21 janvier 2006

[Aletheia n°87] La première encyclique de Benoît XVI - Deus Caritas Est

Aletheia n°87 - 21 janvier 2006
La première encyclique de Benoît XVI sera publiée le 25 janvier prochain.
Dans l’histoire récente de la papauté, la première encyclique des papes est toujours apparue comme programmatique du pontificat. Elle a été publiée, selon les Souverains Pontifes, dans un délai plus ou moins long après l’élection pontificale :
  • le bienheureux Pie IX, élu le 21 juin 1846, a publié sa première encyclique le 9 novembre suivant, soit quatre mois et demi après son élection ;
  • Léon XIII, élu le 20 février 1878, a publié sa première encyclique le 21 avril suivant, soit deux mois après son élection ;
  • Saint Pie X, élu le 4 août 1903, a publié sa première encyclique le 4 octobre suivant, soit deux mois, aussi, après son élection ;
  • Benoît XV, élu le 3 septembre 1914, publie sa première encyclique le 1er novembre suivant, soit deux mois, encore, après son élection ;
  • Pie XI, élu le 6 février 1922, publie sa première encyclique le 23 décembre suivant, soit neuf mois et demi après son élection ;
  • Pie XII, élu le 2 mars 1939, publie sa première encyclique le 20 octobre suivant, soit sept mois et demi après son élection ;
  • Jean XXIII, élu le 28 octobre 1958, publie sa première encyclique le 29 juin 1959, soit huit mois après son élection ;
  • Paul VI, élu le 21 juin 1963, publie sa première encyclique le 6 août 1964, soit treize mois et demi après son élection ;
  • Jean-Paul II élu le 16 octobre 1978, publie sa première encyclique le 4 mars 1979, soit près de cinq mois après son élection.
En publiant sa première encyclique neuf mois après son élection, Benoît XVI s’est donné un temps de réflexion et de méditation qui n’est pas particulièrement plus long que celui qu’avaient pris la plupart de ses prédécesseurs de l’époque contemporaine.
C’est l’impatience des temps présents qui a fait émettre, au fil des mois, des supputations erronées. Par exemple, le 14 décembre dernier, le grand quotidien économique et financier Les Echos, sous la signature de son supposé correspondant au Vatican, Pierre de Gasquet, annonçait que le pape avait signé sa première encyclique le 8 décembre. Le journaliste s’ébaudissait que Benoît XVI y commente le Faust de Goethe. En réalité, le texte cité par le journal économique était l’homélie prononcée le 8 décembre au cours d’une Chapelle papale tenue pour le 40e anniversaire du concile Vatican II.
Quelque temps plus tard, c’est La Croix qui s’étonnait que Benoît XVI n’ait pas encore publié sa première encyclique. Le journal catholique s’interrogeait, le 30 décembre, sur ce “ pape du silence ” : “ le silence de Benoît XVI remplit la place Saint-Pierre ”. Ce qui est plus qu’exagéré si on considère l’importance de discours comme celui du 22 décembre consacré à l’interprétation du concile Vatican II ou les interventions auprès du Chemin catéchuménal pour rectifier sa liturgie, interventions qui, au contraire, ont provoqué bien des clameurs.
Plutôt que de commenter un texte qui n’est pas encore connu intégralement, je me contenterai de reproduire une dépêche du Bureau de Presse du Saint-Siège. Elle rapporte l’annonce que Benoît XVI a faite de son encyclique au cours de l’Audience générale du 18 janvier dernier.


CITE DU VATICAN, 18 JAN 2006 (VIS). Au cours de l'Audience générale de ce matin, Benoît XVI a annoncé que le 25 janvier serait publiée sa première Encyclique, intitulée : Deus Caritas est, dont la présentation officielle aura lieu près la Salle-de-Presse du Saint-Siège.
Évoquant le contenu du document, le Pape a dit: "Aujourd'hui, l'amour apparaît souvent bien loin de ce qu'enseigne l'Eglise. Or, il s'agit d'un mouvement unique doté de diverses dimensions".
La charité, a ajouté le Saint-Père, "est l'amour qui renonce à lui-même pour autrui. L'Eros s'y transforme en Agapé, à la recherche du bien des autres. Il devient charité s'ouvrant à sa propre famille comme à la famille humaine toute entière".
