7 novembre 2018

[Abbé Nicolas Cadiet, fsspx - FSSPX Actualités] La liberté religieuse au concile Vatican II

SOURCE - Abbé Nicolas Cadiet, fsspx - FSSPX Actualités - 7 novembre 2018

L’abbé Nicolas Cadiet est professeur au séminaire de Zaitzkofen où il enseigne la théologie dogmatique et la philosophie. Après son étude sur la collégialité, il présente aux lecteurs de FSSPX.Actualités une analyse de cette autre nouveauté de Vatican II : la liberté religieuse. 

L’un des textes les plus problématiques du concile Vatican II est la célèbre déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanae, du 7 décembre 1965. Sa partie essentielle dit ceci (n°2) : 

« Le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu'en matière religieuse nul ne soit forcé d'agir contre sa conscience, ni empêché d'agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d'autres. Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité même de la personne humaine telle que l'a fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même. Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l'ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu'il constitue un droit civil ». 

Cette liberté consiste donc en un droit inviolable, lié à la nature humaine elle-même, à être exempt de toute contrainte quelle qu’elle soit en matière religieuse. Cette déclaration entend donner une ligne de conduite pour les gouvernants dans le cadre du pluralisme religieux contemporain. Elle visait également à donner un signal aux pays communistes où la religion catholique était persécutée. Mais pour en comprendre la portée, il est bon de se représenter ce que doit être la société civile idéale, compte tenu de la nature humaine telle que nous la connaissons au moyen de la raison naturelle, et de ce que la Révélation chrétienne nous enseigne. 
L’ordre juste de la société 
La nature humaine comporte la capacité de connaître l’existence de Dieu créateur, et de ce fait le devoir de lui rendre un culte, non seulement individuel, mais collectif, dans les familles comme dans toutes les sociétés, puisqu’aussi bien elles sont toutes créatures de Dieu. 

Mais la Révélation indique en outre qui est Dieu, comment l’homme s’est séparé de Lui, comment la Rédemption a été opérée, comment ses effets sont dispensés aux hommes, et comment ces derniers doivent lui rendre un culte public : c’est là l’œuvre confiée par Jésus-Christ à son Eglise, qui n’est autre que l’Eglise catholique. 

Cette dernière, unique et universelle, avec un gouvernement unique sous la direction du Pape, a donc droit à une place tout à fait spéciale dans tous les pays. Sa compétence concerne le culte divin, le gouvernement de la vie religieuse des fidèles et l’évangélisation. De son côté, l’Etat s’occupe dans chaque pays du bien commun temporel, de sorte que chacune de ces deux sociétés garde ses compétences bien distinctes. 

La société civile idéale est par conséquent celle où l’Etat reconnaît la vraie religion et aide l’Eglise à accomplir sa mission. La religion catholique fait partie intégrante d’une véritable cité, l’Etat chrétien. Cela suppose de réprimer les violateurs publics de la religion catholique en raison du mauvais exemple qu’ils donnent, et de l’outrage qu’ils infligent à Dieu. Mais aussi d’empêcher l’introduction et la propagation de fausses religions, puisque celles-ci ne peuvent que nuire, non seulement à la vie religieuse privée des âmes, mais encore au cadre chrétien dans lequel s’épanouit la société. En outre l’introduction d’autres religions ne peut être que source de divisions et de troubles civils – qu’on songe aux guerres de religion provoquées par la Réforme luthérienne et, actuellement dans les pays occidentaux, des conséquences de l’implantation et du développement de l’Islam. 

Tout cela est clair, mais paraît aujourd’hui irréaliste, tant le pluralisme religieux semble définitivement ancré dans les sociétés modernes. Désormais, il n’y a pour ainsi dire plus aucun Etat officiellement catholique. Dans ces conditions, on peut comprendre que l’Eglise, dans sa communication publique, tâche de faire connaître au moins quelques exigences de droit naturel auprès de ceux qui n’admettent pas la Révélation. Parmi ces principes, on doit reconnaître qu’il n’est pas légitime de contraindre une personne à embrasser la vraie religion (encore moins une fausse religion), qu’il n’est pas permis d’empêcher la recherche et l’exercice de la vraie religion, et que la compétence de l’Etat regarde le bien commun temporel, non la vie privée comme telle, ni directement les affaires religieuses. 
Défauts de la Déclaration 
Ces principes, la déclaration Dignitatis humanae les étend démesurément (« tous les hommes », « toute contrainte », de « quelque pouvoir humain que ce soit »), et en premier lieu au fait qu’on ne puisse exercer de contrainte en matière religieuse. Bien sûr il serait inadmissible de menacer un incroyant de mort s’il ne se convertit pas. Mais une prédication sur l’enfer comme châtiment des incroyants (« celui qui ne croira pas sera condamné », dit le Sauveur), la présence de calvaires, d’églises, de crucifix, de crèches dans les lieux publics, les habits ou insignes religieux, peuvent facilement être – et de fait sont souvent, non sans mauvaise foi – présentés comme d’insoutenables contraintes psychologiques. 

