SOURCE - FSSPX Actualités - 27 juin 2018
["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
- L’annonce des sacres
- Après l’annonce des sacres, les propositions romaines
- Le protocole de mai 1988
- Un vrai renouveau de l’Eglise ou une réintégration dans l’Eglise conciliaire?
- Une journée historique, le 30 juin 1988
L’aube d’une solution
Le 28 juillet 1987, le cardinal Ratzinger remercie Mgr Lefebvre de sa lettre du 8 juillet. Il lui écrit : « Votre grand désir de sauvegarder la Tradition en lui procurant “les moyens de vivre et de se développer” témoigne de votre attachement à la foi de toujours, mais il ne peut se réaliser que dans la communion au Vicaire du Christ à qui sont confiés le dépôt de cette foi et le gouvernement de l’Eglise. Le Saint-Père comprend votre souci et le partage. C’est pourquoi, en son nom, je vous transmets une nouvelle proposition, désirant vous donner ainsi une ultime possibilité d’un accord sur les problèmes qui vous tiennent à cœur : la situation canonique de la Fraternité Saint-Pie X et l’avenir de vos séminaires ».
Cette proposition prévoit de doter la Fraternité d’une structure juridique adéquate qui permettra au Saint-Siège d’accorder des auxiliaires. Un cardinal visiteur sera nommé sans délai pour trouver une forme juridique satisfaisante. La seule condition est que les supérieurs et membres de la Fraternité témoignent de leur révérence et obéissance au successeur de Pierre selon les normes de la constitution dogmatique du concile Vatican II sur l’Eglise, Lumen gentium, au n°25. Rome se déclare prêt « à concéder à la Fraternité sa juste autonomie et à lui garantir la continuité de la liturgie selon les livres liturgiques en vigueur dans l’Eglise en 1962, le droit de former des séminaristes dans ses séminaires propres, selon le charisme particulier de la Fraternité et l’ordination sacerdotale des candidats ».
Ce n’est pas rien. Bien sûr, la proposition a aussi pour but d’empêcher Mgr Lefebvre de se donner un ou plusieurs auxiliaires sans l’accord du pape et de se rendre ainsi coupable d’une « rupture définitive », continue la lettre. Le cardinal Ratzinger prévient son correspondant des dommages incalculables qu’il causerait à l’unité de l’Eglise par sa grave désobéissance, et qui aurait pour conséquence inéluctable la ruine de son œuvre…
Fidèle à sa conduite qui n’entend jamais précéder la Providence, de concert avec le Conseil que dirige le Supérieur général, l’abbé Franz Schmidberger, Mgr Lefebvre décide de saisir la main tendue, sans illusion mais pas sans espérance.
Un petit espoir
Le 1er octobre 1987, le fondateur de la Fraternité Saint-Pie X remercie le cardinal. Il relève plusieurs indices qui permettent d’espérer « l’aube d’une solution ». Mgr Lefebvre est particulièrement sensible au fait que Rome n’exige aucune déclaration préalable : « l’absence d’une déclaration nous fait penser que nous sommes enfin reconnus comme parfaitement catholiques ». Il se réjouit de la visite d’un cardinal pour constater de visules œuvres et la vitalité de la Tradition. Il salue le fait que soit garantie la continuité de la liturgie de 1962 et reconnu « le droit de poursuivre la formation des séminaristes comme nous le faisons actuellement ». Il suggère vivement que le cardinal visiteur soit le cardinal Edouard Gagnon. Le Saint-Siège répond favorablement à ce souhait et le cardinal Gagnon, Préfet de la Commission pour la famille, est nommé Visiteur apostolique. À l’automne, entre le 11 novembre et le 9 décembre, il se rend dans plusieurs séminaires, visite les prieurés et les maisons principales, les écoles, rencontre prêtres, familles et séminaristes, moines et religieuses. Partout il peut apprécier l’atmosphère profondément catholique qui y règne.
Le 3 octobre, lors d’un sermon prononcé à Ecône à l’occasion du quarantième anniversaire de son épiscopat, Mgr Lefebvre fait part de la perspective nouvelle qui semble devoir s’ouvrir. Sans tomber dans « un optimisme exagéré », « il y a un petit espoir (…) si Rome veut bien nous donner une véritable autonomie, celle que nous avons maintenant, mais avec la soumission au Saint-Père. Nous le voudrions, nous avons toujours souhaité être soumis au Saint-Père. Il n’est pas question de mépriser l’autorité du Saint-Père, au contraire, mais on nous a comme jetés dehors parce que nous étions traditionalistes. Eh bien, si, comme je l’ai souvent demandé, Rome accepte de nous laisser faire l’expérience de la Tradition, il n’y aura plus de problème, nous serons libres de continuer le travail que nous accomplissons – comme nous le faisons maintenant – sous l’autorité du souverain pontife ». Tel est son grand désir, pour lequel il invite prêtres et fidèles à prier : « que le Bon Dieu fasse que nous puissions contribuer d’une manière officielle, libre et publique, à la construction de l’Eglise, au salut des âmes… »
Dans cet esprit, Mgr Lefebvre adresse au cardinal Gagnon un important courrier dans lequel il lui fait des propositions de règlement canonique.
Oui à la reconnaissance canonique de la Fraternité, mais sans compromis avec les réformes conciliaires
Dans sa lettre accompagnatrice, datée du 21 novembre 1987, l’archevêque insiste pour que la grande famille de la Tradition puisse se développer dans une ambiance vraiment catholique, en restant « attachée à l’Eglise romaine, attachée à Pierre et à ses successeurs, mais absolument et radicalement allergique à l’esprit conciliaire de la liberté religieuse, de l’œcuménisme, de la collégialité, à l’esprit d’Assise, fruits du modernisme, du libéralisme tant de fois condamnés par le Saint-Siège ».
Dans ce contexte, Mgr Lefebvre déclare : « Nous acceptons volontiers d’être reconnus par le pape tels que nous sommes et d’avoir un siège dans la Ville éternelle, d’apporter notre collaboration au renouveau de l’Eglise ; nous n’avons jamais voulu rompre avec le Successeur de Pierre, ni considérer que le Saint-Siège est vacant, malgré les épreuves que cela nous a values. Nous vous soumettons un projet de réintégration et de normalisation de nos rapports avec Rome ».
La proposition de Règlement évoque le texte conciliaire Presbyterorum ordinis (n°10) puis exprime une condition sine qua non : « Si le Saint-Siège désire sincèrement que nous devenions officiellement des collaborateurs efficaces pour le renouveau de l’Eglise, sous son autorité, il est de toute nécessité que nous soyons reçus comme nous sommes, qu’on ne nous demande pas de modifier notre enseignement, ni nos moyens de sanctification, qui sont ceux de l’Eglise de toujours ». Aussi Mgr Lefebvre demande-t-il que soit érigé un Secrétariat romain afin de favoriser les initiatives qui maintiennent la Tradition. Ses pouvoirs auraient pour but de normaliser les œuvres de la Tradition en octroyant l’épiscopat à plusieurs de ses membres tout en favorisant une harmonieuse collaboration avec les évêques diocésains.
Quant au statut canonique de la Fraternité et des différentes sociétés religieuses associées, le fondateur d’Ecône propose de les regrouper sous un Ordinariat, à l’image de ce qui se fait pour les militaires. Il réclame la levée des sanctions, la reconnaissance des Statuts de la Fraternité et de pourvoir à sa succession épiscopale. Non seulement Mgr Lefebvre cite un document du Concile, mais il invoque également les normes de la Constitution apostolique Spirituali militum curæ de Jean-Paul II (21 avril 1986) pour trouver un cadre juridique qu’il juge correspondre au développement des différentes congrégations et sociétés qui fleurissent dans la Tradition. Enfin, il demande à ce que la juridiction des prêtres de la Fraternité sur les fidèles soit reçue de Rome par le Supérieur général, et qu’il en soit de même des autres supérieurs de sociétés traditionnelles. En conclusion, Mgr Lefebvre souhaite que les consécrations épiscopales aient lieu avant le dimanche du Bon Pasteur, soit le 17 avril 1988.
