyez-vous. C’est un autre esprit. Ce n’est plus l’esprit de l’Eglise catholique… ”. C’est pourquoi il fallait nos séminaires. C’est pourquoi il faut que tous les instituts continuent de transmettre aux jeunes générations, cet idéal sacerdotal appris aux pieds de Mgr Lefebvre. Vous voyez, je ne me trompe pas en vous disant que Mgr Lefebvre tire la grandeur du prêtre de son union à la Croix de Jésus, union qui est telle qu’il s’identifie dans l’oblation du Sacrifice au Prêtre Eternel qu’est NSJC Lui-même. Le prêtre est grand, parce que grand est le Mystère de la Croix qui est le mystère du Christ, qui est le Verbe de Dieu fait chair. De même que sa foi dans le Christ a fait la grandeur de son épiscopat, de même sa foi au Christ crucifié lui a permis de restaurer le sacerdoce en rappelant simplement la doctrine catholique : le prêtre c’est l’homme qui perpétue le Sacrifice du Christ qui est la Voie royale du Ciel.

Après ce rappel sur le sacerdoce, parfaitement catholique, comment peut douter un instant de sa fidélité à l’Eglise, à son enseignement. Comment peut-on dire qu’il n’eut pas le « sensus ecclesiae ». Vraiment je ne comprends pas !

III Le Christ, Mgr Lefebvre et la Sainte Messe de toujours

 Et s’il y a un combat qui fut au cœur de la vie de Mgr Lefebvre ce fut bien celui de la sainte Messe. Et s’il le prit tellement à cœur, s’il le prit à bras-le-corps, pourrait-on dire, c’est qu’il a vu, en cette réforme de la messe issue du Concile Vatican II, un nouveau danger pour la pureté de la foi catholique, un nouveau danger pour l’Eglise, un danger dans la transmission de ce que NSJC a réalisé le Jeudi Saint dans l’Institution de la Sainte Eucharistie. Là, NSJC n’a pas seulement institué le sacrement de son Corps et de son Sang, mais, en son Corps et en son Sang consacrés séparément et réellement présents sous les espèces eucharistiques, Il instituait son Sacrifice et ordonnait prêtres ses Apôtres, pour qu’eux et leurs successeurs dans le sacerdoce, célébrassent à perpétuité ce Sacrifice, le même, le seul : “Faites ceci en mémoire de Moi”. Or, comme nous l’avons dit plus haut, il n’y a rien de plus grand en NSJC que son Sacrifice, que le Sacrifice du Calvaire. Il est venu sur la terre pour accomplir ce sacrifice par lequel Il rendait à Dieu toute honneur et toute gloire, confessant sa totale Seigneurie sur toutes choses, opérant notre salut par mode de cause efficiente, nous dit saint Thomas, par mode de mérite, par mode de satisfaction, en tant qu’il nous a délivrés de l’obligation de la peine qu’avaient mérité nos péchés, par mode de rédemption ou de rachat, en tant qu’Il nous a délivrés de l’esclavage du péché et du démon et par mode de sacrifice, en tant que par ce Sacrifice nous rentrons en grâce auprès de Dieu, réconciliés avec Lui. Dès lors, les portes du ciel nous sont ouvertes puisque l’obstacle – le péché – est enlevé, réparé. Nous comprenons ainsi combien est importante pour la foi et la doctrine catholique, ce Sacrifice du Seigneur. Et combien il faut l’aimer. Or on sait que le Sacrifice de la Messe est le Sacrifice de la Croix. C’est l’enseignement de l’Eglise. Le Catéchisme du Concile de Trente affirme sur ce point capital, essentiellement deux choses : Nous reconnaissons, dit le catéchisme, que le Sacrifice qui s’accomplit à la Messe, et celui qui fut offert sur la Croix ne sont et ne doivent être qu’un seul et même Sacrifice, 1) parce qu’il n’y a qu’une seule et même Victime, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui s’est immolé une fois sur la Croix d’une manière sanglante. Car il n’y a pas deux hosties, l’une sanglante, et l’autre non sanglante, il n’y en a qu’une ; il n’y a qu’une seule et même Victime dont l’immolation se renouvelle tous les jours dans l’Eucharistie depuis que le Seigneur a porté ce commandement “Faites ceci en mémoire de Moi” ; 2) parce qu’il n’y a qu’un seul et même Prêtre dans ce Sacrifice, c’est Jésus-Christ. Car les Ministres qui l’offrent n’agissent pas en leur propre nom. Ils représentent la Personne de Jésus-Christ, lorsqu’ils consacrent son Corps et son Sang, comme on le voit par les paroles mêmes de la Consécration. Car les prêtres ne disent pas : Ceci est le Corps de Jésus-Christ, mais, Ceci est mon Corps : se mettant ainsi à la place de Notre-Seigneur, pour convertir la substance du pain et du vin en la véritable substance de son Corps et de son Sang. Les choses étant ainsi, il faut sans aucune hésitation enseigner avec le saint Concile que l’auguste Sacrifice de la Messe n’est pas seulement un Sacrifice de louanges et d’actions de grâces, ni un simple mémorial de celui qui a été offert sur la Croix, mais EST encore un vrai Sacrifice de propitiation pour, je me répète tant la chose est importante, pour apaiser Dieu et nous Le rendre favorable. Si donc nous immolons et si nous offrons cette Victime très Sainte avec un cœur pur, une Foi vive et une douleur profonde de nos péchés, nous obtiendrons infailliblement miséricorde de la part du Seigneur, et le secours de sa Grâce dans tous nos besoins. Le parfum qui s’exhale de ce Sacrifice lui est si agréable qu’Il nous accorde les dons de la grâce et du repentir, et qu’Il pardonne nos péchés. Aussi l’Eglise dit-elle, dans une de ses prières solennelles : “Chaque fois que nous renouvelons la célébration de ce Sacrifice, nous opérons l’œuvre de notre salut” (Secrète du 9ème dimanche après la Pentecôte). Car tous les mérites si abondants de la Victime sanglante se répandent sur nous par ce Sacrifice non sanglant. Ainsi de la même manière, Mgr Lefebvre n’a cessé de rappeler lui aussi cette vérité : “Notre Messe est la Messe du Sacrifice et il n’y a qu’un seul Sacrifice qui nous ouvre la porte du ciel : “Tu devicto mortis aculeo… ”, “ Toi, en nous délivrant des chaînes de l’enfer, Tu nous as conduits au Ciel par la Croix”. La croix, c’est le chemin qui nous mène au ciel. Le Sacrifice de NSJC, c’est la voie royale qui nous mène à l’éternité. Il n’y en a pas d’autre. Il n’y a pas de choix. Il n’y a pas de liberté religieuse dans ce sens que l’on pourrait choisir sa religion. Il n’y a qu’une religion parce qu’il n’y a qu’un chemin qui nous mène au ciel, il n’y en a pas deux, la Croix de NSJC. La Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est la vraie Messe, la Messe de toujours. Alors si nous voulons demeurer catholiques, il faut garder cette Messe qui est le Sacrifice de la Croix de NSJC. Et si nous voulons garder cette Messe, il faut avoir des prêtres catholiques, des prêtres qui y croient… ” (Homélie en Allemagne pour les 20 ans de la Fondation de la FSSPX, p. 182). Aussi voulut-il garder clairement cette Messe de “toujours”. Il vous souvient, du moins pour les plus anciens, de son appel pathétique lancé à la Porte de Versailles, lors de sa Messe Jubilaire, pour le 50ème Anniversaire de son Sacerdoce, le 23 septembre 1979 : “Je terminerai, Mes Bien Chers Frères, disait-il, par, ce que j’appellerai un peu, mon testament. Mon testament, c’est un bien grand mot, je voudrais que ce soit l’écho du testament de Notre-Seigneur : Novi et Aeterni Testamenti – Vous voyez comme toujours il moule sa pensée dans la pensée du Christ Seigneur. Il n’a qu’un amour au cœur, celui de NSJC. Il ne veut prêcher qu’une chose, NSJC et sa Croix, le Christ et le Christ crucifié. On ne peut pas trouver une plus grande insistance… Il n’a qu’un Testament à donner, non le sien, on sent qu’il s’est surpris lui-même en parlant de son testament… Non pas mon testament, mais celui de NSJC – “Novi et Aeterni Testamenti…, c’est le prêtre qui récite ces paroles de la Consécration du Précieux Sang. « Hic est calix sanguinis mei, novi et aeterni testamenti », l’héritage que Jésus-Christ nous a donné, c’est son Sacrifice, c’est son Sang, c’est sa Croix. Et cela est le ferment de toute la civilisation chrétienne et de ce qui doit nous mener au ciel. Aussi je vous dis : Pour la gloire de la Très Sainte Trinité, pour l’amour de NSJC, pour la dévotion à la Très Sainte Vierge Marie, pour l’amour de l’Eglise, pour l’amour du pape, pour l’amour des évêques, des prêtres, de tous les fidèles, pour le salut du monde, pour le salut des âmes, gardez ce testament de NSJC! Gardez le Sacrifice de NSJC! Gardez la Messe de toujours… Dans quelques instants, je vais prononcer ces paroles sur le calice de mon ordination, et comment voulez-vous que je prononce, sur le calice de mon ordination, d’autres paroles que celles que j’ai prononcées il y a cinquante ans sur ce calice ? C’est impossible. Je ne puis pas changer ces paroles. Alors nous continuerons à prononcer les paroles de la Consécration, comme nos prédécesseurs nous l’ont appris, comme les papes, les évêques et les prêtres qui ont été nos éducateurs nous l’ont appris, afin que NSJC règne et que les âmes soient sauvées par l’intercession de Notre Bonne Mère du ciel. Amen”.

Cette fidélité au testament de NSJC, à savoir au don que NSJC fait de son Sacrifice à son Eglise et aux prêtres, lui valut les pires ennuis. En effet, au milieu, en pleine décadence sacerdotale, il créa son séminaire : Fribourg, puis Ecône. Il n’avait – vous pouvez l’imaginer facilement -, il n’avait dans cette œuvre qu’un but : celui de former des prêtres qui célèbreraient cette Messe de toujours. Nous étions en septembre 1969. Or, au même moment, quelques mois auparavant, le Pape Paul VI publiait son “Novus Ordo Missae”qui, aux dires de nombreuses critiques et pas des moindres -le Cardinal Ottaviani, le Cardinal Bacci -, s’éloignait dans l’ensemble comme dans le détail de la doctrine catholique sur la Messe définie à jamais par le Concile de Trente dans sa session XXII, pour protéger la Chrétienté de l’hérésie protestante. Pour les protestants, la messe n’était que la Cène célébrée le Jeudi-Saint. Ils n’en font qu’une simple commémoration. Pour eux, elle n’est nullement le renouvellement du Sacrifice de la Croix. Elle n’est pour eux que l’assemblée des fidèles réunis en son nom sous la présidence du ministre pour faire, pour en faire une simple commémoration. L’article 7 de l’Institutio generalis du Novus Ordo Missae publiée dans la constitution apostolique “Missale romanum” en reprenait étonnamment tous les éléments, d’où le grand émoi dans toute la Chrétienté et l’opposition qu’elle suscita un peu partout. Mgr Lefebvre, sans être le seul, loin de là, ni le premier, fut un ardent défenseur de la messe de toujours et un ferme opposant de la Nouvelle Messe. On ne peut être pour l’une sans être contre l’autre, doctrinalement. On ne peut être pour la vérité sans être en même temps contre l’erreur. Le 5 juin 1971, devant son corps professoral et devant tous les séminaristes d’Ecône, puis le lendemain, de Fribourg, il prenait officiellement position contre la réforme liturgique ; il s’y opposa fortement disant que la Nouvelle Messe exprime d’une manière équivoque les trois vérités essentielles de la messe catholique, à savoir la Présence réelle et substantielle de NSJC dans l’Eucharistie, comme victime du sacrifice, du Sacrifice de la messe, qui n’est pas seulement un sacrifice de louange, ni une simple commémoration, ni une simple assemblée des fidèles sous la présidence du prêtre mais qui est essentiellement le Sacrifice propitiatoire du Christ en Croix renouvelé sur les autels, nous rachetant du péché originel et de nos péchés personnels, le prêtre offrant seul au nom du Christ – Grand Prêtre selon l’ordre de Melchisédech, ce sacrifice réparateur. Dans ses homélies, ses conférences, de par le monde, Mgr Lefebvre ne cessa d’exposer les dangers de la Nouvelle Messe argumentant contre elle. On ne sait quelles conférences citer tellement elles sont nombreuses. Il me reste dans ma bibliothèque personnelle, peut-être une cinquantaine de conférences et homélies réunies, à l’époque, en plaquettes ; la plaquette intitulée “Le sacerdoce et la messe”, la plaquette réunissant “les homélies de l’été chaud”. Nous étions en 1976. La plaquette intitulée “Pour l’honneur de l’Eglise” elle contient une conférence donnée en 1975 à Vienne, le 9 septembre 1975 et un sermon prononcé à la salle Wagram à Paris le 4 octobre 1975 à l’occasion des Confirmations ; une autre plaquette, intitulée : “Crise de l’Eglise ou crise du sacerdoce”, ce sont les textes d’une conférence donnée à Tourcoing, le 30 janvier 1974; dans une plaquette, intitulée “En cette crise de l’Eglise, gardons la foi”, nous avons le texte d’une conférence qu’il donnait à Brest, le 17 janvier 1973. Et puis la fameuse plaquette intitulée : “La messe de Luther” qui contient deux de ses conférences, l’une qui a pour titre : “De la messe évangélique de Luther au Novus Ordo Missae”. C’était une conférence prononcée à Florence, le 15 février 1975, et l’autre intitulée : “De la messe et du sacerdoce catholique”, C’était une conférence donnée à Mariazell en Suisse, le 8 septembre 1975; la plaquette réunissant les homélies qu’il donnait à Rome à l’occasion de l’Année Sainte de 1975, les 3 et 26 mai. J’ai aussi dans les mains sa fameuse conférence de Bruxelles du 22 mars 1986 toute consacrée à l’œcuménisme et la liberté religieuse… Nous en parlerons plus loin… Vous le voyez, la messe “de toujours” fut vraiment son sujet de prédilection. Il mit tout son cœur pour garder ce trésor essentiel à l’Eglise et au sacerdoce. Et j’affirme que si nous avons encore ce trésor dans nos mains sacerdotales, c’est grâce à Mgr Lefebvre. Si nous avons la joie d’avoir le Motu Proprio de Benoît XVI, c’est encore grâce à Mgr Lefebvre. Benoît XVI n’aurait pas pu l’écrire sans Mgr Lefebvre puisque c’est lui qui, contre vents et marées, garda ce trésor. Contre vents et marées, précisons, contre la volonté expresse de Paul VI qui fit tout pour que Mgr Lefebvre cède. Il fallait avoir un caractère bien trempé, mieux, une foi particulièrement forte et éclairée pour oser se “dresser” contre Paul VI et sa volonté formelle. En 1976 la chose était entendue, du moins dans la pensée du pape. Oui! Il aurait dû en être ainsi sans « l’opiniâtreté » de Mgr Lefebvre qui s’est battu comme un « lion ». Il devait cesser son opposition à la réforme liturgique et prendre enfin, lui et ses prêtres, la Nouvelle Messe, sinon son séminaire serait fermé, sa Fraternité sacerdotale supprimée, lui serait déclaré suspens a divinis, ses prêtres, sans juridiction et donc sans aucun ministère. Mgr Lefebvre connaissait ces menaces. Elles lui furent souvent formulées, puis communiquées par voie hiérarchique, canonique. Il les pesa, soupesa, examina ; il en chercha la raison. Elles avaient pour raison, nous expliquait-il, son attachement à la Messe de toujours, pourtant jamais interdite, en termes formels et canoniques dans la Constitution Missale romanum de Paul VI. Souvenez-vous du fameux sermon du 29 juin 1976 : “Mais si, en toute objectivité, nous cherchons quel est le motif véritable qui anime ceux qui nous demandent de ne pas faire ces ordinations, si nous recherchons leur motif profond, nous voyons que c’est parce que nous ordonnons ces prêtres afin qu’ils disent la Messe de toujours. Et c’est parce que l’on sait que ces prêtres seront fidèles à la Messe de toujours, qu’on nous presse de ne pas les ordonner. Et j’en veux pour preuve le fait que six fois depuis trois semaines, six fois, on m’a demandé de rétablir des relations normales avec Rome et de donner pour témoignage de recevoir le rite nouveau et de le célébrer moi-même. On est allé jusqu’à m’envoyer quelqu’un qui m’a offert de concélébrer avec moi dans le rite nouveau afin de manifester que j’acceptais volontiers cette nouvelle liturgie et, que de ce fait, tout serait aplani entre nous et Rome. On m’a mis dans les mains un missel nouveau en me disant : “Voilà la messe que vous devez célébrer et que vous célébrerez désormais dans toutes vos maisons”. On m’a dit également que si en cette date, aujourd’hui ce 29 juin, devant toute votre assemblée, nous célébrions une messe selon le nouveau rite, tout serait aplani désormais entre nous et Rome. Ainsi donc, il est clair, il est net que c’est sur le problème de la Messe que se joue tout le drame entre Ecône et Rome”. “Est-ce que nous avons tort de nous obstiner à vouloir garder le rite de toujours?”.

Grave question, à la vérité. Il s’employa, vous dis-je, à démontrer les raisons de sa fidélité. Là aussi, on peut les résumer, quoi qu’en disent certains… en une question de fidélité à la foi de toujours, à une fidélité au mystère de la Rédemption de NSJC. Voyez, il disait, toujours dans le même discours du 29 juin 1976 : “Cette nouvelle messe est un symbole, une expression, une image d’une foi nouvelle, d’une foi moderniste. Si la Très Sainte Eglise a voulu garder tout au cours des siècles ce trésor précieux qu’elle nous a donné du rite de la sainte Messe qui a été canonisé par saint Pie V, ce n’est pas pour rien. C’est parce que dans cette messe se trouve toute notre foi, toute la foi catholique, la foi dans la Très Sainte Trinité, la foi dans la Rédemption de NSJC, la foi dans le Sang de NSJC qui a coulé pour la rédemption de nos péchés, la foi dans la grâce surnaturelle qui nous vient par tous les sacrements. Voilà ce que nous croyons en célébrant le saint Sacrifice de la Messe de toujours. Cela est une leçon de foi et en même temps une source de notre foi, indispensable pour nous en cette époque où notre foi est attaquée de toute part. Nous avons besoin de cette messe véritable, de cette messe de toujours, de ce Sacrifice de NSJC pour réellement remplir nos âmes du Saint-Esprit et de la force de NSJC”. “Rédemption de NSJC avec tous ses fruits” : Voilà ce que nous donne la messe de toujours. Voilà ce que n’exprime plus clairement la Nouvelle Messe. Voilà pourquoi je la refuse, nous disait Mgr Lefebvre.

