SOURCE - FSSPX Actualités - 26 juin 2018
["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
- L’annonce des sacres
- Après l’annonce des sacres, les propositions romaines
- Le protocole de mai 1988
- Un vrai renouveau de l’Eglise ou une réintégration dans l’Eglise conciliaire?
- Une journée historique, le 30 juin 1988
L’annonce des sacres
Lorsque Mgr Marcel Lefebvre fonde la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X en 1969, l’âge de la retraite a déjà sonné pour l’ancien missionnaire devenu archevêque de Dakar puis évêque de Tulle, et qui avait gouverné durant six années la Congrégation des Pères du Saint-Esprit. Né le 20 novembre 1905, l’archevêque qui avait parcouru le monde tombait malade régulièrement, rattrapé par les infirmités de la vieillesse et la fatigue d’une vie toute donnée à l’Eglise. Immanquablement devait se poser la question de l’avenir de son œuvre.
Après la suspense a divinis qui le frappe en 1976, « l’évêque de fer » est bien seul. Il ne se trouve qu’un évêque du Brésil, au diocèse de Campos, Mgr Antonio de Castro Mayer, pour prendre publiquement position à ses côtés. En 1983, ils publient ensemble un Manifeste épiscopal pour dénoncer les dérives toujours plus graves que les erreurs ecclésiologiques du concile Vatican II ne finissent pas de provoquer dans l’Eglise, notamment à l’occasion de la promulgation du nouveau Code de droit canonique, le 25 janvier 1983.
Pourtant, Mgr Lefebvre garde espoir. Le 4 juillet 1984, en conclusion de sa Lettre ouverte aux catholiques perplexes, il rédige ces lignes : « On écrit aussi qu’après moi mon œuvre disparaîtra, parce qu’il n’y aura pas d’évêques pour me remplacer. Je suis certain du contraire, je n’ai aucune inquiétude. Je peux mourir demain, le Bon Dieu a toutes les solutions. Il se trouvera de par le monde, je le sais, suffisamment d’évêques pour ordonner nos séminaristes. Même s’il se tait aujourd’hui, l’un ou l’autre de ces évêques recevrait du Saint-Esprit le courage de se dresser à son tour. Si mon œuvre est de Dieu, il saura la garder et la faire servir au bien de l’Eglise. Notre-Seigneur l’a promis : les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle (cf. Mt 16, 18).
« C’est pourquoi je m’entête, et si vous voulez connaître la raison profonde de cet entêtement, la voici. Je veux qu’à l’heure de ma mort, lorsque Notre-Seigneur me demandera : “Qu’as-tu fait de ton épiscopat, qu’as-tu fait de ta grâce épiscopale et sacerdotale ?” je n’entende pas de sa bouche ces mots terribles : “Tu as contribué à détruire l’Eglise avec les autres” ».
Pourtant, quatre ans plus tard, il sacre quatre évêques pour lui succéder et assurer la solidité et la pérennité de son œuvre de restauration du sacerdoce et de préservation de la Tradition. Que s’est-il passé ?
L’état de grave nécessité
En fait, il faut se rendre à l’évidence : la crise de l’Eglise est beaucoup plus grave qu’il n’y paraît. Le Synode de 1985 confirme la volonté des autorités de faire de Vatican II, vingt ans après sa clôture, « une réalité toujours plus vivante ». Le cri d’alarme qu’adressent Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer à Jean-Paul II le 31 août ne produit aucun effet. Dans leur lettre commune, les deux prélats dénoncent les fruits empoisonnés de la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse : « l’indifférentisme religieux des Etats, même catholiques » ; « l’œcuménisme condamné par le Magistère de l’Eglise, et en particulier par l’encyclique Mortalium animos de Pie XI » ; « toutes les réformes accomplies depuis 20 ans dans l’Eglise pour complaire aux hérétiques, aux schismatiques, aux fausses religions et aux ennemis déclarés de l’Eglise tels que les Juifs, les communistes et les Francs-maçons ».
Forts des documents les plus solennels du Magistère de l’Eglise, tels que le Symbole de saint Athanase, les conciles de Latran, de Trente et de Vatican I, du Syllabus, etc., l’archevêque français et l’évêque brésilien osent écrire au successeur de Pierre : « Très Saint Père, votre responsabilité est gravement engagée dans cette nouvelle et fausse conception de l’Eglise qui entraîne le clergé et les fidèles dans l’hérésie et le schisme. Si le Synode, sous votre autorité, persévère dans cette orientation, vous ne serez plus le Bon Pasteur ». Pour leur part, les auteurs de la lettre affirment qu’ils ne pourront « que persévérer dans la sainte Tradition de l’Eglise et prendre toutes les décisions nécessaires pour que l’Eglise garde un clergé fidèle à la foi catholique… »
Un signe de la Providence : le scandale d’Assise
L’année suivante est celle de la première réunion interreligieuse à Assise, que Jean-Paul II a pris l’initiative de convoquer pour le 27 octobre 1986 à l’occasion de l’année mondiale de la paix décrétée par l’O.N.U. Mgr Lefebvre la dénonce comme une imposture.