De plus on ne peut toujours admettre l’objection de conscience opposée pour des raisons religieuses : est-il légitime qu’un jeune homme réquisitionné pour défendre son pays déclare qu’il n’en fera rien parce que sa religion lui interdit le port des armes ? Il devrait avoir suffisamment de bon sens pour éclairer sa conscience et comprendre qu’un tel comportement conduit au suicide de la société, que cette religion n’est pas raisonnable, et donc n’est pas la vraie. 

En outre, quant à l’incompétence de l’Etat en matière religieuse, il faut là encore distinguer : que le Président de la République ne détermine pas les règles liturgiques, c’est entendu. Mais la propagande islamique n’est pas indifférente au bien commun. Ni le fait que toutes les religions sauf la religion catholique admettent divorce, contraception, avortement et autres immoralités. Toutes ces doctrines, opinions ou postions lèsent aussi le bien commun temporel. 

En fait, les timides ajustements de la Déclaration en termes d’« ordre social juste » ne parviennent pas à dissiper l’impression d’un vaste indifférentisme de la société, dans lequel toute religion est, comme telle, considérée comme légitime. De la liberté de la recherche religieuse que doit mener l’homme encore incroyant, l’interprétation vulgaire du principe affirmera le droit positif de professer toute erreur, de la mettre en pratique et d’en faire la propagande, ce qui est inadmissible. 

Cette compréhension en faveur de l’indifférentisme est renforcée par l’enseignement des papes modernes. Que l’on songe à cette affirmation de Benoît XVI, le 1er janvier 2011 : « Toute personne doit pouvoir exercer librement le droit de professer et de manifester individuellement ou de manière communautaire, sa religion ou sa foi, aussi bien en public qu’en privé, dans l’enseignement et dans la pratique, dans les publications, dans le culte et dans l’observance des rites. Elle ne devrait pas rencontrer d’obstacles si elle désire, éventuellement, adhérer à une autre religion ou n’en professer aucune. » Que reste-t-il des enseignements constants des papes, de Mirari vos de Grégoire XVI, du Syllabus ou de Quanta Cura de Pie IX, d’Immortale Dei ou Satis cognitum de Léon XIII ? 

Car la Déclaration Dignitatis humanae ne parle pas des seuls droits de la vraie religion, mais du droit des personnes à pratiquer leur religion, sans considération de la valeur de cette dernière. 
Origines de l’erreur 
Les formulations de la Déclaration conciliaire, en faisant la part belle aux notions de dignité de la personne, de liberté, d’autonomie, connotent la notion moderne du droit, selon laquelle l’homme du simple fait de sa nature humaine, est sujet absolu de droits, c’est-à-dire d’exigences de prestations de la part de l’Etat, sans aucune référence à ses devoirs à l’égard de la vérité, de Dieu, et de sa destinée éternelle. Le devoir de l’Etat se réduit à faire respecter ces droits. Et la vie de l’homme semble plus consister, au mieux, dans une honnête recherche philosophique, pleine de dialogues paisibles et forcément enrichissants, d’expériences et de rencontres, que dans la paisible possession de la vérité pour la faire partager. 

A vrai dire il ne s’agit pas seulement de fausse notion du droit, mais de rêve éveillé. Les religions apparaissent dans Dignitatis humanae comme toutes bonnes, certes plus ou moins proches de la vérité, mais toutes désireuses de contribuer à la recherche commune en proposant leurs modèles de vie sociale dans le respect des différences… Un coup d’œil sur l’actualité dégrisera rapidement le rêveur, à l’heure de la persécution antichrétienne généralisée dans les pays musulmans, ou encore en Inde, etc. 
Conséquences de la Déclaration 
Pourtant le Saint-Siège et les évêques n’ont pas manqué de promouvoir l’application de la Déclaration Dignitatis humanae : interventions auprès des Etats pour retirer de leur Constitution la mention d’une religion d’Etat (Italie en 1984, Colombie en 1973, Valais en 1974) ; exhortations à la liberté religieuse dans des Etats presque entièrement catholiques, comme le pape François s’y est employé auprès de la présidente du gouvernement slovène (cf. Zenit, 13 juin 2013), encouragement et aide positifs à l’érection de mosquées… 

En contrepartie de ces abandons depuis plus de cinquante ans, le communisme n’a rien relâché de sa hargne antichrétienne tant qu’il a duré, et la laïcité agressive n’a pas désarmé. La foi, quant à elle, cessant d’être protégée là où le pouvoir civil y veillait encore, a considérablement reculé, et ceux qui auraient pu songer à embrasser la foi catholique en sont dissuadés par une prédication qui ne croit plus à sa propre vérité. Il n’en faut pas tant pour demander que cette déclaration soit abandonnée. 

Abbé Nicolas Cadiet 
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Bibliographie: