5 juin 2018

[Paix Liturgique] L'extraordinaire fécondité de la forme extraordinaire

SOURCE - Paix Liturgique - lettre n°647 - 5 juin 2018

Bon an mal an, car il n’est pas toujours aisé d’accéder aux chiffres précis, Paix Liturgique publie les statistiques des ordinations sacerdotales en France. Ce travail nous a permis d’illustrer qu’au cours des dix dernières années un nouveau prêtre français sur six, au moins, avait choisi d’être ordonné dans et pour la forme extraordinaire. Une tendance à la hausse puisque si la proportion était de un sur sept au cours des années 2000 elle est aujourd’hui plutôt de un sur cinq. 

Repris et commenté par de nombreux observateurs de la vie ecclésiastique à travers le monde, ce travail documente en même temps, hélas !, la grande crise des vocations dans notre pays. Aux États-Unis, un prêtre diocésain a choisi un autre critère pour mesurer cette crise : celui du nombre de catholiques par prêtre. Et, à travers ce prisme-là aussi, la liturgie traditionnelle apparaît comme un extraordinaire vivier de vocations par rapport à l’aridité de la forme ordinaire. Voici quelques extraits d’un article que ce prêtre vient de publier, suivie de nos habituelles réflexions. 
I – UNE AUTRE APPROCHE À LA PÉNURIE DE PRÊTRES
Article de l’abbé Kloster, prêtre du diocèse de Bridgeport (Connecticut), publié le 28 mai 2018 sur l’excellent blog Liturgy Guy.
Mgr Conley, Mgr Bruskewitz
et Mgr Flavin : gardiens de la Foi
et promoteurs des vocations
dans le diocèse de Lincoln.
Il semble que la question ne cesse de se poser mais que nos évêques n’y apportent que peu, voire pas, de réponse. Chaque année depuis 1965, le nombre de catholiques par prêtre ne cesse d’empirer. [...] Les séminaires d’antan sont presque tous fermés, regroupés ou opérant à une capacité minimale.

En 1950, ici aux États-Unis, il y avait un prêtre pour 652 catholiques. [...] En 2016, les chiffres les plus récents disponibles, il y avait un prêtre pour 1 843 catholiques. Soit environ trois fois moins de prêtres pour s’occuper du troupeau qu’il y a 66 ans. [...] 

Il y a un diocèse qui devrait servir de modèle. Le diocèse de Lincoln (voir notre réflexion n°4) est le seul diocèse qui a toujours figuré parmi les 20 premiers diocèses du pays en matière de vocations depuis le virage à la baisse de 1965. Son ratio en 2016 est de un prêtre pour 598 catholiques. Un ratio tout simplement meilleur que celui de 1950. Un autre fait remarquable est que le nombre des religieux masculins y a presque triplé depuis 1950, passant de 35 à 96, un phénomène sans doute unique aux États-Unis. [...] 

En 2017, la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre a mené une enquête interne dans tous ses lieux de culte du monde sur le nombre de fidèles par prêtre. En tant qu’ordre religieux, elle représenterait un diocèse américain de taille supérieure à la moyenne puisqu’elle compte environ 287 prêtres. L’enquête indique un ratio exact d’un prêtre pour 250 fidèles, soit 2,5 fois mieux que le ratio américain d’un pour 652 en 1950. 

Nombreux sont ceux qui réclamaient de l’air frais dans l’Église pendant et après le Concile Vatican II. Plus tard, même le pape Paul VI dû admettre que les fumées de Satan étaient entrées dans l’Église. Tous les principaux indicateurs spirituels et les nombres des sacrements sont en baisse depuis la fin du Concile et il n’y a pas vraiment de tendance à la reprise dans les paroisses Novus Ordo. Alors, où est le «renouveau»? 

