17 avril 2018

[Jean-Pierre Mau­gendre - Renaissance Catholique] Macron et l’Église : un discours ambigu

SOURCE - Jean-Pierre Mau­gendre - Renaissance Catholique - 17 avril 2018

Le 9 avril der­nier, le Pré­sident de la Répu­blique a tenu au Col­lège des Ber­nar­dins, devant les évêques de France, un dis­cours très remar­qué. Les catho­liques sont tom­bés sous le charme et les laïcs sous le choc. Cepen­dant ni l'enthousiasme des uns ni les impré­ca­tions des autres ne semblent tota­le­ment jus­ti­fiés.
Un éloge inattendu de l'Église
Notons d'abord qu'Emmanuel Macron n'a pas tari d'éloges sur l'Église et son rôle dans la socié­té fran­çaise, ren­dant en par­ti­cu­lier hom­mage à son action dans la vie asso­cia­tive au ser­vice des plus faibles : « Malades, iso­lés, déclas­sés, vul­né­rables, aban­don­nés, han­di­ca­pés, pri­son­niers ». Le Chef de l'État est allé jusqu'à dres­ser un tableau élo­gieux de la vie contem­pla­tive « vie de prière et de tra­vail ». Le pro­pos est pour le moins inha­bi­tuel même si Nico­las Sar­ko­zy dans son dis­cours du Latran, le 20 décembre 2007, avait déjà rap­pe­lé les racines chré­tiennes de l'Europe, noté la supé­rio­ri­té du curé sur l'instituteur, en appe­lant enfin à une « laï­ci­té posi­tive ». Son suc­ces­seur, de son côté, note oppor­tu­né­ment, au rebours de la vul­gate offi­cielle, que « nous ne sommes pas faits pour un monde qui ne serait tra­ver­sé que de buts maté­ria­listes ».

L'Église est, ain­si, appe­lée à appor­ter sa contri­bu­tion à la « poli­tique contem­po­raine » dont l'urgence est de « retrou­ver son enra­ci­ne­ment dans la ques­tion de l'homme » face à ce qui « grève notre pays (…) le rela­ti­visme et même le nihi­lisme ». Cela au titre de la longue tra­di­tion qu'elle repré­sente, son exper­tise en huma­ni­té aurait dit Paul VI, mais aus­si au regard de son enga­ge­ment huma­ni­taire. Le Pré­sident de la Répu­blique appelle ain­si les catho­liques à s'engager en poli­tique mais en leur rap­pe­lant que la voix de l'Église « ne peut être injonc­tive », elle ne peut être que « ques­tion­nante ». Et pour que les choses soient claires, il conclut son inter­ven­tion par une for­mule dont la sèche­resse contraste avec l'empathie des pro­pos anté­rieurs : « Je deman­de­rai (à chaque citoyen) de la même façon et tou­jours de res­pec­ter abso­lu­ment et sans com­pro­mis aucun toutes les lois de la Répu­blique. C'est cela la laï­ci­té, ni plus ni moins, une règle d'airain pour notre vivre-ensemble qui ne souffre aucun com­pro­mis, une liber­té de conscience abso­lue ».
Un raisonnement confus
Tout cela appa­raît à la fois inco­hé­rent et confus. En effet, com­ment conci­lier la lutte contre le rela­ti­visme et le nihi­lisme avec l'absolu res­pect de la loi répu­bli­caine qui est, par nature, évo­lu­tive et rela­ti­viste, puisqu'elle n'est que le fruit des rap­ports de force élec­to­raux d'un ins­tant. L'évolution de la légis­la­tion sur l'avortement, ces qua­rante der­nières années, est un exemple aveu­glant du rela­ti­visme ain­si induit par le pri­mat abso­lu de la loi posi­tive, consi­dé­rée comme contrai­gnante et obli­ga­toire si elle a été éla­bo­rée selon le pro­ces­sus juri­dique appro­prié. Selon la date (avant 1975 ; entre 1975 et 2001 ; après 2001), l'avortement consti­tue un crime : dès la concep­tion, à par­tir de 10 semaines ou à par­tir de 12 semaines, sauf si, bien sûr il s'agit d'une Inter­rup­tion Médi­cale de Gros­sesse, alors légale jusqu'à l'accouchement. À aucun ins­tant, Emma­nuel Macron n'emploie les mots au rebours du rela­tivisme que sont : bien, mal, vrai, faux, beau, laid, etc.

