SOURCE - FSSPX Actualités - 28 juin 2018
["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]
- L’annonce des sacres
- Après l’annonce des sacres, les propositions romaines
- Le protocole de mai 1988
- Un vrai renouveau de l’Eglise ou une réintégration dans l’Eglise conciliaire?
- Une journée historique, le 30 juin 1988
Le protocole du 5 mai 1988
La rencontre des experts a lieu du mardi 12 avril au jeudi 14 avril 1988 à Rome. En présence du Père Benoît Duroux o.p., qui joue le rôle de modérateur, don Fernando Ocariz, théologien, et don Tarcisio Bertone, canoniste, font face à l’abbé Bernard Tissier de Mallerais, théologien, et Patrice Laroche, canoniste. Les bases d’un accord sont définies et immédiatement soumises à Mgr Lefebvre. Celui-ci ne cache pas son contentement. Dès le 15 avril, à la lecture du procès-verbal établi par le Père Duroux, il écrit d’Albano au cardinal Ratzinger qu’il est très heureux que « nous nous acheminions vers un accord ».
Mgr Lefebvre se félicite de l’érection de la Fraternité Saint-Pie X comme Société de vie apostolique de droit pontifical, jouissant d’une pleine autonomie et capable de former ses membres, d’incardiner ses clercs et d’assurer la vie commune de ses membres. De plus, selon les termes du procès-verbal qui servira de protocole d’accord, Rome accorde « une certaine exemption par rapport aux évêques diocésains pour ce qui concerne le culte public, la cura animarum et les autres activités apostoliques ». La juridiction à l’égard des fidèles sera conférée soit par les Ordinaires des lieux soit par le Siège apostolique. Une Commission romaine sera constituée par les soins du Saint-Siège, et seulement « un ou deux membres appartenant à la Fraternité » y siègeront. Le document mentionne enfin que, « au niveau pratique et psychologique, on envisage l’utilité de la consécration d’un évêque membre de la Fraternité ». Les propositions de Mgr Lefebvre ont été pour l’essentiel entendues.
Aussi se réjouit-il vivement, dans sa lettre au cardinal Ratzinger, d’avoir enfin un successeur dans l’épiscopat. Mais, observe-t-il, « un seul évêque aura bien de la peine à suffire à la tâche, ne serait-il pas possible d’en avoir deux, ou au moins qu’il soit prévu la possibilité d’en augmenter le nombre d’ici six mois ou un an ? » Il glisse également une idée promise à un bel avenir : à l’occasion de cet accord, « ne serait-il pas souhaitable que soit accordée à tous les évêques et les prêtres la possibilité d’utiliser les Livres liturgiques de Jean XXIII ? » Il faudra attendre presque vingt ans pour que soit reconnu à tous les prêtres du monde catholique le droit d’utiliser la liturgie d’avant le Concile…
La signature
Enfin, Mgr Lefebvre accepte le principe et la teneur d’une courte déclaration doctrinale, bien qu’à l’origine il n’en fut pas question. Il en envoie le texte le jour même, 15 avril 1988. C’est, à quelques détails près, ce même texte qu’il viendra signer trois semaines plus tard à Rome, le 5 mai. Il consiste en cinq points :
1 - « Nous promettons d’être toujours fidèles à l’Eglise catholique et au Pontife romain, son Pasteur suprême, Vicaire du Christ, Successeur du bienheureux Pierre dans sa primauté et Chef du corps des évêques ;
2 - « Nous déclarons accepter la doctrine contenue dans le numéro 25 de la Constitution dogmatique Lumen gentium du Concile Vatican II sur le Magistère ecclésiastique et l’adhésion qui lui est due ;
3 - « A propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit qui nous paraissent difficilement conciliables avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège apostolique, en évitant toute polémique ;
4 - « Nous déclarons en outre reconnaître la validité du Sacrifice de la Messe et des Sacrements célébrés avec l’intention de faire ce que fait l’Eglise et selon les rites indiqués dans les éditions typiques du Missel romain et des Rituels des Sacrements promulgués par les papes Paul VI et Jean-Paul II ;
5 - « Enfin nous promettons de respecter la discipline commune de l’Eglise et les lois ecclésiastiques, spécialement celles contenues dans le Code de Droit canonique promulgué par le pape Jean-Paul II, restant sauve la discipline spéciale concédée à la Fraternité par une loi particulière ».
