17 juin 2018

[Côme de Prévigny - Renaissance Catholique] Les élections dans les communautés traditionnelles

SOURCE - Côme de Prévigny - Renaissance Catholique - mai-juillet 2018

Le monde traditionnel s’apprête à vivre une année de changements. Deux communautés de prêtres, non des moindres, vont réunir cet été leurs instances en chapitre général pour élire leurs supérieurs respectifs et pour donner des directives qui auront des impacts sur les années futures.
   
La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, fondée en 1970 et qui atteindra bientôt son cinquantenaire, vivra le quatrième chapitre électif de son histoire.

La Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, dont les fondateurs sont issus de l’œuvre créée par Mgr Lefebvre, était née dans la difficulté, traversant une grave crise en 2000. Elle devrait, à l’occasion de cette session, se garantir les cadres pour pérenniser son expansion au profit des âmes.

La Fraternité Saint-Pie X n’a connu que peu de changements malgré sa longévité. L’abbé Franz Schmidberger avait été désigné en 1982 par l’ancien archevêque de Dakar et Mgr Bernard Fellay, choisi pour devenir évêque par le premier, est supérieur général depuis vingt-quatre ans. La désignation d’un tel responsable religieux revêt une importance immense dans la mesure où il se trouve à la tête de plus de six cents prêtres, sans compter les séminaristes, les frères et les oblates, qu’il conduit d’une certaine façon tout un mouvement constitué de communautés amies qui lui ont accordé leur confiance et qu’il se trouve depuis plus de quarante ans le garant des relations complexes avec le Saint-Siège, lesquelles rejaillissent sur le traditionalisme en général et, dans une certaine mesure, sur le catholicisme universel.
Quel chemin suivre ?
L’œuvre suivra-t-elle le chemin indiqué par ses très fidèles soutiens ? Au cours des deux années passées, les dominicaines enseignantes de Brignoles et de Fanjeaux ont reconduit dans leurs fonctions leurs supérieures générales respectives. À l’inverse, les sœurs de la Fraternité Saint-Pie X viennent de remettre les deux cents religieuses sous l’autorité d’un gouvernement rajeuni. En soi, les quarante et un capitulants qui se réuniront au séminaire d’Écône peuvent choisir parmi tous les prêtres membres. Ils ont la possibilité assez traditionnelle de désigner un confrère jeune. En effet, l’abbé Schmidberger et Mgr Fellay avaient tous deux trente-six ans au moment de leurs élections en 1982 et 1994. À l’inverse, le fondateur parvenait à conduire avec efficacité les relations romaines à plus de quatre-vingts ans. C’est dire si le choix reste assez ouvert.

La Fraternité Saint-Pierre est presque deux fois plus jeune, mais le renouvellement de son supérieur général et des trois assistants (la Fraternité Saint-Pie X n’en n’a que deux) se fait tous les six ans, contre douze au sein de l’œuvre d’Écône. De ce fait, elle n’a compté comme elle que trois supérieurs généraux, l’un ayant été réélu dans les deux cas. Les abbés Josef Bisig et Arnaud Devillers, premiers supérieurs de la Fraternité Saint-Pierre étaient d’anciens membres allemand et français de la Fraternité Saint-Pie X et, en 2006, ils furent remplacés par l’abbé John Berg, américain d’origine, âgé de trente-six ans, dont l’élection mit définitivement fin à la crise qui avait séparé les premières années tenants du biritualisme et partisans de l’exclusivité du missel traditionnel. Pour des raisons constitutionnelles et malgré une grande expansion au cours de son supériorat, le supérieur sortant ne pourra cependant pas être chargé d’un troisième mandat, à moins de modifier les statuts, plaçant l’œuvre de près de trois cents prêtres dans une relative ouverture quant à la désignation de son supérieur. La règle de longévité ne s’applique pas à la Fraternité Saint-Pie X. En soi, Mgr Fellay peut être réélu pour douze ans, l’amenant à trente-six ans de supériorat. Les autres communautés de prêtres constituant le monde traditionnel choisiront leurs supérieurs plus tard, en fonction de leurs calendriers propres. Ce sera l’an prochain pour l’Institut du Bon Pasteur ou la Fraternité de la Transfiguration de Mérigny, dans deux ans pour l’Institut du Christ-Roi.
Les supérieurs sont élus
Comme c’est d’usage dans l’Église, les supérieurs de ces communautés sont élus par leurs subalternes. Cependant tous ne participent pas au chapitre général. Seuls les supérieurs des principales charges sont membres de cette petite assemblée. Sont ajoutés en général des membres élus en interne. C’est le cas à la Fraternité Saint-Pierre. Mais ce n’est pas le cas à la Fraternité Saint-Pie X. En effet, en rédigeant les statuts, Mgr Lefebvre avait trouvé très déplaisant qu’une forme d’esprit démocratique puisse s’installer dans les œuvres, craignant le poids des réseaux de communication, et surtout redoutant l’émergence de groupes de pression comme il avait pu le constater chez les deux mille Pères du Saint-Esprit dont il fut le supérieur général de 1962 à 1968. C’est pour cette raison qu’un quart du collège électoral au sein de la Fraternité Saint-Pie X est constitué non de grands électeurs nommés mais des membres les plus anciens qui se sont engagés dans l’œuvre. Néanmoins, à la Fraternité Saint-Pierre, les fondateurs sont membres de droit du chapitre, comme c’est d’ailleurs le cas à l’Institut du Bon Pasteur, cette disposition garantissant une certaine pérennité à une portion des membres de l’assemblée désignant le supérieur.

