30 novembre 2018

[L'Avantage Gaspésien (Canada)] Cession de St-Rédempteur, mixité d'usages, Fraternité St-Pierre : les pistes pour sauver St-Jérôme

SOURCE - L'Avantage Gaspésien (Canada) - 30 novembre 2018

Alors que la Ville de Matane a officialisé, le 14 novembre, son refus d’acquérir l’église Saint-Jérôme pour en faire une salle de spectacle et que la fabrique de la paroisse Cœur-Immaculé-de-Marie a mis à exécution son projet de fermeture du bâtiment historique, clôturé le 22 octobre, il restait au troisième acteur principal du dossier, le comité de sauvegarde de l’église, de monter au front pour révéler publiquement ses propositions sur l’avenir de l’édifice.
   
Parvenu à réunir près de 48 000 $ de promesses de don pour le chauffage de l’église patrimoniale de Matane, reconstruite en 1933 après un incendie selon le style de l’architecte Dom Bellot, loué par le Conseil du patrimoine religieux du Québec, le comité de sauvegarde de l’église Saint-Jérôme a prouvé l’attachement d’une partie des citoyens de Matane pour le bâtiment, fermé au culte depuis la messe du 7 octobre. Regrettant un manque de dialogue de la part de la fabrique et de l’archevêché, le comité a pointé du doigt plusieurs contraintes qui justifieraient, selon lui, un retour de la pratique religieuse au cœur de l’édifice. Les réflexions actuelles de la Ville autour d’une taxation éventuelle du bâtiment, au regard de la fermeture de l’église, l’obligation de préserver le caractère patrimonial de l’édifice historique, sous peine de devoir rembourser près de 600 000 $ au Conseil du patrimoine religieux du Québec, ayant subventionné diverses restaurations du lieu ces dernières années, la volonté d’un droit de regard de la fabrique sur l’usage futur du bâtiment après sa vente ou sa cession, sont autant d’épées de Damoclès que le comité de sauvegarde a voulu décrocher en annonçant plusieurs pistes de solutions.
Fraternité Saint-Pierre et bureau touristique
« Considérant toutes les conditions posées, il est clair que le projet de vente de l’église Saint-Jérôme est voué à l’échec. Pour conserver le congé de taxes municipales et éviter un remboursement des subventions au Conseil du patrimoine religieux du Québec, la seule solution logique serait le retour de la pratique religieuse dans l’église historique de la ville », a déclaré le président du comité de sauvegarde, Paul Gauthier, en déplorant le cul-de-sac actuel du dossier. L’une des propositions adressées par le comité à la Ville de Matane, à la fabrique et au diocèse, serait la prise en main de l’église par la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, une société de vie apostolique traditionnaliste soutenue par le pape François, pratiquant la messe en latin, selon la forme extraordinaire du rite romain. Deux églises sur le sol québécois, l’église Sainte-Irénée de Montréal et l’église Saint-Zéphirin-de-Stadacona de Québec, sont actuellement possédées par cette communauté de prêtres dont le district nord-américain a vu le jour en 1991 et qui possède 239 lieux de messes à travers le monde. Pour appuyer leur demande, des membres du comité de sauvegarde ont écrit aux cardinaux Sarah et Ouellet, respectivement préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements et préfet de la Congrégation pour les évêques au Vatican. Des rencontres ont déjà été effectuées auprès de la Fraternité, qui devra attendre l’aval de Mgr Grondin pour prendre en charge l’église.
   
Alors que les promesses de dons actuelles permettront de chauffer l’édifice cet hiver, pour que l’église bénéficie d’une source régulière de revenus, ce premier scénario suggéré à la fabrique supposerait l’installation, selon le comité, d’un bureau d’information touristique dans une partie des locaux, pour lesquels la Ville paierait un loyer. Des animations pourraient être organisées sur le parvis de l’église. Quant au sous-sol, il abriterait des activités sociales et communautaires. « C’est un projet dont on va parler au conseil. Le bureau d’accueil actuel, au niveau du phare, souffre d’une problématique de stationnement et d’éloignement du centre-ville qu’une installation dans l’église pourrait résoudre. On va prendre au sérieux cette proposition et se donner le temps de la réflexion », a réagi le maire de Matane, Jérôme Landry, en rappelant que, si la Ville refusait d’acquérir l’église Saint-Jérôme, elle n’en voulait pas moins faciliter des transferts éventuels d’organismes sur le site, pour en assurer la viabilité, comme ce fut le cas en 2016 avec l’installation de la Société d’histoire et de généalogie dans l’ancienne église Bon-Pasteur.
     
Une deuxième proposition du comité serait le retour de la pratique religieuse de la paroisse à l’église Saint-Jérôme, un scénario qui supposerait le rapatriement, dans l’église patrimoniale, des messes et des activités communautaires liées à la fabrique comme le bingo. Quant à l’église Saint-Rédempteur, le comité propose de la vendre ou de la céder pour permettre la relocalisation, à long terme, d’organismes sportifs et culturels. Si le maire de Matane a répondu que la Ville ne serait pas non plus intéressée à acquérir cette église plus moderne, datant de 1970, il n’a pas manqué de souligner la problématique du relogement des fermières et des écoles de danse et de musique de Matane, qui occupent présentement des locaux dans l’ancienne école Marie-Guyart, fermée en 2011. Selon la Commission scolaire des Monts-et-Marées, l’entente actuelle devrait en effet s’achever d’ici à un an et demi et son renouvellement n’est pas garanti.
    
« Il y a lieu de s’interroger sur le choix de l’église Très-Saint-Rédempteur comme église de la paroisse fusionnée de Matane plutôt que Saint-Jérôme, étant donné que c’est une église plus récente, beaucoup moins imposante et, de ce fait, beaucoup plus facile à convertir pour d’autres activités de nature culturelle, sportive et communautaire », a mentionné pour sa part la Fédération histoire Québec, qui regroupe les différentes sociétés d’histoire et de généalogie de la province et encourage à la préservation du patrimoine bâti, par respect à la devise québécoise.
    
De son côté, ayant retourné nos appels après plusieurs jours, le président de la fabrique Cœur-Immaculé-de-Marie, Michel Barriault, n’a pas voulu émettre de commentaires pour le moment, le conseil de fabrique n’ayant, selon lui, pas encore eu le temps de se réunir pour discuter de ces propositions. « Je veux laisser les membres libres de s’exprimer et je n’émettrai aucun commentaire sur le sujet pour ne pas les influencer », a-t-il déclaré. Rappelons qu’au cours des derniers mois, il avait insisté sur un état des finances inquiétant de la paroisse, lié à une baisse de fréquentation des messes, qui ne laissait pas d’autres alternatives, selon lui, que la fermeture et la mise en vente de Saint-Jérôme, où il excluait le retour d’une vocation religieuse.
Le comité de sauvegarde déterminé
Reconnaissant envers la population ayant répondu présente à l’appel des promesses de dons pour le chauffage de l’église Saint-Jérôme cet hiver, le comité de sauvegarde de l’édifice, composé notamment de l’ancien maire de la ville, Maurice Gauthier, et des anciens présidents de la fabrique Saint-Jérôme, Raymond Tremblay et Aldéa Sirois, a insisté sur sa détermination à se battre pour préserver l’édifice. Il regrette que M. Barriault n’ait pas donné de réponse positive au sujet de l’isolation de l’église cet hiver, certains de ses membres ayant proposé de venir calfeutrer le bâtiment pour réduire les coûts de chauffage et demandé de pouvoir entrer régulièrement, en présence d’un membre du conseil de fabrique, pour vérifier la température des lieux, où plusieurs livraisons de mazout ont déjà été financées grâce aux donateurs cet automne.
    
En charge du financement de l’électricité, le comité souhaiterait aussi une réponse positive au sujet du retour des cloches, qui ont cessé de sonner depuis la fermeture de l’église, et de son éclairage extérieur. Enfin, selon le comité, une entreprise de Matane, dont ils ont voulu garder l’anonymat, aurait même proposé d’installer au sous-sol de l’équipement informatique comme des serveurs, qui produiraient par eux-mêmes de la chaleur dont pourrait profiter l’église. « Il est maintenant impérieux que soit trouvée et adoptée une solution à plus long terme pour un bâtiment identitaire aussi important », a souligné la Fédération histoire Québec dans une lettre adressée le 27 novembre à la Ville, à la fabrique et à l’archevêché. « Nous voulons montrer à la population qu’il existe des solutions pour sauver l’église Saint-Jérôme et que nous ne lâcherons pas l’affaire », a conclu pour sa part le président du comité de sauvegarde, Paul Gauthier, en invitant les citoyens à manifester leur solidarité dans ce dossier.

29 novembre 2018

[FSSPX Actualités] Paul VI ou le triomphe du libéralisme

Le pape Paul VI reçoit
des pasteurs protestants
à Rome, le 4 avril 1970.
SOURCE - FSSPX Actualités - 29 novembre 2018

Le libéralisme
Par l’introduction du libre-examen dans la genèse de l’acte de foi, Luther a faussé la notion de liberté pour la placer au-dessus de toute autorité ecclésiastique. Fameuse est la boutade de Nicolas Boileau : « Tout protestant est pape, Bible à la main».

Issue du protestantisme, la philosophie dite des Lumières admit cette fausse liberté conçue comme une indépendance. Elle ne voulut reconnaître que la vérité atteinte par la raison – écartant ainsi l’ordre surnaturel – pour finalement s’affranchir de tout absolu. La seule « vérité » qui demeure est le refus de tout ordre que l’homme n’a pas établi : le libéralisme conduit au scepticisme. En conséquence, il se dresse farouchement contre l’Eglise, dépositaire de la Révélation et garante de la loi naturelle. Son opposition avec le catholicisme est radicale.

Il s’est pourtant trouvé des hommes qui, au XIXe siècle, ont tenté de concilier l’Eglise avec la société issue de la philosophie libérale. Ce fut la naissance du « catholicisme libéral » qui n’est pas tant une doctrine qu’une attitude pratique d’accueil favorable aux idées de la Révolution. L’incohérence de ce système gît dans la coexistence de la foi catholique – qui professe la divinité du Christ et de sa religion – avec une franche coopération à l’établissement d’un monde où l’homme n’aurait d’autre règle que la paix sociale. Cette attitude conciliante – et somme toute bien commode – devant les persécuteurs de l’Eglise se devait tout de même de trouver un argument qui la légitimerait. Il fut vite trouvé. Selon ces réformateurs, la vérité ne réclame plus d’aide pour éclairer les esprits ; le bien parvient toujours à s’imposer ; l’évangile peut rayonner par sa seule force au sein d’une humanité devenue « adulte » ; Notre-Seigneur n’a plus besoin du trône que la chrétienté lui avait offert. En d’autres termes, le catholique libéral est confiant que sous le règne de la liberté, l’Eglise retrouvera toute sa gloire. Luther avait commencé en exagérant les conséquences du péché originel, le catholicisme libéral nie son existence, au moins en pratique.