Au début de son inter­ven­tion, le Pré­sident de la Répu­blique observe que « le lien entre l'Église et l'État s'est abî­mé ». Aucun fait n'est avan­cé pour étayer ce constat qui serait la consé­quence du fait que « pen­dant (plu­sieurs années) les poli­tiques ont mécon­nu les catho­liques de France » : cer­tains, les exploi­tant élec­to­ra­le­ment, d'autres les ostra­ci­sant comme « mino­ri­té mili­tante contra­riant l'unanimisme répu­bli­cain ». L'un des pro­blèmes cen­traux que pose le pro­pos pré­si­den­tiel est qu'il donne l'impression que les trois mots : France, Répu­blique et État sont par­fai­te­ment équi­va­lents et inter­chan­geables. Or ce n'est pas du tout le cas. La France et l'Église ont mille cinq cents ans d'Histoire com­mune. L'État s'est peu à peu mis en place, en par­tie au détri­ment du rôle de l'Église et le moins que l'on puisse dire est que les relations entre l'Église et la République sont, depuis l'origine, pla­cées sous le signe de la vio­lence et de la per­sé­cu­tion : des mas­sacres de Sep­tembre aux expul­sions des reli­gieux à par­tir de 1879, en pas­sant par les Guerres de Ven­dée et la Grande Ter­reur. Quand Emma­nuel Macron inter­pelle les évêques de France : « Ne renon­cez pas à la Répu­blique que vous avez si for­te­ment contri­bué à for­ger », on se demande s'il a toute sa rai­son.
Les raisons d'une opération de séduction
L'opération de séduc­tion du Pré­sident de la Répu­blique vis-à-vis des catho­liques est peut-être sin­cère. Dieu seul sonde les reins et les cœurs ! Néan­moins, on peut obser­ver deux faits. Chaque chré­tien, en réci­tant la prière que le Christ lui-même nous a ensei­gnée, demande : « Que votre volon­té (celle du Père) soit faite sur la terre comme au ciel ». Or, ce n'est pas ain­si qu'Emmanuel Macron voit les choses. Ce qui le satis­fait, c'est la col­la­bo­ra­tion huma­ni­taire de ce qu'Alain Besan­çon a récem­ment défi­ni comme « un catho­li­cisme athée ».

Aujourd'hui, la dif­fi­cul­té majeure à laquelle est confron­té notre pays n'est pas liée au catho­li­cisme mais à l'Islam en pleine radi­ca­li­sa­tion et expan­sion numé­rique. Face à ce défi, l'échec de la laï­ci­té est fla­grant. Un peu tar­di­ve­ment, cha­cun redé­couvre la per­ti­nence de la Lettre de Saint-Exu­pé­ry au géné­ral X : « Ah ! Géné­ral, il n'y a qu'un pro­blème, un seul de par le monde. Rendre aux hommes une signi­fi­ca­tion spi­ri­tuelle, des inquié­tudes spi­ri­tuelles, faire pleu­voir sur eux quelque chose qui res­semble à un chant gré­go­rien. On ne peut vivre de fri­gi­daires, de poli­tique, de bilans et de mots croi­sés, voyez-vous ! » Emma­nuel Macron semble conscient de cette réa­li­té. Il sou­haite sans doute que l'Église de France insuffle une part de spi­ri­tua­li­té et de sens du ser­vice gra­tuit dans une socié­té ron­gée par le maté­ria­lisme et l'individualisme. Mais en met­tant le Christ et les Com­man­de­ments de Dieu de côté. On com­prend que nos évêques et le public des Ber­nar­dins se soient enthou­sias­més pour un dis­cours qui ces­sait de consi­dé­rer l'Église comme un enne­mi ou un adver­saire. Qui recon­nais­sait la légi­ti­mi­té de sa pré­sence dans le siècle. Il serait néces­saire qu'ils ouvrent les yeux sur le fait que, ce à quoi la bien­veillance du Pré­sident de la Répu­blique les invite, c'est à renon­cer à la mis­sion à laquelle ils ont été appe­lés.

Jean-Pierre Mau­gendre