19 décembre 2000

[Aletheia n°6] Les jubilés de la Fraternité Saint-Pie X - Les prières de guérison : un avertissement de Rome - Disparitions - Nouvelles

Yves Chiron - Aletheia n° 6 - 19 décembre 2000
Sommaire :
  • Les Jubilés de la Fraternité Saint-Pie X.
  • Les prières de guérison : un avertissement de Rome.
  • Disparitions.
  • Nouvelles.

I. Les jubilés de la Fraternité Saint-Pie X
On sait que la basilique Saint-Pierre a ouvert ses portes à la Fraternité Saint-Pie X venue en pèlerinage jubilaire à Rome. D’autres basiliques romaines se sont ouvertes pour les mêmes pèlerins, jusqu’à Sainte-Marie-Majeure où Mgr Fellay a pu célébrer la messe le 15 août.
C’est assurément un geste de grande charité à l’égard d’évêques et de prêtres que le Saint-Siège avait excommuniés. Il est moins connu, peut-être, que des marques de charité analogues ont été prodiguées dans plusieurs diocèses de France. Monsieur l’abbé Laurençon, supérieur pour la France de la Fraternité Saint-Pie X, a remercié “ pour leur bon accueil ” les évêques et prêtres de France.
Il l’a fait dans la très intéressante lettre trimestrielle de liaison de la FSPX avec le clergé de France (Lettre à nos frères prêtres, n° 8, décembre 2000, 15 F le numéro, à la Maison Lacordaire, 21150 Flavigny) :
“ Depuis le début de l’année, écrit M. l’abbé Laurençon, maintes cérémonies se sont organisées de-ci de-là en France, grâce à la bienveillance épiscopale et à la nombreuse participation des fidèles. Il m’est impossible de toutes les citer. Je pense bien sûr à cet après-midi d’Ascension où M. l’abbé Bouchacourt (Saint-Nicolas-du-Chardonnet) emmenait 3000 de ses fidèles à Saint-Sulpice, après permission cardinalice. Peu après (dimanche 18 juin), 1300 fidèles se retrouvaient dans la collégiale de Mantes-la-Jolie pour assister à une messe solennelle célébrée par un prêtre de la fraternité Saint-Pie X. Il faudrait également citer les 3500 pèlerins de Lisieux qui, le 14 octobre, remplirent la basilique. A Lourdes, la direction du sanctuaire accordait à nos 2500 laïcs réunis la basilique Sainte-Bernadette pour la messe dominicale. C’était le 29 octobre, à l’occasion de la fête du Christ-Roi. En sortant les ornements - offerts par Léon XIII s’il vous plaît ! - le sacristain, aimable et malicieux, déclara : “cela leur fera du bien de prendre l’air, ils n’ont pas servi depuis le concile“ ! A Nantes, Mgr Soubrier laissait sa cathédrale à la disposition de nos 1000 fidèles désireux d’y prier aux intentions de l’Eglise.
Enfin, un merci tout particulier à Mgr Billé, qui ouvrait Notre-Dame de Fourvière à nos fidèles lyonnais le premier dimanche de l’Avent.
(...) Arrêtons-nous là : mon but n’est pas d’être exhaustif, mais bien de remercier les évêques et prêtres qui, à chaque fois - sauf quelque part dans l’ouest bordelais ... -, se sont montrés bienveillants, accueillants, compréhensifs. Qu’ils en soient assurés : en ces jours, nous priâmes aussi afin que porte toujours plus grande soit ouverte au Christ. ”
Ainsi donc, en cette année jubilaire, les évêques de France et les autorités romaines ont pu faire droit, ponctuellement, aux fidèles et aux prêtres attachés à la Tradition. Ces petites hirondelles jubilaires ne font certes pas le printemps d’une restauration complète et durable. Mais le voeu de Mgr Lefebvre exprimé à Paul VI - Laissez-nous faire l’expérience de la Tradition - est toujours un peu plus exaucé. Historiquement, c’est Jean-Paul II qui, par l’indult de 1984, aura ouvert la voie. Beaucoup, certes, reste à faire. Les catholiques fidèles au motu proprio Ecclesia Dei regrettent que les recommandations de Rome ne soient pas assez suivies d’effet ; les catholiques restés fidèles au choix de Mgr Lefebvre en 1988 jugent que les différends doctrinaux restent plus importants que les concessions liturgiques ponctuelles.
Mais il devient, de jour en plus, plus ridicule d’agir et de penser comme si, depuis la mort de Paul VI (1978), la Tradition n’avait pas reconquis des droits, que ce soit dans le domaine liturgique ou dans le domaine doctrinal.
On relèvera encore, dans le dernier numéro paru en français - de la revue italienne 30 Jours (n° 9, 2000) - ou, du moins, dans le français souvent approximatif, de la traduction - , un long entretien avec Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X. Il s’interroge sur l’opportunité de demander une audience au Pape mais déclare aussi : “ S’il m’appelle, je vais. Tout de suite. Ou plutôt, je cours. C’est certain. par obéissance. Par obéissance filiale à l’égard du chef de l’Eglise. ” Il estime encore : “ La situation [au Vatican] est telle que l’on peut imaginer que la recomposition de l’unité [avec la FSPX] se fera en un an, mais aussi en vingt. ”

II. Les prières de guérison : un avertissement de Rome.
Le 23 novembre dernier, la Congrégation pour la doctrine de la foi a publié une Instruction sur les prières pour obtenir de Dieu la guérison. Curieusement, à ce jour, la Documentation catholique ne l’a pas encore publiée et la presse, d’habitude si prompte à s’emparer de toutes les déclarations et instructions romaines, s’est montrée très discrète.
Cette instruction vise, en fait, les multiples séances de prières de guérison qui se multiplient dans les communautés charismatiques. Et plus particulièrement les grandes assemblées de prières organisées régulièrement, dans le monde entier, autour de prêtres ou de religieuses qui prétendent exercer un “ ministère de guérison ” (cf. Yves Chiron, Enquête sur les miracles de Lourdes, Perrin, 2000, p. 191-200). Les plus célèbres “ guérisseurs ” des milieux charismatiques sont le père Tardif, décédé il y a quelque temps, soeur Briege Mc Kenna et le père Raymond Halter ; sans parler des milliers de charismatiques qui, dans leurs réunions de prière locales, prétendent exercer un charisme de guérison.
La Congrégation pour la Doctrine de la Foi, sans nommer les personnes, s’inquiète de ce “phénomène nouveau ”, du conditionnement psychologique qui s’y révèle, de “ l’attente ” que les responsables de ces réunions de prière s’efforcent de susciter artificiellement et de l’exaltation sans discernement d’“ un prétendu charisme de guérison ”.
Cette instruction, organisée en cinq parties doctrinales, se termine par des dispositions disciplinaires en dix articles.