Vous le voyez, c’est toujours pour une question de fidélité à la Croix de NSJC, mystère central de notre foi catholique parce que mystère central du Christ – Mysterium Christi, Mysterium Crucis -, que Mgr Lefebvre garda sa vie durant, et nous à sa suite, la Messe de toujours. Il y a vraiment une profonde unité dans la vie de Mgr Lefebvre et son combat : Cette unité se fait sur la doctrine de l’amour de NSJC et de sa Croix.

Voilà son héritage ! Quel honneur de lui être fidèle ! Mais où serait son infidélité à la doctrine de l’Eglise catholique ? Je me le demande bien !

Annexe : Déclaration du P. Calmel, o.p.

Je m’en tiens à la Messe traditionnelle, celle qui fut codifiée, mais non fabriquée, par saint Pie V, au XVIe siècle, conformément à une coutume plusieurs fois séculaire. Je refuse donc l’ORDO MISSÆ de Paul VI. Pourquoi ? Parce que, en réalité, cet ORDO MISSÆ n’existe pas. Ce qui existe c’est une Révolution liturgique universelle et permanente, prise à son compte ou voulue par le Pape actuel, et qui revêt, pour le quart d’heure, le masque de l’ORDO MISSÆ du 3 avril 1969. C’est le droit de tout prêtre de refuser de porter le masque de cette Révolution liturgique. Et j’estime de mon devoir de prêtre de refuser de célébrer la Messe dans un rite équivoque. (*)

Si nous acceptons ce rite nouveau, qui favorise la confusion entre la Messe catholique et la Cène protes­tante – comme le disent équivalemment deux Cardinaux et comme le démontrent de solides analyses théolo­giques ([1]) – alors nous tomberons sans tarder d’une Messe interchangeable (comme le reconnaît du reste un pasteur protestant) dans une Messe carrément héré­tique et donc nulle. Commencée par le Pape, puis abandonnée par lui aux églises nationales, la réforme révolutionnaire de la messe ira son train d’Enfer. Comment accepter de nous rendre complices ?

Vous me demanderez : en maintenant, envers et contre tout, la Messe de toujours, avez-vous réfléchi à quoi vous vous exposez ? Certes. Je m’expose, si je peux dire, à persévérer dans la voie de la fidélité à mon sacerdoce, et donc à rendre au Souverain Prêtre, qui est notre Juge Suprême, l’humble témoignage de mon office de prêtre. Je m’expose encore à rassurer des fidèles désemparés, tentés de scepticisme ou de désespoir. Tout prêtre en effet qui s’en tient au rite de la Messe codifié par saint Pie V, le grand Pape dominicain de la Contre-Réforme, permet aux fidèles de participer au Saint Sacrifice sans équivoque possible ; de communier, sans risque d’être dupe, au Verbe de Dieu incarné et immolé, rendu réellement présent sous les saintes espèces. En revanche, le prêtre qui se plie au nouveau rite, forgé de toutes pièces par Paul VI, collabore pour sa part à instaurer progressivement une Messe menson­gère où la présence du Christ ne sera plus véritable, mais sera transformée en un mémorial vide ; par le fait même le Sacrifice de la Croix ne sera plus réellement et sacramentellement offert à Dieu ; enfin la communion ne sera plus qu’un repas religieux où l’on mangera un peu de pain et boira un peu de vin ; rien d’autre ; comme chez les protestants. Ne pas consentir à collaborer à l’instauration révolutionnaire d’une Messe équivoque, orientée vers la destruction de la Messe, ce sera se vouer à quelles mésaventures temporelles, à quels malheurs en ce monde ? Le Seigneur le sait dont la grâce suffit. En vérité la grâce du Cœur de Jésus, dérivée jusqu’à nous par le Saint Sacrifice et par les sacrements, suffit toujours. C’est pourquoi le Seigneur nous dit si tranquillement : celui qui perd sa vie en ce monde à cause de moi la sauve pour la vie éternelle.

Je reconnais sans hésiter l’autorité du Saint Père. J’affirme cependant que tout Pape, dans l’exercice de son autorité, peut commettre des abus d’autorité. Je soutiens que le Pape Paul VI commet un abus d’autorité d’une gravité exceptionnelle lorsqu’il bâtit un rite nou­veau de la Messe sur une définition de la Messe qui a cessé d’être catholique. « La Messe, écrit-il dans son ORDO MISSÆ, est le rassemblement du peuple de Dieu, présidé par un prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur. » Cette définition insidieuse omet de parti pris ce qui fait catholique la Messe catholique, à jamais irré­ductible à la Cène protestante. Car dans la Messe catholique il ne s’agit pas de n’importe quel mémorial ; le mémorial est de telle nature qu’il contient réellement le Sacrifice de la Croix, parce que le corps et le sang du Christ sont rendus réellement présents par la vertu de la double consécration. Cela apparaît à ne pouvoir s’y méprendre dans le rite codifié par saint Pie V, mais cela reste flottant et équivoque dans le rite fabriqué par Paul VI. De même, dans la Messe catholique, le prêtre n’exerce pas une présidence quelconque ; marqué d’un caractère divin qui le met à part pour l’éternité, il est le ministre du Christ qui fait la Messe par lui ; il s’en faut de tout que le prêtre soit assimilable à quel­que pasteur, délégué des fidèles pour la bonne tenue de leur assemblée. Cela, qui est tout à fait évident dans le rite de la Messe ordonné par saint Pie V, est dissimulé sinon escamoté dans le rite nouveau.

La simple honnêteté donc, mais infiniment plus l’honneur sacerdotal, me demandent de ne pas avoir l’impudence de trafiquer la Messe catholique, reçue au jour de l’Ordination. Puisqu’il s’agit d’être loyal, et surtout en une matière d’une gravité divine, il n’y a pas d’autorité au monde, serait-ce une autorité ponti­ficale, qui puisse m’arrêter. Par ailleurs la première preuve de fidélité et d’amour que le prêtre ait à donner à Dieu et aux hommes c’est de garder intact le dépôt infiniment précieux qui lui fut confié lorsque l’évêque lui imposa les mains. C’est d’abord sur cette preuve de fidélité et d’amour que je serai jugé par le Juge Su­prême. J’attends en toute confiance de la Vierge Marie, la Mère du Souverain Prêtre, qu’elle m’obtienne de rester fidèle jusqu’à la mort à la Messe catholique, véritable et sans équivoque. TUUS SUM EGO, SALVUM ME FAC.

R.-Th. Calmel, o. p.

IV Le Christ, sa royauté et Mgr Lefebvre

 Or, c’est précisément sur le Sacrifice de la Croix que se fonde la Royauté de NSJC. Voilà pourquoi Mgr Lefebvre, très attaché au sacrifice du Calvaire, le sera tout également à sa Royauté. Il sera le grand défenseur, dans le corps épiscopal, en cette fin du XXe siècle, de la Royauté sociale de NSJC. Que de sermons a-t-il prononcés sur ce sujet! Ils sont presque infinis. Mais rappelons le principe pour en tirer la conséquence, comme le fit Mgr Lefebvre. Il part de la citation des Philippiens : “Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, au ciel, sur terre et dans les enfers; et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père” (Phil 2 9-11). Il suit de la doctrine de l’Apôtre que l’imposition du nom glorieux de Jésus et la domination universelle, l’empire souverain attaché à ce nom, sont une récompense accordée au Fils de Marie. Assurément, le nom et l’attribut de Maître et Dominateur, de Roi, appartiennent par nature au Fils de Dieu fait homme : c’était l’apanage obligé de sa nature divine. Mais à son droit de naissance, il a joint le droit de conquête, comme le dit Pie XI. Il a voulu posséder, à titre de mérite et comme conséquence des actes de sa volonté humaine, ce que sa nature divine lui octroyait déjà par collation. Et quelle a été la source de ce mérite ? Saint Paul nous l’apprend dans la même Epître : “Bien qu’il fût dans la condition de Dieu, il n’a pas retenu avidement son égalité avec Dieu; mais il s’est anéanti Lui-même, en prenant la condition d’esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui; il s’est abaissé Lui-même, se faisant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la Croix”. Or, poursuit l’Apôtre : “C’est pourquoi aussi, Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse, à la gloire de Dieu le Père, que Jésus-Christ est Seigneur” (Phil 2 6- 9). Quelle doctrine importante ! “Il s’est anéanti Lui-même” ! Lucifer a été abaissé au-dessous de son rang primitif, mais ce fut contre son gré. L’homme aussi est tombé au-dessous de lui-même, mais cela a été la juste peine infligée à son ambition. Il n’en est pas ainsi de NSJC. C’est librement, c’est par choix, c’est par amour pour nous que le Fils de Dieu, égal et consubstantiel au Père, a résolu de s’abaisser jusqu’à prendre notre nature. Puis, ayant poursuivi ce dessein, c’est par un acte méritoire de sa volonté humaine et de ses facultés créées que, non content de s’être fait homme, il s’est fait esclave, qu’il a choisi la confusion de préférence à la joie et, finalement, qu’il a poussé le sacrifice jusqu’à l’acceptation de la mort, et de la mort de la Croix. Or, dit le grand Apôtre : “à cause de cela”, “propter quod” et abstraction faite de son empire qu’il a au titre de sa divinité, “Dieu L’a exalté et Lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom”. Ce nom étant au-dessus de tout nom, c’est l’ordre établi de Dieu que devant Lui tout genou fléchisse au ciel, sur terre et dans les enfers. Au ciel, c’est l’attribut, l’occupation des Anges et des Bienheureux de l’adorer. “Aux enfers”, oui encore, ils le font par force… Mais “à la terre”, c’est aussi le commandement de l’adorer. Il n’est rien ici-bas, il n’est rien de terrestre, qui ne doive courber le genou devant ce nom de Jésus : c’est le commandement fait à la terre. Dieu a mis toutes choses sous ses pieds et il l’a donné pour Chef à toute l’humanité régénérée. C’est le devoir de toute langue de reconnaître et de proclamer sa puissance souveraine. “Tout genou”, “toute langue”. “N’établissons donc point d’exceptions là où Dieu n’a pas laissé de place à l’exception”, nous dit le Cardinal Pie. L’homme individuel, le chef de famille, le simple citoyen et l’homme public, les particuliers et les peuples, en un mot, tous les éléments quelconques de ce monde terrestre doivent la soumission et l’hommage au nom de Jésus-Christ. Voilà l’enseignement du Syllabus. Voilà l’enseignement de Quas Primas. Voilà l’enseignement de Mgr Lefebvre. Et voilà précisément, ce que refuse la Révolution, ce que refusent les philosophes des Lumières, ce que refuse leur rationalisme, leur naturalisme, leur athéisme. Voilà la politique contemporaine. Voilà le monde moderne. Voilà ce qu’à son tour Mgr Lefebvre refuse, pour cette unique raison qu’il veut suivre l’ordre divin qui est l’adoration du Christ-Roi, la soumission au Christ-Roi, à sa Loi. En conséquence, il s’est toujours opposé, comme tous les papes jusqu’à Pie XII, au catholicisme libéral qui veut “marier l’Eglise à cette subversion”. Mgr Lefebvre parlera alors de “l’union adultère entre l’Eglise et la Révolution”. Il le rappellera très fortement lors de son discours à Lille en 1976 : “Qu’est-ce qu’ont voulu, en effet, les catholiques libéraux pendant un siècle et demi? Marier l’Eglise et la Révolution, marier l’Eglise et la subversion, marier l’Eglise et les forces destructrices de la société, de toutes les sociétés, la société familiale, civile, religieuse. Ce mariage de l’Eglise avec la Révolution, il est inscrit dans le Concile. Prenez le schéma Gaudium et Spes et vous y trouverez : “Il faut marier les principes de l’Eglise avec les conceptions de l’homme moderne”. Qu’est-ce que cela veut dire? Cela veut dire qu’il faut marier l’Eglise, l’Eglise catholique, l’Eglise de NSJC avec les principes qui sont contraires à cette Eglise, qui la minent, qui ont toujours été contre l’Eglise. C’est précisément ce mariage qui a été tenté pendant le Concile par des hommes d’Eglise, et non pas l’Eglise, car jamais l’Eglise ne peut admettre une chose comme celle-là. Pendant un siècle et demi précisément tous les souverains pontifes ont condamné ce catholicisme libéral, ont refusé ce mariage (pour l’honneur de NSJC et sa Royauté), avec les idées de la Révolution, avec les idées de ceux qui ont adoré la Déesse-Raison. Les papes n’ont jamais accepté des choses semblables” (pp. 57-58). Le Concile s’est pourtant bien dressé là contre. Je me souviens de la lecture qu’il faisait à Ecône des propos écrits par le Cardinal Ratzinger dans le dernier chapitre de son livre “Les principes de la Théologie catholique”. Ils l’horrifiaient tout en étant, pour lui, comme un confirmatur de son analyse propre du Concile. Voyez. Pour le Cardinal, “Gaudium et Spes”, dit-il,… permet de percevoir la physionomie spéciale du dernier concile”. Il doit être considéré comme “le véritable testament du Concile”. Quel est donc ce testament ? Le texte cherche à amener et l’Eglise et le monde à “une coopération dont le but est la construction du monde. L’Eglise coopère avec le monde pour construire le monde… C’est ainsi, écrit-il, qu’on pourrait caractériser la vision déterminante du texte” (p. 224). Mais l’Eglise longtemps est restée en réserve par rapport à ce monde moderne et ses principes. Or, précisément, ce texte a eu “la force de déloger (dans les mentalités de l’Eglise) des conceptions enracinées depuis des siècles”. “Ce texte respire un optimisme étonnant”. En effet, dit le cardinal : “L’attitude de réserve critique à l’égard des forces déterminantes du monde moderne devait être effacée par une insertion résolue dans leur mouvement”. C’est pourquoi Gaudium et Spes est comme “une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-syllabus”. Il “a tracé une ligne de démarcation devant les forces déterminantes du XIXe siècle”. C’est pourquoi il “représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Eglise avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789” (p. 427).

Ces derniers propos du Cardinal, vous dis-je, tout en confortant Mgr Lefebvre dans l’analyse qu’il faisait du Concile, étaient pour lui tout simplement scandaleux. “Se réconcilier avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789” ? C’est inouï, disait-il. C’est impossible. Ce monde issu de 1789 est opposé au Christ, Ce monde est “antichristique”. Comment peut-on envisager une réconciliation? Le naturalisme qui est le formel de la Révolution et, en conséquence, du monde moderne, est ce qu’il a de plus opposé au christianisme. En effet, le christianisme dans son essence est tout surnaturel, ou plutôt c’est le surnaturel même en substance et en acte. Dieu surnaturellement révélé et connu. Dieu surnaturellement aimé et servi, surnaturellement donné, possédé et goûté : c’est tout le dogme, toute la morale, tout le culte et tout l’ordre sacramentel chrétien. La nature y est indispensable, certes, elle est la base ; mais elle est partout dépassée. Le christianisme est l’élévation, l’extase, la déification de la nature créée. Or, le naturalisme philosophique nie avant tout ce surnaturel. Le surnaturel, le christianisme est pour lui une usurpation et une tyrannie. Le naturalisme est bien le pur antichristianisme. Il nie qu’il y ait des dogmes et qu’il puisse y en avoir. De toute façon, il les refuse… Le naturalisme nie que Dieu soit révélateur. Le naturalisme élimine Dieu du monde et de la création. Il est en tout point en opposition à la religion chrétienne, nous dit le Concile Vatican I. Et parce que le Christ dans le catholicisme est central, le naturalisme, son principe, sa loi fondamentale, son besoin essentiel, son œuvre réelle, sa passion obstinée et, dans la mesure où il y réussit, son œuvre réelle, c’est de détrôner le Christ et de le chasser de partout : ce qui est la tâche de l’antéchrist et ce qui est l’ambition de Satan. Tel est le programme de la Révolution. Le Christ, notre unique Seigneur et Sauveur, c’est-à-dire le Christ qui est deux fois notre Maître, maître parce qu’il a tout fait, maître parce qu’il a tout racheté, il s’agit de l’exclure de la pensée et de l’âme des hommes, de le bannir de la vie publique et des mœurs des peuples, pour substituer à son règne ce qu’on appelle le pur règne de la raison ou de la nature. Et les conséquences ne sont rien d’autres que le développement, dans le rejet de Dieu, du panthéisme, de l’athéisme, du matérialisme. Et vous voulez vous réconcilier avec de tels principes !

Voilà, bien sûr, ce que ne pouvait admettre Mgr Lefebvre. Son épiscopat se dressait légitimement contre un tel programme. Voilà son héritage pour moi. Il prêchait à Lille : “On ne veut plus du Règne social de NSJC, et cela sous prétexte que ce n’est plus possible. Je l’ai entendu de la bouche du Nonce de Berne, je l’ai entendu de la bouche de l’envoyé du Vatican, le Père Dhanis, ancien Recteur de l’Université Grégorienne, à Rome, qui est venu me demander, au nom du Saint-Siège, de ne pas faire les ordinations du 29 juin. Il était le 27 juin à Flavigny lorsque je prêchais la retraite aux séminaristes. Il m’a dit : “Pourquoi êtes-vous contre le Concile ? ”. Je lui ai répondu : “Est-il possible d’accepter le Concile, alors qu’au nom du Concile vous dites qu’il faut détruire tous les Etats catholiques, qu’il ne faut plus d’Etats catholiques, donc plus d’Etats sur lesquels règne NSJC? ”. “ Ce n’est pas possible aujourd’hui”. Mais autre chose est que cela ne soit plus possible aujourd’hui, et autre chose que nous prenions cette impossibilité comme principe, et que, par conséquent, nous ne recherchions plus ce règne de NSJC. Que disons-nous tous les jours dans le Notre Père? “Que votre règne, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Qu’est-ce que c’est que ce règne? Tout à l’heure, vous avez chanté dans le Gloria : “Tu solus Dominus, tu solus Altissimu Jésu Christe”, “Vous êtes le seul Très Haut, vous êtes le seul Seigneur”. Nous le chanterions, et dès que nous serions sortis nous dirions : “Non il ne faut plus que NSJC règne sur nous”. Vivons-nous dans l’illogisme, sommes nous catholiques ou non, sommes-nous chrétiens ou non? Il n’y aura de paix sur cette terre que dans le règne de NSJC. …Même du point de vue économique, il faut que NSJC règne. Parce que le Règne de NSJC c’est justement le règne de ses principes d’amour que sont les commandements de Dieu et qui mettent de l’équilibre dans la société, qui font régner la justice, la paix dans la société. Ce n’est que dans l’ordre, la justice et la paix que l’économie peut refleurir” Et de citer l’exemple de l’Argentine. Il poursuit : “C’est le Règne de NSJC que nous voulons, et nous professons notre foi en disant que NSJC est Dieu. Et c’est pourquoi nous voulons aussi la Messe de saint Pie V. Pourquoi? Parce que cette Messe est la proclamation de la Royauté de NSJC. La nouvelle messe est une espèce de messe hybride qui n’est plus hiérarchique, qui est démocratique, c’est l’assemblée qui prend plus de place que le prêtre. Et donc ce n’est plus une messe véritable, qui affirme la royauté de NSJC. Comment NSJC est-il devenu Roi? Il a affirmé sa Royauté sur la Croix. Regnavit a ligno Deus. Jésus-Christ a régné par le bois de la croix. Car il a vaincu le péché, il a vaincu le démon, il a vaincu la mort par sa Croix !”. Voilà ce que demandait Mgr Lefebvre au Souverain Pontife : “Très Saint-Père, rendez-nous le droit public de l’Eglise, c’est-à-dire le règne de NSJC…”. “ Hélas, je n’ai eu aucune réponse, sinon la suspens a divinis”.

