30 janvier 2006

[Abbé G. de Tanoüarn - Objections] Interpréter Vatican II

Abbé G. de Tanoüarn - Objections - janvier 2006

Nous fêtions le mois dernier le quarantième anniversaire de la clôture du concile Vatican II. Il m'est impossible de laisser s'éloigner une pareille circonstance, sans réfléchir sur l'autorité dont est revêtu ce Concile. En termes moins théologiques, je dirais que la question qui m'obsède en ce moment est la suivante: que faire avec les 1500 pages qui nous en restent?
 
Il est bien évidemment impossible que l'Église condamne le Concile, ce serait se condamner elle-même et porter un coup fatal à son autorité, déjà bien ébréchée dans la crise postconciliaire.
 
Si l'on ne peut le rejeter entièrement, il faut donc le « recevoir »…
 
C'est à le « recevoir » que nous exhorte le pape Benoît XVI. Le Synode de 1985 pour les vingt ans de la clôture du Concile s'était démarqué déjà du langage habituel. Alors que les papes, jusque-là, exhortaient leurs ouailles à « appliquer » le Concile, à partir 1985, les textes officiels demandent simplement de le « recevoir». Benoît XVI a même précisé, dans son livre sur Les principes de la théologie catholique (1985), que cette “réception” du texte conciliaire n'a pas encore commencé, et qu'il importe, par conséquent, de préparer les conditions d'une “réception authentique” de ce texte.
 
Ce terme de « réception » est devenu depuis quelques années un terme technique en théologie.
 
En France, c'est le Père Congar qui l'a introduit dans notre réflexion, en publiant sur ce thème un article retentissant, en 1972. Quelle différence doit-on faire entre « recevoir » et « appliquer » le Concile ? Si l'on se réfère au Dictionnaire critique de théologie, on trouve cette note fort intéressante, qui permet de bien distinguer « réception » et « application » du Concile : « La réception est une réalité spirituelle, que l'on ne peut réduire aux actions des dirigeants de l'Église. Comme telle, elle ne peut être imposée ». Autrement dit : appliquer le Concile signifie obéir et mettre en œuvre les décisions qui y ont été prises. Cela a longtemps suffi au Siège de Pierre : Paul VI, Jean Paul I et Jean Paul II ont exprimé leur programme de gouvernement en ces termes. Mais, depuis 20 ans, depuis le Synode de 1985, les choses ne sont plus aussi simples. Chacun est tenu de préparer les conditions d'une véritable réception ecclésiale d'un texte dont l'abondance et la complexité sont désormais reconnues et dont par ailleurs on se gêne de moins en moins, à droite et à gauche, pour souligner combien, par bien des aspects, il apparaît comme marqué par l'optimisme de son époque et insuffisant pour répondre aux défis de la nôtre.
 
Si le cardinal Ratzinger, dans ses livres, nous oriente vers cette idée de réception (c'est-à-dire de relecture, de réappropriation et d'interprétation), c'est que, selon lui, «la lettre seule» du Concile ne permet pas de «trier le bon grain et l'ivraie ». D'autres conciles apparaissent comme «irréformables par eux-mêmes»; leur autorité ne dépend en aucun cas de leur réception.
 
Mais tel n'est pas Vatican II vu par Benoît XVI. Reprenant intentionnellement la célèbre formule de Mgr Lefebvre, le pape a été jusqu'à déclarer à Mgr Fellay, le 29 août dernier, qu'il fallait « lire le Concile à la lumière de la Tradition». Non pas pinailler, comme le fit, en son temps, le même Fellay, en déclarant que l'on est d'accord avec Vatican II «à 95%». Ce marchandage quantitatif ne signifie rien, qu'une volonté de négocier au rabais avec notre mère la Sainte Église ! Le défi que nous jette Benoît XVI est bien plus exaltant. Le Concile a suscité pour la conscience chrétienne un certain nombre de questions; pour avoir les réponses, c'est tout le Concile (non pas seulement 5%), qu'il s'agit de re-poser, de re-prendre, à la lumière de la Tradition. Mgr Lefebvre, homme d'Église, ne pensait pas autrement.