III. Disparitions
Le père Michel André est décédé le 17 novembre dernier à Angers. Ses obsèques ont été célébrées par Mgr Fellay le 21 novembre.
Sa grande modestie a fait que sa vie restait peu connue, y compris des fidèles qui lui étaient attachés.
Il était né le 13 mars 1915 à Angers. Il fit d’abord des études de droit et de commerce (licence en droit à la Faculté Catholique d’Angers et Ecole Supérieure de Commerce d’Angers). Il fut aussi le créateur de deux troupes scoutes et accomplit une P.M.S. (Préparation Militaire Supérieure) qui lui permit de sortir de son service militaire avec le grade de lieutenant.
En 1937, il entra au noviciat des Pères du Saint-Esprit (spiritains) à Orly. Ordonné prêtre en 1944, il fut envoyé l’année suivante en Martinique. De 1947 à 1956, il fut professeur dans divers institutions spiritaines en métropole, avant de repartir en mission en Guinée, de 1956 à 1958, et en Argentine, de 1962 à 1971.
Face à la crise de l’Eglise, et sur les conseils de Mgr Lefebvre, il quitta l’Argentine et revint en France en 1971. En 1972, il créa, à Angers, l’Association Noël Pinot (A.N.P.), pour la défense de la messe traditionnelle et pour l’aide aux prêtres fidèles à cette messe.
Depuis sa création, plus de 2.000 prêtres ont appartenu à l’A.N.P. ; aujourd’hui ils sont quelque 735 adhérents ou sympathisants, en France et à l’étranger (notamment en Amérique du sud).
Cette même année 1972, il fondait un bulletin trimestriel, Introïbo. Ce bulletin de doctrine et d’informations connaîtra une grande diffusion puisque son tirage a atteint 6.000 exemplaires. On peut encore se procurer la collection complète d’Introïbo (de 1972 à 1999, soit 106 numéros, pour 200 F) au siège de l’A.N.P., 54 rue Delaâge, 49100 Angers.
Claude Mouton, bien connu pour ses travaux sur Claire Ferchaud et le général de Sonis, prépare une biographie du père André.
• Dom Guy Marie Oury est décédé à l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes le 12 novembre dernier, à l’âge de 71 ans. Né à Tours en 1929, entré à l’abbaye de Solesmes alors qu’il n’avait pas encore dix-huit ans, il avait prononcé ses voeux solennels en 1952 et avait été ordonné prêtre en 1954.
Il occupa, au long de sa vie monastique, des charges très variées : cérémoniaire, lecteur de liturgie et de droit canonique, chapelain du monastère de bénédictines de Westfield (aux Etats-Unis), enfin, maître des novices.
Ce sont ses travaux historiques très nombreux (près de 80 livres et plus de 200 articles scientifiques) qui l’ont fait connaître d’un large public et reconnaître, par le milieu universitaire, comme un spécialiste de l’histoire de la spiritualité, notamment au XVIIe siècle. Il publia aussi, pendant quarante ans, de très nombreuses recensions dans l’Ami du clergé (devenu Esprit et Vie).
Dom Oury était devenu postulateur de la cause de béatification de dom Guéranger. Il avait achevé une biographie du grand restaurateur de la vie monastique et de la liturgie qui va paraître prochainement aux Editions de Solesmes (Abbaye Saint-Pierre, 72300 Sablé-sur-Sarthe).
On signalera encore que Dom Oury avait publié en 1975 La Messe de s. Pie V à Paul VI (éditions de Solesmes, 127 pages) pour répondre, expressément, aux livres de Louis Salleron et de da Silveira. Il voulait y montrer que le nouvel Ordo Missae “ s’insère sans véritable rupture dans la tradition liturgique de l’Eglise romaine ” et, pour ce, il apportait des réponses d’ordre canonique, théologique et liturgique.
On sait que la Congrégation de Solesmes, depuis la réforme liturgique, utilise le missel latin promulgué par Paul VI en 1969 ; à l’exception de l’abbaye de Fontgombault et de ses “ filles ” (les abbayes de Randol et de Triors et le prieuré de Gaussan) qui, elles, après 1988, ont pu revenir à l’usage du missel traditionnel.

IV. Nouvelles
A l’occasion du 25e anniversaire de la mort d’Henri Charlier (décédé le 24 décembre 1975), le peintre Albert Gérard, fondateur de l’Atelier de la Sainte-Espérance, organise au village du Barroux (rue de la Pératoure), une exposition. Y seront présentées, du 26 décembre au 6 janvier, puis de juillet à septembre 2001, des oeuvres d’Henri Charlier qui, avant d’être un écrivain, fut d’abord un sculpteur et un peintre de grand talent. Ses réflexions sur l’art ont été publiées, notamment, dans Le martyre de l’art, ou l’art livré aux bêtes (1957) et L’Art et la pensée (1972).
• Quinze ans après la parution en italien de l’ouvrage de Romano Amerio, Iota unum. Studio delle variazoni della Chiesa cattolica nel secolo XX, Enrico Maria Radaelli publie une très utile Introduzione a Iota unum (121 pages, 25.000 Lires, chez l’auteur : Via San Sisto 3, 20123 Milano).
En fait, l’ouvrage est autant une introduction au grand livre de R. Amerio (avec notamment un glossaire en vingt pages) qu’un recueil de documents et de notes inédites. Il comprend aussi une bibliographie complète de Romano Amerio.
On relève notamment un chapitre sur les rapports entre R. Amerio et Mgr Lefebvre et la publication de plusieurs recensions significatives parues en 1986 (dans la Civiltà cattolica, dans Jesus et aussi publication de la recension qui avait été demandée par l’Osservatore romano à don Angelo Paredi et qui n’a jamais été publiée...).
• Le cardinal Dario Castrillon Hoyos, préfet de la Congrégation pour le Clergé et, depuis le 13 avril dernier, président de la Commission pontificale Ecclesia Dei, a accordé un long et intéressant entretien à la Nef (n° 111, décembre 2000, 40 F le numéro, B.P. 73, 78490 Montfort l’Amaury). Il y évoque divers sujets : la crise des vocations dans le monde, la célébration de la messe dans l’ancien rite, la possible “ réforme de la réforme liturgique de 1969 ” et la crise de la Fraternité saint-Pierre.
Parmi ses propos, on relèvera une analyse statistique, très précise, sur le nombre des entrées au séminaire et le nombre des ordinations depuis 1975 : une tendance, mondiale, à la hausse, sauf en Europe : “ ce dernier continent est atypique, avec une forte chute jusqu’en 1975, une reprise tout aussi rapide jusqu’en 1986, et un nouveau fléchissement en certaines zones depuis 1991, qui est préoccupant pour ce qu’il peut signifier de perception du prêtre dans le peuple chrétien. ”
A propos de la “ réforme de la réforme liturgique de 1969 ”, le cardinal affirme : “ Rien ne s’oppose à ce que l’on puisse discuter certains aspects pratiques et certains choix concrets qui ont été faits, lors de l’élaboration de la réforme liturgique actuelle. En outre, la réalisation de la réforme, avec les années, réclamera certainement une oeuvre de révision. ”
• En août 1941, après l’adoption d’une nouvelle loi portant statut des Juifs, le Maréchal Pétain a demandé à son ambassadeur au Vatican, Léon Bérard, de consulter les autorités romaines.
Le 2 septembre suivant, Léon Bérard adressait un long rapport au Maréchal Pétain. Le Saint-Siège ne condamnait pas la législation adoptée par l’Etat Français mais regrettait seulement que le législateur se soit référé explicitement à la notion de “ race ”.
Ce rapport, souvent évoqué dans des polémiques récentes relatives à l’attitude de Pie XII pendant la IIe Guerre Mondiale, est très peu connu, même des historiens de la période, sans doute parce qu’il est quasiment introuvable depuis sa publication en octobre 1946 par la revue du C.D.J.C., Le Monde Juif. Je l’ai donc réédité intégralement, avec une présentation historique. Le Vatican et la question juive en 1941. Publication du rapport Bérard (25 pages, 35 F franco de port) est disponible auprès d’Alètheia.

20 novembre 2000

[Aletheia n°5] Rome condamne les apparitions de Sabana Grande - Medjugorje - Soeur Lucie témoigne - Nouvelles

Yves Chiron - Aletheia n° 5 - 20 novembre 2000
Sommaire :
I. Rome condamne les apparitions de Sabana Grande.
II. Medjugorje.
III. Soeur Lucie témoigne.
IV. Nouvelles.