Et voilà pourquoi Mgr Lefebvre parlait si souvent de la “Chrétienté”. Il aimait dire : “C’est de la Croix que se construira la Chrétienté ou le Règne social de Jésus crucifié, dans la famille et la société. La Chrétienté, c’est la société vivant à l’ombre de la Croix, de l’Eglise paroissiale construite en croix, surmontée de la Croix, abritant l’autel du Calvaire renouvelé quotidiennement, où les âmes viennent naître à la grâce et l’entretiennent, par le ministère des prêtres, qui sont d’autres Christ. La Chrétienté, c’est le village, ce sont les villages, les cités, le pays qui, à l’imitation du Christ en Croix, accomplissent la loi d’amour, sous l’influence de la vie chrétienne de la grâce. La Chrétienté, c’est le Royaume de Jésus-Christ; les autorités de cette chrétienté se disent “lieutenants de Jésus-Christ” chargés de faire appliquer sa Loi, de protéger la foi en Jésus-Christ et d’aider par tous les moyens à son développement, en plein accord avec l’Eglise” (Itinéraires spirituels, p. 60). Et c’est pourquoi, il s’opposa si fortement au principe de la liberté religieuse.

Avec un tel enseignement, vous osez dire que Mgr Lefebvre n’a pas le sensus ecclesiae ? Allons donc. Personne ne vous croira.

V La liberté religieuse et Mgr Lefebvre

Car la doctrine de la “liberté religieuse” c’est la reconnaissance des droits à l’erreur et concrètement la négation de la Vérité. On ne peut tout de même pas reconnaître des droits à l’erreur. On peut tolérer l’erreur mais on ne peut pas lui reconnaît de droit. Car NSJC est le seul Dieu, il a fondé la seule vraie religion à laquelle il faut croire pour être sauvé. Ce fut la position de toujours de l’Eglise jusqu’au Concile Vatican II. Dans le commentaire que Mgr Lefebvre donnait aux séminaristes à Ecône sur l’Encyclique de Léon XIII, “Libertas”, et qui fut publié dans un livre : “C’est moi l’accusé qui devrait vous juger”, on lit cette belle page, sous le titre « Des droits pour toutes les religions » : La liberté des cultes est une liberté fausse. Cent ans après Léon XIII, cette liberté est vraiment devenue un principe courant et normal. Rares sont les catholiques qui comprennent encore que l’on puisse interdire l’expansion d’une religion dans un pays. C’est dire combien les erreurs ont pénétré les intelligences. Pour ne pas se laisser empoisonner, revenons toujours aux principes vrais. On entend dire : il est mieux que l’Etat laisse tout le monde libre en matière de religion. Mais c’est un raisonnement absolument contraire à ce que le Bon Dieu a voulu. Quand Il a créé les hommes et les sociétés, c’était pour que la religion fût mise en œuvre et  pas n’importe quelle religion! Or, prenons la déclaration de Vatican II sur la liberté religieuse : on y parle de groupes religieux (DH 1,4) sous l’intertitre : Liberté des groupes religieux : “Les groupes religieux, en effet, sont requis par la nature sociale tant de l’homme que de la religion elle-même. Dès lors donc, que les justes exigences de l’ordre public ne sont pas violées, ces groupes sont en droit de jouir de cette immunité afin de pouvoir se régir selon leurs propres normes, d’honorer d’un culte public la divinité suprême…”. De quels groupes s’agit-il ? Mormons ? Scientologistes ? Musulmans ? Bouddhistes ? Où est Notre-Seigneur Jésus-Christ là-dedans ? La “divinité suprême”, est-ce le Grand Architecte ? “…aider leurs membres dans la pratique de leur vie religieuse et les sustenter par un enseignement, promouvoir enfin les institutions au sein desquelles leurs membres coopèrent à orienter leur vie propre selon leurs principes religieux”. Vous avez bien lu : chaque groupe religieux selon son propre principe religieux! Cela est inouï! Pensons toutefois que ce n’était qu’un Concile “pastoral” et que le Saint-Esprit n’y était pas… “Les groupes religieux ont aussi le droit de ne pas être empêchés d’enseigner et de manifester leur foi publiquement, de vive voix et par écrit”. Leur foi? Mais c’est ce qui est contraire à la foi catholique! Les Etats devraient donc donner à ces “groupes religieux” la faculté de pouvoir écrire, diffuser leurs erreurs, propager leur enseignement par les institutions? C’est inimaginable ! Il n’y a pas seulement les erreurs. Il faut immédiatement penser aux conséquences. Car cela ne reste pas dans le domaine spéculatif : chaque religion a ses convictions doctrinales mais aussi sa morale. Les protestants acceptent le divorce, les contraceptifs ; les musulmans ont droit à la polygamie… Faut-il alors que les Etats admettent tout cela pour que les “groupes religieux” puissent orienter leur vie propre selon leurs principes religieux? Et après, pourquoi y aurait-il des limites ? Pourquoi pas le sacrifice humain? On dira peut-être : c’est contraire à l’ordre public… Mais un père qui sacrifierait son enfant (en son particulier) gênerait-il vraiment l’ordre public ? Voilà à quoi on arrivera! Et puis, pourquoi pas l’euthanasie ? Tuer les vieillards dans les hôpitaux, cela libère la société de gens écrasants et trop coûteux… Une piqûre, et c’est fini! Et sans gêner l’ordre public ! C’est effrayant. On peut dès lors tout admettre, au nom du droit pour tous “de ne pas être empêché d’enseigner” et “de manifester leur foi publiquement par écrit ou de vive voix”. La déclaration conciliaire ajoute : “Mais dans la propagation de la foi (quelle foi?) et l’introduction des pratiques religieuses, on doit toujours s’abstenir de toute forme d’agissements ayant un relent de coercition, de persuasion malhonnête ou peu loyale, surtout s’il s’agit de gens sans culture ou sans ressources. Une telle manière d’agir doit être regardée comme un abus de son propre droit et une entorse au droit des autres”. Voilà les propos qui se retournent contre nous. On écrit qu’il faut des limites à la propagande afin que n’y soient pas soumis des gens incapables de distinguer la vérité de l’erreur (par exemple, contre les Témoins de Jéhovah, les Adventistes, qui font du porte à porte, qui disposent de beaucoup d’argent…). Mais de là, on en vient à nous dire à nous : n’essayer pas de convaincre les gens, de leur faire quitter leur religion, de les convertir… C’est bien en fait ce qui se produit : puisque tous les “groupes religieux” ont le droit d’exister. Que va-t-on faire en mission? Si tous ont un droit naturel à avoir leur religion, ce n’est pas la peine d’essayer de les convertir, nous n’en avons même plus le droit. “La liberté religieuse, dit encore la Déclaration, demande en outre que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l’efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l’action humaine”. Quelle “efficacité” ? Celle des musulmans avec la polygamie et l’esclavage ? “La nature sociale de l’homme, enfin, ainsi que le caractère même de la religion fondent le droit qu’ont les hommes mus par leur sentiment religieux de tenir librement des réunions ou de constituer des associations éducatives, caritatives et sociales, selon leur propres principes”. Et après tout, puisque tout le monde doit pouvoir se réunir librement, pourquoi pas aussi les francs-maçons ? Tout cela est absolument contraire à l’enseignement des papes du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle. S’il y a une vérité, le Bon Dieu ne peut pas donner à l’erreur un droit pour qu’elle se propage comme la vérité. Ce n’est pas possible. Parler ainsi revient à insulter Dieu” (pp. 171-173).

Mgr Lefebvre aimait nous raconter comment les choses se sont passées au Concile sur ce sujet. Il le redisait le 10 octobre 1990, un an avant sa mort. Il faut relire ce passage émouvant, son témoignage personnel sur le Concile Vatican II. “J’ai souvent cité comme exemple cette opposition véhémente entre deux hommes : d’une part, le Cardinal Ottaviani représentant l’Eglise catholique et sa Tradition de 20 siècles et, d’autre part, le Cardinal Bea représentant l’esprit libéral, moderniste. Cet esprit libéral et moderniste se trouvait déjà à l’intérieur de l’Eglise du temps de saint Pie X qui a dû le condamner. Eh bien, j’ai été témoin de cette opposition à la dernière séance de la Commission centrale préparatoire du Concile, deux idéologies se sont affrontées durement, violemment : l’idéologie révolutionnaire de ceux qui ont adopté ou qui veulent adopter les principes des droits de l’homme et tout ce que cela comporte, cette espèce d’athéisme, athéisme profond de l’homme qui ne considère plus que sa liberté, et qui ne veut plus considérer la Loi de Dieu, qui ne veut plus se considérer par rapport à Dieu, qui veut être indépendant, indépendant de Dieu, indépendant de l’Eglise. Le Cardinal Bea représentait cette idéologie de liberté. La meilleure preuve c’est que le texte qu’il nous présentait était intitulé : La liberté religieuse, et le texte que nous présentait le Cardinal Ottaviani sur le même sujet avait pour titre : La tolérance religieuse. Parce que l’Eglise tolère l’erreur, l’Eglise tolère les fausses religions, mais elle ne peut pas les approuver, elle ne peut pas les mettre sur le même pied que la véritable religion, ce n’est pas possible. L’Eglise traditionnelle affirme qu’elle est la seule véritable religion fondée par Dieu Lui-même, par Notre Seigneur Jésus-Christ, – NB : Vous le voyez, nous trouvons toujours la même référence à la Vérité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son Eglise – et, par conséquent, que les autres religions sont fausses et qu’il faut être missionnaire et essayer de convertir les adeptes de ces fausses religions pour les faire devenir catholiques et qu’ils soient sauvés” – C’est ce qu’affirmait saint Pierre lors de sa première prédication… – “Cela a toujours été la foi de l’Eglise, cela a toujours été la raison d’être des missions dans l’Eglise : convertir les âmes et non pas dire aux âmes : votre religion est aussi bonne que la nôtre. Alors, ces deux idéologies se sont affrontées dans deux personnes qui caractérisaient en quelque sorte les oppositions à l’intérieur de l’Eglise, le Cardinal Ottaviani a dit ouvertement au Cardinal Bea qu’il n’était pas d’accord avec son texte et que, d’ailleurs, il n’avait pas le droit de le rédiger, et le Cardinal Bea s’est levé et lui a dit : “Eh bien, moi aussi je suis contre votre texte, fondamentalement”. Qui avait raison? Le Cardinal Bea ou le Cardinal Ottaviani? Qui a raison, de la Révolution ou de l’Eglise catholique ? La Révolution s’est dressée contre l’Eglise catholique. Il fallait en finir avec ce cléricalisme. Il fallait en finir avec cette autorité de l’Eglise, et avec cette autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur la société. Il est évident que l’Eglise ne pouvait que condamner les principes de la Révolution si elle voulait être fidèle au message de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est ce qu’ont fait tous les papes au cours du XIXe siècle jusqu’au cours de la première moitié du XXe siècle, jusqu’au Pape Pie XII : condamner les principes de la Révolution. Or voici que dans cette Commission centrale préparatoire se forme un clan de cardinaux qui prétend accepter les principes de la Révolution avec le Cardinal Bea.Alors le Cardinal Ruffini, de Palerme, s’est levé et a dit : “Nous regrettons infiniment de voir deux éminents confrères s’opposer l’un à l’autre de façon aussi violente et aussi profonde sur un sujet qui est capital pour la foi de l’Eglise, pour la doctrine de l’Eglise. Nous sommes obligés donc d’en référer à l’autorité supérieure, au Pape lui-même. Le Cardinal Bea a dit : “Ah mais non, je veux un vote, je veux qu’on fasse un vote pour savoir quels sont les cardinaux qui sont avec moi et ceux qui sont contre moi”. On a fait un vote et les 70 cardinaux qui étaient là se sont partagés en deux camps : celui du Cardinal Bea et celui du Cardinal Ottaviani. Généralement, ceux qui étaient avec le Cardinal Bea étaient des Allemands, des Hollandais, des Français, ceux des Etats-Unis, les Anglo-Saxons; et ceux qui étaient avec le Cardinal Ottaviani furent les Italiens, les Espagnols, les Sud-Américains, plutôt les latins qui ont encore le sens de la Tradition dans l’Eglise. Voilà comment a débuté le Concile : dernière séance de la Commission centrale préparatoire du Concile, opposition violente entre deux groupes de cardinaux. Un groupe favorable aux idées révolutionnaires, donc favorable à l’athéisme d’Etat, contre le règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la société, et le Cardinal Ottaviani avec le groupe des cardinaux qui le suivaient en faveur, évidemment, du règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tolérant les fausses religions, mais ne leur donnant pas la même place qu’à la véritable religion, qu’à Notre-Seigneur Jésus-Christ que l’Eglise considère comme Dieu, qu’elle affirme être Dieu. Ce sont des choses qui paraissent si simples. C’est ainsi que la Révolution est vraiment entrée à l’intérieur de l’Eglise. Il faut regarder toute l’Histoire précédente, à l’intérieur de l’Eglise, dans les différents pays européens surtout, ces idées ont fait leur chemin grâce au libéralisme, grâce ensuite au modernisme, au sillionisme. Toutes ces idées fausses se sont introduites à l’intérieur de l’Eglise. Ce n’est pas pour rien que le Pape Pie IX d’abord a condamné les idées de la Révolution dans son Encyclique Quanta Cura et le Syllabus, et qu’ensuite le Pape Saint Pie X a condamné le modernisme, qui n’était que la suite des idées révolutionnaires dans son Encyclique Pascendi Dominici Gregis et dans son décret Lamentabili où il condamne les idées fausses qui sont issues des principes révolutionnaires. Alors maintenant en 1962, l’Eglise veut prétendre aller à l’encontre de ce que treize papes, depuis la Révolution, ont condamné officiellement. Qui a raison? Qui va avoir raison? A qui les membres du Concile vont-ils donner raison? A la Tradition de l’Eglise, donc à ces treize papes qui ont condamné les idées révolutionnaires qui se sont introduites à l’intérieur de l’Eglise, ou bien, au contraire, vont-ils suivre les idées révolutionnaires qui se répandent à l’intérieur de l’Eglise? Eh bien, il faut reconnaître en toute sincérité que ce sont les libéraux qui ont gagné, qui ont réussi à dominer le Concile, grâce évidemment à l’appui des papes Jean XXIII et Paul VI. C’est tout de même un drame, ce drame que l’Eglise, d’une manière quasi officielle, admettant les principes révolutionnaires à l’intérieur de l’Eglise, admettant les droits de l’Homme, refusant que Notre-Seigneur Jésus-Christ règne dans les sociétés civiles, sur les sociétés civiles, ne demande plus que le droit commun comme les autres religions, considérant toutes les autres religions comme aussi valables que la sienne. C’est une véritable Révolution à l’intérieur de l’Eglise et dans les sociétés. Et cela a des conséquences évidemment déplorables pour toutes les familles chrétiennes, pour la foi des fidèles.

Mais que s’est-il passé dans l’Eglise ? Que se passe-t-il dans l’Eglise ? Pourquoi y a-t-il ce changement maintenant? Alors le Concile ayant donné raison aux libéraux, toutes les ordonnances qui en ont résulté, et tous les règlements qui l’ont appliqué, ils se sont efforcés évidemment de mettre en pratique ce nouveau principe révolutionnaire : la liberté. Le Concile a été essentiellement anti-autoritaire, contre l’autorité. D’abord contre l’autorité de Dieu, contre l’autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, contre l’autorité du pape, contre l’autorité des évêques, contre l’autorité des prêtres, contre l’autorité des pères de famille. Toutes les autorités ont été pratiquement décapitées. Pourquoi? Parce qu’il fallait donner à l’homme la liberté de sa conscience. On a exalté la conscience de l’homme, ce qui est le principe fondamental des droits de l’homme : l’homme a une conscience, et c‘est à lui de décider de son avenir, de sa vie, de ses pensées, de sa religion, de sa morale. Voilà. Il y a un transfert qui se fait : d’un côté, l’autorité qui vient de Dieu et qui se transmet à travers les autorités, même de la société civile, pour imposer la Loi du Bon Dieu, pour faire pratiquer la Loi du Bon Dieu aux hommes et, de l’autre côté, la libération : l’homme se libère de la Loi, se libère des autorités. C’est l’anarchie totale dans laquelle nous vivons actuellement, l’anarchie complète. Nous sommes confrontés à une situation inimaginable… Ce qui s’est passé dans le Concile, c’est le suicide de l’Eglise catholique… Ceux qui sont à l’intérieur de l’Eglise minent la vie de l’Eglise, sont en train de la ruiner totalement… Il n’y a aucun espoir de retour à une grande vitalité de l’Eglise s’il n’y a pas un retour à la Tradition, au règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, aux principes fondamentaux de l’Eglise… C’est une véritable trahison envers Notre-Seigneur Jésus-Christ! Notre Seigneur est trahi! On ne veut plus de son règne, on ne veut plus qu’il règne sur les âmes, sur les familles, sur la société! Et là où Notre-Seigneur Jésus-Christ ne règne plus, c’est le désordre, c’est la ruine totale dans tous les domaines!” (In L’Eglise 25 ans après Vatican II et 10 ans avant l’an 2000, pp. 6-10).

Voilà ce qu’il faut comprendre pour comprendre l’action de Mgr Lefebvre…jusqu’aux sacres.

VI L’œcuménisme et Mgr Lefebvre

Le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur toutes choses parce que Notre-Seigneur Jésus-Christ est tout. Et parce qu’il en est ainsi, parce qu’Il est la tête du Corps mystique qu’est l’Eglise, il faut aller à Lui pour être sauvé. Il faut aller à l’Eglise romaine pour connaître et le Christ et le salut éternel. “Il n’y a pas d’autre nom sous le ciel par lequel nous puissions être sauvé” répète Mgr Lefebvre après l’Apôtre saint Pierre. Et ce nom de Jésus se trouve dans sa totalité dans l’Eglise, avec sa vérité, celle de Dieu, avec ses sacrements, ses sacrements de vie, de vie surnaturelle. Il faut nécessairement appartenir à l’Eglise catholique par le Baptême et la confession de la foi.

