SOURCE - Damian Thompson - Catholic Herald - 21 juin 2018
Le fondateur de la FSSPX a changé l'Eglise, mais d'une manière qu'il n'aurait jamais imaginée.
Le fondateur de la FSSPX a changé l'Eglise, mais d'une manière qu'il n'aurait jamais imaginée.
Il y a exactement 30 ans, un archevêque français émacié, debout devant des milliers de fidèles, a expliqué lors d’un discours ponctué d'applaudissements pourquoi il était sur le point de faire un pas qui conduirait à son excommunication.
Vous pouvez le trouver sur YouTube. Le 30 juin 1988, les disciples de l'archevêque Marcel Lefebvre se sont rassemblés dans une immense tente blanche dressée devant son séminaire d'Écône en Suisse. Ils étaient là pour le voir consacrer quatre nouveaux évêques au mépris du pape Jean-Paul II, qui cherchait désespérément à réconcilier la Société de saint Pie X (FSSPX) de Lefebvre avec Rome.
Le prélat de 82 ans, ancien archevêque de Dakar au Sénégal, avait écarté les ouvertures du pape. Comme il l'a dit à aux fidèles, la réintégration aux conditions de Jean Paul II aurait été une «Opération suicide». Sa Fraternité se voyait offrir la liberté de continuer à célébrer la messe tridentine. Mais au prix d’une mort spirituelle – à savoir l'acceptation silencieuse de Vatican II, avec ses gestes déplorables (selon lui) envers les non-chrétiens, et de l’ordo «protestant» de la messe issue du Concile.
L'archevêque a regardé les têtes inclinées de ses séminaristes. «Tous ces séminaristes qui sont ici présents, si demain le Bon Dieu me rappelle, et ce sera sans doute sans tarder, eh bien, ces séminaristes de qui recevront-ils le sacrement de l’ordre ? (...) Alors je ne puis pas en conscience laisser ces séminaristes orphelins.»
Et c’est pourquoi Lefebvre, sa chasuble d'or éclairée par les panneaux blancs de la tente, est entré dans le sanctuaire pour élever à l'épiscopat quatre hommes: les Pères Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson et Alfonso de Galarreta.
C'était un pas à propos duquel Lefebvre avait insisté une fois qu'il ne le franchirait jamais. Cela le transformerait en Martin Luther, aurait-il dit en 1974, «et je perdrais le Saint-Esprit".
Mais c'était avant une rencontre intensément amère avec le Bienheureux Paul VI, où le pontife, saint mais à fleur de peau, l’avait accusé de se comporter en «antipape» et refusait la demande de Lefebvre que les évêques fournissent des chapelles où les traditionalistes pourraient «prier comme avant le concile».
Après cette rencontre, dont les détails n'ont été publiés que cette année, l'attitude de Mgr Lefebvre envers Rome s'est assombrie. (Savait-il que le regard de Paul VI s'obscurcissait lentement? Que le pontife qui avait donné son nom au Missel de Paul VI était horrifié par les insuffisances de ses prières lorsqu'il vint le célébrer pour la première fois?)
La colère de Lefebvre ne s'est pas calmée quand le bienheureux Paul a été remplacé par le plus conservateur saint Jean-Paul II. Il ne voyait rien de bon à Rome et dénigrait même le cardinal Joseph Ratzinger, qui faisait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter une rupture. Dorénavant, il croyait que seule la FSSPX était indemne d'apostasie. Il a qualifié les consécrations Écône d '«opération Survie».
Pour les critiques, il semblait évident que l’«Opération Survie» de Lefebvre était en réalité une «Opération Suicide». Jean-Paul lui avait jeté une bouée de sauvetage; le vieil homme était trop arrogant pour le saisir et, par conséquent, a été excommunié avec ses nouveaux évêques.
Pour certains prêtres de la FSSPX, les consécrations étaient un pas trop loin. Ils étaient déjà consternés par la manière dont la critique du Vatican par Lefebvre s'était transformée en caricature injurieuse. Certains d'entre eux ont rejoint la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre (FSSP), fondée par Rome immédiatement après la cérémonie à Écône. Cette Fraternité était calquée sur la FSSPX. Beaucoup de loyalistes de Lefebvre en considéraient les membres comme des traîtres.
Pourtant, pour ces prêtres sortants, perdre l'archevêque était une souffrance. Ils le considéraient - ils le considèrent encore - comme un saint, mais au jugement obscurci, ce pour quoi ils blâment Paul VI. «Il était une figure héroïque et tragique», dit l’un d’entre eux. «Son visage rayonnait de sainteté, et après l'avoir rencontré, j'ai compris pourquoi les artistes représentaient les saints avec un halo.»
Cependant, ce prêtre est parti. Après 1988, un parfum de schisme planait sur la FSSPX, même si la société - qui a toujours reconnu le souverain pontife - n'était pas techniquement schismatique.
La FSSPX était devenue un groupe dissident, formellement séparé de Rome, et on dit de ces corps qu’à peine ils rompu avec Rome qu'ils commencent à se séparer les uns des autres.