I. Rome condamne les apparitions de Sabana Grande
En 1953, à Sabana Grande (Porto Rico), la Sainte Vierge serait apparue à trois enfants dans un lieu appelé “ El Pozo ” (le puits). Elle se serait révélée sous le vocable de “ La Vierge du Rosaire ” et serait apparue 33 fois. La dernière apparition aurait eu lieu le 25 mai 1953, accompagnée d’un prodige solaire qui rappelle la “danse du soleil” à Fatima. Des guérisons auraient eu lieu ensuite. Les messages délivrés à Sabana Grande connurent et connaissent encore une grande diffusion non seulement à Porto Rico mais aussi aux Etats-Unis, au Mexique, en République dominicaine et jusqu’en Espagne. A partir de 1978, le voyant principal de 1953, Juan Angel Callado, aurait reçu à nouveau sept messages de la Vierge. Cela relança, semble-t-il, la dévotion envers la “ Vierge du Rosaire ”. Une association de fidèles fut constituée sous le nom d’“ Association pour la dévotion à la Vierge du Rosaire ”. Elle fut approuvée par la Conférence Épiscopale Portoricaine le 28 mai 1986 ( “ sin pasar juicio alguno ” sur les supposées apparitions). L’Association se montra dès lors très active par des réunions de prières, l’édition de brochures et d’un bulletin.
L’abbé René Laurentin, dans son ouvrage classique Multiplication des apparitions de la Vierge aujourd’hui (Fayard, février 1991, 3e édition mise à jour) évoque les faits de Sabana Grande (p. 179-180) mais il ignore les mises en garde et les jugements de l’Eglise sur le sujet.
Mgr Fernando Felices Sanchez, chancelier de l’archevêché de San Juan (Porto Rico), m’a envoyé copie de tous les documents officiels sur le sujet, jusqu’à la récente condamnation romaine :
- le 3 avril 1989, au terme d’une enquête canonique sur les faits de Sabana Grande, situé dans son diocèse, Mgr Ulises Casiano Vargas, évêque de Mayagüez, publiait un décret affirmant que les faits étudiés ne répondaient pas “ aux critères établis par la Congrégation pour le foi en matière d’apparitions de la Vierge ” et ne permettaient pas d’“ établir leur origine surnaturelle ”.
- le 7 octobre 1989, les évêques de la Province Ecclésiastique de Porto-Rico (PEPC), publiaient un très long décret. Ils déclaraient que les supposées apparitions n’avaient aucune origine surnaturelle et ils retiraient l’approbation canonique qui avait été donnée jadis à l’Association. Les fidèles avaient désormais interdiction d’y adhérer et de se rendre au “ sanctuaire ” établi sur le lieu des prétendues apparitions.
- le 6 avril 1991, la PEPC réitérait son décret du 7 octobre 1989.
- le 3 octobre 1995, le Conseil Pontifical pour les Laïcs, saisi d’un recours par l’Association pour la Dévotion à la Vierge du Rosaire, confirmait que la Conférence Épiscopale Portoricaine avait respecté le droit en révoquant la reconnaissance canonique accordée jadis à la dite-Association.
- le 17 mars 1997, par une triple déclaration (“ A tous les prêtres de Porto Rico ”, “ Aux dévots de la Vierge du Rosaire du Puits ”, “ A tous les fidèles de l’Eglise catholique à Porto Rico ”), la Conférence Épiscopale Portoricaine renouvelait sa condamnation et ses interdictions.
Ces différents actes de l’Eglise enseignante n’ont pas suffi à faire cesser la dévotion à la Vierge du Rosaire de Sabana Grande, les pèlerinages sur les lieux et la diffusion des messages. Aussi, lors de leur visite ad limina à Rome, les évêques de Porto Rico ont-ils demandé à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de se prononcer sur les prétendues apparitions. Le 25 août 2000, après étude du dossier, Mgr Bertone, Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a adressé une lettre à Mgr Casiano Vargas, évêque de Mayagüez. La Congrégation romaine fait sien le jugement prononcé le 3 avril 1989 et estime, à son tour, que la surnaturalité des faits n’a pas été établie ( “ no consta la sobrenaturalidad de las presuntas “apariciones” de la Ssma. Virgen Maria en el Pozo de Sabana Grande ”).

II. Medjugorje
Cette déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur les faits de Sabana Grande est une nouvelle illustration de l’attitude de l’Eglise en matière d’apparitions et révélations privées. De manière habituelle, et comme le prévoit le Droit canon (l’ancien comme le nouveau), c’est à l’évêque du diocèse où se déroulent les faits que revient la responsabilité d’enquêter et de porter un jugement. La Conférence Épiscopale peut être appelée à se prononcer à son tour. Mais, à l’encontre de ce qu’affirment certains auteurs, le Saint-Siège peut être amené aussi à intervenir en dernière instance, à la demande de l’ordinaire du diocèse. C’est déjà arrivé à plusieurs reprises. Par exemple, en 1934, la Congrégation du Saint-Office a jugé que les apparitions et révélations d’Ezquioga (en Espagne) étaient “ dépourvues de tout caractère surnaturel ”.
Peut-être un jour - et c’est à souhaiter - la Congrégation pour la Doctrine de la Foi se prononcera-t-elle de manière définitive sur les prétendues apparitions de Medjugorje, dans le diocèse de Mostar, comme elle l’a fait sur celles de Sabana Grande. Pour le moment, la Congrégation s’est contentée de rappeler, par une lettre en date du 26 mai 1998, la déclaration de la Conférence Épiscopale de l’ex-Yougoslavie, en 1991 ( “ Sur la base des investigations jusqu’ici conduites, il n’est pas possible d’affirmer qu’il s’agisse d’apparitions ou de révélations surnaturelles ”) et d’estimer que la position de l’évêque de Mostar, Mgr Peric - “ constat de non supernaturalitate ” - était l’ “ expression d’une conviction personnelle ” La même Congrégation estime que les faits de Medjugorje “ demandent encore un examen par l’Eglise ”.
En 1998, après avoir publié plusieurs dizaines d’ouvrages sur Medjugorje et avoir mis au service de cette cause sa réputation de théologien et de mariologue, l’abbé René Laurentin avait annoncé, qu’à la demande de Mgr Peric, il cessait de publier sur le sujet. L’annonce était faite dans le volume 17 années d’apparitions à Medjugorje. Testament (éditions F.-X. de Guibert, 1998).
L’abbé Laurentin a changé d’avis. Il fait paraître un nouveau volume : Medjugorje. 18 années d’apparitions (F.-X. de Guibert, 148 pages). Le titre du livre, sa présentation, sa composition sont exactement à l’identique des dix-sept volumes précédemment parus. La seule différence est que l’abbé Laurentin n’en est plus officiellement l’auteur, il en est seulement le préfacier, son nom apparaît en gros caractères sur la couverture ...
Les ouvrages relatifs à Medjugorje et les bulletins qui diffusent les messages que la Vierge continuerait à y délivrer chaque mois sont innombrables, en toutes langues. Les études qui contestent l’authenticité des apparitions sont moins nombreuses et moins connues. Il n’est peut-être pas inutile de donner la liste des principales d’entre elles :
- Ivo Sivric, o.f.m., La Face cachée de Medjugorje, Editions Psilog, Saint-François-du-Lac (Canada), 1988, 399 pages.
- E. Michael Jones, Medjugorje : the untold story, Fidelity Press, South Bend (Etats-Unis), 1988, 144 pages.
- frère Michel de la Sainte Trinité, Medjugorje en toute vérité, Editions de la Contre-Réforme Catholique, Saint-Parres-lès-Vaudes, 1991, 519 pages.
- Michael Davies, Medjugorje after fifteen years : the message and the meaning, The Remnant Press, St. Paul (Etats-Unis), 1997, 79 pages.
- E. Michael Jones, The Medjugorje Deception. Queen of Peace, ethnic cleansing, ruined lives, Fidelity Press, South Bend (Etats-Unis), 1998, 385 pages.
- Joachim Bouflet, Medjugorje ou la fabrication du surnaturel, Editions Salvator, Paris, 1999, 243 pages.
Dans mon Enquête sur les apparitions de la Vierge (Perrin/Mame, 1995), j’ai évoqué les faits de Medjugorje dans le chapitre intitulé “ Apparitions controversées ” et dans l’Enquête sur les miracles de Lourdes (Perrin, 2000) j’ai évoqué les supposées guérisons survenues à Medjugorje ou en lien avec Medjugorje dans le chapitre intitulé “ Des miracles dans d’autres sanctuaires ”.
Ajoutons que le père Ivo Sivric, franciscain, natif de Medjugorje, longtemps professeur à l’université Duquesne, de Pittsburgh, va publier en 2001, avec Louis Bélanger, une nouvelle étude critique sur les “ apparitions yougoslaves ”, celles de Medjugorje mais aussi celles qui ont fleuri aux alentours, avant et après 1981, et qui n’ont pas eu le retentissement de celles de Medjugorje.

