Abbé G. de Tanoüarn - Objections
- janvier 2006
Nous fêtions le mois dernier le
quarantième anniversaire de la clôture du concile Vatican II. Il m'est
impossible de laisser s'éloigner une pareille circonstance, sans réfléchir
sur l'autorité dont est revêtu ce Concile. En termes moins théologiques, je
dirais que la question qui m'obsède en ce moment est la suivante: que faire
avec les 1500 pages qui nous en restent?
Il est bien évidemment impossible
que l'Église condamne le Concile, ce serait se condamner elle-même et porter
un coup fatal à son autorité, déjà bien ébréchée dans la crise
postconciliaire.
Si l'on ne peut le rejeter entièrement,
il faut donc le « recevoir »…
C'est à le « recevoir » que
nous exhorte le pape Benoît XVI. Le Synode de 1985 pour les vingt ans de la clôture
du Concile s'était démarqué déjà du langage habituel. Alors que les papes,
jusque-là, exhortaient leurs ouailles à « appliquer » le Concile, à partir
1985, les textes officiels demandent simplement de le « recevoir». Benoît XVI
a même précisé, dans son livre sur Les principes de la théologie
catholique (1985), que cette “réception” du texte conciliaire
n'a pas encore commencé, et qu'il importe, par conséquent, de préparer les
conditions d'une “réception authentique” de ce texte.
Ce terme de « réception » est
devenu depuis quelques années un terme technique en théologie.
En France, c'est le Père Congar
qui l'a introduit dans notre réflexion, en publiant sur ce thème un article
retentissant, en 1972. Quelle différence doit-on faire entre « recevoir » et
« appliquer » le Concile ? Si l'on se réfère au Dictionnaire
critique de théologie, on trouve cette note fort intéressante, qui
permet de bien distinguer « réception » et « application » du Concile : «
La réception est une réalité spirituelle, que l'on ne peut réduire aux
actions des dirigeants de l'Église. Comme telle, elle ne peut être imposée ».
Autrement dit : appliquer le Concile signifie obéir et mettre en œuvre les décisions
qui y ont été prises. Cela a longtemps suffi au Siège de Pierre : Paul VI,
Jean Paul I et Jean Paul II ont exprimé leur programme de gouvernement en ces
termes. Mais, depuis 20 ans, depuis le Synode de 1985, les choses ne sont plus
aussi simples. Chacun est tenu de préparer les conditions d'une véritable réception
ecclésiale d'un texte dont l'abondance et la complexité sont désormais
reconnues et dont par ailleurs on se gêne de moins en moins, à droite et à
gauche, pour souligner combien, par bien des aspects, il apparaît comme marqué
par l'optimisme de son époque et insuffisant pour répondre aux défis de la nôtre.
Si le cardinal Ratzinger, dans ses
livres, nous oriente vers cette idée de réception (c'est-à-dire de relecture,
de réappropriation et d'interprétation), c'est que, selon lui, «la lettre
seule» du Concile ne permet pas de «trier le bon grain et l'ivraie ».
D'autres conciles apparaissent comme «irréformables par eux-mêmes»; leur
autorité ne dépend en aucun cas de leur réception.
Mais tel n'est pas Vatican II vu
par Benoît XVI. Reprenant intentionnellement la célèbre formule de Mgr
Lefebvre, le pape a été jusqu'à déclarer à Mgr Fellay, le 29 août dernier,
qu'il fallait « lire le Concile à la lumière de la Tradition». Non pas
pinailler, comme le fit, en son temps, le même Fellay, en déclarant que l'on
est d'accord avec Vatican II «à 95%». Ce marchandage quantitatif ne signifie
rien, qu'une volonté de négocier au rabais avec notre mère la Sainte Église
! Le défi que nous jette Benoît XVI est bien plus exaltant. Le Concile a
suscité pour la conscience chrétienne un certain nombre de questions; pour
avoir les réponses, c'est tout le Concile (non pas seulement 5%), qu'il s'agit
de re-poser, de re-prendre, à la lumière de la Tradition. Mgr Lefebvre, homme
d'Église, ne pensait pas autrement.