Les noms des premiers catholiques libéraux sont bien connus : Lamennais, Montalembert, Mgr Dupanloup. Malgré les condamnations des papes jusqu’à Pie XII, leur nombre n’a cessé de croître. Que dire du pape Paul VI?
Témoignage du cardinal Daniélou
Paul VI était-il libéral ? Il est bien délicat de juger d’une autorité et certains n’hésitent pas à accuser de « libéralisme » toute personne qui tente de le faire. L’insoumission à l’autorité n’est-elle pas, comme nous venons de le voir, une de ses caractéristiques ? Pourtant dans le cas du pape Paul VI, c’est un de ses amis, le cardinal Daniélou, qui l’écrit dans ses Mémoires : « Il est évident que Paul VI est un pape libéral. » Cette citation est intéressante non seulement par ce qu’elle affirme, mais aussi par le principe qu’elle suggère. Quand une chose est évidente, il n’y a pas de « libéralisme » à la reconnaître. C’est l’inverse qui serait vrai. En l’occurrence, la circonspection qu’impose le respect dû à l’autorité doit prendre en compte la réalité du scandale des fidèles après le concile Vatican II. Devant l’autodestruction de l’Eglise, de nombreux catholiques sont perplexes et plusieurs pensent qu’il n’y a plus de pape. Mgr Lefebvre, s’appuyant sur le jugement du cardinal Daniélou, a toujours proposé une solution « beaucoup plus complexe [que le sédévacantisme], pénible et douloureuse » : Paul VI était bien pape, mais il était fortement marqué par le libéralisme.
L’idéal du libéralisme selon Lamennais
Lamennais en présentant son journal l’Avenir expliquait que la foi catholique avait permis de développer dans les âmes le vrai sentiment du droit. Parlant de l’Eglise, il déclarait : « Tous les amis de la religion doivent comprendre qu’elle n’a besoin que d’une seule chose : la liberté ». On connaît la formule de son ami, le comte de Montalembert, au Congrès malinois de 1863 : « L’Eglise libre au sein d’un Etat libre, voilà mon idéal ». En 1864 Pie IX condamna ce libéralisme par son encyclique Quanta cura. Il y citait son prédécesseur Pie VII qui lui-même reprenait le pape saint Léon le Grand : « La puissance royale n’est pas uniquement conférée pour le gouvernement de ce monde, mais par-dessus tout pour la protection de l’Eglise ». Pie IX reprit l’expression de l’utopie libérale pour la condamner. Non, dit le pape, il n’est pas vrai que « le meilleur gouvernement est celui où l’on ne reconnaît pas au pouvoir l’obligation de réprimer, par la sanction des peines, les violateurs de la religion catholique, si ce n’est lorsque la tranquillité publique le demande».


Or il n’est pas douteux que la pensée de Paul VI était celle de Lamennais. Dans le message aux gouvernants, à la clôture du Concile, il assuma sa formule : « Que demande-t-elle de vous, cette Eglise… aujourd’hui ? Elle vous l’a dit dans un des textes majeurs de ce Concile : elle ne vous demande que la liberté.» (8 décembre 1965)
Quelques faits du pontificat de Paul VI
L’incohérence du libéralisme catholique provoque une véritable torture morale chez ses adeptes puisqu’il affirme ce qu’il ne permet pas de faire dans la réalité. La tristesse qui se lisait sur le visage parfois torturé de Paul VI trouve peut-être son explication dans cette attitude contradictoire qu’illustrent les exemples suivants :

- Dans le discours d’ouverture de la deuxième session du concile Vatican II – la première dont il devait être la tête en tant que pape – Paul VI déclara « n’avoir au cœur nul dessein de domination humaine, aucun attachement jaloux à un pouvoir exclusif ». Pourtant un peu plus de dix jours avant l’ouverture de cette session, il avait annoncé une réforme de la direction générale des travaux. Le Concile ne serait plus dirigé par les présidents nommés par Jean XXIII, mais par quatre « modérateurs » dont trois étaient connus pour leur libéralisme – les cardinaux Döpfner, Suenens et Lercaro – et dont le quatrième était « considéré par les libéraux comme le plus acceptable des cardinaux de la Curie », commentait le premier historien du Concile, le père Ralph M. Wiltgen, qui concluait : « il apparaissait donc que Paul VI, en choisissant ces quatre hommes, donnait son appui au parti libéral du Concile».[1]

- A la fin de cette session, une pétition signée par plus de deux cents Pères conciliaires était remise au Saint Père pour lui demander la condamnation du communisme par le Concile. Paul VI répondit à cette demande dans sa première encyclique, Ecclesiam suam, du 6 août 1964. Il se disait contraint « de condamner les systèmes de pensée négateurs de Dieu et persécuteurs de l’Eglise, systèmes souvent identifiés à des régimes économiques, sociaux et politiques, et, parmi eux, tout spécialement le communisme athée ». Cependant dans l’aula conciliaire les interventions se multipliaient pour que le concile du XXème siècle ne restât pas silencieux devant le communisme qui persécutait l’Eglise. Une pétition de quatre cent trente-cinq Pères conciliaires demanda la modification du schéma sur l’Eglise afin que fût insérée une mention du communisme. Mais la pression exercée par d’autres évêques, et surtout les accords secrets avec Moscou dont l’existence ne fait plus de doute aujourd’hui[2], firent reculer Paul VI. Pour toute excuse, Mgr Gabriel-Marie Garrone reconnaîtra publiquement que la pétition s’était égarée dans le bureaux de la Commission chargée de l’amendement du schéma.[3]

- Le 4 avril 1965, dimanche de la Passion, Paul VI célébra la messe dans une église de la banlieue romaine. Il parla du peuple juif qui avait été préparé par Dieu pour recevoir le Messie, mais qui ne le reconnaît pas et même « le combat, le calomnie, l’injurie, et finalement le met à mort. » [4] Mais, là encore, Paul VI céda devant les pressions. La question juive fut finalement traitée dans le déclaration Nostra ætate [5] qui se contenta de reconnaître que « des autorités juives, avec leurs partisans, (avaient) poussé à la mort du Christ » mais seulement après avoir affirmé que « les Juifs restent encore, à cause de leurs pères, très chers à Dieu, dont les dons et l’appel sont sans repentance », sans rappeler que ces dons et cet appel les invitent à se convertir au catholicisme dans lequel seul perdure, après avoir été portée à sa fin, l’ancienne Alliance.

- Le 3 septembre 1965, dans son encyclique Mysterium fidei, Paul VI rappela que le changement opéré par la consécration de l’hostie et du vin, « l’Eglise catholique l’appelle justement et exactement transsubstantiation ». Quatre ans plus tard, il promulgua un rite – conçu avec la collaboration active de six experts protestants – qui, de tous les signes de respect dû à la présence réelle, ne garda que ceux qui soulignent leur relation avec le peuple rassemblé. La longue introduction au nouveau missel (Institutio generalis) n’utilisa pas une seule fois le terme de transsubstantiation.

- Le 24 juin 1967, dans son encyclique Sacerdotalis cœlibatus, Paul VI réaffirma la valeur du célibat des prêtres : « Nous estimons donc que la loi du célibat actuellement en vigueur doit, encore de nos jours et fermement, être liée au ministère ecclésiastique ». Mais dans la constitution Lumen gentium, le concile Vatican II n’avait abordé le mystère du sacerdoce catholique que dans le cadre du sacerdoce « commun des fidèles » ne permettant plus aux prêtres de reconnaître la sublimité de leur vocation. La nouvelle messe les présenta comme de simples présidents de l’assemblée eucharistique. L’œcuménisme pratiqué par Paul VI eut aussi une influence indirecte sur le sacerdoce puisque cette erreur reconnaît aux ministres non catholiques et non validement ordonnés des pouvoirs qui n’appartiennent qu’aux prêtres de Dieu (comme celui de bénir une assemblée ce qui fit le Dr Ramsey, « archevêque et primat » de l’Eglise anglicane, en présence et à la demande de Paul VI). Les conséquences ne se firent pas attendre. Jamais l’Eglise n’avait vu autant de ses ministres trahir leurs engagements. Avant le concile Vatican II, les réductions à l’Etat laïc étaient relativement rares. Paul VI les multiplia à une échelle inouïe. Plus de vingt mille prêtres ont obtenu cette réduction entre 1962 et 1972 [6] alors que quantité d’autres ne s’embarrassaient même pas d’en faire la demande.

- Le 30 juin 1968, il professa un Credo orthodoxe, mais il supprima l’Index et ne prit aucune mesure contre les négateurs de la foi.

- Le 25 juillet 1968 dans l’encyclique Humanæ vitæ, il rappela l’enseignement traditionnel de l’Eglise, mais il n’imposa pas le silence aux conférences épiscopales et aux publications catholiques qui s’opposaient publiquement à sa décision.

- Le 29 mai 1969, dans l’instruction Memoriale Domini, il loua la pratique traditionnelle de communier sur la langue, mais dans le même document romain, il encouragea les Conférences épiscopales à prendre les décisions opportunes pour que l’usage de la communion dans la main « s’établisse comme il faut ».

- Le 26 novembre, lors de la présentation de la nouvelle messe, il fit l’éloge de la langue latine, mais ce fut pour la sacrifier : « Ce n’est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe. »

Le catholicisme libéral empêche l’âme de se donner totalement à Dieu. Son triomphe ne peut être que le détrônement du Christ et l’incohérence de toute la vie. Que l’exemple malheureux que donna Paul VI encourage du moins les catholiques à vivre en conformité avec les principes de leur foi.

Abbé Thierry Gaudray 
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1. Ralph M. Wiltgen, Le Rhin se jette dans le Tibre, quatrième édition, p. 82.
2. Roberto de Mattei, Il Concilio Vaticano, p. 174.
3. Wiltgen, op.cit., p. 273.
4. Osservatore Romano, 7 avril 1965 cité dans Vatican II, l’Eglise à la croisée des chemins, M.J.C.F. tome 1 page 206.
5. 22 octobre 1965.
6. Chiffre donné par Matthias Gaudron, Catéchisme catholique de la crise dans l’Eglise, deuxième édition, p. 9.

[FSSPX Actualités] Décès d’un évêque ami de la Tradition : Mgr Robert Morlino

SOURCE - FSSPX Actualités - 29 novembre 2018

Mgr Robert Morlino, évêque de Madison, dans l’Etat du Wisconsin (Etats-Unis) a été rappelé à Dieu le 24 novembre 2018. Ami de la Tradition, le prélat n’avait pas hésité à dénoncer et combattre les abus du clergé outre-Atlantique.
 