Avant la mort de Lefebvre, en 1991, les radicaux américains (y compris le père de Mel Gibson) avaient fondé la Société de Saint-Pie V, qui refusait de reconnaître Jean-Paul II comme pape, et avait rejoint le milieu interlope des quasi-catholiques dirigés par des évêques aux lignes douteuses. A son tour, cette Société s’était divisée. Telles sont les dynamiques du sectarisme.
Plus récemment, la FSSPX a subi une rupture interne. Richard Williamson, l'un des évêques de l'Écône, a été expulsé de la société en 2012 après avoir été dénoncé comme un négationniste de l'Holocauste. Williamson, éduqué à Winchester et Cambridge, emploie un sarcasme poli pour propager des théories de conspiration anti-juives.
Pourtant, il est suffisamment rusé pour ne pas fonder sa propre église. Au lieu de cela, il dirige la «Résistance de la FSSPX», les gardiens autoproclamés des enseignements purs du fondateur. Il a de riches partisans en Amérique et -de manière déprimante- un pied en Angleterre.
Ces mésaventures chaotiques aurait pu être prédites il y a 30 ans. Mais considérons quelques développements que personne n'avait prévus - et qui suggèrent que les consécrations illicites ont contribué à la survie, par opposition au suicide, de la FSSPX.
Dans les années qui ont suivi, Rome a levé l'excommunication des quatre évêques (bien que Williamson soit maintenant ré-excommunié). C'était une décision du pape Benoît XVI, qui pourrait être rejetée comme une erreur de jugement ponctuelle, étant donné que cela n'a mené nulle part et lui a valu des gros-titres terribles.
Bizarrement, cependant, c'est l'actuel pape «libéral» qui a le plus fait pour régulariser la situation de la FSSPX. En 2016 et 2017, François a reconnu la légitimité des confessions entendues par les prêtres de la Fraternité et les mariages qu'ils célèbrent. En conséquence, le clergé lefebvriste exerce désormais la juridiction canonique au sein de l'Église catholique.
C'est un paradoxe extraordinaire. En cherchant à réhabiliter les catholiques divorcés et remariés, et en permettant aux évêques radicaux de proposer l'offre de l'Eucharistie aux protestants, le pape François semble accomplir les sombres prophéties de Mgr Lefebvre. Pourtant, il a fait plus pour aider la FSSPX qu'aucun de ses prédécesseurs.
Et qu'a-t-il reçu en retour du supérieur général de la société, Mgr Bernard Fellay? Rien. Au contraire, Fellay a apposé son nom à la «correction filiale» des éminents catholiques réprouvant Francis pour sa prétendue hétérodoxie. Selon les termes d'un membre bien renseignés de la FSSPX, «nous sommes plus qu'heureux de recevoir un beau cadeau d'un ennemi mortel».
Cet ennemi est lui-même membre d'une société sacerdotale, cependant, et les jésuites ne sont pas connus pour leur générosité gratuite. Une théorie est que le pape stimule les lefebvristes afin de déjouer ses propres adversaires traditionalistes. «C'est possible», dit le membre de la FSSPX. «Mais il peut vraiment nous préférer à des gens comme le Cardinal Burke [un champion américain du l’Ancien Rite limogé par Francis d'un poste de haute direction]. Il peut penser que nous sommes plus sérieux que des traditionalistes conventionnels, qu’il juge trop soucieux de mise en scène.»
Au point , le catholique moyen et bien informé a le droit de penser que le pape et la FSSPX devraient se fréquenter plus. Il y a 600 prêtres lefebvristes dans le monde, dont un nombre inconnu sont attirés par la sinistre «Résistance» de Williamson. La FSSPX s'est développée depuis 1988, mais sa croissance est bridée parce que des prêtres catholiques plus jeunes profitent du Summorum Pontificum de Benoît XVI pour célébrer dans l’Ancien Rite.
Lorsque Lefebvre demanda à Paul VI de créer des chapelles tridentines en 1976, on lui dit: «Nous ne pouvons pas permettre une autonomie de comportement dans différents endroits.» Saint Jean-Paul II décida à contrecœur qu'il pouvait le faire; Benoît XVI a consacré avec enthousiasme cette autonomie dans la loi de l'Église.
La libération de la messe traditionnelle aurait-elle été possible si Lefebvre n'avait pas été jusqu’au bout de sa menace d'ordonner des évêques? La réponse est presque certainement non, ce qui nous laisse avec un autre paradoxe.
En ce jour d'été, il y a trois décennies, le plus obstiné des prélats français pré-conciliaires préparait le terrain pour une nouvelle flexibilité dans l'Église: une flexibilité qui permet aux catholiques de «prier comme avant le conseil», s’ils sont insatisfaits de la spiritualité de Vatican II, qu’ils considèrent comme faiblarde, sans rejeter les enseignements du Concile,
Le moins qu'ils puissent faire, sûrement, est de se rappeler Marcel Lefebvre dans leurs prières.