Dès lors, pour Mgr Lefebvre, l’œcuménisme, le vrai, ne peut être qu’un retour de toutes les confessions chrétiennes dans l’Eglise romaine. Voilà le grand principe. L’Eglise est une, en elle-même. Elle est toujours telle. Il le disait à Bruxelles, le 22 mars 1986 : “L’Eglise catholique est toujours une, parce qu’elle est une dans sa foi”. Elle n’a pas à le devenir. Elle l’est de par sa constitution divine. Ceux qui l’ont quittée au cours de l’histoire doivent la retrouver. Il disait toujours à Bruxelles : “Ceux qui se séparent de l’Eglise, eh bien, ils s’en séparent! Ils ne font plus partie de l’unité de l’Eglise. Si l’on veut qu’ils s’unissent à l’Eglise, il faut leur demander de se convertir, d’abandonner leurs erreurs pour adopter la foi catholique, et alors ils seront dans l’unité de l’Eglise. C’est un concept absolument faux que de dire : “L’Eglise est divisée! C’est un scandale que cette division de l’Eglise”. Il n’y a pas de division de l’Eglise. Je le répète : “Il n’y a pas de division dans l’Eglise”. Ils ne font pas partie de l’Eglise, ceux qui n’ont plus la foi de l’Eglise puisqu’il n’y a, dit saint Paul, qu’une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu”. C’est l’enseignement de l’Eglise, tout particulièrement rappelé par le Pape Pie XI dans son Encyclique “Mortalium animos”. Il écrit : “Ce Siège Apostolique n’a jamais autorisé ses fidèles à prendre part aux congrès des non-catholiques : il n’est pas permis, en effet, de procurer la réunion des chrétiens autrement qu’en poussant au retour des dissidents à la seule véritable Église du Christ, puisqu’ils ont eu jadis le malheur de s’en séparer”. “Le retour à l’unique véritable Eglise, disons-Nous, bien visible à tous les regards”…Voilà le principe des principes en matière œcuménique. Car il faut le confesser clairement, l’Eglise n’a jamais perdu son unité. Saint Cyprien s’étonnait vivement, et à bon droit, qu’on pût croire “que cette unité provenant de la stabilité divine, consolidée par les sacrements célestes, pouvait être déchirée dans l’Église et brisée par le heurt des volontés discordantes” (ibid.). C’est pourquoi Pie XI pouvait écrire : “Le corps mystique du Christ, c’est-à-dire l’Eglise, étant un (I Cor., XII, 12), formé de parties liées et coordonnées (Eph. IV, 16) à l’instar d’un corps physique, il est absurde et ridicule de dire qu’il peut se composer de membres épars et disjoints; par suite, quiconque ne lui est pas uni n’est pas un de ses membres et n’est pas attaché à sa tête qui est le Christ” (Eph.V, 30 ; 1,22). La conséquence de ce principe est qu’il faut nécessairement, pour être dans cette Eglise, la reconnaître telle qu’elle est et confesser l’autorité du Pontife suprême : “Or, dans cette unique Eglise du Christ, personne ne se trouve, personne ne demeure si, par son obéissance, il ne reconnaît et n’accepte l’autorité et le pouvoir de Pierre et de ses légitimes successeurs. N’ont-ils pas obéi à l’Evêque de Rome, Pasteur suprême des âmes, les ancêtres de ceux qui, aujourd’hui, sont enfoncés dans les erreurs de Photius et des novateurs? Des fils ont, hélas, déserté la maison paternelle, laquelle ne s’est point pour cela effondrée et n’a pas péri, soutenue qu’elle était par l’assistance perpétuelle de Dieu. Qu’ils reviennent donc au Père commun, qui oubliera les insultes proférées jadis contre le Siège Apostolique et les recevra avec la plus grande affection. Si, comme ils le répètent, ils désirent se joindre à Nous et aux nôtres, pourquoi ne se hâteraient-ils pas d’aller vers l’Eglise, « mère et maîtresse de tous les fidèles du Christ » (Conc. Latran IV, c. 5). Qu’ils écoutent Lactance s’écriant : « Seule… l’Eglise catholique est celle qui garde le vrai culte. Elle est la source de vérité, la demeure de la foi, le temple de Dieu; qui n’y entre pas ou qui en sort, se prive de tout espoir de vie et de salut. Que personne ne se flatte d’une lutte obstinée. Car c’est une question de vie et de salut; si l’on n’y veille avec précaution et diligence, c’est la perte et la mort « (Divin. Instit., IV. 30, 11-12). Que les fils dissidents reviennent donc au Siège Apostolique, établi en cette ville que les princes des Apôtres, Pierre et Paul, ont consacrée de leur sang, au Siège « racine et mère de l’Eglise catholique « (S. Cypr., Ep. 48 ad Cornelium, 3). Qu’ils y reviennent, non certes avec l’idée et l’espoir que « l’Eglise du Dieu vivant, colonne et fondement de la vérité « (I Tim. II, 15) renoncera à l’intégrité de la foi et tolèrera leurs erreurs, mais au contraire, pour se confier à son magistère et à son gouvernement. Plaise à Dieu que cet heureux événement, que tant de nos prédécesseurs n’ont pas connu, Nous ayons le bonheur de le voir, que nous puissions embrasser avec un cœur de père les fils dont nous déplorons la funeste séparation; plaise à Dieu notre Sauveur, « qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité « (I Tim. II,4), d’entendre Notre ardente supplication pour qu’il daigne appeler tous les égarés à l’unité de l’Eglise. En cette affaire certainement très importante, Nous faisons appel et Nous voulons que l’on recoure à l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de la divine grâce, victorieuse de toutes les hérésies et Secours des chrétiens, afin qu’elle Nous obtienne au plus tôt la venue de ce jour tant désiré où tous les hommes écouteront la voix de son divin Fils « en gardant l’unité de l’Esprit dans le lien de la paix « (Eph. IV, 3). Vous comprenez, Vénérables Frères, combien nous souhaitons cette union. Nous désirons que Nos fils le sachent aussi, non seulement ceux qui appartiennent à l’univers catholique, mais aussi tous ceux qui sont séparés de nous. Si, par une humble prière, ces derniers implorent les lumières célestes, il n’est pas douteux qu’ils ne reconnaissent la seule vraie Église de Jésus-Christ et qu’ils n’y entrent enfin, unis à Nous par une charité parfaite. Dans cette attente, comme gage des bienfaits divins et en témoignage de Notre bienveillance paternelle, Nous vous accordons de tout cœur, Vénérables Frères, ainsi qu’à votre clergé et à votre peuple, la bénédiction apostolique ». Voilà qui est clair. Voilà ce que confessait Mgr Lefebvre. Et voilà pourquoi il manifestait sa stupéfaction devant les propos que tenait Jean-Paul II en 1989 lors de sa visite dans les pays nordiques : “Ma visite aux pays nordiques est une confirmation de l’intérêt de l’Eglise catholique dans l’œuvre de l’œcuménisme qui est de promouvoir l’unité entre tous les chrétiens”

Et Mgr Lefebvre répondait : Il ne s’agit pas d’une unité entre tous les chrétiens comme si tous les chrétiens avaient la même vérité : les protestants n’ont pas notre vérité, ils sont chrétiens, mais ils n’ont pas notre vérité. On ne peut pas unir ce qui est contraire, c’est impossible. Il ne parle pas de la conversion des protestants au catholicisme, mais de l’unité entre tous les chrétiens, i.e. de l’unité entre les protestants, les catholiques et tous ceux qui croient en Jésus-Christ, ce qui est impossible. Le pape poursuit : “Il y a 25 ans, le Concile Vatican II insistait vivement sur l’urgence de ce défi de l’Eglise, oui, c’est un véritable défi, et mes prédécesseurs ont poursuivi cette entreprise avec une persévérante attention par la grâce du Saint-Esprit qui est la source divine et le garant du mouvement œcuménique. Depuis le début, telle est ma sollicitude pour l’action pastorale”.

Pour le Pape, c’est clair, la priorité de son action pastorale, c’est l’union, l’union de tous les chrétiens. Mais comment la réaliser ? On ne peut pas unir les contraires, l’unité doit se faire dans l’Eglise catholique, pas à côté, pas avec tous ceux qui ne sont pas de l’Eglise. Donc, le Pape n’a pas changé, il a ces idées-là, ce sont encore les idées du Concile, il n’y a rien à faire” (Préd. à Albias le 10 octobre 1990). Et Mgr Lefebvre concluait souvent ce genre de réflexions en disant : “L’Eglise a toujours prêché Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il n’y a pas d’œcuménisme possible. L’œcuménisme est faux! Il est une fausse route! Il est absolument impossible” (Conférence du 22 mars 1986, p. 19).

VII Le dialogue interreligieux et Mgr Lefebvre

Enfin, nous en arrivons à la dernière idée : son attitude par rapport à ces réunions interreligieuses. On venait de voir le Pape à la Synagogue de Rome. On venait d’assister à la Journée d’Assise en 1986. Il y voyait un risque certain de latitudinarisme, d’indifférentisme religieux, plus encore une insulte à Notre-Seigneur Jésus-Christ et, bien sûr, une infidélité de la foi au Christ Jésus. A Bruxelles, dans sa fameuse conférence du 22 mars 1986, Mgr Lefebvre disait au sujet de la prochaine visite du Pape à la Synagogue – il s’y rendit le 13 avril 1986 : “Quand le Pape va se trouver dans la Synagogue, à quel Dieu va-t-il adresser sa prière, puisqu’il dit qu’il va prier avec les Juifs? Je me le demande. Réfléchissez-y un instant. Demandez-vous quel est le Dieu auquel le pape va s’adresser dans sa prière à la Synagogue. Il est impossible pour nous de prier avec les Juifs. Comment voulez-vous que nous prions avec les Juifs? Nous, nous prions toujours “per Christum Dominum Nostrum”. Toujours! Il est notre Dieu. Jésus-Christ est Dieu. Jésus-Christ est le Verbe de Dieu fait homme. Il n’y a pas d’autre chemin que Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il l’a dit Lui-même : “Ego sum ostium”. Je suis la porte du paradis. Je suis la porte de la bergerie. Personne ne pourra entrer au Ciel s’il ne passe par moi”. C’est pourquoi toutes nos prières, dans l’Eglise, se terminent toujours par ces mots : Per Christum Dominum Nostrum. Il  est la voie de toutes nos prières. Il est notre prière, en quelque sorte. Notre-Seigneur est notre prière, toutes nos prières passent par Lui. Comment prier Notre-Seigneur Jésus-Christ avec les Juifs qui n’acceptent pas Notre-Seigneur Jésus-Christ? Ils le condamnent depuis qu’ils l’ont crucifié. Ils le combattent! Ils combattent son Corps mystique. Ils ne peuvent plus combattre contre Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est ressuscité, bien sûr; mais ils combattent maintenant contre son Corps mystique qu’est l’Eglise. Depuis vingt siècles, ils sont opposés foncièrement à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ils ont persécutés tous les Juifs qui se sont convertis. Car il y en a eu des milliers qui se sont convertis, des centaines de milliers, après la prédication des Juifs qu’étaient les Apôtres. Ceux-ci furent même les premiers convertis; ils ont prêché et ils ont convertis des milliers, des milliers de Juifs. Ces Juifs-là ont été persécutés, massacrées. Et Paul était chargé, avant sa conversion, de les enchaîner et de les amener à Jérusalem pour qu’on les condamne et qu’on les lapide, qu’on les tue… Les Juifs ont toujours été opposés à Notre Seigneur Jésus-Christ. Ils disent : “Il n’est pas le Messie, nous ne Le reconnaissons pas comme Dieu. Nous attendons toujours le Messie. A plus forte raison, nous ne Le reconnaissons pas comme Dieu. Nous attendons toujours le Messie, il n’est pas encore venu. Donc, il sera impossible pour le Pape de prier Notre-Seigneur Jésus-Christ lorsqu’il sera à la Synagogue, c’est absolument exclu. Il ne pourra pas prier le vrai Dieu. Car Notre Seigneur Jésus-Christ est Dieu, et s’il ne peut pas prier Notre Seigneur Jésus-Christ, il ne peut pas prier le vrai Dieu. Quel Dieu va-t-il prier? Je ne sais pas… C’est tout de même très grave. Nous sommes vraiment placés devant une situation invraisemblable qui ne s’était jamais rencontrée, je crois, dans l’Histoire de l’Eglise” (pp. 7-8).

Ce dialogue interreligieux oblige nécessairement à traiter toutes les religions sur un pied d’égalité. Mais comment est-ce possible ? se demandait Mgr Lefebvre. Il ne comprenait pas cette “politique” vaticane. Contre elle, il reprenait son grand argument, Notre-Seigneur Jésus Christ. “Que doit penser Notre-Seigneur Jésus-Christ de tout cela, Lui qui est mort sur la Croix?… Comment peut-on mettre sur le même pied Notre-Seigneur Jésus-Christ, Bouddha, Mahomet… Ce n’est pas possible. C’est impossible. Car tout nous vient de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tout, tout. Nous avons été créés par Lui, c’est Lui qui a jeté les mondes dans l’espace, c’est Lui qui nous soutient dans l’existence. Nous lui devons tous. Il a versé son sang pour nous. Nous devons nous tourner vers Lui pour recevoir les grâces dont nous avons besoin, et l’existence même. Il est le Maître de notre santé, de nos maladies, de notre vie, de notre mort. Le jour où Il dira que nous devons mourir, nous mourrons, et nous serons jugés par Lui. Il est le Maître. Comment pouvons-nous ne pas nous tourner vers le Seigneur pour lui demander de donner la grâce de la conversion au monde entier… la grâce de donner Jésus-Christ aux hommes…Cette crise dans l’Eglise est une crise d’une gravité inconnue au cours de son histoire” (p. 17). Ainsi, comme vous le voyez, Mgr Lefebvre, tout comme Mgr de Castro Mayer, fut très opposé, à ces réunions interreligieuses. C’est ensemble en effet qu’ils écrivirent au Souverain Pontife Jean-Paul II la fameuse lettre après la journée d’Assise. En voici le texte :

“Déclaration de Mgr Marcel Lefebvre et de Mgr Antonio de Castro Mayer, 2 décembre 1986 faisant suite à la visite de Jean-Paul II à la Synagogue et au Congrès des Religions à Assise.

“Rome nous a fait demander si nous avions l’intention de proclamer notre rupture avec le Vatican à l’occasion du Congrès d’Assise. La question nous semblerait plutôt devoir être la suivante : Croyez-vous et avez-vous l’intention de proclamer que le Congrès d’Assise consomme la rupture des Autorités romaines avec l’Eglise Catholique ? Car c’est bien cela qui préoccupe ceux qui demeurent encore catholiques. Il est bien évident, en effet, que depuis le Concile Vatican II, le Pape et les Episcopats s’éloignent toujours plus nettement de leurs prédécesseurs. Tout ce qui a été mis en œuvre pour défendre la foi par l’Eglise dans les siècles passés, et tout ce qui a été accompli pour la diffuser par les missionnaires, jusqu’au martyre inclusivement, est désormais considéré comme une faute dont l’Eglise devrait s’accuser et se faire pardonner. L’attitude des onze Papes qui, depuis 1789 jusqu’en 1958 ont dans des documents officiels condamné la Révolution libérale, est considérée comme “un manque d’intelligence du souffle chrétien qui a inspiré la Révolution”. D’où le revirement complet de Rome depuis le Concile Vatican II, qui nous a fait redire les paroles de Notre Seigneur à ceux qui venaient l’arrêter : Haec est hora vestra et potestas tenebrarum (“ C’est ici votre heure et la puissance des ténèbres”) (Luc 22, 52-53). Adoptant la religion libérale du protestantisme et de la Révolution, les principes naturalistes de Jean-Jacques Rousseau, les libertés athées de la Constitution des Droits de l’Homme, le principe de la dignité humaine n’ayant plus de rapport avec la vérité et la dignité morale, les Autorités romaines tournent le dos à leurs prédécesseurs et rompent avec l’Eglise Catholique, et elles se mettent au service des destructeurs de la Chrétienté et du Règne universel de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Les actes actuels de Jean-Paul II et des Episcopats nationaux illustrent, d’année en année, ce changement radical de conception de la foi, de l’Eglise, du sacerdoce, du monde, du salut par la grâce. Le comble de cette rupture avec le magistère antérieur de l’Eglise s’est accompli à Assise, après la visite à la Synagogue. Le péché public contre l’unicité de Dieu, contre le Verbe Incarné et Son Eglise fait frémir d’horreur : Jean-Paul II encourageant les fausses religions à prier leurs faux-dieux : scandale sans mesure et sans précédent. Nous pourrions reprendre ici notre Déclaration du 21 novembre 1974, qui demeure plus actuelle que jamais. Pour nous, demeurant indéfectiblement attachés à l’Eglise Catholique et Romaine de toujours, nous sommes obligés de constater que cette Religion moderniste et libérale de la Rome moderne et conciliaire s’éloigne toujours davantage de nous, qui professons la foi catholique des onze Papes qui ont condamné cette fausse religion. La rupture ne vient donc pas de nous, mais de Paul VI  et Jean-Paul Il, qui rompent avec leurs prédécesseurs. Ce reniement de tout le passé de l’Eglise par ces deux Papes et les Evêques qui les imitent est une impiété inconcevable et une humiliation insoutenable pour ceux qui demeurent catholiques dans la fidélité à vingt siècles de profession de la même foi. Nous considérons donc comme nul tout ce qui a été inspiré par cet esprit de reniement : toutes les Réformes postconciliaires, et tous les actes de Rome qui sont accomplis dans cette impiété. Nous comptons avec la grâce de Dieu et le suffrage de la Vierge fidèle, de tous les martyrs, de tous les Papes jusqu’au Concile, de tous les Saints et Saintes fondateurs et fondatrices des Ordres contemplatifs et missionnaires, pour nous venir en aide dans le renouveau de l’Eglise par la fidélité intégrale à la Tradition.