Lorsqu’il arrive à Madison, le grand séminaire ne compte plus que 5 séminaristes : ils sont aujourd’hui une quarantaine à se préparer au sacerdoce, et, en quinze années d’épiscopat, Mgr Morlino a eu la joie et la fierté d’ordonner 25 prêtres.

Attaché à la doctrine traditionnelle de l’Eglise, le prélat l’était aussi à sa liturgie bimillénaire : il célébrait souvent la messe dite de saint Pie V, manifestant publiquement sa préférence pour elle lors de célébrations pontificales.

Mgr Morlino n’avait pas hésité en 2002 à prendre la défense de la Fraternité Saint-Pie X, rétractant au passage avec humilité une lettre plus ancienne dont les propos étaient peu amènes à l’égard de l’œuvre de Mgr Lefebvre.

Dans l’un de ses derniers écrits, publié le 18 août 2018, le prélat dénonçait les abus dans l’Eglise, appelant à une vraie réforme - dans le sens de la Tradition : « plus que toute autre chose, en tant qu’Eglise, nous devons cesser d’accepter le péché et le mal.

« Nous devons chasser le péché de nos propres vies et courir vers la sainteté.

« Nous devons refuser de rester silencieux face au péché et au mal dans nos familles et nos communautés, et nous devons exiger de nos pasteurs – moi y compris – qu’ils luttent eux-mêmes jour après jour pour la sainteté. »

Requiescat in pace !

28 novembre 2018

[Abbé Néri - Le Forum Catholique] Le rôle des observateurs non-catholiques au Concile Vatican II

SOURCE - Abbé Néri - Le Forum Catholique - 28 novembre 2018

Le pasteur Hébert Roux (1) qui fut un de ses observateurs affirme l’originalité de leur présence comme étant un fait exceptionnel :

« Il est très réel que le seul fait de cette présence, concrètement réalisée chaque matin à la tribune proche de la table du Conseil de présidence et face aux cardinaux, a constitué une des grandes originalités de Vatican II. »

Et, il souligne avec force cette nouveauté dans l’histoire de l’Eglise : 

« Pour la première fois dans l’histoire, l’Église catholique romaine tenait ses assisses solennelles en présence de représentants officiels des grandes confessions chrétiennes séparées d’elle depuis des siècles, et officiellement condamnées et anathématisées par les Conciles précédents. »

En constatant ce qu’on pourrait résumer dans l’affirmation, qu’on est passé de l’anathème au dialogue. D’après lui leur simple présence a permis aux pères conciliaires une double prise de conscience :

« Le fait que tout dût se dérouler ainsi au vu et au su de ces “témoins” a certainement contribué à faire naître chez les membres du Concile, et jusque chez les moins “ouverts” d’entre eux, une double prise de conscience : 

A) Celle de l’existence pure et simple des autres confessions : il y a des chrétiens en dehors des limites visibles de l’Église romaine ! 

B) Celle d’une étrange innovation : l’avenir de nos relations avec eux dépend de ce qu’ils penseront de nous. »

Et il conclut, sur le sens du déroulement d’une telle assemblée. En effet comme il a pu l’observer au cours du Concile, l’Eglise romaine a tenté de se repenser elle-même :

« Si l’Église romaine a tenté à Vatican II de se repenser elle-même en présence des autres Églises, il est bien certain que cela exige de ces autres Églises qu’elles se repensent elles-mêmes en présence de Rome ».

Ainsi la voie de l’œcuménisme est celle du dépassement des conflits passés par l’effort fait par toutes les « Eglises » de se « repenser elles-mêmes ».

On peut dire que par un travail introspectif chaque confession chrétienne parviendra peut-être à une convergence commun en changeant de paradigme.

Mais on peut aussi noter a travers le témoignage de cet observateur l'amplitude de l'"agiornamento" et sa perspective Œcuménique
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(1) Observateur délégué au concile Vatican II pour l'Alliance réformée mondiale et pour la Fédération protestante de France.

[Paix Liturgique] Dans la boucle de la Seine 27 % des catholiques pratiquants assisteraient chaque semaine a la messe traditionnelle

SOURCE - Paix Liturgique - lettre 670 - 28 novembre 2018

Dans la Boucle de la Seine qui réunit les communes du Vésinet, de Chatou, de Montesson et de Croissy sur-Seine (département des Yvelines et diocèse de Versailles) un sondage réalisé par des familles des 5 paroisses révèle l’ampleur de la demande des fidèles de vivre leur foi catholique au rythme de la forme extraordinaire du rite romain. En effet, les fidèles demandeurs de la Boucle ont désiré sortir de l’impasse dans lequel les ont acculés les adversaires de la paix qui contestent le bien-fondé de leur demande au titre qu’ils ne seraient pas réellement nombreux à souhaiter la célébration d’une liturgie traditionnelle. Pour cela ils ont commandé un sondage d’opinion réalisé en juin 2018 par Progress Conseil, un organisme professionnel indépendant, qui révèle les informations « extraordinaires » que nous présentons dans cette lettre.
1 - 48 % des catholiques de la Boucle connaissent le motu proprio Summorum Pontificum promulgué par Benoit XVI en 2007 et 52 % en ignorent l’existence.
Réflexion de paix Liturgique : indépendamment de l’opinion ou de l’action de tel ou tel clerc, ces chiffres indiquent le peu d’entrain des autorités ecclésiastiques pour faire connaître dans le diocèse et paroisses de Versailles autour d’une décision visant à instaurer la paix et à réconcilier des catholiques avec les autres catholiques. De ce fait, il est encore malheureusement possible - et confortable - de laisser entendre que ceux qui sont attachés aux formes liturgiques anciennes se trouvent encore hors de l’Eglise. Par ailleurs, 11 ans ont maintenant passés depuis le motu proprio et le bruit qu’il avait fait à l’époque s’est estompé d’où le fait que désormais plus de la moitié des fidèles ignorent l'existence de Summorum Pontificum .
2 - 65% des Catholiques pratiquants du Doyenné de la Boucle de la Seine trouveraient normal que les deux formes du rite soient célébrées dans leur paroisse et 14 % ne le trouvent pas normal
Réflexion de Paix Liturgique : depuis l’origine de la crise liturgique, les catholiques pratiquants se montrent « libéraux » vis-à-vis de la messe en latin, tous les sondages indiquant qu’ils ne comprennent pas pourquoi on ne la laisse pas célébrer librement. Le chiffre indique la bienveillance de la majorité des paroissiens en faveur d’un possible bi-formalisme dans leurs paroisses est extraordinaire. Comment peut-on laisser se poursuivre un conflit qui n’est manifestement soutenu et entretenu que par une minorité de laïcs et de clercs ? Demandons-nous ce que serait le chiffre des catholiques bienveillants si tous les fidèles étaient informés loyalement de l’existence du motu proprio Summorum Pontificum. Le petit nombre d’opposants à la paix qui serait mise en place avec l’instauration du bi-formalisme dans ces paroisses indique que l’argument selon lequel il ne faudrait pas accorder de célébrations paroissiales « extraordinaires » en raison des risques de division au sein des paroisses procède d’une instrumentalisation non fondée dans la réalité. D’ailleurs, les faits démontrent que partout où les deux formes du rite sont célébrées dans un cadre paroissial, passés quelques moments d’hésitation, la paix s’instaure entre toutes les personnes de bonne volonté de la paroisse quelle qu’elles soient et d’où qu’elles viennent.
3 - Si la messe selon la forme extraordinaire était célébrée dans leur paroisse, 27 % des catholiques pratiquants de la Boucle y assisteraient chaque semaine, 12% y assisteraient au moins une fois par mois, 18 % occasionnellement et 30 % n’y assisteraient jamais
Réflexion de paix Liturgique : ces chiffres révèlent plusieurs informations

1/ Il nous faut répéter que, si les sondages n’ont pas la valeur photographique qu’avaient jadis les enquêtes, assemblée dominicale par assemblée dominicale, du chanoine Boulard, ils donnent, surtout en raison de leur remarquable constance, une idée précise des tendances du monde catholique pratiquant. Spécialement, ils donnent la preuve chiffrée de leurs sentiments vis-à-vis de la messe traditionnelle*.

2/ Tour d’abord ils confirment, 50 ans après les reformes liturgiques imposées en suite du Concile, qu’indépendamment des nombreux fidèles excédés par les abus ou chassés comme des pestiférés qui ont préféré rejoindre les chapelles traditionnelles, demeure un socle très importants de ce que nous appelons les « catholiques silencieux » des paroisses, qui restent attachés, malgré un demi-siècle de bourrage de crâne, aux valeurs traditionnelles de l’Eglise. Ce sondage, comme tous ceux qui ont été réalisés sur ce thème, confirme que l’ensemble des catholiques pratiquants qui, à divers degrés, veulent que vive la messe traditionnelle, ne se réduit pas aux « traditionalistes » : la partie visible des fidèles attachés à la forme extraordinaire du rit romain, celle qui a fait le choix de quitter sa paroisse et de faire bien souvent de nombreux kilomètres pour assister à la messe traditionnelle dans des lieux de culte dédiés, ne représente qu’une petite partie de la totalité des fidèles amateurs de la forme extraordinaire du rit romain. C’est pourquoi il n’est pas honnête ni loyal de tenter de réduire le nombre des catholiques attachés à la messe traditionnelle aux seuls fidèles qui assistent à l’usus antiquior dans les prieurés, églises et chapelles dédiés à sa célébration comme le font trop souvent pasteurs et journalistes.

3/ Notons aussi que cette éventuelle célébration paroissiale n’en troublerait pas la cohésion. En effet, le nombre de ceux qui n’assisteraient jamais à la messe traditionnelle est le double de ceux qui s’opposent à cette célébration dans leur paroisse, ce qui signifie que plus de la moitié de ceux qui sont profondément attachés à la messe nouvelle sont cependant des hommes de paix qui comprennent et acceptent le désir de ceux qui sont attachés à la forme traditionnelle et leur font « bon accueil ».

4/ La réception de ces informations est fort bien accueillie par le public dominical. Un dépliant présentant les résultats de ce sondage est actuellement distribué à la sortie des messes dominicales de la Boucle. La réception extrêmement positive de ce document confirme, sur les parvis, la réalité de ce qui nous semble parfois trop beau pour être vrai tant le matraquage des ennemis de la paix est puissant. Téléchargez notre dépliant

5/ Tout ceci invite à continuer ces enquêtes. Les résultats de ce sondage (et de celui qui a été réalisé au printemps dernier à Saint-Germain en Laye dont les informations sont similaires) devraient inviter d’autres groupes de demandeurs à commanditer le même type d’enquêtes dans leurs paroisses ou leurs doyennés.
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Ce sondage, qui a été réalisé en juin 2018, a couté 5500 € couverts presqu’entièrement par des fidèles de la Boucle. Nous suggérons à ceux qui le peuvent de nous aider à combler le solde restant de 950€.
* Onze sondages pour l’histoire, Les Dossiers d’Oremus – Paix liturgique, 2017.
** Les résultats complets de ce sondage sont à la disposition gratuite de toutes les personnes qui le souhaiteront

27 novembre 2018

[Abbé Nicolas Portail - FSSPX Actualités] Paul VI et la réforme liturgique : une responsabilité écrasante

SOURCE - Abbé Nicolas Portail - FSSPX Actualités - 27 novembre 2018

Le nom de Paul VI est attaché à la réforme liturgique. À partir de février 1964, sous la haute main d’Annibale Bugnini, un Consilium pour l’exécution de la réforme liturgique se charge d’appliquer la Constitution conciliaire sur la liturgie, Sacrosanctum Concilium, promulguée le 4 décembre précédent.

Une avalanche de décrets modifie alors la liturgie traditionnelle : entre 1965 et 1969, le latin est remplacé, les autels retournés, les concélébrations introduites, trois canons eucharistiques sont composés, la communion dans la main se répand tandis que sont supprimés les prières au bas de l’autel, les prières léonines, l’Offertoire ou encore le dernier Évangile. La messe de Paul VI, c’est d’abord cela : une liturgie en réforme permanente.

Finalement, une recomposition prenant acte de ces modifications est promulguée le 3 avril 1969, qui voit la naissance du Novus Ordo Missae (NOM). C’est ce qui est communément appelé la « messe de Paul VI », en son stade achevé et obligatoire.
Quel rôle Paul VI a-t-il tenu dans cette réforme ?
« Le pape Paul VI dit la messe de saint Pie V tous les jours dans son oratoire privé ». Aujourd’hui, la naïveté d’une telle assertion paraît évidente, mais non pas pour certains qui la colportaient dans les années 70, voulant croire à un pape manœuvré par le secrétaire du Consilium. D’ailleurs, au témoignage de Mgr Lefebvre, Amleto Cicognani, Secrétaire d’Etat en février 1969, s’était écrié un jour : « Le père Bugnini peut se rendre dans le bureau du Saint-Père et lui faire signer tout ce qu'il veut ! » Signe que le pape aurait été manipulé ?

Il ne le semble pas. Au contraire, Paul VI suivit de près les travaux du Consilium : il donnait ses avis, annotait les projets, manifestait ses préférences. Il promulgua volontiers tous les décrets liturgiques et, devant les cardinaux réunis en consistoire le 24 mai 1976, au plus fort de la « bataille de la messe » (Jean Madiran), le pape interdisait le missel de saint Pie V au profit exclusif de la nouvelle liturgie. La « messe de Paul VI » est bien la sienne.
Deux caractéristiques de la nouvelle pratique liturgique
La réflexion du cardinal Cicognani est très instructive. Il voit les réformes tellement divergentes de la lettre et de l’esprit liturgique de l’Eglise, qu’il en conclut que le pape ne peut pas les vouloir vraiment librement. Il rejoint ici la « naïve » opinion populaire du pape boudant le Novus Ordo. Car il faut bien reconnaître que, objectivement, la pratique quotidienne de la messe de Paul VI a de quoi stupéfier. Deux constantes se dégagent en effet de la pratique liturgique postconciliaire :

– les différences entre célébrations devenues « à la carte » : prêtres, animateurs liturgiques et simples fidèles réinventent la messe par des modifications continuelles dans les textes et les rites au point que Paul VI conclue, lors de l’audience du 3 septembre 1969 : « On ne pourrait plus parler de pluralisme (…) mais de divergences, parfois non seulement liturgiques, mais substantielles, (...) désordre, germes de confusion et de faiblesse ».

– la disparition du sacré et l’extinction de l’esprit religieux, véritable « sécularisation » selon Jacques Maritain : table dépouillée en guise d’autel, pain ordinaire, lecteurs et animateurs, commentateurs et servantes (?) de messe sans habits liturgiques, prêtres déambulant dans la nef, universel brouhaha de témoignages, bavardages, chants profanes à la guitare (parfois électrique), tam-tams et batteries, sonorisation avec des chansons à la mode, assistance assise ou debout – rarement à genoux –, embrassades juste avant la communion distribuée par des laïcs et reçue à la va-vite dans la main...

Comment accorder cela avec l’acte le plus sublime de la vertu de religion où Jésus-Christ se sacrifie à l’autel comme jadis sur la Croix ? Dans les décrets signés par Paul VI, Amleto Cicognani discernait-il ces spectacles, devenus habituels dans les églises catholiques ? Son effarement est alors bien compréhensible.
De simples abus ou la conséquence d’une dynamique constitutive du nouveau rite ?
« Ce sont des abus et des excès, dira-t-on, qui ne correspondent pas à l’édition typique que, seule, le pape a promulguée ». Sans doute, convenons-en. Pourtant il faut relever que ces abus et excès sont répandus universellement, comme une propriété du Novus Ordo, comme si la « messe de Paul VI » se prêtait, par sa nature même, à ces désordres. Dès lors ils apparaissent comme appartenant à la ligne même de la liturgie de Paul VI, à son dynamisme.

En fait, la diversité est un paramètre de la réforme voulue. Le concile Vatican II a prévu d’intégrer dans la liturgie « les qualités [ornamenta] et les dons des diverses nations et peuples », et aussi les « différences légitimes et les adaptations à la diversité des assemblées, des régions, des peuples, surtout dans les missions », cela « à partir des traditions et de la mentalité de chaque peuple » (Sacrosanctum concilium, n°37-40). Il a décidé de constituer des « rituels particuliers adaptés aux nécessités de chaque région » (n°63), des « prières communes, prières des fidèles » (n°53), universelles, composées, inventées à chaque messe. Le Concile donne aussi pouvoir aux Conférences épiscopales et aux simples évêques diocésains d’adapter les rites aux cultures locales en lançant si besoin des expérimentations (n°22, 40, 57…). Le Novus Ordo Missae lui-même comporte quatre puis cinq canons ajoutés en 1975, et laisse des possibilités de choix aux célébrants pour d’autres prières et rites.
Une liturgie désacralisée
Quant à la perte du sacré, elle s’inscrit aussi dans l’Ordo Missae de Paul VI. Ainsi, la présence réelle du Corps et du Sang de Jésus-Christ est littéralement oblitérée par la suppression de tous les actes d’adoration (génuflexions des fidèles et du prêtre ; il n’en reste plus que trois en tout), le côté facultatif des purifications des ciboires, calices, patènes et des doigts qui ont touché le Corps du Christ, l’absence de dorure des vases sacrés, la disparition du plateau de communion, de la communion et de l’action de grâces à genoux, des prescriptions si l’Hostie tombe à terre ou si le Sang se renverse, la permission d’user du pain habituel et non pas azyme, l’absence de bénédiction des ornements ou des linges sacrés, etc. Tout concourt à la vulgarisation et à l’effacement du caractère sacré de la liturgie.

Paul VI voulait la simplification des rites pour en accroître la clarté. Pour ce faire, il a complétement méconnu ce principe liturgique rappelé par le Catéchisme du concile de Trente (ch. 20, § 9) : aucune disposition n’est « inutile et superflue, mais toutes ont pour but de faire briller davantage la majesté d’un si grand sacrifice et de porter les fidèles, par les signes salutaires et mystérieux qui frappent la vue, à la contemplation des choses divines voilées dans le sacrifice ». Le résultat fait croire, pour le moins, à une extrême imprudence et à une tragique inconséquence.

Il faut conclure que les excès et les abus ne sont que la conséquence de l’oubli des principes liturgiques et du dynamisme intrinsèque à la pratique moderne de la liturgie. Ils ont pour fondement les prescriptions contenues dans le Novus Ordo Missae. Mais il y a plus.
Le cœur de la messe attaqué
L’examen du rite de Paul VI montre aussi que l’essence de la messe a été atteinte gravement.

Tout d’abord, l’Institutio generalis (introduction au nouveau missel) dans sa première mouture définit la messe comme « synaxe [repas] sacrée ou rassemblement du peuple de Dieu sous la présidence du prêtre pour célébrer le mémorial du Seigneur » (n°7). Une telle définition comporte :

– une double omission : 1) l’identité entre la croix et la messe, celle-ci réactualisant la mort du Christ de façon non sanglante ; 2) la nature sacrificielle de la messe, réalisée par la séparation sacramentelle du Corps et du Sang de Jésus-Christ aux deux consécrations prononcées par le prêtre. Le concile de Trente dit que la messe est « vraiment et proprement » sacrifice, qui applique les mérites de la Croix pour quatre buts, dont spécialement la gloire de Dieu et l’effacement des péchés des hommes (propitiation). La messe manifeste ainsi que la mort du Christ est l’unique sacrifice qui sauve les hommes. Ces deux omissions sont graves.

– une double affirmation : la messe est 1) un repas et 2) un mémorial, ce qui est contradictoire avec la notion de sacrifice sacramentel. D’abord parce qu’un mémorial suppose l’absence réelle de la personne dont on fait mémoire, alors que le sacrement est le signe efficace et producteur d’une personne ou d’une chose réellement présente et active. Ensuite, parce que la messe n’est pas un repas : même la communion, où sont consommés le Corps et le Sang de Jésus-Christ, n’a qu’une lointaine ressemblance avec un repas, puisque la communion est l’accomplissement du sacrifice par la destruction de la victime par voie de manducation. Si la liturgie parle de banquet sacré, ce n’est pas pour réduire la messe à un simple repas.

Cette définition erronée de l’Institutio généralis est extrêmement grave. Par ses omissions et ses contradictions, la nouvelle messe rend incompréhensible ce que fait le prêtre à l’autel. Dès lors, tous les égarements sont possibles.
Une fausse définition incarnée dans le Novus Ordo
Cette fausse définition de la messe est très exactement vérifiée par les rites du Novus Ordo Missae.

En effet, toute allusion précise au sacrifice a disparu. A commencer par la disparition de la première partie pourtant essentielle au sacrifice : l’Offertoire, qui met la victime à la disposition de Dieu avant de Lui être sacrifiée. Le nouveau rite a substitué à l’Offertoire de simples louanges à Dieu pour ses bienfaits, utilisant des formules de benedicite en usage dans la synagogue. Cette disparition pose un problème théologique certain.

Il en est de même des autres parties du rite où ont disparu de très nombreuses expressions du sacrifice : crucifix d’autel, signes de croix, mots d’hostie, de victime, de sang livré, etc. C’est à cause de cette mise sous silence du caractère sacrificiel de la messe que le frère Thurian de Taizé (une communauté protestante installée en Bourgogne) a pu dire que plus rien n’empêchait désormais catholiques et protestants de célébrer ensemble (La Croix du 30 mai 1969). Le Novus Ordo Missae favorise ainsi l’œcuménisme, qui en est une dimension essentielle.1

On comprend la conclusion que les cardinaux Ottaviani et Baci donnaient en 1969 dans Le bref examen critique de la Nouvelle Messe : « Le NOM, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendus ou impliqués, s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte messe telle qu’elle a été formulée à la XXIIe session du Concile de Trente ».

La liturgie romaine avait été réformée par Pie V pour exposer les dogmes définis à Trente ; concile et messe étaient intrinsèquement liés par le principe Lex orandi lex credendi : Que la règle de la croyance fixe la règle de la prière. Attenter au rite de la messe romaine antique ne peut que corrompre la foi de l’Eglise...
Au principe de la réforme liturgique de Vatican II
Reste la question de savoir pourquoi une telle réforme a été entreprise. La réponse est donnée par le concile Vatican II que cite la constitution Missale Romanum instituant la nouvelle messe : « Cette participation pleine et active de tout le peuple est ce qu'on doit viser de toutes ses forces dans la restauration et la mise en valeur de la liturgie. » (Sacrosanctum Concilium n°14). D’où la langue vernaculaire comprise de tous, les rites simplifiés donnant « avec plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient », la multiplication des lectures de la Bible (n°21), etc. C’est au nom de la « participation active des fidèles » que la réforme a été entreprise. Que signifie cette expression ?

Il ne s’agit pas seulement de la multiplication des cantiques et des prières des fidèles. Ce n’est ici que l’enveloppe. Il s’agit plutôt d’une activité vraiment propre : « Les fidèles constituent le Peuple Saint (…) pour rendre grâce à Dieu et pour offrir la victime sans tâche » (Institutio generalis, n°62), le prêtre étant réduit à être le président de l’assemblée. Il y a là une inversion complète : les fidèles ne s’unissent plus au sacrifice sacerdotal, mais le prêtre présente à Dieu le culte offert par les baptisés (Sacrosanctum Concilium, n°48). Le Concile parle ici du « sacerdoce commun » des fidèles qui « participe de l’unique sacerdoce du Christ » (Constitution sur l’Eglise Lumen gentium, n°10).

La liturgie de Paul VI s’adapte à la théologie du Concile qui conçoit le culte comme émanant du cœur des fidèles, la hiérarchie n’exerçant plus qu’une sorte de contrôle, veillant à l’organisation du culte en s’adaptant aux cultures des croyants et aux initiatives laissées aux laïcs qui « vivent leur foi ». Telle est la raison théologique du bouleversement liturgique.

Paul VI a fait sienne cette théologie dès sa vocation, en 1913 chez les bénédictins de Chiari. Dès 1931 et 1932, il simplifiait la liturgie de la Semaine Sainte pour favoriser la « participation active » des étudiants de la Fédération universitaire catholique italienne (FUCI). Il adhérait au mouvement liturgique de dom Beauduin et prenait pour confesseur et maître le père Giulio Bevilacqua (1881-1965), l’un de ses propagateurs, qu’il nommera d’ailleurs au Consilium, parmi les principaux artisans des réformes, peu avant sa mort. Lors du Concile, le 11 novembre 1962, le futur Paul VI n’était intervenu que pour approuver le schéma sur la liturgie...

Et s’il constate, à partir de 1966, l’affolant chaos liturgique dans lequel est plongée l’Eglise, il ne saurait remettre en cause les principes qui en sont la cause. Comment aurait-il pu le faire ? Ils ne sont rien d’autres que ses propres principes, ceux du « culte de l’homme » et de « l’humanisme plénier »2, auxquels s’identifient les principes de la nouvelle liturgie.

Abbé Nicolas Portail
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Bibliographie :
  • Le Rôle de G. B. Montini-Paul VI dans la réforme liturgique, Instituto Paolo VI, Brescia-Rome, 1987, XI-86 pages.
  • La messe en question. Autour du problème de la réforme liturgique, Actes du Ve congrès théologique de Si si No no, Paris, 2002, 505 pages (sur les principaux problèmes du NOM).
  • Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, Le problème de la réforme liturgique. La messe de Vatican II et de Paul VI, s. l., 2001, 125 pages (sur la théologie nouvelle de la messe).
  • Cardinaux Ottaviani et Bacci, Bref examen critique de la Nouvelle Messe (première analyse donnant le détail des modifications des rites ; multiples éditions depuis 1971).
  • Yves Chiron, Paul VI, Paris, 2008, 325 pages (pour les notations historiques).
  • Philippe Chenaux, Paul VI, le souverain éclaté, Paris, 2015, 346 pages (rédigé en vue de la canonisation).
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1. Cf. Grégoire Celier, La dimension œcuménique de la réforme liturgique, Fideliter, 1987.
2. Paul VI, discours de clôture du Concile, 8 décembre 1965 ; Lettre encyclique Populorum progressio, 1967.

[Henri de Begard - Le Rouge et le Noir] Abbé de Tanoüarn: «dans cette atmosphère apocalyptique où le droit naturel semble sombrer, il reste un idéal, communément partagé: la fraternité»