Je suggère que nous arrêtions de regarder en direction du Novus Ordo, la « porte d’entrée » qui attire notre attention. C’est une distraction. Nous devons regarder vers la « porte de derrière » et les « fenêtres latérales » pour distinguer la véritable floraison de l’Église. Les lieux de messes offrant la seule messe traditionnelle produisent plus de fruits, plus de renouveau, que l’Église préconciliaire elle-même. [...] Ils suscitent un véritable printemps resplendissant de fruits mûrs et succulents. Les paroisses traditionnelles sont cantonnées dans l’arrière-cour du fait des résistances de la hiérarchie. De quoi celle-ci a-t-elle si peur? Pourquoi la messe latine traditionnelle lui semble-t-elle si menaçante? Je pensais que l’idée était de renouveler l’Église. Pourquoi les évêques tournent-ils le dos à ce renouveau authentique? Ils permettent n’importe quelle langue sous le soleil sauf celle recommandée par le Concile Vatican II! 

Le remarquable ratio de fidèles par prêtre de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre n’est que la pointe de l’iceberg. L’enquête nationale sur les lieux de messe Summorum Pontificum que je conduis avec l’aide de Brian Williams (le responsable du blog Liturgy Guy, NDLR) révèle des chiffres préliminaires étonnants (plus de 800 échantillons à ce jour). L’enquête se terminera le 29 octobre 2018. Je veux dissiper, chez tout individu impartial, l’idée que la société est responsable de la chute des statistiques d’Église. En novembre, nous essaierons de diffuser les résultats de l’enquête le plus largement possible. C’est un problème spirituel qui ne peut être corrigé qu’en revenant à ce qui a permis, en pratique, l’évangélisation du monde entier. Les fidèles du Novus Ordo et ceux de la messe traditionnelle vivent côte à côte. Ils font face aux mêmes défis modernes. Cependant, lorsque vous leur posez des questions sur la foi, ils donnent des réponses significativement différentes. 

Mes chers frères en Christ, il y a un chemin très simple vers plus de vocations : soyez bienveillants envers la messe traditionnelle. Si vous ne voulez pas la promouvoir, à tout le moins, arrêtez de la bloquer ! Absolument aucun mal n’est fait à l’Église quand nous disons la Messe qui, pendant 19 siècles, a été universellement la sienne. Si nous voulons des vocations, nous devons être assez humbles pour reconnaître leur source et leur canal : la messe traditionnelle. Nos séminaires étaient pleins quand nous avions la messe traditionnelle. Ils se rempliront à nouveau si nous permettons à la messe traditionnelle d’être célébrée librement et sans encombre. 
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Ce texte, y compris par ses exagérations, est profondément révélateur du mouvement de (re)découverte et (ré) appropriation de la liturgie traditionnelle, et de ce qui va avec, permis par le motu proprio Summorum Pontificum. Originaire du Texas, l’abbé Kloster a été ordonné en 1995 pour le diocèse de Bridgeport (Connecticut) et a été, de 2011 à 2018, curé d’une paroisse déshéritée de Guayaquil, en Équateur. Il est aujourd’hui vicaire de la paroisse Sainte-Marie de Norwalk, dans le Connecticut, l’un des plus beaux exemples de paroisse Summorum Pontificum au monde. Tout ceci pour dire que l’abbé Kloster n’est pas né dans et pour la liturgie traditionnelle. Pourtant, aujourd’hui, il en fait la clé de voûte du renouveau des vocations aux États-Unis, si ce n’est dans le monde. 