Buenos Aires, le 2 décembre 1986. S. Exc. Mgr LEFEBVRE, Archevêque-Evêque émérite de Tulle S. Exc. Mgr Antonio de CASTRO MAYER, Evêque émérite de Campos en parfait accord avec la présente Déclaration

VIII Mgr Lefebvre et l’Eglise romaine

Cette lettre de Mgr Lefebvre au Pape a pour raison, pour principe, son amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, son amour de l’Eglise. Aussi je ne donnerais pas le vrai visage de Mgr Lefebvre si je ne terminais pas cet hommage sur sa foi en l’Eglise romaine, sur cet article de notre Credo : “Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique, apostolique et romaine”. Tout procède chez lui de cet amour de Rome. Il reçut sa formation à Rome, ce qui l’a tellement marqué. Il l’a reçu du Père Le Floch qui développa en son cœur l’amour des Papes et de leurs enseignements. C’est à Rome que Pierre a consommé son sacrifice, et c’est à Pierre que Notre-Seigneur Jésus Christ a remis son Eglise et ses trésors, son trésor de vérités, son Ecriture Sainte, sa Bible, la Vulgate, son Sacrifice de la Croix, perpétué dans le Sacrifice de la Messe, son Eucharistie, sa Présence réelle et effective soutenant la marche de son Eglise au milieu d’un monde hostile. Notre spiritualité, notre liturgie, notre théologie sont romaines. Elles s’expriment dans cette langue latine, langue romaine. “C’est, comme l’écrit Mgr Lefebvre dans son livre Itinéraires spirituels, cette langue qui a porté l’expression de la foi et du culte catholique jusqu’aux confins du monde. Et les peuples convertis étaient fiers de chanter leur foi dans cette langue, symbole réel de l’unité de la foi catholique. Les schismes et les hérésies ont souvent commencé par une rupture avec la Romanité, rupture avec la liturgie romaine, avec le latin, avec la théologie des Pères et des théologiens latins et romains”. Il a cette phrase formidable qui dit bien qui était Mgr Lefebvre, ce qui le porta dans toute sa vie : “Aimons scruter comme les voies de la Providence et de la Sagesse divine passent par Rome et nous conclurons qu’on ne peut être catholique sans être romain. Cela s’applique aussi aux catholiques qui n’ont ni la langue latine, ni la liturgie romaine; s’ils demeurent catholiques, c’est parce qu’ils demeurent romains – comme les Maronites par exemple, par les liens de la culture française catholique et romaine qui les a formés” (pp. 90-91). “A nous aussi, concluait-il, de garder cette Tradition romaine voulue par Notre-Seigneur Jésus-Christ comme Il a voulu que nous ayons Marie pour Mère” (p. 92).

Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, la Très Sainte Vierge Marie, voilà les trois biens de l’héritage que nous lègue Mgr Lefebvre. A nous d’y être fidèles.

Et après cela, ne croyez-vous pas que des raisons peuvent justifier son action et ses sacres.


Voilà ce qu’il nous faut étudier maintenant pour répondre aux critiques de M Yves Chiron formulées sur Mgr Lefebvre principalement dans son chapitre 11 : « 1988 : refus du schisme ».
Chapitre 2Mgr Marcel Lefebvre: un homme d’action
L’objet de ce chapitre sera de  montrer que Mgr Lefebvre fut aussi  un homme d’action.

Mgr Lefebvre ne fut pas seulement un homme de doctrine, une, il fut aussi, comme le demandait saint Pie X, dans son encyclique « E supremi apostolatus », un homme d’actions. Il  unira son action à sa pensée. Il réalisa, dans son action, sa pensée romaine. Il ne fut pas un homme libéral ni utopique, mais réaliste.

Réaliste, il le fut dans tous les domaines de sa pensée.

A-   Sur le sacerdoce.

Aimant le sacerdoce, comme nous l’avons vu,  il fit tout ce qu’il fallait pour le défendre. Déjà en Afrique, au Gabon,  il fut supérieur du séminaire des Pères du Saint Esprit. Il fut directeur du séminaire de théologie de Mortain, en France, maison des Spiritains. Au séminaire français, dès  1964, lors de la dernière année du Concile Vatican II, il venait souvent nous soutenir, nous, séminaristes en difficultés avec la direction du séminaire parce que « traditionalistes ». Lorsqu’il nous adressait la parole, comme Père Conciliaire, le sujet de ses conférences n’était pas le Concile comme le faisait tous les autres évêques, mais bien uniquement le sacerdoce. C’est là que j’ai commencé à apprécier sa pensée sur le sacerdoce. Lorsque mes confrères furent refusés à « la tonsure » parce que trop « conservateurs », il s’occupa d’eux, et en homme réaliste, les confia au RP Théodocios résidant au diocèse de Gênes, sous la protection du cardinal Siri. Lorsqu’il constata qu’il n’était plus possible, vraiment, de recevoir une bonne formation sacerdotale à Rome, et qu’il fut libre de la direction de sa Congrégation, ayant démissionné, il décida de faire une fondation en la ville de Fribourg en Suisse, près de l’université des dominicains, jouissant encore de la présence de quelques bons professeurs, le Père Spicq, en Ecriture Sainte, le Père Nicolas en dogme….

J’ai assisté moi-même à la réunion où il prit la décision de rencontrer l’évêque du lieu, Mgr Charrières, – il n’aurait rien fait sans son autorisation. Il respectait toujours le droit de l’Eglise et ne faisait jamais rien contre,  pour lui demander l’autorisation de créer un « convict sacerdotal ». J’étais en permission militaire, étant venu à Fribourg pour visiter le cardinal Journet et lui demander conseil. Ce devait être juste après les fêtes pascales.

Cette réunion eut lieu dans la bibliothèque privée de M le professeur Faÿ, rue du » Vieux Fribourg ». Il y avait outre le professeur et Mgr Lefebvre, le RP Marie Dominique Philippe, le RP abbé d’Auterive, un représentant du ministère confédéral de l’éducation, M l’abbé Pierre Piquet, séminariste romain et votre serviteur. La conversation portait sur la situation du sacerdoce, l’absence de formation spirituelle, la trop grande liberté accordée dans les séminaires. Toutes les personnes présentes encourageaient Mgr Lefebvre à faire quelque chose pour le sacerdoce, pour sauver la formation sacerdotale. C’est  suite à cette longue réunion, dans l’après-midi, qui s’est tenu dans cette belle pièce du Professeur Faÿ dominant la vallée de la Sarine, que Mgr Lefebvre décida d’aller visiter l’Evêque de Fribourg. Il le connaissait bien car il l’avait invité à Dakar pour visiter ses prêtres au Sénégal.

Cette rencontre eut lieu le lendemain de notre réunion. L’autorisation lui fut donnée. En homme réaliste, il loua deux étages d’une pension salésienne, au 106 route de Marly. Fort de cet accord, il  adressa à quelques séminaristes qui s’étaient fait connaître de lui, dont le jeune Tissier de Mallerais – qui lui fut présenté par le RP Luc Lefebvre, directeur de « la Pensée Catholique » -, et moi-même, une belle lettre où éclatait déjà tout son idéal sacerdotal. C’était  une lettre pleine d’amour de NSJC. « Il s’agit de faire de vous d’autre Christ ». Le prêtre n’est-il pas un « alter Christus ». C’était les premières paroles qu’il nous adressait sur le sacerdoce. Je n’ai pas mis longtemps à me décider…Les vacances arrivées et libéré de mes obligations militaires, en septembre 1969, je suis allé chercher mes affaires à Rome et revenais juste pour la rentrée des cours. Je fus accueilli par le jeune Bernard Tissier de Mallerais, ancien étudiant en sciences naturelles. Mgr Lefebvre était au milieu de nous…Quelle joie et quel honneur.

En cette année universitaire, 1969-1970, nous suivions les cours à l’université des Dominicains, soit en philosophie soit en théologie, selon nos niveaux respectifs. Nous étions neuf (9). Cette année fut difficile, Mgr Lefebvre était souvent malade, souvent absent. C’est le Père Guérard des Lauriers (OP) qui venait le remplacer ou le RP Rivière, père des Coopérateurs du Christ Roi. Quelques pères ont proposé leur service, au fil de l’année,  pour assurer la direction du séminaire : un ancien aumônier du collège de la Flèche, présenté, je crois, par le Colonel Pellaboeuf qui avait un fils au Convict. Il était bien « gentil » mais voulait nous faire quitter la soutane pour que nous nous adaptions mieux au milieu universitaire que nous fréquentions… Vous imaginez ! Tous les candidats séminaristes n’étaient pas non plus de niveau… Sur neuf, nous resterons à peine quatre à la fin de l’année…

Constatant la faiblesse des caractères, Mgr Lefebvre décida de créer une « année de spiritualité ». Il ne craignait pas les nouveautés…Il s’avait innover.

Cette année de spiritualité se fit à Ecône, dans une maison des chanoines du Grand Saint Bernard qu’ils venaient de vendre et qui avaient été achetée par un groupe  de catholiques fervents, dont plusieurs étaient « chevaliers de Notre Dame ». C’est un dimanche soir, alors que nous étions  à la Chartreuses de la Valsainte, pour chanter les Vêpres avec les moines,  que Mgr Lefebvre rencontra Maître Lovey, avocat, membre du Conseil d’Etat du Valais. A la sortie des Vêpres, Il lui rappela que la propriété d’Ecône était  toujours à sa disposition. Quelques jours plus tard, Mgr Lefebvre me demanda de le conduire  en Valais, auprès du groupe de propriétaires, le Curé de Riddes, paroisse sur le territoire de laquelle  se trouvait la maison d’Ecône, était présent,  pour visiter la propriété. Nous avons eu un bon repas, joyeux, comme savent le faire les valaisans. Au cours de ce repas, le frère de M  Pédroni prophétisa : « d’Ecône, on en parlera dans le monde entier ». Il ne se trompait pas…

Dès la décision prise, avec, là encore, l’autorisation de Mgr Adam, évêque de Sion, Mgr Lefebvre se mit en quête du corps professoral. La rentrée était prévue pour octobre 1970. Il ne fallait pas perdre de temps. C’est M l’abbé Masson qui en fut le premier directeur. Il hésita entre M l’abbé Masson et M l’abbé Gottlieb, Monsieur l’abbé Michel en fut l’économe, – il tenait à ce que les économes de maisons soient des ecclésiastiques…- les religieuses de Pontcallec assureront les services divers, cuisine, linges…. Il fallait réfléchir sur les  matières à enseigner. Il ne craignit pas de demander conseils. Le 16 août 1970, alors qu’il était venu aimablement visiter mes parents, je le conduisis, avec la voiture de mon père, à Fontgombault. Nous sommes arrivés à l’heure du repas et nous avons passé une bonne  partie de l’après-midi, j’y étais, avec le Père Maître des Novices du monastère, Dom Marc ; il  réfléchissait sur les sujets à enseigner : un cours sur le Magistère de l’Eglise. Ce qu’il avait reçu du Père Le Floch au séminaire français, il voulait le donner à ses futurs prêtres ; un cours de liturgie, un cours de doctrine, un cours de Patrologie, un cours sur la messe…Il n’était pas question d’étudier ni la philosophie ni expressément la théologie. Il  fallait donner une formation générale et étudier les caractères et la vocation des candidats. Et quand je pense que dans un séminaire le corps professoral voulut introduire «  un cours de logique ». C’était dénaturer l’esprit que Mgr Lefebvre voulait introduire dans cette année de spiritualité.

Réaliste,  Il aimait le sacerdoce, et fit tout pour le sauver. Je vous l’ai démontré.

Réaliste, il le fut dans tous les domaines de sa pensée.

B-    Sur la sainte Messe.

Il fut au cœur de la rédaction de l’étude que l’on appela : « le Bref Examen Critique », un ensemble de critiques doctrinales et liturgiques du nouvel « Ordo Missae de Paul VI ». Mgr Tissier de Mallerais, dans son livre sur Mgr Lefebvre, a bien présenté son action en cette affaire. Il prit officiellement position pour la Fraternité Sacerdotale saint Pie X, en mai ou juin 1971 dans une conférence qu’il fit d’abord à Ecône, au corps professoral et aux séminaristes,  puis, le lendemain, à Fribourg, pour les « théologiens ». Il ne craignait pas de donner de sa personne. Le sujet était important. La messe est le bien le plus important de l’Eglise  parce que le Sacrifice est le bien central de NSJC. Ce fut son « heure ». Le mystère de l’Incarnation est pour la Rédemption, parce que la Croix est pour le salut des âmes. Le sacerdoce se définit dans sa relation à la sainte Eucharistie. Elle en est la raison. « Faites ceci en mémoire de moi ». Elle est son bien. Ainsi défendre la sainte Eucharistie, le Sacrifice eucharistique, c’est défendre le sacerdoce. « Toucher » à l’Eucharistie, c’est « toucher » au Sacerdoce. En modifier le sens, en faire plus un  repas qu’un sacrifice, le sacrifice du Christ, c’est modifier le sens du sacerdoce. Mgr Lefebvre se dressa de toutes ses forces, on le comprend,  contre cette réforme liturgique de Paul VI. Il fut le grand sauveur de ce bien…Il faut savoir l’en remercier et garder grande estime et vénération.

Il fut au cœur de la lettre que les Cardinaux Ottaviani et Bacci adressèrent au Souverain Pontife, Paul VI. Ils concluaient que « cette réforme liturgique s’éloignait dans l’ensemble comme dans le détail de la doctrine catholique sur le saint sacrifice de la Messe définie pour toujours par le Concile de Trente ». C’est lui qui alla la  présenter à plusieurs cardinaux pour en obtenir la signature… Réaliste dans son action, il ne craignit pas de s’opposer aux propos tenus par le Pape au Consistoire de juin 1974, où il voulait, rien moins, qu’interdire la célébration de « la messe de toujours » parce qu’abolie. Comment interdire une coutume immémoriale dans l’Eglise ? Il y avait manifestement « un abus de pouvoir », « un abus de droit ». Mgr Lefebvre le fit remarquer très fortement. Saint Pie V, lui, en son temps, respecta, lors de sa « réforme », les rites liturgiques qui pouvaient jouir d’une ancienneté de 200 ans d’existence dans l’Eglise. C’est ainsi que nous avons encore dans l’Eglise, les rites ambrosien, lyonnais, dominicain, cartusien…Une coutume immémoriale ne peut être abolie que par un ordre expresse…ordre que l’on ne trouve nullement dans la constitution « Missale romanum » qui publia le nouvel Ordo Missae. M l’abbé Dulac le fit remarquer à l’époque. Ses études doctrinales et canoniques étaient publiées dans « Itinéraire » et « le Courrier de Rome » dans ce sens. Mgr Lefebvre en encourageait fortement la lecture. Il voulait que ces études soient dans les mains de tous les séminaristes. Il me l’écrivit personnellement alors que j’étais supérieur du District de France. En ce domaine liturgique, il résista jusqu’au bout, jusqu’au sacre, le 30 juin 1988. Il sut résister à l’injustice. Il jouissait particulièrement de la vertu de force. Il pratique cette vertu jusqu’à l’héroïsme. C’est une marque de sainteté. On lui reprocha ces sacres. Nous allons le voir plus bas. Yves Chiron, voire ses commanditaires, y voit un acte schismatique…

Ainsi homme réaliste, fort de son bon droit il resta attaché, sans crainte et sans reproche, à la messe de toujours quoi qu’il lui en coûta….Et il lui en coûta beaucoup…Sans sa résistance opiniâtre, la messe « dite de Saint Pie V » n’existerait plus dans l’Eglise. Le Motu Proprio Summorum Pontificumn’aurait jamais vu le jour. Et lorsque je vois tant de belles personnalités, cardinaux, évêques, pères abbés… s’exprimer, aujourd’hui,  sur ce Motu Proprio sans jamais prononcer, une seule fois, le nom de Mgr Marcel Lefebvre, si non pour le condamner, j’en suis révolté. (Cf le colloque du 10ème anniversaire de Summorum Pontificum). C’est une véritable malhonnêteté intellectuelle, une véritable injustice. Il faut réparer. C’est justice. Cela justifie amplement ma nouvelle chronique sur mon site ITEM: « Un disciple ».

La pression se fit très forte alors  contre son œuvre sacerdotale, contre son séminaire. Il fallait fermer ce séminaire que l’on décréta de « sauvage ». (Mgr Etchegaray) L’épiscopat français s’y employa, aidé par le Secrétaire d’Etat, le cardinal Villot et le Cardinal Garonne.

Une visite canonique fut organisée. Elle eut lieu le 11 novembre 1974. Elle est  assurée par Mgr Déclin et Mgr Onchan. En attendant leur visite, le 11 novembre au matin, Mgr Lefebvre me dit, nous marchions le long du couloir d’entrée : « j’aurais préféré mourir plutôt que de me trouver en opposition avec Rome ». C’étaient des propos venant d’un vrai cœur romain. Il fit son devoir ! Et on ose le traité de schismatique…Non !

Au cours de la visite, ces prélats tinrent des propos tellement scandaleux que Mgr Lefebvre, en conscience, écrivit une déclaration : la Déclaration du 21 novembre 1974 où il affirma, en homme réaliste, son attachement à la Rome éternelle et son refus de la Rome moderniste et de ses réformes « toutes » imprégnées de l’esprit protestant et moderniste. C’était très absolu. Il ne voulut jamais en changer les termes, malgré les pressions. Il reconnut seulement l’avoir écrite un peu dans «  l’émotion ». On le comprend. Les propos entendus étaient tellement scandaleux, rien moins que la négation de la virginité perpétuelle de Notre Dame…

Homme réaliste, homme de foi,  parfaitement cohérent avec sa  pensée sur le sacerdoce et sur la messe, il conférera, malgré l’interdiction qui lui en fut faite, l’ordination sacerdotale en juin 1976 à de nombreux diacres, persuadé que cette interdiction n’avait pour raison que son attachement à la messe tridentine…il ira jusqu’au bout de cet amour et de son bon droit…N’eût-il pas raison ? Le pape Benoît XVI ne déclara-t-il pas le 7 juillet 2007, 31 ans après… que cette messe tridentine n’avait jamais été abolie et qu’il était donc bien légitime de la célébrer. L’interdire était, par conséquent, vraiment un abus de droit…Toutes les sanctions canoniques qui s’en suivirent, étaient donc bien illégales, nulle de plein droit. Ce fut la position irréfragable du prélat…La  Bulle Quo primum tempore n’a, de fait, jamais été aboli. Et elle reconnaissait un droit à tout prêtre de célébrer cette messe  dans toutes les églises catholiques sans risque d’encourir jamais la moindre sanction… Le  bon droit de Mgr Lefebvre était évident, total,  hier comme aujourd’hui. Et malgré cela, certains – et pourquoi ne pas les nommer, les moines de Dom Gérard, Dom Gérad lui-même – osent, osaient contester son « sensus ecclesiae »  et ne cessent de parler à longueur de pages du récent livre sur Dom Gérard par Yves Chiron, Yves Chiron s’en faisant l’écho sans aucune nuance – du schisme qu’il commit déjà en 1976 , et surtout en 1988…par les sacres. Ils ne comprennent donc pas que c’est uniquement par amour de l’Eglise et de son bien suprême qu’est la messe de NSJC, que Mgr Lefebvre  agissait comme il le fit. Je me dois de prendre en tant que disciple de Mgr Lefebvre sa défense et de protester fortement contre ses allégations fausses. Oh ! comme les pages de ce livre, à partir des pages relatant la situation ecclésiale après 1988 sont malheureuses dans beaucoup de leurs affirmations : schisme, perte du sens de l’Eglise……C’est le Père Basiles qui fut au chœur de bien des nouvelles positions prises par Dom Gérard, avant et après les sacres…Mais se souvient-on qu’il avait publié un article « savant » dans la NEF, dans lequel il affirmait que la Bulle Quo Primum tempore, si elle n’avait pas été  « abrogée », avait du moins été « obrogée »…Ce qui revenait au même, elle avait été interdite…Heureusement le pape  Ratzinger rétablit la vérité quelques temps après…De belle culture universitaire, ce moine manque peut-être de jugement…et du vrai sens de l’Eglise, du Sensus fidei… ? je le faisais remarquer à Jean Madiran…quand il venait me saluer.