Entre le 15 avril et le 5 mai, Mgr Lefebvre estime avoir obtenu un bon accord et assuré la stabilité et la pérennité de son œuvre. Enthousiaste, il écrit à l’un de ses prêtres le 20 avril que les pourparlers « semblent s’orienter vers une solution acceptable qui nous accorderait ce que nous avons toujours demandé. Il est difficile de ne pas voir l’action de Notre-Dame de Fatima dans ce recul de Rome. Je dois bientôt me rendre à Rome pour signer les accords définitifs, si rien n’est changé à ce qui a été conclu la semaine dernière ».
C’est ainsi qu’il participe le 4 mai à un ultime colloque à Albano, près de Rome, et qu’il signe le 5 mai la déclaration du protocole d’accord, en la fête de saint Pie V. Le jour même, il écrit au pape Jean-Paul II pour le remercier des initiatives qu’il a bien voulu prendre et qui « ont abouti à une solution acceptable de part et d’autre ». Le document qu’il vient de signer pourrait, estime-t-il, « être le point de départ des différentes mesures qui nous rendraient la légalité dans l’Eglise : la reconnaissance légale de la Fraternité comme société de droit pontifical, l’utilisation des livres liturgiques de Jean XXIII, la constitution d’une Commission romaine et autres mesures indiquées dans le protocole d’accord ». Tout reste encore à faire. Il assure le Souverain Pontife que « les membres de la Fraternité, et toutes les personnes qui lui sont moralement unies, se réjouissent de l’accord, et en rendent grâces à Dieu et à Vous-même ».
Un communiqué de presse est préparé pour le 7 mai, ainsi qu’une nouvelle lettre au pape pour entrer dans le détail des prochaines étapes. Mais après une mauvaise nuit, le lendemain, vendredi 6 mai, Mgr Lefebvre se rétracte. Que s’est-il passé?
Un malaise, une déception, des demandes d’éclaircissement
Jusqu’au bout, Mgr Lefebvre a cru qu’il pouvait signer ce texte et faire confiance à ses interlocuteurs pour obtenir au moins un successeur et garantir la pérennité de son œuvre. Le point essentiel est d’obtenir si possible une ou des consécrations épiscopales avec l’autorisation du Saint-Siège. Le protocole d’accord que Mgr Lefebvre accepte de signer le 5 mai 1988 prévoit que « pour des raisons pratiques et psychologiques, apparaît l’utilité de la consécration d’un évêque membre de la Fraternité » (n°5, 2). Aucune date n’est prévue. Mais surtout, au moment de la signature du protocole, le cardinal Ratzinger remet à Mgr Lefebvre une lettre, datée du 28 avril 1988, qui sème le trouble et la déception dans l’esprit de l’homme d’Eglise.
Dans cette lettre, le Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi écrit que la nomination d’un évêque « ne pourrait toutefois pas intervenir dans l’immédiat, ne serait-ce qu’en raison de l’établissement et de l’examen des dossiers ». Or, on l’a vu, Mgr Lefebvre tient beaucoup à ce que l’on ne tarde plus. Lors des discussions de la mi-avril à Rome, il a été demandé que cette consécration épiscopale d’un prêtre issu de la Fraternité puisse intervenir dans un délai très proche, comme il l’avait mentionné dans sa lettre à Jean-Paul II, le 20 février précédent. L’urgence de la nomination d’un successeur est d’abord motivée par « le grand âge de Mgr Lefebvre et l’épuisement physique qu’il ressent depuis quelques mois » (Note au sujet de l’épiscopat dans la Fraternité, annexée au procès-verbal du 15 avril 1988). Ce qui a été accordé du bout des doigts (« l’utilité de la consécration d’un évêque ») est remis à une date inconnue.
On comprend donc pourquoi Mgr Lefebvre écrit dès le 6 mai au cardinal Ratzinger ces lignes qui en disent long sur son état d’esprit : « Hier, c’est avec une réelle satisfaction que j’ai apposé la signature au protocole élaboré les jours précédents. Mais vous avez pu vous-même constater la profonde déception à la lecture de la lettre que vous m’avez remise m’apportant la réponse du Saint Père au sujet de la consécration épiscopale. Il m’est pratiquement demandé de reporter la consécration à une date ultérieure non fixée. Ce serait la quatrième fois que je remettrais la date de la consécration à plus tard. La date du 30 juin a été bien indiquée dans une de mes lettres précédentes, comme étant la date limite. Je vous ai remis un premier dossier concernant les candidats. Et il reste encore près de deux mois pour établir le mandat. Etant donné les circonstances particulières de ces propositions, le Saint Père peut facilement alléger la procédure pour que le mandat nous soit communiqué à la mi-juin. Si la réponse était négative, je me verrais en conscience obligé de procéder à la consécration, m’appuyant sur l’agrément donné par le Saint-Siège dans le protocole pour la consécration d’un évêque membre de la Fraternité ».