III. Soeur Lucie témoigne
Les entretiens accordés par soeur Lucie, en octobre 1992, au cardinal Padiyara et, en octobre 1993, au cardinal Vidal, sont contestés par certains (cf. les précédents numéros d’Alètheia) parce que la voyante de Fatima y exprime sa conviction que la consécration accomplie par Jean-Paul II en 1984 a enfin correspondu à ce que la Vierge avait demandé.
Certains estiment que ces entretiens (dont la retranscription est parue en français sous le titre Fatima. Soeur Lucie témoigne, éditions du Chalet, 1999, 117 pages) sont emplis d’affirmations que, selon eux, soeur Lucie n’aurait jamais pu faire. D’autres vont jusqu’à mettre en doute l’existence-même de ces entretiens.
J’ai déjà cité une lettre du cardinal Vidal, archevêque de Cebu (Philippines), confirmant qu’il existait bien un enregistrement vidéo de l’entretien qu’il avait eu en 1993 avec soeur Lucie. On peut ajouter que Carlos Evaristo, présent aux deux entretiens comme interprète, possède cet enregistrement (dans le système vidéo américain NTSC) et qu’il possède aussi un enregistrement audio de trois heures (les deux heures de l’entretien de 1992 et l’heure de l’entretien de 1993).
Le débat - si débat il y a - ne devrait donc pas porter sur l’authenticité des entretiens et de leur retranscription mais sur les arguments avancés par soeur Lucie. Aucun de ceux qui contestent ces entretiens de 1992 et 1993 ne s’est livré à une analyse détaillée des raisons données par soeur Lucie.

IV. Nouvelles
Une commission d’enquête sur les apparitions de la Vierge à l’Ile-Bouchard, en 1947, a été instituée par le nouvel archevêque de Tours, Mgr Vingt-Trois.
• Le Bureau Médical de Lourdes (65108 Lourdes) a élaboré un nouveau document de référence pour définir sa mission : le discernement des guérisons . Ce document de quatre pages, intitulé “ De la guérison au miracle ”, a été approuvé par le recteur des sanctuaires et par l’évêque de Tarbes-Lourdes. Il a été publié par le Bulletin du Bureau Médical (n° 272, octobre 2000). Il est disponible aussi en tiré à part, en cinq langues, et sur le site internet de Lourdes.
Yves Nicolazic, mort en 1645, a été le bénéficiaire d’une apparition de sainte Anne, à l’origine du grand sanctuaire breton d’Auray. Son procès de béatification avait été ouvert en 1937 puis avait été plus ou moins délaissé. Il a été réouvert par l’évêque de Vannes. Une commission diocésaine a été créée et les premiers résultats de ses travaux ont été déposés à la Congrégation pour les causes des saints.
• Du vivant de Paul VI, et après sa mort pendant plusieurs années, des écrits ont circulé qui affirmaient que le “ vrai ” Paul VI était séquestré et qu’il avait été remplacé par un sosie. Ces affirmations rocambolesques se fondaient sur de supposées apparitions de la Vierge, sur de prétendus exorcismes, sur des photographies et sur des sonogrammes. Cette rumeur, répandue dans certains milieux traditionalistes, permettait, semble-t-il, de faire porter la responsabilité de la crise de l’Eglise non au pape légitime mais à son sosie, manoeuvré par les francs-maçons.
Une rumeur proche commence à se répandre à propos de Jean-Paul II. Alain Kérizo et Louis Long, dans L’Eglise à l’aube du IIIe millénaire. Apostasie ou résurrection (Editions Sainte-Jeanne d’Arc, Villegenon, 1999, 52 pages), dressent une liste des “ anomalies certaines ” qui, selon eux, attestent de la manifestation “ du Mystère d’Iniquité à l’oeuvre sous les voûtes du Vatican ”. Dans cette liste, on trouve : “ le triple assassinat probable du colonel des gardes suisses, de son épouse et de son ordonnance en mai 1998 ; il est confirmé que ce colonel avait été le sosie de Jean-Paul II, qu’il semble avoir remplacé dans certains déplacements jusque dans le début des années 1990” (p. 37).
La même élucubration est reprise à la page 26 d’un roman à clefs, publié par deux auteurs qui signent du pseudonyme Napoléon et Lafayette : Opération M.S.H., la dernière croisade humanitaire (Editions Sainte Jeanne d’Arc, Villegenon, 2000, 234 pages).

12 novembre 2000

[Christian Thomas - Le Parisien] La messe de la réconciliation au Port-Marly

SOURCE - Christian Thomas - Le Parisien - 12 novembre 2000

A l'occasion de la messe du 11 Novembre, les traditionalistes qui occupent depuis 1985 une église du Port-Marly ont accepté de partager l'office religieux avec les catholiques fidèles à Rome. Un geste d'apaisement.
Traditionalistes et catholiques fidèles à Rome du Port-Marly, en guerre depuis quinze ans, ont signé l'armistice hier au cours d'une messe en commun célébrée dans l'église Saint-Louis à l'occasion du 11 Novembre. Drapeau tricolore des anciens combattants en tête, le maire, Philippe Godet, ceint de son écharpe de premier magistrat, ouvre la marche. Un catafalque recouvert d'un drap tricolore est dressé au milieu de l'allée centrale.

Sur le côté une gerbe de fleurs a été déposée devant la plaque de marbre qui rappelle les noms d'une quarantaine « d'enfants de la commune morts pour la France » pendant la Première Guerre mondiale. Deux prêtres sont présents, l'abbé Audin, le maître intégriste des lieux en soutane mais un peu en retrait, et l'abbé Heude qui, lui, célèbre l'office selon le rite du concile de Vatican 2 sur un autel faisant face à l'assemblée forte d'une bonne centaine de fidèles des deux clans. « Nous célébrons saint Martin, soldat romain devenu évêque de Tours qui, en déchirant son manteau pour couvrir un ennemi, est devenu symbole de la paix. Que les hommes et femmes prient pour la paix à tous les niveaux et même dans la paroisse, dans le respect de l'autre et quelles que soient nos différences. Cette église en est aujourd'hui un symbole », prêche l'abbé Heude qui, dans sa prière d'action de grâce, « appelle aussi à la réconciliation, au dialogue et à la compréhension pour mieux se connaître au Port-Marly ». Edifiée en 1780, cette église est occupée depuis 1985 par la communauté des proches de Mgr Lefèvre et se trouve en effet au coeur de la division de la commune. Les catholiques fidèles à Jean-Paul II ayant été contraints à se réfugier dans un préfabriqué en bois situé juste en face, de l'autre côté de la RN 186 après avoir, à plusieurs reprises, célébré la messe en signe de protestation au milieu de cette route à forte circulation. Une situation ambiguë à tel point que, le 24 septembre dernier, jour du référendum sur le quinquennat, à la suite de travaux dans la chapelle en bois, la messe a dû être dite dans la mairie sous la photo du président Chirac et le buste de Marianne voilés et avec l'accord du maire alors que les citoyens étaient obligés de voter dans un bâtiment annexe. Le lendemain, le préfet reprochait au maire ce crime de « lèse-république ». Depuis, les catholiques ont regagné leur chapelle en bois jusqu'à hier : « Cela fait sept ans que je travaille à cet accord. Il y a déjà eu des rencontres, cette messe de l'armistice est un grand pas, l'église est ouverte à tous en semaine, mais le dimanche il subsiste encore des problèmes d'horaires pour célébrer les deux offices les uns après les autres », nous précisait hier le père Audin.

1 novembre 2000

[Mgr Bernard Fellay - FSSPX] "Il y a trente ans, le 1er novembre 1970, Mgr Charrières..."

Mgr Bernard Fellay - FSSPX - Lettre du Supérieur Général de la FSSPX aux Amis et Bienfaiteurs n°59 - 1er novembre 2000

Chers Amis et Bienfaiteurs,

Il y a trente ans, le 1er novembre 1970, Mgr Charrières, évêque de Fribourg, signait le décret d’érection de notre Fraternité. Que d’événements ont marqué ces années A commencer par la reconnaissance louangeuse de la jeune Fraternité par l’Église tant au niveau des premiers diocèses où s’établit notre société qu’au niveau de Rome dans les premières années. En 1972 déjà, le Vatican lui-même engageait les premières démarches qui auraient dû conduire à l’octroi du droit pontifical assez rapidement, tandis que la Fraternité établissait l’un de ses premiers prêtres outre-mer.

Après ces débuts prometteurs vinrent bien vite les années d’épreuves. Alors que le séminaire d’Écône se remplissait rapidement, les mesures vexatoires se préparaient en haut lieu. En 1974 Mgr Etchegaray déclare à certains fidèles: «dans six mois, on ne parlera plus d’Écône ». Notre sort était donc décidé d’avance. Mais c’était compter sans la ténacité de notre valeureux fondateur, qui au nom des plus hauts principes résistera au rouleau compresseur qui aurait dû écraser dans son berceau l’œuvre de renouveau sacerdotal.