Homme réaliste, il refusa toujours d’être considéré comme le « leader des traditionalistes ». Il avait horreur de cette « expression». Il n’accomplissait  que « sa fonction d’évêque ».  Ne voulant pas nous laisser « orphelins » sachant très bien que ses séminaristes ne trouveraient aucun évêque de par le monde, qui accepterait de les ordonner, le cardinal Villot ayant bien précisé qu’il ne fallait donner aucune lettre dimissoriale à la FSSPX qui, du reste, était censée ne plus exister… il décida de sacrer quatre des « nôtres ».  Et si les « autres », ceux qui l’ont quitté, trouvèrent à l’époque des évêques consécrateurs, ce n’était que dans un esprit d’opposition à son œuvre, pour les attirer plus facilement loin de lui. Il ne fallait entretenir aucune relation avec lui. « Nullam partem ». Ce « nullam partem », odieux, de la lettre « Quattuor abhic annos » (1974)  se retrouvait toujours dans les notes du Motu Proprio : Ecclesia Dei adflicta (1988) pris par Jean Paul II, à la suite des sacres (juillet 1988), comme, du reste, dans la lettre aux évêques accompagnant l’envoi de la Bulle Summorum Pontificum. Ces départs furent «  le péché originel» des communautés « Ecclesia Dei adflicta ». Je ne peux l’oublier.  Mais c’est là qu’il faut dire : «  que font-ils du droit » ? Le salut des âmes n’est-il pas la première loi de l’Eglise, comme le rappelait si souvent Mgr Lefebvre ? Et la messe ancienne avait-elle été abolie ? Benoît XVI dit que « non ». Qui eut raison ? De plus, tous unis, comme en juin 1976, nous aurions été plus forts et nous aurions davantage obtenu en 1988, de la  Rome « conciliaire » qu’en marchant en ordre dispersé…. Mais on ne refait pas l’histoire…

Oui ! Dans certains milieux de la Tradition, on regretta beaucoup ces sacres. Dom Pateau, Père Abbé de Fontgombeault,  vient même de les déclarer « acte malheureux». (Rome 14 septembre 2017). Non! C’est faux. Je reste convaincu que les Sacres de 1988 et l’excommunication – injuste – qui s’en suivit, sont à l’origine de la réaction de Rome en matière liturgique. C’est seulement après ces sacres que les cardinaux Ratzinger et Stikler tinrent, de fait, conférences, discours, homélies, livres, tous en faveur de la liturgie ancienne lançant l’idée de la « Réforme de la Réforme ». C’est le cardinal Ratzinger qui donna le ton dès sa conférence au Chili en juillet 1988, devant l’épiscopat chilien. Il reprit cette idée devant les moines de Fontgombault en juillet 1998. (Sur ce sujet, voir mon livre en préparation : histoire de la messe interdite)

Par son action si ferme et si  cohérente avec sa doctrine, Mgr Lefebvre faisait « reconnaître » et « respecter » les droits de Dieu, les droits de la Messe. Il les mettait en œuvre. Il en assurait l’avenir… Il avait horreur du libéralisme. Il respectait l’être historique de l’Eglise. Qui a perdu  le sensus ecclesiae ? Comme l’écrivait François Brigneau «  Mgr Lefebvre incarne les vertus capitales : la lucidité et le courage d’aller jusqu’au bout de ses certitudes dans la sérénité et la simplicité » (pour saluer Mgr Lefebvre p. 19)

C-   L’œcuménisme, le dialogue interreligieux.

Il était réaliste. Lorsque le pape Jean Paul II convoqua la réunion d’Assise en 1986, il ne craignit  pas de s’élever contre cette décision. C’était le principe qu’il condamna et pas seulement le déroulement scandaleux que l’on constata. Il adressa, là encore, une très belle lettre, pour l’honneur de Notre Seigneur et pour l’honneur de la papauté. N’ayant pu obtenir une seule réaction cardinalise, avec Mgr de Castro Mayer, honneur à lui, il écrivit une magnifique protestation de foi, la cérémonie accomplie.

La voilà. C’est un document historique que la nouvelle génération doit connaître.

Déclaration de Mgr Lefebvre et de Mgr Antonio de Castro Mayer
faisant suite à la visite de Jean-Paul II à la Synagogue
et au congrès des religions à Assise

Rome nous a fait demander si nous avions l’intention de proclamer notre rupture avec le Vatican à l’occasion du Congrès d’Assise.

La question nous semblerait plutôt devoir être la suivante :

Croyez-vous et avez-vous l’intention de proclamer que le Congrès d’Assise consomme la rupture des Autorités romaines avec l’Eglise Catholique ?

Car c’est bien cela qui préoccupe ceux qui demeurent encore catholiques.

Il est bien évident en effet que depuis le Concile Vatican II, le Pape et les Episcopats s’éloignent toujours plus nettement de leurs prédécesseurs.

Tout ce qui a été mis en œuvre  pour défendre la foi par l’Eglise dans les siècles passés, et tout ce qui a été accompli pour la diffuser par les missionnaires, jusqu’au martyre inclusivement, est désormais considéré comme une faute dont l’Eglise devrait s’accuser et se faire pardonner.

L’attitude des onze Papes qui depuis 1789 jusqu’en 1958 ont, dans des documents officiels, condamné la Révolution libérale, est considérée comme « un manque d’intelligence du souffle chrétien qui a inspiré la Révolution ».

D’où le revirement complet de Rome depuis le Concile Vatican II, qui nous a fait redire les paroles de Notre-Seigneur à ceux qui venaient l’arrêter : Haec est hora vestra et potestas tenebrarum (c’est ici votre heure et la puissance des ténèbres) (Luc XXII 52-53).

Adoptant la religion libérale du protestantisme et de la Révolution, les principes naturalistes de J-J. Rousseau, les libertés athées de la Constitution des Droits de l’Homme, le principe de la dignité humaine n’ayant plus de rapport avec la vérité et la dignité morale, les Autorités romaines tournent le dos à leurs prédécesseurs et rompent avec l’Eglise Catholique, et elles se mettent au service des destructeurs de la Chrétienté et du Règne universel de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Les actes actuels de Jean-Paul II et des Episcopats nationaux illustrent d’année en année ce changement radical de conception de la foi, de l’Eglise, du sacerdoce, du monde, du salut par la grâce.

Le comble de cette rupture avec le magistère antérieur de l’Eglise s’est accompli à Assise, après la visite à la Synagogue. Le péché public contre l’unicité de Dieu, contre le Verbe Incarné et Son Eglise fait frémir d’horreur : Jean-Paul II encourageant les fausses religions à prier leurs faux dieux : scandale sans mesure et sans précédent.

Nous pourrions reprendre ici notre Déclaration du 21 novembre 1974, qui demeure plus actuelle que jamais.

Pour nous, demeurant indéfectiblement attachés à l’Eglise Catholique et Romaine de toujours, nous sommes obligés de constater que cette Religion moderniste et libérale de la Rome moderne et conciliaire s’éloigne toujours davantage de nous, qui professons la foi catholique des onze Papes qui ont condamné cette fausse religion.

La rupture ne vient donc pas de nous, mais de Paul VI et Jean-Paul Il, qui rompent avec leurs prédécesseurs.

Ce reniement de tout le passé de l’Eglise par ces deux Papes et les Evêques qui les imitent est une impiété inconcevable et une humiliation insoutenable pour ceux qui demeurent catholiques dans la fidélité à vingt siècles de profession de la même foi.

Nous considérons donc comme nul tout ce qui a été inspiré par cet esprit de reniement : toutes les Réformes post-conciliaires, et tous les actes de Rome qui sont accomplis dans cette impiété.

Nous comptons avec la grâce de Dieu et le suffrage de la Vierge fidèle, de tous les martyrs, de tous les Papes jusqu’au Concile, de tous les Saints et Saintes fondateurs et fondatrices des Ordres contemplatifs et missionnaires, pour nous venir en aide dans le renouveau de l’Eglise par la fidélité intégrale à la Tradition.

Buenos Aires, le 2 décembre 1986.

S. Exc. Mgr LEFEBVREArch.-Evêque émérite de Tulle

S. Exc. Mgr Antonio de CASTRO MAYER, Evêque émérite de Campos en parfait accord avec la présente Déclaration

D- Les sacres

Les sacres furent l’ultime action de Mgr Lefebvre. Son dernier combat. J’ose même écrire,  sa gloire. Voilà comment il faut les comprendre. Je me souviens de ses paroles le jour des sacres : « Le protocole venait à peine d’être signé que, le jour même, on me remettait une lettre…Je devais demander pardon de mes erreurs…Je devais reconnaître la vérité du Concile…Mais la vérité du Concile nous n’en voulons pas…pour rien au monde….Aussi en attendant que la Tradition retrouve sa place…en attendant que la Tradition retrouve ses droits à Rome…J’ai décidé cette opération-survie…Ne rien faire eût été une opération-suicide. »

Je me souviens de sa voix. Elle  était calme et sereine…. « Je ne pouvais laisser les séminaristes orphelins, en disparaissant sans rien faire. Nous avons donc choisi ».

Des applaudissements ont éclaté. Ceci a fort déplu à Dom Gérard. Il en fut même « indisposé », nous dit Yves Chiron. Il quitta la cérémonie (p. 486)….Pourtant rien de plus romain…C’est le ton décidé « de ce vieil évêque, condamné à être rebelle par fidélité » (Brigneau  Pour saluer Mgr Lefèbvre p. 12) qui les a provoqués. Il rappelle brièvement la situation de l’Eglise, de la réunion d’Assise, de son iniquité. Il voit le pape humilié. Il évoque la prophétie de Quinto annonçant « l’Eglise en situation de catastrophe » et « l’arrivée d’un prélat au pied du rocher, qui s’opposera en préservant la Tradition ». Autre scandale pour Dom Gérard. Il parlera des apparitions de la Salette, du troisième secret de Fatima que Jean XXIII se refusera à révéler. Il rappelle aussi les quatorze  années qui viennent de s’écouler. Sa Déclaration du 21 novembre 1974. Son amour de la  Rome éternelle. Son refus de la Rome conciliaire. En conséquence il fut considéré comme « rebelle et dissident ». Cela n’a pas empêché le cardinal Gagnon, envoyé pontifical, d’assister à sa messe, le 8 décembre 1987…La messe dite par un « suspens ». Il recevait en ce jour les engagements de nombreux membres de la FSSPX dans une Fraternité que Rome avait supprimée, le cardinal assistant à tout cela  en mosette, (habit de chœur) … ». Aujourd’hui nous sommes condamné…un jour prochain on nous félicitera d’avoir maintenu la foi »…disait Mgr Lefebvre.

Certes, les sacres, selon la prescription du droit canon (can 953) sont réservés au Souverain Pontife. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir un mandat du saint Siège. D’où la première question placée au début de la cérémonie

-  Avez-vous un mandat apostolique ? demande l’évêque consécrateur.

-Nous l’avons, répond le premier assistant

-Qu’on le lise.

Comprenez donc la pensée de Mgr Lefebvre. Nous l’avons de par l’Eglise romaine, toujours fidèle à la  sainte Tradition qu’elle a reçue des Apôtres, fait-il dire. Cette Tradition, c’est le dépôt de la foi, que l’Eglise nous prescrit de transmettre fidèlement à tous les hommes pour le salut de leur âme…Depuis le Concile Vatican II, jusqu’à aujourd’hui, les autorités de l’Eglise romaine sont animées de l’esprit modernisme. Elles ont agi en l’encontre de la sainte Tradition. « Elles ne supportent pas la saine doctrine »…. « Elles détourent l’oreille de la vérité pour se tourner vers des fables », comme le dit Saint Paul à Timothée. C’est pourquoi nous estimons sans valeur aucune toutes les peines et toutes les censures portées par ces autorités contre nous. Quelle male assurance !

« Quant à moi, tandis que je suis offert en sacrifice…et que le moment de mon départ est arrivé….j’entends l’appel des âmes  qui demandent que leur soit donné le pain de vie…Le pain de vie qui est le Christ…J’ai pitié de cette foule, disait NSJC….Ce m’est donc une grave obligation de transmettre la grâce de mon épiscopat aux chers prêtres qui sont ici…afin qu’ils puissent à leur tour conférer la grâce sacerdotale à d’autres clercs nombreux, instruits selon les saintes traditions de l’Eglise Romaine….C’est de par ce mandat de la sainte Eglise, toujours fidèle, qu’avec Mgr de Castro Mayer nous élisons à l’épiscopat les prêtres ici présents comme auxiliaires de la FSSPX.

Avez-vous compris ?

C’est ainsi- par ces sacres – que Mgr Lefebvre arrêtait définitivement « l’aggiornamento » conciliaire permettant à la Tradition de se poursuivre…. Avec Mgr de Castro Mayer, il a empêché par son action, par sa réaction, que le « glissement » se fasse en catimini. Par ces sacres, il a dénoncé la « mue » à voix haute. Mgr Bunigni, dans sa réforme liturgique changeait le sens de la messe ; ce n’était plus le sacrifice de NSJC, mais un repas, une réunion du peuple sous l’autorité du prêtre, une cène protestante…une simple commémoration, comme bien des « messes » aujourd’hui ou concélébrations. La métamorphose se serait accomplie en douceur, sans douleurs ni cris, sans même qu’en prit conscience le peuple chloroformé. Mais  Mgr Lefebvre a mis le « holas ». Il a « réveillé »  les âmes et tout autant Rome  par les « sacres ».Il a empêché que la religion révélée soit escamotée. On ne le lui pardonnera pas. Il sera excommunié. Il fallait le chasser puisqu’il empêchait que l’Eglise soit vidée de son Esprit. Voilà la raison de la haine qui entoure son action, ses sacres.

Mgr Lefebvre, soutenu par Mgr de Castro Mayer, avait acquis la conviction, nourrie par des exemples nombreux, des faits, des positions, des attitudes – l’événement d’Assise ne fut des moindres -, que l’Eglise ne voulait plus gagner la guerre poursuivie contre elle, depuis des siècles, par le modernisme et la Révolution. (Voir plus haut). Ce constat annonçait la trahison de la Tradition qui se déroulait sous ses yeux. Or pour Mgr Lefebvre, la meilleure arme et la meilleure armure de l’Eglise, son cœur et son bras était la Tradition. Celle-ci n’occupait plus dans l’Eglise conciliaire la place qu’elle aurait dû occuper. Il convenait de parler haut et clair, le plus haut et le plus clair qu’il fût possible, afin qu’elle la retrouvât. Les sacres en étaient le moyen. « Le Bon Dieu a voulu la Tradition. Je suis intimement convaincu que la Fraternité représente le moyen que le Bon Dieu a voulu pour garder et maintenir la foi, la vérité de l’Eglise et ce qui peut être encore sauvé dans l’Eglise » (Fideliter n. 79 ). J’en fus toujours convaincu et le suis encore même si on m’a mis dehors injustement…Dès lors le devoir était tout tracé et rien ni personne n’aurait pu empêcher Mgr Lefebvre de le suivre jusqu’au bout  -sauf Dieu. C’est ce qui lui donna cette force hors du commun, cette résistance à toute épreuve, et cette sérénité dans l’adversité. Voilà la raison des sacres.
Chapitre 3 Plaidoyer pour Mgr Lefebvre.
Dans ce chapitre je m’adresse à la hiérarchie catholique et plaide en faveur de Mgr Lefebvre, plaide sa réhabilitation dans l’Eglise. Que son nom soit honoré et même que sa sainteté soit reconnue !

Eminences

Permettez-moi de m’adresser à vous en toute simplicité de cœur, en toute loyauté, dans un esprit filial. Permettez-moi de vous exprimer mon étonnement, ma surprise, mon inquiétude… de cette manière, dans une « lettre ouverte », mon étonnement sur un point précis : la condamnation de Mgr Lefebvre. Je ne comprends pas que vous ne réexaminiez pas cette « affaire ».

C’est la raison de ce plaidoyer, Éminences.

Vous savez très bien qu’il fut un grand prélat, un grand missionnaire. Délégué apostolique en Afrique francophone, il fut le grand défenseur de l’Église en terre africaine. Il laissa, à son départ, une œuvre extraordinaire. Tout le monde le reconnaît.

Tout cela postule en sa faveur.

Revenu en France, nommé par le Pape Jean XXIII, Archevêque- évêque de Tulle, il se mit à la tâche sans amertume, avec le même zèle qu’en Afrique. Une seule chose comptait pour lui : le service de l’Église dans la fidélité au Souverain Pontife et à la Tradition.

À peine nommé à Tulle, il fut élu, par ses pairs, supérieur général de la Congrégation des Pères du Saint-Esprit, une congrégation forte de plus de 5000 membres, répandue dans le monde.

Le Concile œcuménique de Vatican II fut alors convoqué par le Pape Jean XXIII. En tant que Supérieur général, il participa aux séances préparatoires du Concile. Il nous racontait tout cela… lorsque nous eûmes la grâce de le connaître, d’abord à Rome, puis ensuite à Écône.

Douloureusement affecté par la crise sacerdotale, par l’effondrement des vocations, en Occident, et par la perte du sens sacerdotal, libéré de toute responsabilité – il avait donné sa démission, Rome le lui conseillait – il décida, enfin, de tout faire pour lutter contre. Il fonda son séminaire à Fribourg avec l’autorisation épiscopale de Mgr Charrière, avec les encouragements du Cardinal Journet. Il créa son institut sacerdotal : la  Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, toujours avec l’approbation de Mgr Charrière, évêque de Fribourg-Lausanne-Genève. Quelle joie fut la sienne lorsqu’il reçut le décret de l’Évêque ! Une joie toute surnaturelle, Éminences.