Ces dispositions assurant une certaine constance dans ces communautés d’origine française ou suisse a pour incidence de laisser une large part aux Français. Les dix anciens du chapitre général de la Fraternité Saint-Pie X en sont, à une exception près. Il en est de même pour les membres fondateurs de l’Institut du Bon Pasteur qui siègeront l’an prochain. Pour le collège qui se réunira à Écône cet été, ils seront français pour près de la moitié (dix-huit sur quarante et un), même si pour beaucoup, ils exercent leur ministère à l’étranger et non dans l’hexagone. Viennent ensuite sept Suisses, puis quatre Américains, trois Allemands, trois Argentins, etc. Signe que le traditionalisme se développe de plus en plus de l’autre côté de l’Atlantique, le chapitre général de la Fraternité Saint-Pierre – laquelle est dirigée jusqu’à cette année par un citoyen américain – se tiendra, quant à lui, au séminaire des États-Unis à Denton. Désormais un tiers des capitulants sont américains, un autre tiers étant composé de Français.
Les enjeux de ces élections
Restent les enjeux des deux élections de cet été. Le défi de la Fraternité Saint-Pierre sera de maintenir la dynamique qui a permis à l’œuvre d’ouvrir un grand nombre d’apostolats ces dernières années. Dans le même temps, les nouveaux responsables devront s’assurer de la cohésion du corps sacerdotal. Le nombre croissant des membres favorise inexorablement la création de courants internes. C’est précisément le problème qui se pose à la Fraternité Saint-Pie X et qui a pu créer un certain flottement depuis la fin des colloques doctrinaux entre Rome et Écône, en particulier en France. Mais contrairement à l’effet loupe que procure la toile, il ne risque pas d’y avoir de « grand soir » au sein de l’œuvre, qui pourrait par exemple inaugurer une période de durcissement. Les capitulants sont les supérieurs, les responsables intermédiaires et les membres les plus anciens qui ont traversé avec fair play les scissions depuis cinquante ans, bref, il ne s’agit pas vraiment de contestataires. Et au sein du chapitre général, il n’y aucun représentant de ce qu’il est convenu d’appeler la résistance (proches de Mgr Williamson ou d’Avrillé). Qu’il y ait renouvellement ou pas à la tête de la Fraternité Saint-Pie X, une certaine pérennité de la ligne prévaudra.

Néanmoins le contexte a profondément changé pour la Fraternité Saint-Pie X depuis le précédent chapitre général électif, en 2006. Entre-temps sont intervenus le Motu Proprio Summorum Pontificum en 2007, la levée des excommunications en 2009, les actes romains validant les confessions, les ordres et les mariages conférés dans la Fraternité, modifiant les analyses canoniques et ecclésiologiques de la situation. De même, il est fort probable que la configuration ne sera plus la même dans douze ans. Les générations des prêtres les plus âgés commenceront à aspirer à un repos mérité, restreignant les possibilités d’expansion, tandis que se posera le problème du renouvellement des évêques, alors que les conditions réunies pour l’acte de 1988 ne seront plus forcément les mêmes qu’il y a trente ans. Néanmoins, l’action du Saint-Esprit d’un côté, la vertu d’Espérance de l’autre, nous engagent à demeurer confiants et sereins face à toutes ces échéances et à nous rappeler que Dieu reste maître de la destinée de la barque qu’est l’Église. Au surplus, on peut légitimement penser que Notre Seigneur ne dédaignera pas soudainement le rôle d’aiguillon qu’il a confié au mouvement traditionnel au sein du catholicisme.