L’archevêque fait état des réticences romaines exprimées tant oralement que par écrit, qui contrastent avec l’attente des prêtres et des fidèles qui ne comprendraient pas un nouveau délai, et qui vivent dans l’attente « d’avoir de vrais évêques catholiques leur transmettant la vraie foi et leur communiquant d’une manière certaine les grâces du salut auquel ils aspirent pour eux et pour leurs enfants ». Il conclut en exprimant « l’espoir que cette requête ne soulèvera pas un obstacle irréductible à la réconciliation en cours ».
Le jour même, le cardinal Ratzinger sursoit la publication du communiqué de presse et demande à Mgr Lefebvre de reconsidérer sa position, estimant que ses intentions concernant la consécration épiscopale d’un membre de la Fraternité le 30 juin sont en contraste très net avec ce qui a été accepté dans le protocole. Bref, il chicane et veut ignorer les demandes plusieurs fois exprimées d’assurer au fondateur d’Ecône une succession épiscopale. Celui-ci s’en retourne, déçu.
« On veut nous mener en bateau »
Lors de la conférence de presse qu’il tiendra à Ecône le 15 juin, il révèlera certains aspects des discussions de ces jours-là.
Mgr Lefebvre : « D’ici le 30 juin vous avez le temps de préparer, de faire une enquête et de me donner le mandat…
Cardinal Ratzinger : « Ah ! non, non, non, c’est impossible ; le 30 juin, impossible.
– Alors quand ? Le 15 août ? À la fin de l’année mariale ? Ah ! non, non, non, Monseigneur. Vous savez bien, le 15 août à Rome il n’y a plus personne. Du 15 juillet au 15 septembre ce sont les vacances, il ne faut pas compter sur le 15 août, ce n’est pas possible.
– Alors disons le 1er novembre, la Toussaint ?
– Ah ! je ne sais pas, je ne peux pas vous le dire.
– Pour Noël ?
– Je ne peux pas vous le dire ».
Le sentiment général, dira Mgr Lefebvre, est qu’on veut « le mener en bateau ». Il perd confiance et ne croit plus aux promesses et aux assurances de ses interlocuteurs… Il a aussi l’impression qu’on abuse de ses forces, alors que les préparatifs vont bon train à Ecône.
De nouvelles exigences de Rome
Le 17 mai, le cardinal Ratzinger remet à l’abbé Emmanuel du Chalard, intermédiaire sur place de Mgr Lefebvre, un projet de lettre « plus conforme aux exigences du style de la Curie romaine ».
En fait, la lettre que l’archevêque a adressée au pape Jean-Paul II le 5 mai ne suffit plus. Il faut encore qu’il « demande humblement pardon de tout ce qui, malgré [sa] bonne foi, a pu causer du chagrin au Vicaire du Christ ». Il doit surtout se contenter de suggérer, « sans exiger aucune date » (« senza esigere alcuna data »), qu’un évêque soit sacré pour lui succéder. Voici les termes mêmes de la lettre définitive qu’il est prié d’envoyer au Saint Père : « Je sais bien que la régularisation canonique de la Fraternité ne prévoira pas, parce qu’elle n’est pas nécessaire en elle-même, l’ordination d’un évêque qui puisse prendre ma place. Cependant, en raison surtout de la nécessité pratique d’un évêque qui célèbre les fonctions pontificales selon les rites antérieurs à la réforme liturgique, je serais très heureux si Votre Sainteté nommait un évêque qui, en ce sens, pourrait me succéder ». La lettre doit être humble et sans condition, de sorte que le pape puisse plus facilement accorder ce qui lui est demandé. Une nouvelle fois, ce qui a été accordé du bout des doigts n’en finit plus de faire l’objet de chicane et d’atermoiement.
De plus, l’abbé du Chalard ayant confirmé l’intention du fondateur d’Ecône de sacrer trois évêques au 30 juin, le cardinal lui demande de transmettre une invitation à revenir à Rome. Une nouvelle rencontre est alors prévue pour le 24 mai.
["Il y a 30 ans, l’opération survie de la Tradition : l’histoire des sacres"]