Puis Benoît XVI a dit que son encyclique "tend à montrer que l'acte d'amour personnel doit s'exprimer dans l'Eglise avec un but fonctionnel. S'il est vrai que l'Eglise est expression de Dieu, l'amour doit y devenir un acte ecclésial".
"Providentiellement, ce document sera rendu public le jour de la clôture de la Semaine de prière pour l'unité. Le 25 janvier, je me rendrais à la basilique St.Paul-hors-les-murs pour prier avec nos frères protestants et orthodoxes".
Benoît XVI a conclu son intervention extra-catéchistique en espérant que cette nouvelle encyclique éclairera la vie des chrétiens.
La première condamnation de Benoît XVI
L’abbé Gotthold Hasenhüttl, théologien allemand, s’est vu retirer le droit d’enseigner au nom de l’Eglise catholique. Le décret a été signé le 2 janvier dernier par Mgr Reinhard Marx, évêque de Trèves, après que ce dernier a été reçu dans les semaines précédentes par Benoît XVI.
Les faits en cause remontent à 2003. En mai 2003, à Berlin, eut lieu un Kirchentag œcuménique, un grand rassemblement où se retrouvèrent, pendant cinq jours, 200.000 catholiques et protestants pour des réunions, des conférences et des prières. À l’appel du mouvement, contestataire, le “ Mouvement du peuple de l’Eglise ”, l’abbé Gotthold Hasenhüttl, professeur émérite de théologie à l’université de Sarrebruck, accepta de célébrer un “ office œcuménique avec eucharistie selon le rite catholique ”. Le 23 mai, il célébra un office religieux dans le temple protestant de Gethsémani à Berlin. Au cours de la célébration, il avait invité les participants, catholiques et protestants, “ à participer au repas du Seigneur ”. Cette pratique d’intercommunion était en infraction avec le Code de Droit canon qui maintient que “ les ministres catholiques administrent licitement les sacrements aux seuls fidèles catholiques ” (Can. 844, § 1).
L’archevêque de Berlin, le cardinal Sterzinsky, avait alors demandé à l’abbé Hasenhüttl de venir s’expliquer. Celui-ci, par une lettre en date du 10 juin, avait refusé, tout en multipliant les articles et les entretiens dans la presse pour justifier son initiative. En conséquence, le 1er juillet suivant, Mgr Marx, évêque de Trèves, lieu de résidence habituel de l’abbé Hasenhüttl, lui adressait une longue lettre où, après avoir exposé les infractions commises contre les normes du droit canon, il lui demandait de signer une “ Déclaration ” dans laquelle il aurait dit son regret pour son “ comportement ” et dans laquelle il aurait promis “ de ne plus enfreindre les canons cités ”.
Gotthold Hasenhüttl refusa de signer la Déclaration présentée par Mgr Marx : “ Votre ultimatum exigeant un repentir inconditionnel et une obéissance aveugle ne correspond en rien, lui écrivait-il, aux enjeux pour lesquels j’ai lutté et travaillé dans ma vie de prêtre et de théologien. ” Gotthold Hasenhüttl s’insurgeait aussi contre “ des mesures relevant de l’inquisition ”.
Devant ce refus de soumission, le 17 juillet 2003 Mgr Marx suspendait l’abbé Hasenhüttl de toutes ses “ fonctions ministérielles ”[1].
Le théologien allemand fit appel de la sanction canonique qui le frappait auprès du Saint-Siège. Un an plus tard, le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, confirmait la sanction.
