25 novembre 2018

[Peregrinus - Le Forum Catholique] L’œcuménisme en Révolution (3): Une nouvelle Église protestante?

SOURCE - Peregrinus - Le Forum Catholique - 25 novembre 2018

  1. L’œcuménisme en Révolution : Introduction
  2. La polémique antiprotestante aux origines de l’argumentaire réfractaire
  3. Une nouvelle Église protestante?
  4. Le miroir anglican

Comme on l’a vu, c’est à la lumière des controverses antiprotestantes que les apologistes réfractaires abordent la Constitution civile du clergé du 12 juillet 1790. Lorsqu’au début de 1791 les évêques de France refusent massivement le serment décrété en novembre 1790 par l’Assemblée Nationale, celle-ci déclare leurs sièges vacants. Au printemps, de nouveaux évêques sont donc élus selon les modalités fixées par la Constitution civile, puis confirmés et sacrés grâce à l’aide de Talleyrand, évêque d’Autun, ce qui consomme le schisme par l’établissement d’une hiérarchie parallèle.

Aussitôt, la nouvelle Église constitutionnelle est attaquée par ses adversaires fidèles à la hiérarchie légitime comme le résultat d’une nouvelle réforme protestante. La réforme ecclésiastique de la Constituante est ainsi dénoncée dans les mêmes termes que l’hérésie calviniste comme une « prétendue réforme », dont le canoniste Maultrot trouve les « principes hérétiques dans Melanchton, Musculus, Calvin, Jurieu, Saumaise, David, Blondel & autres protestans (1) ». À Henri Grégoire, évêque constitutionnel du Loir-et-Cher, qui estime que la réforme de la Constituante, entreprise au début du XVIe siècle, aurait épargné à l’Église gallicane la sortie des protestants de l’unité catholique en détruisant les abus (2), Maultrot répond qu’en effet l’Église de France aurait évité le schisme, non en conservant les protestants dans l’unité, mais en devenant elle-même protestante par l’abjuration la papauté, la destruction de la hiérarchie, l’asservissement de la juridiction spirituelle au jugement des tribunaux civils, la spoliation du clergé et l’anéantissement des monastères, à tel point qu’il ne manque à ses yeux à la nouvelle Église constitutionnelle que le mariage des prêtres et la liturgie en langue vulgaire pour n’être qu’une secte protestante parmi d’autres (3).

Aux yeux des controversistes réfractaires, l’Église constitutionnelle est donc une nouvelle Église protestante qui aurait conservé des ordres valides avec les sacrements et les formes extérieures du culte catholique. C’est ainsi que la traite notamment Mgr de Thémines, évêque de Blois (4), dans une longue lettre pastorale qu’il oppose à l’invasion de son siège par l’intrus Grégoire. Significativement, l’évêque reprend contre les constitutionnels la méthode dite des « préjugés légitimes », à laquelle recourait Pierre Nicole dans ses controverses contre les protestants : il s’agit de montrer que les préjugés généraux, avant même d’entrer dans la discussion des doctrines, suffisent à faire rejeter la nouvelle Église (5) : comme les protestants, les pasteurs constitutionnels tenaient auparavant leur mission d’une Église dont ils défendaient la foi et reconnaissaient l’autorité, mais à l’arrivée des réformateurs cet ordre a été renversé. Or
il faut avoir un nouveau pouvoir d’en haut, une mission extraordinaire constatée par des miracles et des signes du Ciel, pour se présenter, pour casser toutes les anciennes règles, et instituer ainsi un nouveau Gouvernement tout différent de celui que les Conciles avoient établi avant eux (6).
Ainsi, cette méthode des préjugés légitimes suffit à montrer que les constitutionnels comme les protestants sont convaincus de schisme « sans qu’il soit besoin d’examiner si c’est à tort ou à raison, par le grand principe, que hors l’Eglise, point de salut (7) ».

À ces préjugés légitimes, Mgr de Thémines ajoute les « convictions et les évidences (8) », qui démontrent que les novateurs constitutionnels ne sont rien d’autre que des « Calvinistes déguisés (9) », qui « n’ont point le mérite de l’invention » dans la mesure où ils se bornent à répéter les erreurs de Claude et Jurieu, les ministres protestants combattus par Bossuet (10).

Malgré cette réduction du nouveau schisme à l’ancien, qui permet d’appréhender avec une certaine efficacité les doctrines constitutionnelles à la lumière d’erreurs bien connues et déjà victorieusement réfutées, la conscience de l’originalité, de la nouveauté irréductible de l’Église constitutionnelle perce parfois dans la Lettre pastorale de l’évêque de Blois. En effet, Mgr de Thémines, après avoir désigné la Constitution civile du clergé comme le triomphe du calvinisme, semble pressentir qu’elle d’aboutir finalement au « culte philosophique », à la « conscience sans conscience (11) ».

Ainsi, Mgr de Marbeuf, archevêque de Lyon, est peut-être l’un des membres de l’épiscopat légitime qui ont le mieux perçu la nouveauté radicale que représentait la Constitution civile du clergé par-delà certaines analogies protestantes parfois quelque peu forcées, à savoir l’extension indéfinie du pouvoir de la nation révolutionnaire, qui s’arroge la puissance, l’autorité et le ministère de l’Église : le principe central du nouveau système est que la nation est « constitutionnellement l’église (12) » : si la Constitution civile demeure à bien des égards très en-deçà des erreurs luthériennes ou calvinistes, elle porte en elle le germe de leur dépassement. Il serait donc faux de penser que la réactivation réfractaire de la polémique antiprotestante, qui a fourni ses principales armes au clergé fidèle, a entièrement aveuglé ces derniers sur le front nouveau ouvert par la Révolution.

(À suivre)

Peregrinus
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(1) Gabriel-Nicolas Maultrot, Comparaison de la Constitution de l’Eglise catholique, et de la nouvelle Eglise de France. Moyen de les accorder, Dufresne, Paris, 1792, p. 3.
(2) Henri Grégoire, Légitimité du serment civique, Chalopin Imprimeur-Libraire, Caen, 1791, p. 29.
(3) Gabriel-Nicolas Maultrot, op. cit., p. 279-280.
(4) Sur la conduite de Mgr de Thémines, voir Jules Gallerand, À l’assaut d’un siège épiscopal. Thémines et Grégoire au début de 1791, R. Duguet & Cie, Blois, 1923.
(5) Alexandre-François de Lauzières de Thémines, Lettre pastorale de M. l’évêque de Blois, Imprimerie de Guerbart, Paris, 1791, p. 119.
(6) Ibid., p. 122.
(7) Ibid., p. 126.
(8) Ibid., p. 134.
(9) Ibid., p. 149.
(10) Ibid., p. 151.
(11) Ibid., p. 25-26.
(12) Lettre pastorale de M. l’archevêque de Lyon, primat des Gaules, sur l’usurpation de son siège par le sieur Lamourette, soi-disant élu évêque du département de Rhône et Loire, dans Augustin Barruel, Collection ecclésiastique, ou Recueil complet des ouvrages faits depuis l’ouverture des états-généraux, relativement au clergé, à sa constitution civile, décrétée par l’assemblée nationale, sanctionnée par le roi, vol. XI, Crapart, Paris, 1793 p. 269.