Deux mois avant sa tenue, il écrit à huit cardinaux pour lancer un appel désespéré. Il leur fait part de son indignation puisque « c’est le premier article du Credo et le premier commandement du Décalogue qui sont bafoués publiquement par celui qui est assis sur le Siège de Pierre ». En effet, « si la foi dans l’Eglise, unique arche du salut, disparaît, c’est l’Eglise elle-même qui disparaît ». Mgr Lefebvre s’élève avec force contre ces péchés publics qui ruinent la foi catholique en mettant les faux cultes et les fausses religions sur un pied d’égalité avec l’unique Eglise fondée par Jésus-Christ, et ce dans la ville d’Assise, sanctifiée par saint François.
Ce scandale s’ajoute aux nombreuses initiatives que le pape Jean-Paul II avait prises, notamment en se rendant dans la synagogue de Rome le 13 avril. Depuis Buenos Aires, Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer se retrouvent ensemble et publient une déclaration, le 2 décembre 1986, dans laquelle ils fustigent « cette religion moderniste et libérale de la Rome moderne et conciliaire » qui rompt avec le Magistère antérieur de l’Eglise catholique.
Un autre signe de la Providence : la fausse liberté religieuse justifiée
Le 9 mars 1987, le cardinal Joseph Ratzinger, alors Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, accuse réception de l’étude sur la liberté religieuse que Mgr Lefebvre lui avait fait parvenir en octobre 1985. S’en suit un échange de correspondance qui confirme la rupture entre le magistère nouveau et celui de toujours.
Le 29 juin 1987, lors des ordinations sacerdotales à Ecône, l’archevêque annonce qu’il « est vraisemblable que je me donnerai des successeurs pour pouvoir continuer cette œuvre, parce que Rome est dans les ténèbres. Rome ne peut plus actuellement écouter la voix de la vérité ». Sans doute voit-il la nécessité de ne pas laisser ses séminaristes orphelins alors que l’œuvre a atteint une taille mondiale. Mais surtout il constate l’absence totale de réaction des évêques du monde catholique qui sont tous gagnés par le modernisme, l’esprit d’Assise et les fausses doctrines. Il explique que l’année qui vient de s’écouler a été une année très grave pour l’Eglise catholique, et qu’il y discerne les signes de la Providence qu’il attendait « pour accomplir les actes qui me paraissent nécessaires pour la continuation de l’Eglise catholique ».
Il est en effet convaincu que deux signes manifestent clairement la volonté de Dieu : Assise et la réponse aux objections à propos de la liberté religieuse. Pour Mgr Lefebvre, « cette réponse de Rome aux objections que nous faisions sur les erreurs de Vatican II au sujet de la liberté religieuse, est plus grave qu’Assise ! Assise est un fait historique, une action. La réponse à nos objections sur la liberté religieuse est une prise de position, une affirmation de principes, et c’est donc plus grave. Une chose est de faire simplement une action grave et scandaleuse, autre chose est d’affirmer des principes faux, erronés, qui ont dans la pratique des conclusions désastreuses ».
Le 8 juillet 1987, le prélat adresse au cardinal Ratzinger une étude réfutant la réponse que les autorités lui ont faite. Mgr Lefebvre fait part de son désarroi devant cette obstination à justifier la déclaration Dignitatis humanae, pourtant en flagrante opposition avec les documents du magistère le plus solennel – le Syllabus, Quanta cura, Libertas præstantissimum. Il insiste sur la responsabilité « devant Dieu et devant l’histoire de l’Eglise » de la rupture opérée par le nouveau magistère. Il conclut sa lettre en confirmant ce qu’il a annoncé le 29 juin à Ecône : « Une volonté pertinace d’anéantissement de la Tradition est une volonté suicidaire, qui autorise par le fait même les vrais et fidèles catholiques à prendre toutes les initiatives nécessaires à la survie de l’Eglise et au salut des âmes ».
Ainsi, en quelques années, Mgr Lefebvre a été conduit à revoir sa position initiale. Devant l’absence de réaction face aux scandales et à l’apostasie grandissante, la perspective de voir anéantir à sa mort l’œuvre de formation et de restauration du sacerdoce catholique qu’il a entreprise paraît chaque jour plus probable. Les signes de la Providence ont été nombreux pour l’aider à prendre une sage décision. Parmi ceux-ci, les principaux sont le scandale d’Assise en 1986, et la confirmation de la nouvelle doctrine de la liberté religieuse en 1987.
Agé de bientôt 82 ans, Mgr Lefebvre a donc annoncé au monde qu’il se doterait de successeurs pour ne pas laisser ses séminaristes orphelins et afin d’assurer la pérennité du sacerdoce catholique. De son côté, Mgr de Castro Mayer a déjà plus de 83 ans – il est né le 20 juin 1904 – et ne manquera pas de s’associer à l’acte si important que s’apprête à poser l’archevêque. Mais un rebondissement se produit lorsque le Saint-Siège se décide à réagir.
["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]