Il nous apprit la grandeur du sacerdoce, son rôle, son sens. Il nous fit apprécier le trésor de la messe, de la messe catholique. Il nous en rappela la finalité, les fruits, son importance et pour le prêtre et pour le chrétien. Il nous donna du cœur à l’ouvrage, un « moral de fer ». Il multiplia les contacts pour permettre le rayonnement de son œuvre. Il était infatigable.

Arriva l’année 1969, avril 1969. Ce fut la publication de la Constitution Missale Romanum et du nouveau rite de la messe, de la Nouvelle Messe de Paul VI. Terrible réforme liturgique… contestée, contestable, qui allait ébranler de fond en comble la Sainte Église, son unité, sa sainteté. Des théologiens se lèveront pour s’y opposer, des cardinaux aussi. Des intellectuels de renom firent entendre leur voix. Pour ne citer qu’un nom, permettez, Éminences, que j’invoque l’autorité du Cardinal Ottaviani. Dans une lettre au Souverain Pontife, Paul VI, il lui présenta une critique du nouveau rite, lui demandant « d’abroger ce nouveau rite ou, tout au moins, de ne pas enlever, à la catholicité, la possibilité de continuer à recourir à l’intègre et fécond missel romain de saint Pie V ». Tout cela fit grand bruit. Mgr Lefebvre prit position assez tard. Ce n’est que le 2 juin 1971 qu’il réunit à Écône son corps professoral, les séminaristes. Le lendemain, il venait rencontrer « les théologiens », séminaristes à Fribourg. Il exposa sa position. Il expliqua son refus, son « non possumus », avec des arguments clairs. Il nous laissa, à l’issue de cette conférence, un texte, un petit texte résumant sa pensée. Séminariste, à l’époque, je gardais jalousement ce texte. Je l’ai souvent lu et relu. Je me permets de vous l’adresser, Éminences. Il ne doit pas être très connu… Comme vous pouvez le voir, Éminences, la position de notre fondateur est simple, doctrinale, fondée sur la plus sûre théologie, sur les décrets solennels du Concile de Trente, sur les principes du Droit Canon. Cette position fut publique. Elle est écrite. Dans ses conférences, il ne cessa de l’expliquer, de la justifier.

Or, Éminences, c’est en raison de cette position sur la messe que Mgr Lefebvre fut condamné. On traita tout d’abord sa fondation de « sauvage ». C’est Mgr Etchegaray qui prononça la phrase le premier. Il était, alors, Archevêque de Marseille… Première affirmation fausse : son séminaire n’avait rien de sauvage, ni son institut. Le « tout » fut approuvé – vous le savez très bien, Éminences – par Mgr Charrière, par Mgr Adam. La fondation à Albano eut l’accord de l’Évêque du lieu. Rien de « sauvage » à la vérité. Au contraire, Mgr Lefebvre, en homme d’Église, respectueux de ses lois, voulait tout faire avec les autorisations requises. Et c’est ce qu’il fit, Éminences.

Peu importe, il n’était plus dans la ligne. C’est qu’il ne voulait pas suivre aveuglément les réformes conciliaires… Empêcheur de tourner en rond, il fallait qu’il soit discrédité. Ses fondations ne pouvaient être que sauvages, que condamnées.

Le cycle infernal démarrait.

Alors une visite canonique eut lieu. Mgr Onclin, Mgr Deschamps furent envoyés de Rome. Ils tinrent des propos tellement « nouveaux » que Mgr Lefebvre dut protester à leur départ. Et ce fut sa très belle protestation de foi du 21 novembre 1974. Dieu ! Qu’elle fit couler de l’encre, cette déclaration ! Qu’elle fut commentée !… À l’extérieur comme à l’intérieur… par le corps professoral lui-même. Il fallait que Mgr Lefebvre « rétracte » ce texte. « Il a signé sa propre condamnation »… J’ai entendu tout cela. J’étais à l’époque sous-directeur du Séminaire.

Il fut alors convoqué à Rome, devant une commission, « ad hoc », devant le Cardinal Garonne, le Cardinal Wright, le Cardinal Tabera. Ils essayèrent de le convaincre de l’« inanité » de sa position. Rien à faire. Ils n’imaginaient pas rencontrer une telle sûreté, une telle force, la force simple de la doctrine catholique aimée plus que soi-même.

Ne pouvant le convaincre, il fallait l’« écraser ». Les sanctions canoniques tombèrent. Les pressions psychologiques se firent tout d’abord terribles. Ce fut la menace de la fermeture du Séminaire, de la Fraternité. Comme il ne lâchait toujours pas, des menaces, on passa aux sanctions. Et c’est Mgr Mamie, Évêque de Fribourg, qui porta le chapeau de tout cela. Le pauvre. Il lui fut intimé l’ordre de ne pas faire les ordinations, le 29 juin 1976. Terrible dilemme, Éminences. J’en fus le témoin privilégié.

Le 28 au soir, dans mon bureau, à Ecône,  il examinait encore la solution… pesait le pour et le contre… La fête battait déjà son plein. Tout était prêt… « On peut, malgré tout, me disait-il, ne pas faire les ordinations ». Il était d’un calme souverain, tranquille.

Le 29 juin, devant une foule immense, il expliquait son geste. Il parla clairement, sans ambages : notre fidélité à la messe de toujours, à la messe codifiée, canonisée même, par saint Pie V est la raison de nos difficultés.

La sanction canonique tomba, le 22 juillet 1976. Il fut déclaré « suspens a divinis ». Il ne pouvait plus exercer aucun pouvoir inhérent à son état sacerdotal et épiscopal.

À Lille, le 29 août 1976, il renouvela ses explications. Il parla ouvertement de la réforme liturgique, de la réforme de la messe, messe « équivoque ». C’est là qu’il parla de la messe « hybride » : « la Nouvelle Messe est une espèce de messe hybride qui n’est pas hiérarchique, qui est démocratique, où l’assemblée prend plus de place que le prêtre ».

On peut, Éminences, résumer la position de Mgr Lefebvre en disant qu’il refusa la nouvelle messe parce qu’équivoque, plus protestante que catholique, s’éloignant de la Tradition catholique, voire même en rupture avec la Tradition catholique et les dogmes catholiques.

Et le conflit perdure, Éminences. Vous êtes, tous, l’autorité. C’est pour cela que je m’adresse à vous. Vous maintenez toujours la condamnation de Mgr Lefebvre, de sa fondation, de ses prêtres parce que nous voulons – à notre tour – rester fidèles à cette Messe catholique pour sauvegarder notre foi, gage d’éternité. Le cardinal Burgues continuent de dire, avec les autres, que la FSSPX est « schismatique »…

Cependant Eminences, un des vôtres, le cardinal Ratzinger, le temps passant, est devenu très sévère sur cette réforme liturgique qui nous attriste. Permettez que je le cite aujourd’hui.

Il préface un livre de Mgr Gamber dans son édition française, heureusement diffusé par Dom Gérard Calvet et intitulé La réforme liturgique en question. Dans cette préface, il fait l’éloge de Mgr Gamber, de son œuvre théologique et liturgique. Il le recommande fortement. Il en fait un modèle, « un père » de ce renouveau liturgique qu’il appele de tous ses vœux. « Ce nouveau départ a besoin de pères qui soient des modèles… Qui cherche aujourd’hui de tels pères, rencontrera immanquablement la personne de Mgr Klaus Gamber… Il pourrait en cette détresse (liturgique) – dit-il– devenir le père du nouveau départ » (p. 7). On ne peut être plus clair.

Dans cette préface, il critique « joliment » la réforme liturgique. Il affirme que : « la liturgie est (doit être) d’un développement continu », harmonieux (p. 7). C’est bien, en effet, ce que fut la liturgie catholique, celle codifiée par saint Pie V. Elle évolua harmonieusement à travers les siècles. Il en est de la liturgie comme de la doctrine catholique. Il n’y a de « fixiste » que l’hérétique. Il n’y a de radicalement arrêté que la mort. La liturgie catholique n’est pas cela. Nous le savons bien. Ce principe posé, il part « en guerre » contre la liturgie réformée issue du Concile Vatican II. « Ce qui s’est passé après le Concile signifie tout autre chose : à la place de la liturgie, fruit du développement continu, on a mis une liturgie fabriquée. On est sorti du processus vivant de croissance et de devenir pour entrer dans la fabrication ».

C’est l’œuvre de Mgr Bugnini.

« On n’a pas voulu continuer le devenir et la maturation organique du vivant à travers les siècles et on les a remplacés – à la manière de la production technique – par une fabrication, produit banal de l’instant » (p. 7).

Il dit aussi : « La liturgie n’est pas objet de notre faire ».

C’est la grande idée de Mgr Gamber.

Mgr Lefebvre aurait été très certainement de cet avis, lui qui soutint jusqu’à la rupture, contre certains séminaristes américains qui refusaient les réformes de saint Pie X, de Pie XII et même de Jean XXIII en matière liturgique.

Il demande, Éminences, qu’on se penche sur la pensée de Mgr Gamber, qu’on la fasse nôtre. Il donne une approbation sentie de son œuvre. C’est ce que j’ai fait, Eminences. J’ai lu – à sa recommandation – ce livre. Je dois avouer que je n’ai jamais rencontré de critique de la Nouvelle Messe aussi forte, aussi radicale… même sous la plume de Mgr Lefebvre.

Alors, Éminences, vous voyez maintenant ma question. Vous voyez où je veux en venir. Vous voyez ce que je voudrais vous dire de vive voix si vous me receviez : « Pourquoi approuver si fortement Mgr Gamber, l’applaudir, le recommander et continuer à réprouver Mgr Lefebvre ? ».

Mgr Gamber est pourtant plus sévère encore que Mgr Lefebvre dans sa critique du nouveau rite. N’y aurait-il pas deux poids, deux mesures ? Tel est mon étonnement, mon angoisse même!

Voyez ce qu’écrit Mgr Gamber : « On mit désormais (avec la réforme liturgique) de façon exagérée, l’accent sur l’activité des participants, rejetant de la sorte au second plan, l’élément cultuel » (p. 15). C’est ce que Mgr Lefebvre appelait l’aspect « démocratique » de la nouvelle liturgie…dans son discours de Lille.

« Celui-ci (élément cultuel, i.e. le Sacrifice, l’action eucharistique elle-même) s’appauvrit de plus en plus chez nous ». « De même, il manque maintenant dans une large mesure, cette solennité qui fait partie de toute action cultuelle, surtout si celle-ci se déroule devant une grande assemblée » (p. 12). C’est ce que nous disons, ni plus, ni moins.

Mgr Gamber ose écrire sur ce sujet : « En lieu et place, on voit souvent régner une austérité calviniste » (p. 13).

Ce n’est pas nous qui le disons, Éminences.

Mgr Gamber poursuit… Vous allez être stupéfait… J’écris aussi pour les fidèles, Éminences : « Il n’est pas rare de voir les formes cultuelles existant jusqu’ici, méprisées par les pasteurs eux-mêmes et laissées de côté sous prétexte qu’elles seraient démodées : on ne veut pas laisser supposer qu’on aurait raté le train de l’évolution moderne. Et, cependant, la masse du peuple chrétien reste attachée à ces formes anciennes qui portent sa piété. Les réformateurs d’aujourd’hui, trop pressés, n’ont pas suffisamment considéré à quel point, dans l’esprit des fidèles,  il y a coïncidence entre la doctrine et certaines formes de piété. Pour beaucoup, modifier les formes traditionnelles signifie modifier la foi ».

Éminences en préfaçant ce livre, le cardinal Ratzinger donne son approbation à cette critique générale.

Mgr Lefebvre a dit la même chose. Il n’a cessé – toute sa vie – de nous rappeler l’axiome fondamental en matière liturgique : lex orandi, lex credendi. C’est le thème de sa conférence – entre mille – du 15 février 1975, donnée à Florence : « Pour beaucoup, modifier les formes traditionnelles signifie modifier la foi ». Je signe, Éminences.

Mais la critique de Mgr Gamber du nouveau rite n’est pas finie. Suivez-moi, Eminences.

Vous irez d’étonnement en étonnement. « Les responsables dans l’Église n’ont pas écouté la voix de ceux qui ne cessaient de les avertir, leur demandant de ne pas supprimer le Missel romain traditionnel (et de n’autoriser la nouvelle liturgie que dans certaines limites et seulement « ad experimentum »)… Aujourd’hui, voici quelle est malheureusement la situation : de nombreux évêques se taisent devant presque toutes les expérimentations liturgiques mais répriment plus ou moins sévèrement le prêtre qui, pour des raisons objectives ou de conscience, s’en tient à l’ancienne liturgie » (p. 14).

C’est ce que conseillaient, Éminences, des « Grands » dans le cardinalat. C’est ce que conseillait Mgr Lefebvre. C’est ce que faisait Mgr Lefebvre : s’en tenir pour des raisons objectives et de conscience, à l’ancienne liturgie.

Éminences, il faut être logique dans le gouvernement : ou vous êtes d’accord avec Mgr Gamber et vous soutenez ceux qui veulent – dans cette tourmente – rester attachés au « mât » de la Tradition, ou vous êtes pour les évêques qui, par faiblesse, nous combattent injustement – comme en Normandie, Mgr Pican, Mgr David, Mgr Fihey, Mgr Dubigeon… Mais alors, de grâce, n’acceptez pas que soit  préfacé par un des vôtres, ce livre de Mgr Gamber.

Et puisque vous êtes d’accord avec la pensée de Mgr Gamber, qui dit mot consent…, veuillez, je vous prie, faire ouvrir de nouveau le dossier de « l’affaire Lefebvre » et le juger en bonne et due forme, vous souvenant qu’aujourd’hui – encore, malheureusement – de nombreux évêques se taisent devant presque toutes les expérimentations liturgiques permises par « l’esprit conciliaire » mais répriment sévèrement les prêtres qui, pour des raisons objectives et de conscience, s’en tiennent à l’ancienne liturgie. Nous, Éminences.

Cette situation est malheureuse, remarque encore Mgr Gamber. Oh, Combien ! Nous qui recevons les coups, nous pourrions vous en parler en connaissance de cause.

J’aime la justice, Éminences Vous aussi.

Mgr Gamber est vraiment sévère… Après avoir reconnu que « les innovations liturgiques » sont possibles, mais que tout doit se faire « avec bon sens et prudence » – ce n’est pas le principe le plus ultime, mais peu importe, il conclut, se tournant alors vers le concret de la réforme liturgique issue du Concile Vatican II: « La rupture avec la Tradition est désormais consommée ». Il précise même: « Par l’introduction de la nouvelle forme de la célébration de la Messe (il s’agit bien ici du rite nouveau lui-même) et des nouveaux livres liturgiques, encore davantage par la liturgie concédée tacitement par les autorités, d’organiser librement la célébration de la messe sans qu’on puisse déceler en tout cela un avantage substantiel du point de vue pastoral (c’est le moins que l’on puisse dire !) au lieu de cela, poursuit-il, on constate dans une large mesure, une décadence de la vie religieuse qui, il est vrai, a aussi d’autres causes. Les espoirs placés dans la réforme liturgique – on peut déjà le dire – ne sont pas réalisés ».

Éminences, ce texte a été préfacé par l’un des vôtres !.

Mgr Lefebvre n’a jamais parlé aussi fortement, aussi brutalement.

De grâce ! Ressortez le dossier. Redonnez vie à son recours qu’il porta lui-même, dans les mains du Préfet de la « Signature Apostolique » de l’époque, mais que ce dernier ne put traiter par ordre du tout puissant Cardinal Louis Villot.

Éminences, je vous parle en toute simplicité. Je vous dis ce que j’ai sur le cœur. Faites cesser toute injustice dans l’Église… en France tout particulièrement… Faites cesser cette injustice-là. Ou alors, je serais en droit de dire qu’il y a contradiction dans vos gouvernements et que vous donnez d’une main ce que vous reprenez de l’autre… Mais, ça, Éminences, c’est l’arbitraire et personne n’aime l’arbitraire… Il est juste de lutter  contre.

Vous connaissez très bien, Éminences, la pensée de Mgr Gamber.

Voyez encore ! « D’année en année, la réforme liturgique, saluée avec beaucoup d’idéalisme et de grands espoirs par de nombreux prêtres et laïcs, s’avère être, comme nous l’avons déjà exprimé, une désolation de proportion effroyable » (p. 15).

Mgr Lefebvre a dit cela, mais je dois l’avouer pas aussi fortement.

Notre auteur poursuit : « Au lieu du renouvellement de l’Église  et de la vie ecclésiastique attendue, nous assistons à un démantèlement des valeurs de la foi et de la piété qui nous avaient été transmises et, en lieu et place d’un renouvellement fécond de la liturgie, à une destruction des formes de la messe qui s’étaient organiquement développées au cours des siècles » (p. 15).

Vous approuvez ce jugement, Éminences, puisque l’un des vôtres l’a préfacé élogieusement. Mgr Lefebvre n’a rien dit d’autre, lui est condamné, Mgr Gamber, approuvé.

Là, Éminences, je ne comprends plus. Mon intelligence, à l’affût, attend une réponse, a droit à une justification qui en soit une, vraiment une. Pas une réponse comme cela, du bout des doigts, méprisante, qui ne règle rien, ne donne aucune explication valable, une réponse à la « Cassidy »… Mais une réponse claire, du bon pain comme on aime en trouver à la table familiale après la messe dominicale… De grâce ? Éminences, donnez-nous de ce pain…

Je poursuis ma lecture, Éminences : « …s’y ajoute, sous le signe d’un œcuménisme mal compris, un effrayant rapprochement avec les conceptions du protestantisme… Ce qui ne signifie rien moins que l’abandon d’une tradition jusqu’à ce jour commune à l’Orient et à l’Occident » (p. 15).

Alors ça! Quand j’ai lu cela pour la première fois, je suis resté coi. J’ai relu, relu encore. Et dans mon innocence, je me disais: mais Mgr Lefebvre ne dit rien d’autre. C’est ce qu’il a dit à Florence – déjà en 1975. C’est ce qu’il disait dans un article publié en 1971 dans la Pensée Catholique – mais déjà écrit en plein Concile: « Pour rester catholique faudra-t-il devenir protestant? »… Et il concluait: « On ne peut imiter les protestants indéfiniment sans le devenir ». Mais je trouve Mgr Gamber plus catégorique encore. Il parle – lui – lisez bien: « d’un effroyable rapprochement avec les conceptions du protestantisme ».

Mais c’est la même pensée !

Alors, Éminences, comment est-ce possible de faire la louange de l’un, Mgr Gamber, et de continuer à condamner l’autre, Mgr Lefebvre. Ils disent, tous deux la même chose.

De grâce, Éminences, ouvrez de nouveau le procès de Mgr Lefebvre. C’est une supplique légitime.