2) Les exagérations de l’auteur se trouvent dans le caractère univoque de ses conclusions. Si nous sommes, comme lui, convaincus que la forme extraordinaire du rite romain est féconde en vocations, nous savons aussi que les bouleversements conciliaires – et le travail de sape qui les a précédés – ont pu avoir lieu alors que la liturgie traditionnelle était encore, sauf à de rares excetions, l’unique liturgie de l’Église romaine. En fait, la « fécondité » en vocation de la liturgie traditionnelle est tout à fait remarquable par rapport celle de la forme ordinaire, mais elle ne dépasse pas les chiffres – relativement modestes – des vocations dans la période d’avant Vatican II. Tout se passe, dans le monde traditionnel, comme si la tempête du Concile n’avait pas eu lieu : c’est bien, mais c’est insuffisant pour opérer un redressement de l’Eglise. Nous savons aussi, il suffit de penser aux 100 séminaristes de la Communauté Saint-Martin, en France, ou au diocèse de Lincoln que cite l’abbé Kloster lui-même, que certaines approches de la forme ordinaire sont elles aussi relativement fertiles en vocations. Il est vrai que ce qui « fonctionne » dans ces aires classiques est souvent une imitation partielle de ce qui réussit dans le monde traditionnel, appliquée au public plus large dont elles diposent. 

3) « Les fidèles du Novus Ordo et ceux de la messe traditionnelle vivent côte à côte. Ils font face aux mêmes défis modernes. Cependant, lorsque vous leur posez des questions sur la foi, ils donnent des réponses significativement différentes. » En fait, la néo-liturgie est le reflet d’un néo-magistère flou et sans colonne vertébrale dogmatique. Comme nous l’avons souvent expliqué, le caractère de libre choix parmi des quantités d’options de la liturgie nouvelle a encouragé chez beaucoup de catholiques – prêtres, fidèles mais aussi prélats – le décrochement par rapport au dogme qu’induisait le dernier concile et, de ce fait, une approche tout aussi optionnelle du depositum fidei au point que, au-delà même des nouveautés conciliaires (œcuménisme, liberté religieuse, etc.), certains contestent la véracité historique de la Révélation, d’autres la virginité de la Vierge Marie, d’autres la présence réelle de Notre Seigneur dans l’Eucharistie, etc. Aujourd’hui, alors que le pontificat du pape François joue le rôle de révélateur d’une situation qui ne cesse d’empirer depuis cinquante ans, et manifeste bien des fractures qu’il n’était pas de bon goût de diagnostiquer jusqu’ici, l’observation de l’abbé Kloster fait mouche. Au moins partiellement car ces différences, voire divergences, se retrouvent au sein même des diocèses et des paroisses ordinaires. On voit même des conférences épiscopales revendiquer des positions ouvertement antagonistes les unes aux autres... 

4) Situé au Nebraska, le cas du diocèse de Lincoln est en effet très intéressant et mériterait une enquête poussée. Comme l’indiquait récemment Mgr Conley, le diocèse a eu la grâce de bénéficier, de 1967 à 2012, d’une grande cohérence épiscopale. Deux évêques seulement, Mgr Flavin et Mgr Bruskewitz, y ont mené une action pastorale classique, faisant de la question des vocations sacerdotales une priorité et du respect de la liturgie, fût-elle moderne et plus qu’imparfaite en soi, un impératif. Ces deux prélats, et Mgr Conley s’inscrit pleinement dans leur sillage, ont également promu fortement l’éducation catholique. Non pas simplement l’enseignement catholique mais bien l’éducation catholique (instruction, catéchisme, etc.). Tout cela dans la fidélité à un magistère « de restauration » qui comporte une part notable de magistère traditionnel, et tout cela soutenu par la prière (le nombre des religieux présents dans le diocèse a aussi augmenté durant la période, phénomène totalement à contre-courant là encore). Aujourd’hui, le diocèse compte 146 prêtres pour environ 100 000 catholiques et une quarantaine de séminaristes. En 1998, en outre, le diocèse a permis à la Fraternité Saint-Pierre d’y bâtir son séminaire anglophone, signe d’une faveur pour une union des forces vives catholiques un peu analogue à celle pratiquée dans le diocèse de Fréjus-Toulon. Bref, le succès du diocèse de Lincoln repose sur une cohérence liturgique, pastorale et doctrinale, qui se situe en direction d’un retour à la Tradition de l’Église. Gageons que nous en reparlerons.