SOURCE - Henri de Begard - Le Rouge et le Noir - 27 novembre 2018

L’Abbé Guillaume de Tanoüarn vient de publier Le Prix de la fraternité aux Éditions Tallandier (Août 2018). Il a bien voulu répondre aux questions du Rouge & le Noir.
R&N : “Fraternité”, cela évoque un idéal abstrait, utopique et désormais vide de sens à force d’être brandi ad nauseam comme une incantation par la classe politique… Pourquoi en faire le sujet de votre livre ?
Abbé Guillaume de Tanoüarn : Le vrai sujet de mon livre, c’est de mener une recherche sur ce qui reste du bien commun aujourd’hui. Nous sommes dans une société individualiste dans laquelle les liens sociaux se distendent. Le patriotisme est moqué. L’Europe, on fait semblant d’y croire. L’entreprise devient gigantesque et, dans certaine grande boîte, on oblige les employés à se sentir « corporate », mais ce nouveau comportement est affreusement caricatural. Il repose sur une soumission à la hiérarchie et n’a rien de spontané. Quant aux familles, elles se décomposent et se recomposent, avec des parents qui parfois changent d’orientation sexuelle en cours de route. Rien n’est simple aujourd’hui quand on sort du milieu catho… Et même là… Dans cette atmosphère apocalyptique où le droit naturel semble sombrer, il reste un idéal, communément partagé : la fraternité, un mot présent dans la tradition républicaine, en particulier si l’on fait référence à la Révolution de 1848. Maurras, cité par Mona Ozouf dans sa belle contribution aux Lieux de mémoire de Pierre Nora, estimait que la liberté était un mensonge, que l’égalité était dangereuse (en particulier pour la liberté personnelle) et qu’il faudrait garder le mot de fraternité au fronton des mairies. La fraternité c’est ce qui rend possible le vivre ensemble (ou plutôt le vivre avec)… Cela reste en ce sens une valeur nécessaire.
R&N : En quoi la fraternité se distingue-t-elle du “bien commun”, autre principe philosophique et politique qui gagnerait lui aussi à être réhabilité ?
Abbé de Tanoüarn : Le bien commun, personne ne sait ce que c’est et les spécialistes se battent entre eux pour le définir : est-il plutôt politique ? Plutôt moral ? Même Aristote n’est pas clair sur le sujet. Il s’en tire en invoquant la transcendance et en affirmant que le bien commun, c’est ce qui est « plus divin que le bien individuel ». Le bien commun donc, c’est tout ce qui nous permet de nous dépasser. Quant à la fraternité, elle renvoie justement à ce dépassement de soi. La fraternité c’est le bien commun lorsqu’il naît, lorsqu’il ne se présente pas encore comme un concept mais comme une urgence vitale, comme une évidence.
R&N : La fraternité a un prix affirme le titre de votre ouvrage. Quel est-il ?
Abbé de Tanoüarn : Ce dépassement justement. La fraternité est louée dans le Nouveau Testament. Saint Pierre dans sa Première épître nous demande de « respecter toute créature et d’aimer la fraternité ». C’est très nouveau à l’époque. Cela ne va pas de soi. Dans l’Ancien Testament, la fraternité est toujours un lien problématique ; les exemples qui en sont donnés ne font pas envie : Caïn tue Abel, Jacob dépouille Esaü en toute bonne conscience ; Joseph est jalousé par ses frères et il échappe de peu à la mort qu’ils voulaient lui donner, à chaque fois cela ne fonctionne pas. Dans l’Evangile, la parabole du Fils prodigue montre à l’envi les limites du frère aîné quand il voit revenir son cadet qui a dépensé tout son héritage avec les prostitués. La jalousie trouve son chemin dans le cœur de ce garçon si parfait sous tous rapports. La fraternité ? Cela ne fonctionne pas s’il n’y a pas ce dépassement de soi que j’ai nommé dans ce livre une foi commune.
R&N : Vouloir retrouver la fraternité à partir d’une “foi humaine”, n’est-ce pas rejouer la question de la loi naturelle ?
Abbé de Tanoüarn : Chez saint Thomas d’Aquin, la loi naturelle dicte le bien à faire et le mal à éviter. Elle a pour organe la syndérèse, c’est-à-dire une sorte d’intuition, une mise en face de l’évidence qui est tout sauf une démarche démonstrative ou rationnelle. On peut effectivement la rapprocher de ce que j’appelle la foi commune, mais cette dernière expression insiste sur la nécessaire transcendance de cette connaissance du bien, qui, en pratique va avec la reconnaissance de Dieu, car comme dit Dostoïevski, « si Dieu n’existe pas tout est permis »
R&N : Mais la loi naturelle n’est-elle pas un concept issu du christianisme ? Et qui, comme celui des droits de l’homme, a bien du mal à survivre sans lui ?
Abbé de Tanoüarn : Non la loi naturelle est un concept grec – le logos d’Héraclite, bien avant Socrate. Cicéron en a été le grand vulgarisateur, comme le notait Maître Trémolet de Villers, dans son livre En terrasse avec Cicéron, dans lequel l’avocat cite par exemple cette formule de Cicéron : « La loi n’est ni une invention du génie des hommes, ni une décision arbitraire des peuples, mais quelque chose d’éternel qui règne sur le monde entier par la sagesse de ses commandements et de ses défenses ». Il est clair que nous n’avons plus ce sens de la loi naturelle. Mais tout indique qu’une fois sortis de l’artificialité dans laquelle nous vivons, elle s’exprimera de nouveau en chacun. La mode de l’écologie renvoie à la difficulté que nous avons à entendre en nous cette foi naturelle dans un bien divin.
R&N : Au moins peut-on dire qu’aujourd’hui la loi naturelle ne survit pas sans le christianisme ?
Abbé de Tanoüarn : Mais aucun d’entre nous ne peut survivre sans le christianisme. Vivre pour nous c’est le Christ. Cette proposition est universelle (c’est-à-dire catholique). Elle est valable, de droit et de fait, pour tout individu, qui vivra dans la mesure de son attachement (conscient ou inconscient) au Christ. Il faut accepter de ne pas voir le christianisme comme une chapelle qui serait de plus en plus étroite et étriquée. Le christianisme est présent dans notre monde, comme le levain dans la pâte, ainsi que l’indique la parabole du Seigneur que nous avons lue dimanche dernier. Cette foi humaine, qui est la condition de toute fraternité, est donc profondément marquée par la civilisation chrétienne, dont il nous reste au moins (personne ne le conteste encore) la morale du service : « Soyez soumis les uns aux autres » dit saint Paul aux Ephésiens de manière un peu provocatrice. Soyez au service ! Même les laïcs les plus agnostiques reconnaissent la notion de service public, de service du public, de service mutuel. La mort héroïque du colonel Beltrame, et les remous médiatiques qu’elle a suscités, montrent que cet idéal chrétien n’est pas encore perdu dans notre pays. Je ne suis ni décliniste ni adepte de ceux qui crient au suicide français !
R&N : La structure de votre livre met à plusieurs reprises deux auteurs face à face, l’un que vous défendez, l’autre que vous critiquez…
Abbé de Tanoüarn : Il y a deux grandes parties dans mon livre : la première qui englobe les quatre premiers chapitres, constitue ce que le Père Philippe nommait des « topiques historiques », parce que l’on ne peut pas prendre une position politique de manière argumentée et complète sans se situer par rapport à l’histoire. En opposant les auteurs deux à deux, je montre que l’histoire n’est pas aussi simple qu’on le pense. Par exemple, si je condamne les Lumières française et leur invraisemblable matérialisme dont Voltaire est le parangon, je montre que Diderot, l’auteur majeur de l’Encyclopédie, ne se réduit pas, malgré son athéisme revendiqué à ce matérialisme-là. Je compare des textes de l’un et de l’autre et il me semble que ma démonstration tient la route. J’essaie de monter par là simplement qu’il faut se garder de l’esprit de système, qui introduit toujours dans l’enfermement idéologique.
R&N : Défendre Adam Smith, l’un des théoriciens du libéralisme alors que le libéralisme est actuellement fortement critiqué, notamment à cause du développement de l’individualisme, a de quoi surprendre.
Abbé de Tanoüarn : Je condamne le libéralisme de Bertrand Mandeville, qui est platement matérialiste et mécaniste et je sauve Adam Smith parce que sa théorie de la Main invisible montre qu’il a, comme le Français Frédéric Bastiat deux générations plus tard, le sens de la finalité politique et de la Providence divine principe spirituel de toute société. Dans mon livre, je montre que la théorie de la main invisible n’est ni un hapax dans le corpus d’Adam Smith ni une déviance dans sa théorie, mais qu’il est directement issu de réflexions plus anciennes dans la vie de Smith, qu’il a concentrées dans un livre paru dix ans avant La richesse des nations, sa Théorie des sentiments moraux, vraiment à lire : Adam Smith reconnaît la nécessité d’une foi commune dans le bien pour que son capitalisme fonctionne. Si l’on ouvre encore la perspective, je dirais qu’il y a une impasse Bertrand Mandeville. Mais je ne crois pas que « l’Impasse Adam Smith » existe ailleurs que dans la tête de Jean-Claude Michéa. Même si j’aime les fulgurances de l’auteur du Complexe d’Orphée, j’avoue que je me méfie de ces marxistes qui mettent toutes les formes de capitalisme dans le même sac. Il faut distinguer d’une part la financiarisation du capitalisme mondialisé, avec son mécanisme implacable, qui fait penser à l’essai de Mandeville sur la ruche et les abeilles et d’autre part, ce capitalisme né en Italie au XIVe siècle et qui a tant apporté à l’humanité, avec l’esprit d’entreprise, esprit né de la foi comme le sent Max Weber, malgré sa référence trop étroite au protestantisme.
R&N : Faut-il distinguer fraternité et solidarité ?
Abbé de Tanoüarn : Étymologiquement le mot « solidarité » renvoie tout simplement à la solidité du lien et donc à une fraternité solide : une fraternité suivie d’effets.
R&N : Le rôle prépondérant de l’Etat et du service public dans la solidarité (sécurité sociale, chômage, aides sociales, subventions,…) est-il raisonnable (et responsabilisant)?
Abbé de Tanoüarn : Il y a eu des sociétés sans Etat : ce sont les tribus anciennes, ou alors tel pays, je pense à la Pologne qui pendant le XVIIIe et une partie du XIXe siècle fut une nation sans Etat. On peut penser à l’Irlande aux Kurdes ou aux Kabyles. Dans tous les cas le résultat n’est guère probant. L’Etat comme opérateur de la solidarité, l’Etat protecteur est une bonne chose. Mais il faut éviter de tomber dans ce que le pape Pie XI appelait très bien la statolâtrie, cette idolâtrie de l’Etat qui consiste à faire de l’Etat l’unique garant de la fraternité. Parmi les théoriciens de l’Etat moderne, malgré sa radicalité, Hobbes ne divinise pas l’Etat, puisqu’il reconnaît l’existence d’une « loi naturelle », alors que Rousseau supprime tout principe transcendant et prône un absolutisme de l’Etat et de l’idée républicaine. C’est lui qui est à l’origine de cet Etat tentaculaire que vous décrivez. C’est le grand « saint patron » des Etats modernes, mais ne le croyez pas sur parole, ce n’est pas un petit saint, c’est un pur produit des Lumières françaises. Il diffuse largement leur agnosticisme, leur mot d’ordre, qui est de ne prendre face aux religions que des positions hostiles.
R&N : Vous écrivez que St Thomas d’Aquin “mérite d’être considéré comme le premier théoricien de la fraternité”. Pourquoi ? Une telle affirmation ne va-t-elle pas indigner les augustiniens ?
Abbé de Tanoüarn : La formule est un peu obscure sortie de son contexte. Ce que je voulais dire, c’est que Thomas est le premier à théoriser, au-delà du désir naturel, qui nous permet de survivre mais au prix parfois d’une guerre de tous contre tous, ce qu’il nomme l’amour naturel, cet amour naturel par lequel, naturellement, nous aimons Dieu plus que nous-même et le bien commun plus que notre bien propre. Cet amour naturel est une notion foncièrement chrétienne, que l’on retrouve chez saint Augustin dans son De libero arbitrio sous le nom de « bonne volonté ». Mais la notion du péché originel corrompant l’âme humaine chez saint Augustin, détruit l’amour naturel. Pour lui, seule la grâce peut recréer dans l’homme l’esprit du don de soi. Pour saint Thomas, en tout cas dans son interprétation cajétanienne, le péché originel ne détruit pas la nature et la nature est capable par elle-même d’un don total pour l’autre. On retrouve là la vieille notion gréco-latine du héros humain, à laquelle saint Augustin, lui, ne croit pas. Je vous rappelle dans Les Confessions, cette image des deux jumeaux se disputant déjà pour le sein de la nourrice. La fraternité naît de la propension au don de soi, qui est en nous. Elle est en nous par nature, osent Thomas et Cajétan. On ne la trouve dans la nature déchue que par la grâce dit Augustin.
R&N : L’Église porte un intérêt de plus en plus grand au bien-être matériel des populations migrantes au point d’en faire une raison valable pour immigrer et une raison contraignante pour les accueillir de la part des pays plus développés. Ce matérialisme sans cesse mis en avant est-il compatible avec une véritable fraternité ? Plus généralement, comment conjuguer le matériel et le spirituel au sein de la fraternité?
Abbé de Tanoüarn : Pour les habitants d’Afrique subsaharienne, la « ruée vers l’Europe » (Stephen Smith) n’est pas une question de matérialisme seulement. Certes il y a eu un « story-telling » au sujet de l’Occident pays de cocagne, qui a bercé les rêves des jeunes Africains. Il y a 25 ans déjà, au Gabon, je me souviens que tous les gamins que j’avais devant moi au Caté (et qui n’étaient pas forcément malheureux) ne rêvaient que d’Europe. Mais aujourd’hui, ce n’est pas seulement un rêve. L’explosion démographique africaine (exemple le Nigéria : 40 millions d’habitants à l’indépendance. 210 millions aujourd’hui) crée un besoin de fuir, qui n’a rien à voir avec le rêve de générations précédentes. Il y a des situations extrêmes d’urgence humanitaire. Mais tout cela ne fait pas une fraternité en acte. La fraternité c’est l’égalité, et, avec la meilleure volonté du monde, des ados issus, sans éducation qui viennent grossir les rangs des mineurs isolés, même s’ils ont une égale dignité avec l’homme de la civilisation européenne, ne sauraient, sans hypocrisie réclamer cette égalité dont naît la fraternité. Les migrants sont destinés à devenir du petit personnel corvéable à merci. Il s’agit moins de les accueillir que de les faire travailler à bas coût (je pense au million de migrants de madame Merkel et à l’Allemagne où le SMIC n’existe pas au niveau du nôtre).