Mgr Gamber, dans un second chapitre, parle de la « ruine » du rite romain. Il le déplore, tout comme nous. Il va même jusqu’à dire que le rite nouveau, sans être en soi invalide – ce que Mgr Lefebvre n’a jamais dit – est célébré de plus en plus souvent, de manière invalide. Mgr Lefebvre dit exactement la même chose. Pas plus. Pas moins. Il est seulement un peu plus précis : « Tous ces changements dans le nouveau rite sont vraiment périlleux parce que peu à peu surtout pour les jeunes prêtres qui n’ont plus l’idée de sacrifice, de la présence réelle et de la transsubstantiation, et pour lesquels tout cela ne signifie plus rien, ces jeunes prêtres perdent l’intention de faire ce que fait l’Église et ne disent plus de messes valides » (Conférence à Florence, le 15 février 1975). L’aspect « commémoration » prime aujourd’hui largement. Mais, dans ce cas, la messe que ces prêtres célèbrent est invalide…

J’en arrive maintenant au chapitre IV du livre : le jugement du prélat est terrible.

Il expose d’abord brièvement mais justement la réforme luthérienne, la réforme que Luther fit subir à la Messe catholique,  la Messe romaine. « Le premier, écrit-il, à avoir entrepris une réforme de la liturgie et cela en raison de considérations  théologiques est, sans conteste, Martin Luther. Il niait le caractère sacrificiel de la Messe et était, de ce fait, scandalisé par certaines parties de la Messe, en particulier par les prières sacrificielles du Canon » (p. 41). D’où la réforme qu’il entreprit de la messe et tout d’abord la suppression des prières sacrificielles, mais il a agi prudemment – avec la prudence de la chair – pour ne pas choquer et créer des réactions.

Or, rien de tel avec la réforme liturgique conciliaire.

Mgr Gamber est terrible. Il affirme tout d’abord qu’on a agi là trop brutalement : « La nouvelle organisation de la liturgie et surtout les modifications profondes du rite de la Messe qui ont vu le jour sous le Pontificat de Paul VI et sont, entre-temps, devenues obligatoires – on peut légitimement discuter ce point –, ont été beaucoup plus radicales que la réforme liturgique de Luther et ont moins tenu compte du sentiment populaire » (p. 42).

Puis, il affirme que des éléments de la doctrine protestante ont été pris en compte pour justifier cette réforme liturgique. Il parle lui-même du « refoulement de l’élément latreutique », « la suppression des formules trinitaires », et enfin de l’« affaiblissement du rôle du prêtre ». On retrouve ici, purement et simplement, les affirmations de Mgr Lefebvre – vous lirez son papier ci-joint –, celles du « Bref examen critique » présenté au Pape par le Cardinal Ottaviani. Il va même jusqu’à dire qu’« on n’a pas encore suffisamment tiré au clair dans quelle mesure, ici aussi, comme ce fut le cas pour Luther, des considérations dogmatiques ont pu exercer une influence » (p. 42).

Je trouve personnellement, Éminences, que des théologiens, en France – le Père Calmel, l’abbé Dulac… – ont déjà dit, sur ce sujet, pas mal de choses… Notre prélat, Mgr Gamber, il est vrai, est allemand. Il reconnaît que « c’est la nouvelle théologie (libérale) qui a parrainé la réforme conciliaire ». Il se désole alors que le Pape Paul VI n’ait pas cru devoir tenir compte de « ces critiques dogmatiques », « ni les pressantes objurgations des cardinaux de mérite – comment, ici, Éminences, ne pas penser au Cardinal Ottaviani, au Cardinal Bacci, qui avaient émis des objections dogmatiques quant au nouveau rite de la messe – ni les instantes supplications provenant de toutes les parties du monde, n’empêchèrent Paul VI d’introduire impérativement le nouveau missel » (p. 43).

Ainsi, Éminences, pour Mgr Gamber dont on nous recommande tant la doctrine, le « Nouvel Ordo Missae » aurait des « odeurs » protestantes, des relents de théologie protestante, de théologie libérale.

Avouez, Éminences, que c’est assez fort et que cela peut raisonnablement retenir tout enthousiasme de la célébrer. Ces critiques sont approuvées par les vôtres. Pourquoi, alors, condamnez-vous toujours Mgr Lefebvre ? Son tort est peut-être d’avoir eu raison trop tôt – ou d’avoir été, en son temps, un évêque de caractère… Mais s’il en est ainsi qui pourrait raisonnablement critiquer et cette lucidité et cette force  d’âme? Sont-ce des titres de condamnation ? On ne vous croira pas, Éminences. Son tort est peut-être aussi d’avoir eu un sens pastoral trop grand ? Il craignait les effets de cette réforme sur la foi du peuple chrétien, sur son orthodoxie : « On ne peut imiter les protestants indéfiniment sans le devenir » (Mgr Lefebvre).

Mgr Gamber le constate aussi : « Nos messes sont-elles devenues plus attirantes pour les fidèles depuis le Concile ? La liturgie renouvelée a-t-elle contribué à augmenter le sens de la foi et de la piété ? À peine, semble-t-il. Le peu de temps écoulé depuis l’introduction, en 1969, du « Nouvel Ordo Missae » a suffi à révéler que nos églises se vidaient de plus en plus, que le nombre de nos prêtres et de nos religieux diminuait de plus en plus, et ce dans des proportions effrayantes. Certes, les causes en sont multiples, néanmoins, la réforme liturgique n’a pas été capable d’arrêter cette évolution négative (je précise et qualitativement et quantitativement) : il est probable qu’elle n’a pas peu contribué à l’entretenir » (p. 44).

Avouez, Éminences, qu’il en faudrait moins pour justifier la position de Mgr Lefebvre, son « non possumus », son « refus » et aujourd’hui le refus des dociles à la loi catholique.

Et si j’en viens maintenant à la critique que Mgr Gamber adresse à la nouvelle ordonnance de la messe proprement dite de Paul VI, alors, je dois dire, Éminences, que je me sens à l’aise dans ma position, notre position. Il survole « le nouvel ordo ». Tout d’abord : pour les rites d’ouverture de la messe, il écrit : « Les rites d’ouverture… ouvrent une porte toute grande à l’arbitraire du prêtre célébrant ».

Il commente : « Quels bavardages les fidèles ne doivent-ils pas subir, par endroit, dès le début de la messe ! Tout comme c’est plus d’une fois le cas aujourd’hui dans les communautés protestantes ».

Le Cardinal Danneels, Éminences, dit la même chose. Il fut invité à écrire un article dans Communio, la revue du cardinal Ratzinger. Nous disions la même chose, Éminences, vous le voyez. Nous sommes en bonne compagnie… Mais alors, pourquoi l’ostracisme à notre égard… ?

Il en vient à la liturgie de la parole et se permet de dire : « Nous faisons toutes réserves quant à la nouvelle ordonnance des lectures ».

Quant à la prière universelle, dont il ne conteste pas le principe, il écrit cependant : « On assiste de nos jours, aux pires écarts dans la libre élaboration de cette prière et même, dit-il, les formulaires présentés aux fidèles dans les recueils ad hoc, ne sont que peu utilisables »… Moi, elles me font fuir… Bref. Il avoue qu’une telle prière devrait être dite à l’autel et non au « siège » : « il faut être tourné vers l’Orient pour prier ».

Il en arrive enfin à la liturgie eucharistique proprement dite et là, il affirme une chose formidablement importante : « Contentons-nous ici, où il n’est question que du rite, de remarquer qu’il manque à cette dénomination, toute allusion au fait que la messe est un sacrifice » (p. 48).

Éminences ? Vous avez bien lu.

Vous trouvez ici sous la plume de Mgr Gamber, les critiques que nous avons depuis longtemps adressées au nouveau rite de la messe. Nous disons, nous aussi, cela. La messe est bien cela, essentiellement cela : un sacrifice propitiatoire. J’avais trouvé que la critique du Cardinal Danneels était, sur ce point, faible et j’avais été étonné de voir publier son texte dans Communio, sans remarque particulière. Mais je suis très heureux, par contre, de voir que l’on recommande dans le milieu cardinalise la lecture d’un livre qui met le doigt sur une grave omission du nouveau rite…

Alors Éminences, pourquoi notre condamnation maintenue ? Voilà mon interrogation !

Mgr Gamber en arrive au plus particulier : à la prex eucharistica. Alors là ! La critique est de nouveau terrible. « Les trois nouveaux canons constituent, eux, une rupture complète avec la tradition. Ils ont été nouvellement composés d’après des modèles orientaux et gallicans, et représentent, au moins de part leur style, un corps étranger dans le rite romain » (49).

Il descend encore un peu plus dans le « menu », aux paroles de la consécration. Il est très sévère : « La modification ordonnée par Paul VI des paroles de la consécration et de la phrase qui suit… n’était d’aucune utilité pour la pastorale. La traduction de « pro multis » par « pour tous » qui se réfère à des conceptions théologiques modernes et qu’on ne retrouve dans aucun texte liturgique ancien, est douteuse et a même scandalisé » (p. 50).

Ce n’est pas nous qui le disons, Éminences !

Mgr Gamber est choqué, vraiment choqué, Éminences, par le déplacement du mot « mysterium fidei » de la formule de la Consécration du vin. Son explication est lumineuse : « Du point de vue du rite, on est frappé de voir qu’on ait pu retirer, sans raison, les mots « mysterium fidei » insérés dans les paroles de la consécration depuis environ le VIe siècle, pour  leur conférer une signification nouvelle ; ils deviennent un appel du prêtre après la consécration. Un appel de cette sorte : mysterium fidei n’a certainement jamais été en usage. L’acclamation de l’assemblée : « Nous proclamons ta mort… » ne se trouve que dans quelques anaphores égyptiennes. Elle est, en revanche, étrangère aux autres rites orientaux et à toutes les prières eucharistiques occidentales et ne cadre pas non plus avec le style du canon romain… » (p. 50).

Et sur le même ton, il poursuit dans le chapitre IV sa critique du rite nouveau.

J’ai l’impression, Éminences, en lisant ce chapitre IV de retrouver la doctrine du Bref examen critique. Ainsi, si vous le souhaitez, Éminences, nous serions prêts à nous en tenir à cette critique de Mgr Gamber. Je crois qu’elle peut, à elle seule, parfaitement justifier notre position pratique, celle prévue, Éminences, par le canon 23 de l’ancien Code. Ce canon a bien dû être repris dans le nouveau Code. Il fait partie des grands principes canoniques.

Mais parce que nous avons désiré rester attachés au Bref examen critique et à la sagesse du Droit Canon – par souci théologique – nous sommes pratiquement excommuniés, chassés de nos églises, nous passons pour rétrogrades. On nous dit ne pas avoir le sens de la Tradition… Mais alors pourquoi, Éminences, porter aux nues Mgr Gamber et continuer de combattre Mgr Lefebvre et son œuvre ?

Je ne comprends plus. N’y aurait-il pas « quelque part », – comme on dit aujourd’hui à tort et à travers – une injustice ? Voilà ce que j’ai sur le cœur, Éminences, et ce que je veux vous dire.

Mgr Gamber de conclure ce chapitre par ce jugement général : « Avec le nouveau, on a voulu se montrer ouvert à la nouvelle théologie, si équivoque, ouvert au monde d’aujourd’hui » (p. 54). « Ce qui est certain, c’est que le Nouvel Ordo Missae dans cette forme n’aurait pas reçu l’assentiment de la majorité des pères conciliaires ».

Incroyable !

Mgr Lefebvre nous a toujours répété cela. Dom Guillou également… Je ne serai pas étonné que Dom Prout, Père abbé de Solesmes, ait pensé cela aussi. Cette seule affirmation, Éminence, devrait suffire à tenir fermement l’ancien rite…

Et que peut justifier devant cela, la seule vertu d’obéissance… ! C’est bien Mgr Lefebvre qui a raison et non les bénédictins d’aujourd’hui qui vont et viennent à travers les rites, de l’un à l’autre – l’ancien, le nouveau – par simple obéissance… des girouettes au gré des vents. Qui est vraiment fidèle au Concile ? Mgr Lefebvre qui a signé le document liturgique du Concile… ou les bénédictins d’aujourd’hui ?

« Mais vous n’avez pas l’esprit du Concile… » ! C’est l’arme qui tue. Mais quel est cet esprit conciliaire, Éminences qu’il faut avoir pour vivre… Mgr Gamber l’avait-il…? Ah, que d’arbitraire ! Que d’arbitraire !

Tous ces dires, Éminences, pourraient vous gêner un peu… Si vous m’aviez reçu, j’aurais pu voir, voir votre œil… s’assombrir… s’éclairer. Vous vous seriez peut-être raidi un peu.

Vous auriez peut-être pris la parole et vous auriez pu me dire : Mais enfin vous avez eu satisfaction avec le Motu Proprio du pape Benoît XVI « Summorum Pontificum ». Vous l’avez votre messe…

-Mais« Vous vous trompez. Ce n’est pas la messe qui fait problème ».

-« Oui mais combien d’année il a fallu combattre pour l’avoir, pour obtenir justice et le respect de l’être historique de l’Eglise, la messe de saint Pie V.

-Vous vous trompez. Ce n’est pas la messe qui fait problème. Ce sont les sacres. Mgr Lefebvre les a faits sans autorisation pontificale. Il devait être puni. Aujourd’hui, le nouveau Droit canon parle d’excommunication. Voilà l’affaire ! C’est tout ».

Éminences, est-ce vraiment le problème ?

Si vous me recevez, nous pourrions aborder le sujet. Nous pourrions argumenter, voir ensemble… voir ce qui avait été prévu dans le protocole d’accord avec Mgr Lefebvre. Le principe du sacre dans la Fraternité d’un membre de la Fraternité, avait été accepté.

Mais pour l’instant, Éminences, ici, dans cette lettre publique, faite aussi pour les fidèles qui s’intéressent beaucoup à ces questions, restons au niveau du simple bon sens.

Mgr Lefebvre n’a pas été moins aimé des autorités ecclésiastiques après les sacres qu’avant les sacres. Il n’a pas été plus honni après les sacres qu’avant les sacres.

Avant les sacres, on lui fit la guerre, son œuvre fut déclarée « sauvage ». Mgr Garonne le déclara « fou »… Les évêques des diocèses lui écrivaient des lettres très désagréables quand il visitait les traditionalistes de leur diocèse. Quelles lettres ! J’en ai quelques-unes, en mémoire. Mgr Tissier de Mallerais les a soigneusement classées. On pourrait vous les communiquer…

Oui, Mgr Lefebvre n’était pas aimé même avant les sacres. Il n’était pas déjà, semble-t-il, en leur « communion ». On lui fermait déjà les églises. Les cœurs des évêques se fermaient… Même à Rome, on n’osait plus le recevoir… lorsqu’il visitait un dicastère… le Préfet était tout dans l’embarras… Être vu avec Mgr Lefebvre était compromettant… Même longtemps avant les sacres, il était le « mal aimé » de l’Église. Il n’avait pas l’esprit conciliaire… Et de fait, son œuvre, son œuvre sacerdotale fut interdite, son séminaire fermé. Interdites les ordinations sacerdotales… Bien sûr, il nous ordonnait pour le Sacrifice de la messe…! Il était honni par ses pairs, bien avant les sacres, même pendant le Concile.

On ne lui pardonnait pas sa position, sa présidence du Coetus internationalis Patrum. Même avant le Concile, lorsqu’il était Archevêque-évêque de Tulle, les cardinaux et archevêques de France lui fermèrent la porte de leurs assemblées, de leurs réunions. Il avait plein droit d’y prendre part. Ils refusèrent. C’est historique, Éminences. Si le Cardinal Richaud – à l’époque Archevêque de Bordeaux – était encore de ce monde, il pourrait en témoigner.

Mgr Lefebvre nous l’a dit. Il en souriait. Il n’était pas rancunier.

Oui, même avant les sacres, Mgr Lefebvre n’était pas aimé.

C’est ainsi.

À cette lumière, Éminence, le problème des sacres prend son vrai sens. C’est finalement un problème mineur, quoi qu’on dise… En ce sens, que ce n’est pas la raison fondamentale de son excommunication. Il l’était déjà, pratiquement. Il le devint, dites-vous, après les sacres canoniquement. Cela n’a pas changé grand-chose, Eminences… La peine canonique – sa déclaration – fut d’abord et essentiellement diplomatique : pour faire peur et effrayer les fidèles, et leur faire lâcher prise… Le Cardinal Gagnon a mal jugé, lui qui avait dit qu’excommunié, les fidèles lâcheraient l’évêque. Finalement assez peu l’ont quitté… C’est un autre sujet…Je pourrais un jour revenir sur ce sujet…

Mais, admettons, Éminences, que l’excommunication ait sa raison essentielle, exclusive dans les sacres. Cette action – cette sanction – touche la personne de Mgr Lefebvre, des quatre évêques consacrés, le co-consécrateur, Mgr de Castro Mayer… et personne d’autre, et nullement la Fraternité Sacerdotal et ses prêtres. Ils ne sont pas excommuniés, eux. Ils sont dans l’Église, de l’Église. Je n’ai jamais reçu la moindre notification d’excommunication. Le Motu Proprio Ecclesia Dei Adflicta ne me concerne pas, moi directement. On pourrait en discuter, Éminences.

Vous me direz peut-être que la Fraternité Sacerdotale Saint- Pie X a été supprimée par Mgr Mamie, Évêque de Fribourg. Elle n’existe plus. Elle n’est plus de droit diocésain. Vous êtes « néant », rien. « Vous n’avez aucune existence légale. »

Ah ! Permettez, Éminences !

Mgr Mamie a peut-être voulu supprimer la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X… Mais je me permets humblement de vous faire remarquer que nous le fûmes en raison de notre attachement à la messe tridentine et en raison de notre refus du Nouvel Ordo Missae. (Voir plus haut)

Or, Éminences, en préfaçant le livre de Mgr Gamber, le cardinal Ratzinger  préface nos propres critiques. Nos critiques de toujours. Encore une fois, Mgr Lefebvre et le Bref examen critique sont moins durs que Mgr Gamber et son livre.

Notre condamnation, notre suppression, Éminences, est donc sans raison suffisante. Elle est injuste. Elle est nulle.

J’espère, Éminences, vous avoir convaincu et espère recevoir bientôt votre appel paternel à venir vous saluer à Rome. Je reste dans cette espérance. D’autant plus que vous avez accueilli les « ralliés » qui, eux aussi, sont attachés, peu ou prou, à la messe ancienne. Ils ont été à Rome le 24 octobre 1998 pour le dire franchement. Ils y étaient  en force…

Éminences, nous prierons pour vous.

Abbé Paul Aulagnier
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*– Cf. 74:139.
[1] – (1). Entre autres, Pensée catholique n° 122 et Courrier de Rome depuis le n° 49.