Le coup d’envoi, la visite canonique scandaleuse de 1974, scandaleuse dans le sens où les visiteurs ont scandalisé par leurs propos modernistes étudiants et professeurs, nous valut la fameuse déclaration du 21 novembre 1974 dont l’actualité est toujours aussi remarquable. Les entretiens à Rome devant une commission cardinalice confirmèrent Mgr Lefebvre dans ses appréhensions sur les orientations et l’action des autorités romaines d’alors : le salut des âmes, le souci de nourrir ces âmes aux sources de la grâce liturgique et d’une foi intègre ne semblait pas être leur fin, mais bien l’imposition des nouvelles réformes quel qu’en soit le résultat dévastateur.

« Je ne veux pas contribuer à détruire l’Église» dira Mgr Lefebvre plusieurs fois, comme un lancinant leitmotiv.

L’injuste suppression de la Fraternité en 1975 poussera Mgr Lefebvre à continuer l’œuvre à peine commencée avec courage. Les quolibets et les injures médiatisées pleuvront, les menaces et injonctions romaines et papales n’y feront rien : gardant tout son calme et sa douceur malgré l’épreuve, l’archevêque bientôt suspens de nouvelle messe continue vaille que vaille. Les magnifiques ordinations de 1976, autour desquelles il devint absolument clair que la simple célébration, même une seule fois, de la nouvelle messe « aurait tout arrangé », montrent la détermination de notre fondateur à ne pas marchander avec les principes. Nous puisons de ces années de guerre la détermination qui anime toute la Fraternité encore aujourd’hui.

Elles montrent aussi le regard supérieur sur les événements, la sagesse et la prévoyance de Mgr Lefebvre dans ces circonstances, obéir aurait été tout autre chose que la pratique de la vertu d’obéissance, cela aurait été desservir l’Église, lui porter un coup de plus, la priver d’une oeuvre de salut dont elle pourrait avoir bien besoin un jour. Au milieu du naufrage, on ne jette pas les bouées de sauvetage. Si la Rome d’alors présente l’attitude de la Fraternité comme une question de discipline ecclésiastique, la Fraternité elle, voit dans l’attitude de Rome à son égard la pointe d’un immense iceberg : rien de moins que la révolution dans l’Église [NOTE : Le cardinal Suenens a dit que Vatican Il, était 1789 dans l’Église].

L’introduction des principes maçonniques [NOTE : Yves Marsaudon, dans son livre L’œcuménisme vu par un Franc-Maçon de Tradition, parlant de la déclaration sur la liberté religieuse votée au concile, exprime sa joie et sa surprise lorsque résonnent sons la coupole de Saint-Pierre les thèses franc-maçonniques], la mise en harmonie avec le monde, les regards complaisants avec tout ce que l’Église avait considéré autrefois comme de dangereux ennemis, le libéralisme, le communisme même, avec l’ostpolitik, la philosophie moderne, un nouveau mode de frayer avec les autres religions que l’on ne veut plus appeler fausses, l’abandon de l’exclusivité de la mission salvatrice de l’Église [NOTE : Dominus Jesus essaie de corriger un peu, mais n’y arrive pas à cause de son attachement à l’œcuménisme] exprimé dans l’œcuménisme, tout cela faisait apparaître à Mgr Lefebvre la gravité de l’heure et le décidera quelques années plus tard à un autre acte salvateur, qui s’inscrit dans la ligne de tout ce qui précède : le sacre de quatre évêques. Lorsque nous parlons de nécessité au sujet de ces sacres, il s’agit de l’état de nécessité dans lequel se trouve l’Église, un état de dévastation sans précédent, que Rome avoue d’ailleurs à voix basse, dans lequel se trouvent avant tout les fidèles qui ne savent plus vers qui se diriger pour recevoir la manne qui nourrit et qui sauve.

Rome prophétise et espère le départ en masse des fidèles, annoncé avant les sacres, ainsi que les divisions internes, annoncées elles, au décès de Mgr Lefebvre. Au contraire, la Fraternité continue tranquillement son oeuvre de sanctification et de formation des prêtres.

Pendant ce temps et encore aujourd’hui, des évêques saluent à voix basse l’œuvre accomplie chez nous, et d’autres nous disent l’agonie de l’Église catholique dans plusieurs pays d’Europe. Et Rome ? Quelle position Rome adopte-t-elle par rapport à la Fraternité ? Par rapport au mouvement traditionnel ? Quelle pensée se cache derrière un silence étouffant ?

L’action de Rome sur la Fraternité Saint-Pierre est un bon indicateur.

Comment interpréter l’action entreprise contre la Fraternité Saint-Pierre, sinon comme la volonté globale de continuer dans l’impasse de la nouvelle messe ? Rome montre une cohérence dans sa ligne d’action qui n’a d’égal que son aveuglement: il faut à tout prix et partout infliger la nouvelle messe. Alors seulement et au goutte à goutte on permettra à certains des capitulés de goûter quelque saveur du rite ancien désormais voué à un rôle de musée. Quel triste et affligeant spectacle Pendant que de toutes parts les brèches sont ouvertes dans l’enseignement et la transmission de la doctrine catholique, pendant que la morale subit des coups inouïs (morale conjugale, homosexualité) en beaucoup de pays — et nous parlons ici des prises de position épiscopales — on finira par croire que la seule chose défendue, le seul comportement prohibé est une vie catholique normale, fidèle intégralement à l’enseignement et à la discipline pluriséculaire. Les fruits sont là, criants : qu’attend donc Rome pour changer de cap et reconnaître la légitimité de notre refus de saborder la Religion sur notre contestation du concile, de ses ambiguïtés, de ses erreurs, de sa mise en application par les réformes post-conciliaires. Alors qu’elle reconnaît par une voix cardinalice que les fruits (de la Fraternité) sont bons, que le Saint-Esprit est à l’œuvre dans la Fraternité Pourquoi continuer à nous désigner ou nous laisser désigner comme l’ennemi numéro un ? De toutes parts les vrais destructeurs de l’Église sont à l’œuvre, les vrais contestataires de l’autorité pontificale ont les coudées franches et se moquent ouvertement des rappels à l’ordre désormais quasi impuissants.

« Ces gens sont dangereux » a dit de nous le Père Abbé de Saint-Paul-hors-les-Murs lors de notre pèlerinage romain. Mais dangereux pour qui?

L’Église a connu pendant ces trente dernières années un tournant spectaculaire : la mise en pratique de Vatican Il par une suite de réformes qui ont touché tous les domaines de la vie ecclésiale a changé la face de l’Église. Ainsi, les différences entre les prêtres, les fidèles «Novas Ordo » et ceux de la Fraternité sont bien marquées. On a pu le voir lors de notre pèlerinage à Rome cet été. Le contraste entre notre passage et les journées des JMJ fut immense : deux mondes. Le Vatican a dû tout simplement changer ses règles morales concernant l’habillement pour laisser entrer les jeunes dans les basiliques romaines...

Oui, ces trente années ont été bien mouvementées. Et nous devons rendre grâces à Dieu tout particulièrement de nous avoir permis de conserver notre identité catholique au milieu de tant de bouleversements. Et nous vous remercions, chers fidèles et bienfaiteurs, pour votre soutien généreux sans lequel notre épopée n’aurait certainement pas connu les développements et les résultats actuels. Nous comptons plus de quatre cents prêtres disséminés sur les cinq continents, une soixantaine de pays reçoivent le secours de la Tradition dont cinquante par le passage ou l’apostolat régulier du prêtre. Un peu partout, les garages cèdent la place à des édifices plus dignes du nom d’église. L’effort de construction est tout simplement immense : ces dernières années, la Fraternité a construit une cinquantaine d’églises dans le monde entier, alors qu’un effort encore plus grand est porté envers les écoles dont le nombre s’élève à environ soixante-dix. Aurons-nous le nombre de prêtres suffisant pour continuer la tâche ? Nos séminaires comptent quelques 180 aspirants au sacerdoce, mais cela est loin au-dessous de nos besoins. Nous vous confions cette importante intention de prière.

L’édification spirituelle de vos âmes, qui ne se chiffre pas, compte bien davantage aux yeux de Dieu et des nôtres que tout succès temporal. Le bien de vos familles nous est plus cher que tous ces édifices.