Malgré cela, Gotthold Hasenhüttl a continué, dans différents écrits, à soutenir la légitimité canonique de son initiative et à la justifier théologiquement. En conséquence, le 2 janvier dernier, Mgr Marx a signé le décret lui retirant le droit d’enseigner au nom de l’Eglise catholique. “ Tous ses écrits […], dit le décret, ont clairement démontré qu’il n’y avait de sa part aucun pas de conciliation, qu’il considérait son attitude comme juste et qu’il ne voyait aucune raison d’accepter la discipline de l’Eglise. ” Le décret affirme aussi : “ Puisqu’il se met en dissidence par rapport à l’autorité de l’Eglise dans des affaires graves et ne se montre pas prêt à observer les règles de l’Eglise, celle-ci ne peut lui accorder le droit d’enseigner en son nom.[2] ”
La désinformation de "la Croix"
Cette double condamnation de la pratique de l’intercommunion (ou de la communion interconfessionnelle) n’étonnera que ceux qui s’imaginent que la doctrine de l’Eglise sur le sujet a changé ou peut changer. La Croix, dans son numéro du 20 janvier, consacre un dossier à “ L’œcuménisme au pays de Benoît XVI ”. La question de l’intercommunion est longuement évoquée. Or il n’est fait aucune mention des condamnations qui ont frappé Gotthold Hasenhüttl. N’est-ce pas là une désinformation manifeste ?
Au contraire, le journal catholique de référence fait semblant de croire que, sur cette pratique de l’intercommunion, Benoît XVI pourrait faire changer la position de l’Eglise : “ Des idées pour Benoît XVI, catholiques et protestants allemands en ont. Depuis plusieurs décennies, nombreux sont ceux qui souhaiteraient communier ensemble, tout particulièrement les couples biconfessionnels qui représentent près de la moitié des couples mariés. […] Le nouveau pape adressera-t-il un signal fort à ses compatriotes ? Les théologiens allemands s’accordent à lui reconnaître une très bonne expertise du dossier œcuménique. ”
À l’évidence, le Magistère pontifical ne se réduit pas à une “ expertise ” (au sens de “ compétence ”, si l’on comprend bien le journal La Croix). La doctrine et la pratique de l’Eglise restent que les protestants ne peuvent pas être admis à la communion catholique. La communion de Frère Roger Schutz, fondateur de la communauté œcuménique de Taizé, lors des obsèques de Jean-Paul II en avril dernier – communion que lui a donnée le cardinal Ratzinger – a surpris. Pourtant, elle n’a pas fait exception à la règle et à la doctrine de l’Eglise. Elle a une autre explication[3].
Le droit à la liberté religieuse
Dom Basile Valuet, moine à l’abbaye bénédictine Sainte-Madeleine du Barroux, a soutenu, en juin 1995, une thèse de doctorat en théologie consacrée à “ La liberté religieuse et la Tradition catholique ”. La thèse, publiée un mois plus tard, en 3 volumes, avait été beaucoup commentée dans les milieux traditionalistes, mais peu lue. La 2e version, revue et augmentée, publiée en 3 tomes (six volumes) en 1998, n’a guère été lue au-delà du cercle des théologiens et des spécialistes.
Il est heureux, et utile, de disposer désormais d’une édition abrégée où Dom Basile Valuet a recueilli la substance des démonstrations de sa thèse. Cette édition lui a permis aussi d’apporter des développements à certains points.
On ne prétendra pas résumer ici cet ouvrage de doctrine. L’auteur entend répondre à la question suivante : “ La doctrine de Dignitatis humanæ sur le droit à la liberté sociale et civile en matière religieuse est-elle un développement doctrinal homogène effectué par le magistère authentique dans la Tradition de l’Eglise ? ”. Dans sa conclusion générale, il termine ainsi ses analyses et démonstrations : “ L’Eglise ne fonde pas le droit à la liberté religieuse sur l’indifférentisme individuel, social ou étatique, mais sur la dignité de la personne humaine, et sur l’obligation, le droit et la liberté de chercher la vérité qui en découlent. Et elle ne fonde pas non plus ce droit sur la sincérité de la conscience du sujet. Celle-ci est fin et non fondement… ”.
Fr. Basile, o.s.b. Le droit à la liberté religieuse dans la Tradition de l’Eglise, Editions Sainte-Madeleine (84330 Le Barroux), 676 pages, 39 euros.


[1] On trouve les différentes pièces de ce dossier de 2003 sur le site officiel du diocèse de Trèves (www.diozese-trier.de) et dans un dossier de la revue Golias (n° 94, janvier-février 2004).
[2] Le décret de janvier 2006 est cité par Infocatho (semaine du 8 au 11 janvier).
[3] Cf. mon article, à paraître, dans le numéro de février de La Nef (B.P. 48, 78810 Feucherolles, 6 euros le numéro).