En tout état de cause, il est fatal qu’il y ait des migrants car il y a une attirance spontanée des pays riches pour les pays pauvres et, grâce à la mondialisation, une grande aptitude à la communication. Mais il faut accueillir pour intégrer et pas pour laisser végéter des populations déracinées dans les nouveaux terrains vagues de l’Occident, au nom d’un multiculturalisme qui est l’autre nom de l’indifférence. En temps normal, une telle attitude d’accueil serait spontanée. Le premier et le principal problème est celui de la démographie occidentale avant le choc migratoire et la culture de mort qui s’y répand toujours.
R&N : Vous affirmez que la fraternité a besoin d’une autre vertu sociale, la tolérance. Cette tolérance ne conduit-elle pas cependant, au nom de la fraternité, à atomiser la “loi humaine”, au sens thomiste du terme, du fait des revendications sociales et communautaires actuelles, et à revenir finalement au problème initial?
Abbé de Tanoüarn : Il y a deux formes de tolérance : la tolérance que l’on invoque aujourd’hui est une tolérance qui se construit à partir du refus de la vérité. Il ne faut admettre aucune forme de vérité, toute proposition, toute formulation relève de l’opinion et doit pouvoir supporter son contraire. La seule règle d’or est qu’il n’y a pas de règle d’or. La seule vérité est qu’il est interdit de parler de vérité. Cette tolérance-là est essentiellement antichrétienne, vous l’aurez compris. La tolérance dont je défends dans ce livre la nécessité, se construit au contraire à partir de l’affirmation d’une vérité forte, mais qui n’est pas immédiatement accessible à tous, qui reste une vérité libre d’accès comme elle est libre de droit : gratuite. Il est impossible de ne pas considérer que le chemin des personnes vers elle est différent d’une personne à une autre. Pour les chrétiens, encore une fois, dans la mesure où la vérité est essentiellement objet d’amour, elle n’est le sujet d’aucune contrainte, même si elle oblige les cœurs. D’où la tolérance envers les personnes qu’elle suscite, qui n’est pas une attitude optionnelle, parce qu’elle est l’attitude de Dieu même, le grand Tolérant, « qui fait briller son soleil sur les bons et sur les méchants » comme parle l’Evangile de Matthieu.
R&N : Après avoir pourfendu le multiculturalisme, vous envisagez quelques pages plus loin la question de l’union des croyants, c’est-à-dire du christianisme et de l’islam, car ”la seule alternative à la fraternité vécue me semble être une guerre civile”.
Abbé de Tanoüarn : La politique concrète est toujours l’art du moindre mal comme le répètent saint Thomas dans le De regno et Cajétan dans son opuscule sur l’usure. Au contraire, le mode d’emploi du plus grand bien possible, en politique, est toujours un mode d’emploi idéologique. Et donc promis à l’échec.

26 novembre 2018

[FSSPX Actualités] Le droit de la messe romaine

SOURCE - FSSPX Actualités - 26 novembre 2018

A partir du début de 1964, la liturgie latine entre dans une période de très forte mutation, à la suite de la Constitution Sacrosanctum Concilium, promulguée le 4 décembre 1963 par le pape Paul VI et les Pères du concile Vatican II (1962-1965).

En 1967 est fondé le bimensuel Courrier de Rome, qui va contester cette réforme liturgique et bien d’autres bouleversements auxquels le Concile a ouvert les portes. L’abbé Raymond Dulac (1903-1987) est alors l’un des premiers animateurs et rédacteurs de ce périodique. D’une plume alerte et chatoyante, emplie d’allusions littéraires et historiques, avec une vigueur polémique remarquable, il va démonter un à un tous les prétendus arguments historiques, théologiques, liturgiques, canoniques, pastoraux, qu’on apporte en faveur de ce formidable bouleversement. Il sera de 1967 à 1971 la principale « plume » du bimensuel Courrier de Rome. 

Au terme d’une analyse minutieuse, l’abbé Dulac s’attache particulièrement à démontrer que la messe en vigueur au moment du concile Vatican II, messe dite « de saint Pie V » (du nom de celui qui en publia en 1570 une version autorisée), n’a jamais été interdite, et ne pouvait l’être en aucun cas : une conclusion reconnue officiellement comme vraie, vingt ans après sa mort, par le Motu Proprio Summorum Pontificum.

Dans ce recueil des principales chroniques qu’il a publiées entre 1967 et 1972, l’abbé Dulac aborde bien d’autres points d’histoire liturgique et ecclésiastique, de droit canonique, de philosophie politique, de théologie, de littérature, qui éclairent d’un jour saisissant la situation actuelle de l’Eglise et de la société.

Né le 4 octobre 1903 à Sète, Raymond Marius Dulac obtient à quinze ans le baccalauréat avec mention bien ; ils seront moins de 10.000 élèves à obtenir le diplôme cette année-là. Formé au Séminaire français de Rome, que dirige le Père Le Floch, il fait de brillantes études. Il est ordonné prêtre à l’âge de vingt-deux ans, grâce à une dispense, le 3 avril 1926 à Saint-Jean-de-Latran. Docteur en philosophie et en théologie, licencié en droit canonique puis ès lettres, l’abbé Dulac est nommé professeur de philosophie à Juvisy en 1928, vicaire à Saint-Cloud en 1930, curé de Chamarande en 1932, aumônier du pensionnat de Sannois en 1937, puis du lycée de Sèvres de 1943 à 1945. Dès 1945 il est avocat ecclésiastique auprès de l’officialité de Versailles. Enfin, il se retire au Carmel de Draguignan. Rappelé à Dieu le dimanche 18 janvier 1987, en la fête de la chaire de saint Pierre, ses funérailles sont célébrées chez les sœurs dominicaines de Saint-Pré (Brignoles) le 20 janvier par l’abbé Paul Aulagnier alors supérieur du district de France de la Fraternité Saint-Pie X. L’abbé Raymond Dulac repose au cimetière marin de Sète.

Abbé Raymond Dulac, Le droit de la messe romaine, Courrier de Rome, 310p., 21€, frais de port 6,40€. On peut se procurer l’ouvrage auprès des éditions du Courrier de Rome, B.P. 10156 – F-78001 Versailles Cedex – Courriel : courrierderome@wanadoo.fr – site internet : www.courrierderome.org

[FSSPX Actualités] France Catholique sauvé par Bolloré

SOURCE - FSSPX Actualités - 26 novembre 2018

Par le biais d’une de ses filiales, les éditions du Point du jour, l’industriel et homme d’affaires français Vincent Bolloré est devenu le nouveau propriétaire de l’hebdomadaire France Catholique. 

Selon La Croix, celui qui possède notamment la chaîne de télévision Canal+, a sauvé le titre de presse d’une « mort certaine ». La diffusion de l’hebdomadaire, vendu par abonnement, a chuté sous les 10.000 abonnés, mettant en danger son existence. 

Pour Gérard Leclerc, éditorialiste depuis une trentaine d’années à France Catholique, « il est rassurant de voir que c’est Vincent Bolloré, connaisseur du journal » qui reprend les rênes. 

Aymeric Pourbaix, passé notamment par l’hebdomadaire Famille chrétienne, et par l'agence de presse I.Media, à Rome, est le nouveau directeur de la rédaction. 

D’après ce dernier, interrogé par La Croix, le projet qui sera mis en place s’inscrit « dans la continuité de ce qui a fait la force du journal ». À savoir : « traiter de l’actualité générale et religieuse avec un regard chrétien ». Le nouveau responsable se défend d’appartenir « à une sensibilité d’Eglise ou à une autre ». Prônant « l’unité des chrétiens », il affirme qu’il sera « attentif à des sujets comme la bioéthique ou les élections européennes à venir ». 

L’hebdomadaire créé en 1924 compte aujourd’hui quatre collaborateurs permanents et une vingtaine de pigistes. « Ces grands équilibres ne devraient pas évoluer », a indiqué Aymeric Pourbaix, pour qui une « urgence se dessine » : « rajeunir l’audience du titre ». Pour cela, le nouveau directeur compte sur davantage de sujets autour de « la jeunesse » et rappelle le rôle « missionnaire » que porte aujourd’hui un titre comme France Catholique dans le paysage de la presse.

25 novembre 2018

[Peregrinus - Le Forum Catholique] L’œcuménisme en Révolution (2) : La polémique antiprotestante aux origines de l’argumentaire réfractaire

SOURCE - Peregrinus - Le Forum Catholique - 25 novembre 2018

  1. L’œcuménisme en Révolution : Introduction
  2. La polémique antiprotestante aux origines de l’argumentaire réfractaire
  3. Une nouvelle Église protestante?
  4. Le miroir anglican

Dès les débats du printemps 1790 à l’Assemblée Nationale Constituante sur le projet de décret portant Constitution civile du clergé de France, les écrits des adversaires de la réforme ecclésiastique empruntent largement à la controverse antiprotestante. Ces emprunts n’ont rien d’étonnant. En effet, la lutte contre les doctrines protestantes occupe une place essentielle dans l’œuvre des écrivains ecclésiastiques qui font autorité dans l’Église gallicane, à commencer par Bossuet (1) ; elle est le principal front de l’apologétique catholique jusqu’à la réorientation imposée dans les années 1770 par les attaques antireligieuses des Lumières (2). De plus, les innovations du décret du 12 juillet 1790 affectent principalement l’ecclésiologie, devenue à l’époque de la Réforme catholique une partie de l’apologétique destinée à identifier grâce à ses notes, contre les erreurs protestantes, la véritable Église du Christ (3).

C’est essentiellement sur les argumentaires antérieures à l’adoption de la Constitution civile le 12 juillet 1790 que portera cet épisode : en effet, les raisonnements exposés à cette époque sont constamment repris par la suite et constituent le fondement des futures positions réfractaires. Si le grand discours fort modéré de Mgr de Boisgelin, archevêque d’Aix, fait peu de place à la controverse antiprotestante, il n’en est pas de même de celui l’abbé Goulard, curé de Roanne et député du Forez. Goulard récuse l’ambition affirmée par Martineau, rapporteur du projet de loi, de ramener l’Église à sa pureté primitive, qui revient en réalité à opérer un tri arbitraire dans la discipline des premiers temps. 
C’est en partant du même principe que Luther a commencé sa réforme, qu’il a supprimé les messes privées, supprimé les habits sacerdotaux, supprimé les cérémonies publiques de religion, changé les prières de l’église, introduit des rits nouveaux. Il avoit vu des prêtres mariés au commencement de l’église, il n’y avoit point vu de vœux solemnels de religion ; en conséquence, il abolit tous les monastères, il décida que le vœu de chasteté étoit contraire à la loi de Dieu, et il se maria avec une religieuse. Après qu’un ecclésiastique [Sieyès], un grand vicaire, s’est permis d’enseigner publiquement, dans un projet de réforme, que le vœu de chasteté étoit un vœu anti-social, et par conséquent nul, nous devons nous attendre tous les jours à voir parmi nous des imitateurs de cet hérésiarque (4).
La dénonciation des réformateurs de la Constituante comme imitateurs de Luther revient fréquemment par la suite, mais ne se limite nullement à la mise en garde contre les illusions du primitivisme. Le discours de l’abbé Goulard présente à cet égard les principaux traits que l’on retrouve par la suite, sous une forme plus ou moins développée, chez les auteurs réfractaires : la Constitution civile du clergé ruine l’autorité épiscopale et introduit ainsi dans l’Église gallicane le gouvernement presbytérien des calvinistes, dont relève également l’élection des pasteurs ; elle sépare les évêques de France du pape en réduisant la communion avec ce dernier aux formes adoptées par l’Église schismatique d’Utrecht (5). De manière intéressante, l’abbé Goulard montre également avec beaucoup de justesse que la Constitution civile du clergé ne créera pas même une Église nationale, mais, par l’anéantissement de la communion hiérarchique avec le souverain pontife, une somme d’Églises départementales qui favorisera la prolifération des abus dans la discipline et des erreurs dans la doctrine. C’est alors de nouveau le précédent protestant qu’allègue le curé de Roanne : 
Ainsi vit-on l’hérésie de Luther, sous l’apparence de corriger les maux de l’église, la diviser, porter la désolation dans l’Allemagne, se diviser ensuite en une multitude d’autres sectes, renouveller les mêmes horreurs en Angleterre, en France, en Hollande, sans être jamais stable, parce qu’elle n’a plus de centre de gouvernement ; parce qu’elle ne connoît plus d’autorité visible capable de réprimer les innovations de l’esprit humain, ainsi que Bossuet et tous les controversistes l’ont démontré aux protestans (6).
Le Journal ecclésiastique de Barruel emboîte le pas au valeureux curé Goulard en ajoutant aux thèmes développés par ce dernier le problème capital des rapports entre Église et État, de nouveau traités à partir de la controverse antiprotestante. Le Journal s’élève en effet contre l’opinion de l’avocat janséniste et député Armand-Gaston Camus, qui estime que « l’ Église est dans l’État » et doit donc se soumettre aux projets de réforme du second :
Tant que nous serons catholiques, nous vous dirons, malgré Luther, malgré Calvin, malgré Richer, la puissance civile est nulle, quand il s’agit de jurisdiction spirituelle (7).
La soumission sans précédent exigée de l’Église par l’Assemblée Nationale est donc très tôt renvoyée par les adversaires de la réforme aux doctrines protestantes qui ont permis l’entière inféodation des Églises réformées à la puissance temporelle. C’est encore au protestantisme qu’est ramenée l’invocation par Camus de l’autorité du canoniste joséphiste Eybel, dénoncé comme un « luthérien déguisé », anathématisé par le bref Super soliditate (8). 

On le voit, c’est à partir de l’héritage des controverses de la Réforme, enrichi par les conflits générés par le jansénisme, que les adversaires de la Constitution civile du clergé abordent le défi lancé par l’Assemblée à la juridiction de l’Église et élaborent les raisons qu’ils opposent au décret vu comme l’acte de naissance d’une Église schismatique néo-protestante. 

(A suivre)

Peregrinus
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(1) Voir par exemple Nicolas Piqué, De la tradition à l’histoire. Éléments pour une généalogie du concept d’histoire à partir des controverses religieuses en France (1669-1704), Honoré Champion, Paris, 2009.
(2) Bernard Plongeron et Jean Godel, « 1945-1970. Un quart de siècle d’histoire religieuse. A propos de la génération des « secondes lumières » (1770-1820) », Annales historiques de la Révolution française, t. XLIV, 1972, p. 184.
(3) Yves Congar, « L’ecclésiologie de la Révolution française au concile du Vatican sous le signe de l’affirmation de l’autorité », dans Roger Aubert et alii, L’ecclésiologie au XIXe siècle, Cerf, Paris, 1960 p. 85-86.
(4) Opinion de M. Goulard, dans Augustin Barruel, Collection ecclésiastique, ou Recueil complet des ouvrages faits depuis l’ouverture des états-généraux, relativement au clergé, à sa constitution civile, décrétée par l’assemblée nationale, sanctionnée par le roi, vol. II, Crapart, Paris, 1791, p. 394.
(5) Ibid., p. 400. 
(6) Ibid., p. 410.
(7) Extrait du Journal ecclésiastique, août 1790. Ou Réfutation de l’opinion de M. Camus, dans la séance du 31 mai 1790, sur le plan de constitution du clergé, proposé par le comité ecclésiastique, imprimée par ordre de l’assemblée nationale, dans Augustin Barruel, op. cit., p. 450.
(8) Ibid., p. 464.

[Peregrinus - Le Forum Catholique] L’œcuménisme en Révolution (3): Une nouvelle Église protestante?

SOURCE - Peregrinus - Le Forum Catholique - 25 novembre 2018

  1. L’œcuménisme en Révolution : Introduction
  2. La polémique antiprotestante aux origines de l’argumentaire réfractaire
  3. Une nouvelle Église protestante?
  4. Le miroir anglican

Comme on l’a vu, c’est à la lumière des controverses antiprotestantes que les apologistes réfractaires abordent la Constitution civile du clergé du 12 juillet 1790. Lorsqu’au début de 1791 les évêques de France refusent massivement le serment décrété en novembre 1790 par l’Assemblée Nationale, celle-ci déclare leurs sièges vacants. Au printemps, de nouveaux évêques sont donc élus selon les modalités fixées par la Constitution civile, puis confirmés et sacrés grâce à l’aide de Talleyrand, évêque d’Autun, ce qui consomme le schisme par l’établissement d’une hiérarchie parallèle.

Aussitôt, la nouvelle Église constitutionnelle est attaquée par ses adversaires fidèles à la hiérarchie légitime comme le résultat d’une nouvelle réforme protestante. La réforme ecclésiastique de la Constituante est ainsi dénoncée dans les mêmes termes que l’hérésie calviniste comme une « prétendue réforme », dont le canoniste Maultrot trouve les « principes hérétiques dans Melanchton, Musculus, Calvin, Jurieu, Saumaise, David, Blondel & autres protestans (1) ». À Henri Grégoire, évêque constitutionnel du Loir-et-Cher, qui estime que la réforme de la Constituante, entreprise au début du XVIe siècle, aurait épargné à l’Église gallicane la sortie des protestants de l’unité catholique en détruisant les abus (2), Maultrot répond qu’en effet l’Église de France aurait évité le schisme, non en conservant les protestants dans l’unité, mais en devenant elle-même protestante par l’abjuration la papauté, la destruction de la hiérarchie, l’asservissement de la juridiction spirituelle au jugement des tribunaux civils, la spoliation du clergé et l’anéantissement des monastères, à tel point qu’il ne manque à ses yeux à la nouvelle Église constitutionnelle que le mariage des prêtres et la liturgie en langue vulgaire pour n’être qu’une secte protestante parmi d’autres (3).

Aux yeux des controversistes réfractaires, l’Église constitutionnelle est donc une nouvelle Église protestante qui aurait conservé des ordres valides avec les sacrements et les formes extérieures du culte catholique. C’est ainsi que la traite notamment Mgr de Thémines, évêque de Blois (4), dans une longue lettre pastorale qu’il oppose à l’invasion de son siège par l’intrus Grégoire. Significativement, l’évêque reprend contre les constitutionnels la méthode dite des « préjugés légitimes », à laquelle recourait Pierre Nicole dans ses controverses contre les protestants : il s’agit de montrer que les préjugés généraux, avant même d’entrer dans la discussion des doctrines, suffisent à faire rejeter la nouvelle Église (5) : comme les protestants, les pasteurs constitutionnels tenaient auparavant leur mission d’une Église dont ils défendaient la foi et reconnaissaient l’autorité, mais à l’arrivée des réformateurs cet ordre a été renversé. Or
il faut avoir un nouveau pouvoir d’en haut, une mission extraordinaire constatée par des miracles et des signes du Ciel, pour se présenter, pour casser toutes les anciennes règles, et instituer ainsi un nouveau Gouvernement tout différent de celui que les Conciles avoient établi avant eux (6).
Ainsi, cette méthode des préjugés légitimes suffit à montrer que les constitutionnels comme les protestants sont convaincus de schisme « sans qu’il soit besoin d’examiner si c’est à tort ou à raison, par le grand principe, que hors l’Eglise, point de salut (7) ».

À ces préjugés légitimes, Mgr de Thémines ajoute les « convictions et les évidences (8) », qui démontrent que les novateurs constitutionnels ne sont rien d’autre que des « Calvinistes déguisés (9) », qui « n’ont point le mérite de l’invention » dans la mesure où ils se bornent à répéter les erreurs de Claude et Jurieu, les ministres protestants combattus par Bossuet (10).

Malgré cette réduction du nouveau schisme à l’ancien, qui permet d’appréhender avec une certaine efficacité les doctrines constitutionnelles à la lumière d’erreurs bien connues et déjà victorieusement réfutées, la conscience de l’originalité, de la nouveauté irréductible de l’Église constitutionnelle perce parfois dans la Lettre pastorale de l’évêque de Blois. En effet, Mgr de Thémines, après avoir désigné la Constitution civile du clergé comme le triomphe du calvinisme, semble pressentir qu’elle d’aboutir finalement au « culte philosophique », à la « conscience sans conscience (11) ».

Ainsi, Mgr de Marbeuf, archevêque de Lyon, est peut-être l’un des membres de l’épiscopat légitime qui ont le mieux perçu la nouveauté radicale que représentait la Constitution civile du clergé par-delà certaines analogies protestantes parfois quelque peu forcées, à savoir l’extension indéfinie du pouvoir de la nation révolutionnaire, qui s’arroge la puissance, l’autorité et le ministère de l’Église : le principe central du nouveau système est que la nation est « constitutionnellement l’église (12) » : si la Constitution civile demeure à bien des égards très en-deçà des erreurs luthériennes ou calvinistes, elle porte en elle le germe de leur dépassement. Il serait donc faux de penser que la réactivation réfractaire de la polémique antiprotestante, qui a fourni ses principales armes au clergé fidèle, a entièrement aveuglé ces derniers sur le front nouveau ouvert par la Révolution.

(À suivre)

Peregrinus
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(1) Gabriel-Nicolas Maultrot, Comparaison de la Constitution de l’Eglise catholique, et de la nouvelle Eglise de France. Moyen de les accorder, Dufresne, Paris, 1792, p. 3.
(2) Henri Grégoire, Légitimité du serment civique, Chalopin Imprimeur-Libraire, Caen, 1791, p. 29.
(3) Gabriel-Nicolas Maultrot, op. cit., p. 279-280.
(4) Sur la conduite de Mgr de Thémines, voir Jules Gallerand, À l’assaut d’un siège épiscopal. Thémines et Grégoire au début de 1791, R. Duguet & Cie, Blois, 1923.
(5) Alexandre-François de Lauzières de Thémines, Lettre pastorale de M. l’évêque de Blois, Imprimerie de Guerbart, Paris, 1791, p. 119.
(6) Ibid., p. 122.
(7) Ibid., p. 126.
(8) Ibid., p. 134.
(9) Ibid., p. 149.
(10) Ibid., p. 151.
(11) Ibid., p. 25-26.
(12) Lettre pastorale de M. l’archevêque de Lyon, primat des Gaules, sur l’usurpation de son siège par le sieur Lamourette, soi-disant élu évêque du département de Rhône et Loire, dans Augustin Barruel, Collection ecclésiastique, ou Recueil complet des ouvrages faits depuis l’ouverture des états-généraux, relativement au clergé, à sa constitution civile, décrétée par l’assemblée nationale, sanctionnée par le roi, vol. XI, Crapart, Paris, 1793 p. 269.