En cet anniversaire, nous demandons au Cœur Immaculé de Marie de vous rendre en grâces votre générosité grâces de charité, grâces de paix, grâces de courage inlassable qui ne fléchit pas. Daigne ce même Cœur auquel la Fraternité est consacrée, la protéger, la faire croître toujours plus et l’animer toujours mieux du zèle qui animait les apôtres pour répandre en tous lieux ce feu que Notre Seigneur brûlait d’allumer partout.

Dieu vous bénisse abondamment.

Zaitzkofen, 1er novembre 2000

En la fête de tous les saints
+ Bernard Fellay, Supérieur Général

18 octobre 2000

[Aletheia n°4] Le Syllabus de Pie IX - Fallait-il béatifier Jean XXIII? - A propos de Dominus Jesus - Trois livres sur le Troisième secret de Fatima

Aletheia n° 4 - 18 octobre 2000

Sommaire :
I. Le Syllabus de Pie IX.
II. Fallait-il béatifier Jean XXIII ?
III. A propos de Dominus Jesus.
IV. Trois livres sur le Troisième secret de Fatima.
V. Nouvelles.

I. Le Syllabus de Pie IX
En 1967, l’éditeur anticonformiste Jean-Jacques Pauvert avait réédité, dans la collection “Libertés”, l’encyclique Quanta Cura et son complément le Syllabus. Ces deux actes, que Pie IX avait promulgués en 1864, étaient réédités par l’abbé Armogathe en même temps que d’autres documents d’époque : la lettre du cardinal Antonelli, Secrétaire d’Etat de Pie IX, qui accompagnait l’envoi officiel des documents aux évêques du monde entier ; et, en annexes, la reproduction intégrale de la grande encyclique antilibérale de Grégoire XVI, Mirari Vos ; des extraits de la brochure de Mgr Dupanloup, La Convention du 15 septembre et l’Encyclique, où le célèbre évêque d’Orléans interprétait à sa manière, réductionniste, les deux actes pontificaux ; deux articles du libéral Forcade, dans la Revue des Deux-Mondes, très critiques envers “ce pénible document” ; enfin des extraits du féroce livre de Louis Veuillot, L’Illusion libérale.
A l’occasion de la récente béatification de Pie IX, une nouvelle édition du Syllabus est parue, mais sans l’encyclique Quanta cura dont elle était le complément. Dans Le Syllabus de Pie IX (éditions du Cerf, 109 pages, 75 F), publié par Paul Christophe et Roland Minnerath, on trouve donc le texte latin intégral du document et, en regard, sa traduction française. Le document est précédé d’une longue présentation historique par l’abbé Paul Christophe et il est suivi d’un commentaire théologique dû à Mgr Roland Minnerath, professeur à la faculté de théologie catholique de Strasbourg et membre de la Commission théologique internationale.
Ce dernier juge nécessaire de distinguer, dans le Syllabus,
les affirmations qui relèvent des principes immuables de la foi, et celles qui sont relatives aux conditions spécifiques de la vie de l’Eglise dans la deuxième moitié du XIXe siècle. A cet égard, il est apparu que nombre de considérations étaient devenues obsolètes et ne présentaient plus qu’un intérêt historique, comme les sections consacrées aux relents de régalisme et de jurisdictionnalisme d’Ancien Régime, aux immunités et autres dispositions du droit public de l’Eglise qui avaient alors cours. Bien des questions comme l’angoisse de la papauté de perdre son autonomie avec la perte de ses états ont été réglées. D’autres ont changé de paramètres avec l’évolution même des Etats modernes et de leur attitude envers les religions.
Cependant, les affirmations du Syllabus concernant la doctrine de la foi s’inscrivent dans la tradition constante de l’Eglise (...) Ainsi le rationalisme et l’indifférentisme sont-ils toujours plus d’actualité. Ils ne sont plus une nouveauté qui choque, ils sont devenus des caractéristiques de la culture contemporaine, imperméable à l’affirmation centrale de la vision chrétienne de la société, à savoir que le Dieu révélé de la Bible est aussi le créateur de la raison humaine.”
Dans un long article paru dans La Croix, le 2 octobre, Emile Poulat, avec sa rigueur questionnante habituelle, estime :
“Le Syllabus ne nous est plus immédiatement compréhensible : qui peut encore deviner à qui et à quoi pensait Pie IX ? Il nous manque encore un grand commentaire à la façon du P. Lagrange pour les Évangiles. Sa rédaction et son intelligence soulèvent bien des questions. Paul Viollet, membre de l’Institut, professeur d’histoire du droit civil et du droit canonique à l’Ecole nationale des Chartes, catholique dreyfusard, les avaient posées en 1904. La revue jésuite Etudes l’avait aussitôt traité de “ théologien improvisé ”. Elles attendent toujours leur réponse.
(...) Tout a changé depuis Pie IX - situations, problèmes, langages, sensibilités, attitudes -, tout sauf les enseignements fondamentaux de l’Eglise, et sauf le conflit fondamental générateur de ce monde nouveau qui est le nôtre, et de son humanisme séculier “ dans sa terrible stature ”, selon les propres paroles de Paul VI à la clôture de Vatican II.”

II. Fallait-il béatifier Jean XXIII ?
Comme en écho à l’article de Jean Madiran sur Jean XXIII, daté de 1963, que je citais dans le numéro 3 (daté du 5 septembre), Présent, à son tour, dans son numéro du 9 septembre, en cite de courts extraits assortis d’un commentaire, non signé, qui dit notamment :
“L’insistance obsessionnelle et déformante des médias à dominante maçonnico-marxiste a réussi, semble-t-il, à faire croire à beaucoup de “ traditionalistes ” qu’ils étaient les ennemis de Jean XXIII et que Jean XXIII était leur ennemi ; et à faire croire aux “ progressistes ” que Jean XXIII a désiré toutes les démolitions liturgiques et morales qu’en réalité il voulut empêcher, mais il n’y est pas arrivé, le déferlement étant quasiment irrésistible.”
Ces lignes, anonymes, surprennent par leur faiblesse d’argumentation. Quelques jours plus tard, toujours dans Présent (16.9.2000), Jeanne Smits et Olivier Mirande ont publié un reportage sur les béatifications du 3 septembre. L’essentiel de leur article est constitué de notices biographiques sur les cinq nouveaux bienheureux, notices inspirées pour la plus grande part du livret distribué ce jour-là, Place Saint-Pierre, aux pèlerins et fidèles venus assister à la béatification. La notice de Jean XXIII a été enrichie, néanmoins, par les deux journalistes, de remarques visant à faire de ce pape “un garant des traditions”. Et les deux auteurs de rappeler Veterum sapientia où Jean XXIII “défendant l’usage du latin et des autres langues sacrées contre l’emploi du vernaculaire, non seulement en recommande l’étude et l’emploi, mais demande qu’il soit restauré là où il a été abandonné.”
Sur Veterum sapientia, il y a intérêt à lire ce qu’en dit Peter Hebblethwaite dans sa biographie de Jean XXIII (Le Centurion, 1988, p. 445-446) : un texte de circonstance, une concession, qui s’avèrera incompatible avec d’autres actes du même pape. Il y a lieu, aussi, de se souvenir de la réponse de Jean XXIII à Mgr Lefebvre qui le félicitait de Veterum sapienta :
- Oh, les encycliques... Il faut en prendre et en laisser.
Plus satisfaisant que les maigres défenses de Jean XXIII parues dans Présent les 9 et 16 septembre, on se reportera au texte publié entre temps par Jean Madiran (13.9.2000). Ses lignes accompagnaient une large reproduction de son éditorial paru dans Itinéraires en 1963. Jean Madiran écrit aujourd’hui :
“Si j’avais dû, ce qu’à Dieu ne plaise, donner un avis sur la béatification du pape Jean XXIII, ou si je devais le faire à son (prochain ?) procès de canonisation, j’avoue que j’aurais fortement tendance à remettre en cause l’ “ l’héroïcité des vertus ”, et leur “ connexion ”, qui lui ont été reconnues. J’invoquerais là-contre sa manière de pratiquer la vertu cardinale de prudence dans le gouvernement de l’Eglise.
Ce que le P. Congar, avec une gourmandise ravie, appelait “ la révolution d’Octobre dans l’Eglise”, par une singulière référence à l’octobre 1917 de Lénine, a bien commencé sous le pontificat de Jean XXIII, et à l’occasion du concile Vatican II dont il a pris l’initiative. Mais ce n’est pas Jean XXIII qui a conduit la suite et la fin du concile ni l’après-concile, et le parti progressiste lui a fait gloire d’une révolution qu’en réalité il ne voulait pas et qu’il n’a pas su empêcher.
Mais j’aurais sans doute eu tort. Le jugement porté là-dessus par la béatification, qui n’est pas infaillible, mas dont il y aurait “ témérité coupable ” à ne tenir aucun compte, signifie peut-être que cette révolution dans l’Eglise était une déferlante diabolique telle que rien, sur le moment, n’aurait pu l’arrêter.”
Enfin, pour nourrir le dossier et la réflexion, on doit signaler les nombreux documents que la revue Sel de la Terre (Couvent de la Haye-aux-Bonhommes, 49240 Avrillé) publie, dans son n° 34, sous le titre : “Bienheureux Jean XXIII ?” (p. 221-237).