Le cardinal Gagnon achève sa visite apostolique au séminaire d’Ecône le 8 décembre, où il assiste officiellement à la messe pontificale que célèbre Mgr Lefebvre, pourtant toujours suspens. Il laisse dans le livre d’or du séminaire une appréciation louangeuse sur le travail qui s’y accomplit et qui devrait, selon lui, être étendu à toute l’Eglise. Quelques mois plus tard, le 15 février 1988, le cardinal écrit à Mgr Lefebvre que le pape Jean-Paul II a lu attentivement son long rapport et les propositions qui lui ont été remises. Il lui annonce que des canonistes sont en train de travailler à la structure canonique et qu’un projet juridique et doctrinal lui sera présenté « d’ici la fin d’avril ». Il invite donc son correspondant à la patience et, également, à la discrétion pour ne pas susciter les oppositions de ceux « qui ne désirent pas une réconciliation ».
Les attentes de Mgr Lefebvre
Le 20 février, Mgr Lefebvre lui répond en lui faisant part de sa crainte « que la procédure employée pour une solution se prolonge indéfiniment et ne me mette ainsi dans l’obligation morale de procéder à des consécrations épiscopales sans l’autorisation du Saint-Siège, ce qui devrait pouvoir être évité ». Il suggère que le Souverain Pontife prenne « une décision même provisoire qui n’engage pas l’avenir et qui permettrait de faire l’expérience de l’exercice de la Tradition officiellement agréé par l’Eglise. Les problèmes doctrinaux pourraient faire l’objet d’échanges postérieurs à la solution canonique, sinon nous nous retrouverons au point de départ ». Enfin, il espère pouvoir prendre connaissance du rapport du cardinal Gagnon, et qu’il n’en sera pas frustré comme lors de la visite du séminaire d’Ecône par trois cardinaux en 1974.
A sa lettre au cardinal Gagnon, l’archevêque joint un courrier adressé au Saint Père. Il y exprime la profonde satisfaction que la visite cardinalice a causée. Il propose à Jean-Paul II une solution provisoire pour ne pas décevoir l’espoir qui est né. Pour cela, « il apparaît exclu de reprendre les problèmes doctrinaux immédiatement ; c’est revenir au point de départ et reprendre les difficultés qui durent depuis 15 ans. L’idée d’une commission intervenant après le règlement juridique est la plus convenable si l’on veut trouver réellement une solution pratique ».
Concrètement, il demande que la Fraternité Saint-Pie X soit reconnue « de droit pontifical » et que soit établie à Rome une commission présidée par un cardinal protecteur. Cet organisme réglerait « tous les problèmes canoniques de la Tradition et entretiendrait les relations avec le Saint Siège, les dicastères et les évêques ». Mgr Lefebvre demande un accord de principe pour présenter au cardinal Gagnon les noms des futurs évêques dont la consécration « apparaît indispensable et urgente ». Il insiste : « étant donné mon âge et ma fatigue. Voilà deux ans que je n’ai pas fait les ordinations au séminaire des Etats-Unis (…), je n’ai plus la santé pour traverser les océans. C’est pourquoi je supplie votre Sainteté de résoudre ce point avant le 30 juin de cette année ». Il précise que les évêques, « toujours choisis parmi les prêtres de la Tradition », auraient une juridiction sur les personnes au lieu d’une juridiction territoriale. Enfin, il demande l’exemption vis-à-vis de la juridiction des Ordinaires des lieux, tout en cherchant à ce que de bonnes relations puissent s’instaurer. Pour cela, les supérieurs d’œuvres traditionnelles feront des rapports sur leurs activités auprès de l’Ordinaire, sans être « tenus à demander une autorisation » pour fonder un nouveau centre. En conclusion, Mgr Lefebvre résume sa position de toujours : « Nous serions très heureux de renouer des relations normales avec le Saint-Siège, mais sans changer, en quoi que ce soit, ce que nous sommes ; car c’est ainsi que nous sommes assurés de demeurer enfants de Dieu et de l’Eglise romaine».
Du Canada, le 11 mars, le cardinal Gagnon informe Mgr Lefebvre qu’un projet devrait lui être présenté à la mi-avril. Le cardinal Ratzinger, le 18 mars, propose une rencontre entre des experts (un théologien et un canoniste) avant de prendre des décisions définitives.
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