III. A propos de Dominus Iesus
Le 5 septembre dernier, le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Ratzinger, a présenté une déclaration, Dominus Iesus, “Sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Eglise”.
On doit remarquer d’abord que cette déclaration, datée du 6 août, n’a été rendue publique que le mardi 5 septembre, soit deux jours après la béatification de Pie IX. Ce n’est sans doute pas une coïncidence. Certains commentateurs, hostiles, ne s’y sont pas trompés qui y ont vu un “nouveau Syllabus”. L’abbé Claude Barthe, lui, dans un long commentaire paru dans le n° 69 de la revue Catholica (B.P. 246, 91162 Longjumeau Cedex), relève une autre coïncidence : le cinquantenaire de la grande encyclique Humani generis (12 août 1950).
L’encyclique de Pie XII était toute dirigée, sans les nommer, contre les tenants de la “nouvelle théologie” et certaines de leur doctrine. Domini Iesus est dirigé contre les thèses aventurées en matière de théologie des religions et les affirmations intempestives qui entourent le dialogue interreligieux et le dialogue oecuménique. Semble être particulièrement visé, quoique non nommé, l’ouvrage qui fait référence en la matière : Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux du père Jacques Dupuis, jésuite.
Sans entrer dans une analyse complète du document, on doit relever son intention formelle : “remédier à [une] mentalité relativiste toujours plus répandue”. Sans reprendre l’antique formule anathema sit, le Préfet de la Congrégation procède par affirmations claires, avec des formules qui ne le sont pas moins : “Est donc contraire à la foi de l’Eglise la thèse ....”, “Il est donc contraire à la foi catholique de ...”, “Elle n’est donc pas compatible avec la doctrine de l’Eglise la théorie...”, etc.
La Croix a engagé, dès le document connu, une véritable campagne d’opposition. Michel Kubler, rédacteur en chef du seul quotidien catholique reconnu comme tel par l’épiscopat français, publiait dès le 6 septembre, à la une, un éditorial furieux contre “des anathèmes dignes du Syllabus” et “des catégories qui relèvent de la préhistoire en matière d’oecuménisme catholique”. Le 18 septembre, c’était un des théologiens collaborateurs réguliers du journal, le père Bruno Chenu, qui estimait : “le cardinal Ratzinger se livre à une lecture réductrice de Vatican II, au point de mettre en péril l’intention même du concile.” Lui aussi établissait un parallèle entre Dominus Iesus et le Syllabus : “Dans son dernier texte, la Congrégation offre surtout un catalogue de citations de documents récents, conciliaires ou pontificaux, avec une pratique pas toujours très judicieuse du “ copier-coller ”.” Et de s’inquiéter : “Serions-nous revenus en-deçà de Vatican II ?”.
Le 19 septembre, la Croix poursuivait sa campagne en publiant une interview de Mgr Fitzgerald, secrétaire du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. En termes clairs, celui-ci déclarait : “Dominus Iesus ne change rien à notre attitude envers eux [les représentants des autres religions], qui reste fondée sur la déclaration Nostra aetate de Vatican II.” Le 25 septembre encore, le journal publiait un entretien avec l’historien Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de sant’Egidio et organisateur de rencontres interreligieuses dans la suite du rassemblement de prière d’Assise (le 27 octobre 1986). Andrea Riccardi, lui aussi, semble vouloir passer outre au document romain : “Notre travail doit continuer dans l’esprit qui fut celui d’Assise et qui est aussi celui de Redemptoris missio, l’encyclique missionnaire de Jean-Paul II.”
Cette façon d’opposer le cardinal Ratzinger à Jean-Paul II était déjà celle de Michel Kubler, dans l’éditorial cité. Il y revenait en présentant un “Forum” - deux pleines pages - consacré au document romain. Pourtant, Jean Madiran l’avait souligné dans Présent , dès la parution du document, Jean-Paul II n’a pas seulement approuvé le document publié par le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, il l’a revêtu d’une autorité particulière. Le document se termine par une déclaration solennelle :
“Sa Sainteté le pape Jean-Paul II, au cours de l’audience accordée le 16 juin 2000 au soussigné cardinal Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, avec science certaine et son autorité apostolique a approuvé la présente Déclaration, décidée en session plénière, l’a confirmé et en ordonné la publication.”
On peut donc lire cette déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi non comme la manifestation de “clivages entre sphères du Vatican” (M. Kubler), mais comme une manifestation de plus d’une des tendances majeures du pontificat, sous-estimée par certains. Dominus Iesus est, après le Catéchisme de l’Eglise Catholique, Donum vitae, Ordinatio sacerdotalis, Fides et ratio, un acte restaurateur et clarificateur.
On peut aussi, peut-être, le lire à la lumière du motu proprio Ecclesia Dei Afflicta (2 juillet 1988) où Jean-Paul II exhortait à “un effort renouvelé d’approfondissement qui permettra de mettre en lumière la continuité du concile avec la Tradition.” A cet égard, il semble que l’on puisse s’attendre, à l’avenir, à une déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur la liberté religieuse.

IV. Trois livres sur le secret de Fatima
Dans le prolongement de la béatification de deux des voyants de Fatima et de la révélation du “troisième secret”, trois livres méritent d’être signalés :
• Aura Miguel, Le Secret de Jean-Paul II, Mame-Plon, juillet 2000, 255 pages, 118 F.
Aura Miguel est la seule journaliste portugaise accréditée au Vatican. A ce titre, elle a suivi le pape dans nombre de ses voyages, notamment ceux effectués au Portugal. Son livre a été publié en portugais avant la béatification du 13 mai dernier et la révélation du “troisième secret”. La traduction française, en revanche, contient un complément où tous les documents officiels relatifs à ce dernier événement sont publiés, suivis d’un commentaire d’Aura Miguel.
Son livre ne raconte pas une énième fois les apparitions de la Sainte Vierge à Fatima. Il s’agit d’un récit, très circonstancié, du lien privilégié de Jean-Paul II avec Notre-Dame de Fatima, depuis l’attentat dont il a été victime le 13 mai 1981. Comment Jean-Paul II a littéralement découvert le message de Fatima et les demandes de la Vierge à partir de cette date et comment il a essayé, pas à pas, d’y répondre. Un livre convaincant, très bien informé, avec nombre de détails significatifs. Telle cette déclaration, oubliée, du cardinal Ottaviani, en 1967, à propos du “troisième secret” qu’il avait lu:
“Le secret n’intéresse que le Saint-Père, à qui il était destiné. Il en était le destinataire. Et tant que le destinataire ne décide pas de dire “ c’est maintenant le moment de le faire connaître au monde ”, nous devons faire confiance à sa sagesse et le conserver secret.”
Soeur Lucie, en 1992, avait dit la même chose au cardinal Padiyara (Fatima. Soeur Lucie témoigne, éditions du Chalet, 1999, p. 64).
• Andrea Tornielli, Fatima. Il segreto svelato, Piero Gribaudi Editore, Milan, juillet 2000, 144 pages, 15.000 L.
Andrea Tornielli, vaticaniste du grand quotidien de droite italien Il Giornale, publie un livre où, à côté de choses bien connues, on en trouve d’autres, curieuses, parfois stupéfiantes. L’approbation tacite, silencieuse, donnée par soeur Lucie à un prêtre italien, don Luigi Bianchi, spécialiste de Fatima, qui lui exposait, en 1991, une interprétation du 3e secret en lien avec la crise doctrinale de l’Eglise (p. 78). Les confidences du cardinal Luciani - le futur Jean-Paul Ier - après le long entretien qu’il eut avec soeur Lucie, en juillet 1977, entretien au cours duquel la religieuse carmélitaine annonça au pape qu’il serait pape et d’autres événements, sans doute (p. 95-99). On relèvera encore (p. 102-104), à propos de Jean-Paul Ier, la vision de sa mort qu’a eue une mystique allemande, soeur Erika Holzach. Cette vision est rapportée dans un ouvrage qu’a édité en 1988 le grand théologien Hans Urs von Balthasar, créé cardinal par Jean-Paul II justement cette année-là (un mois avant sa mort). Pour ne pas ajouter une traduction à la traduction, je cite ici la version italienne de la vision :
Ieri sera, quasi alla fine della preghiera ... mi è stato dato di conoscere qualcosa in modo molto chiaro : nella notte in cui fu ucciso due uomini entrarano nella stanza da letto del Papa. Il primo aveva une siringa, l’altro doveva solo fare la guardia. Ma il Santo Padre si è svegliato e ha capito subito che lo volevano uccidere. Ha visto anche il secondo uomo, non poteva e non voleva difendersi. Ho accettato volontariamente di morire per amore. Tutto è successo molto velocemente. La cara Madre di Dio mi ha rivelato che il Santo Padre si è consegnato totalmente nell’ultimo instante, raccomandando a lei anche la Chiesa e il futuro Papa.”
Voilà qui semblerait pouvoir renforcer la thèse de ceux qui identifient le pontife de la vision de Fatima avec Jean-Paul Ier (à nouveau, dans le dernier numéro de la Contre-Réforme Catholique au XXe siècle, septembre 2000, Maison Saint-Joseph, 10260 Saint-Parres-lès-Vaudes). Encore faudrait-il savoir quel crédit accorder à la mystique Rika Holzach, décédée en 1987.
• Laurent Touchagues et Thierry Boutet, Fatima. trois secrets, un message, Edifa (15-27 rue Moussorgski, 75895 Paris cedex 18), 96 pages, 75 F.
C’est, à ce jour, l’ouvrage le plus complet, le plus précis et le plus agréable consacré à Fatima dans la perspective du 3e secret. Sur deux points controversés - la consécration accomplie par Jean-Paul II en 1984 correspond-elle bien à ce qu’a demandé la Vierge et soeur Lucie a-t-elle approuvé formellement cette consécration ? - on appréciera les réponses nuancées des deux auteurs (p. 32 et 33). On relèvera notamment cette appréciation, empreinte non d’une mentalité mécaniste, positiviste mais d’un esprit spirituel et surnaturel :
“Il est donc probable que les actes de 1982 et 1984, même s’ils n’ont pas été faits exactement comme Notre-Dame de Fatima le souhaitait, ont été entendus du Ciel et ont mérité à la Terre des adoucissements. Ceux-ci se sont traduits en particulier par des changements intervenus à l’Est.”
On doit même remonter à Pie XII et, comme l’a rappelé Jean Madiran dans un grand article du journal Présent (2.9.2000), rendre justice à ce pape qui, le premier, a fait apparaître le nom de Fatima dans un document pontifical et qui, le premier, “avait confié l’Eglise, le monde et la Russie au Coeur Immaculé de Marie”. “Si Pie XII n’a pas tout fait, comme l’écrit Jean Madiran, du moins a-t-il fait beaucoup ; et beaucoup enseigné. Cela ne sera pas oublié.” Et cela ne fut pas sans effet surnaturel.

V. Nouvelles
• Cette année, l’abbaye Sainte-Madeleine (84330 Le Barroux) fête le 30e anniversaire de sa fondation. Dom Gérard décrit comment “un certain 25 août 1970, un petit moine débarquait en mobylette avec ses maigres bagages pour commencer l’étrange aventure”, dans un prieuré du XIe siècle, à Bédoin. Le dimanche 21 mai, 1.500 fidèles purent visiter le monastère qui ouvrait ses portes, exceptionnellement clôture comprise. Le 1er octobre dernier, c’est une cérémonie solennelle qui a vu le cardinal Medina célébrer la messe dans l’église de l’abbaye. Le cardinal Medina, Préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline ecclésiastique, est le cinquième cardinal à célébrer la messe traditionnelle au Barroux.
L’abbaye compte aujourd’hui 65 moines. Quelque 300 oblats lui sont liés. L’abbaye publie régulièrement un bulletin (Les Amis du monastère, 95 numéros parus à ce jour) et des livres. Parmi les derniers parus, une nouvelle traduction des Homélies sur les Évangiles de saint Grégoire le Grand (620 pages, 190 F).
• Giuseppe Alberigo, directeur de l’Institut pour les sciences religieuses de Bologne, est le maître d’oeuvre d’une “Histoire du concile Vatican II”, rédigée par des historiens de différents pays et dont les volumes sont traduits simultanément en plusieurs langues. Le IVe volume, portant sur la période septembre 1964-1965, est paru en Italie mais n’est pas encore traduit en français. Il a fait l’objet d’un grand article - une pleine page sur quatre colonnes - de L’Osservatore Romano (31.1/1.2.2000). L’article, très critique, est dû à Mgr Agostino Marchetto, de la Secrétairerie d’Etat. Il estime que l’ouvrage est empreint “d’une animosité non scientifique” à l’encontre de la “minorité” et qu’il offre une lecture “idéologique” de l’événement et des débats qui ont eu lieu, particulièrement, au cours de la IIIe session.

30 septembre 2000

[Philippe Maxence - La Nef] Fraternité Saint-Pierre : "Ramener la paix..." - Interview accordé par l'Abbé Devillers

Philippe Maxence - La Nef - Abbé Devillers - Septembre 2000

L'abbé Arnaud Devillers a été nommé par Rome Supérieur général de la Fraternité Saint-Pierre. Il était depuis 1991 le Supérieur du district d'Amérique du Nord. Il répond à nos questions sur la crise que traverse depuis un an la Fraternité Saint-Pierre.

La Nef : Pouvez-vous nous dire un mot sur la façon dont vous avez été nommé Supérieur général de la Fraternité Saint-Pierre ?
Abbé Arnaud Devillers : A peu près deux semaines avant notre chapitre général en juillet dernier, le cardinal Castrillon Hoyos, le nouveau président de la Commission pontificale Ecclesia Dei, m'a demandé de servir comme Supérieur général de la Fraternité. Ce n'était certes pas ce à quoi je m'attendais puisque j'avais prévu de poursuivre mes études de théologie à Rome. Cela faisait neuf ans que je présidais à l'implantation de la Fraternité aux Etats-Unis et au Canada. J'aspirais à un temps de repos, de prière, et de réflexion. J'étais d'ailleurs en vacances chez mes parents quand l'appel est venu de Rome.

Pourquoi donc ai-je accepté cette position difficile ? II y a depuis plus d'un an une crise grave au sein de la Fraternité, en particulier en France. Un esprit de division et de conflit a remplacé l'esprit de charité fraternelle qui devrait animer ses membres. Il ne s'agit pas ici de lancer la pierre à quiconque. Pour celui qui est familier avec la fondation de nouveaux ordres, il y a souvent une crise d'identité une dizaine d'années après leur fondation. Mon but est de ramener la paix au sein de la Fraternité comme le déclare le cardinal dans sa lettre au chapitre général de la Fraternité : "Sa première tache sera lie rendre la paix à votre Fraternité en travaillant à maintenir et même à renforcer sa spiritualité commune et fortifier son esprit de famille".

Cette intervention du Saint-Siège n'est pas quelque chose de tout à fait nouveau. En 1991, la Commission n'avait pas tenu compte de l'élection tenue au chapitre général et avait renommé l'abbé Bisig comme Supérieur général.

Je tiens à rendre hommage à l'abbé Josef Bisig, mon prédécesseur, qui, pendant les douze dernières années, s'est dépensé sans compter. Sous sa direction, la Fraternité est passée d'un petit groupe de prêtres animés d'une volonté de rester fidèles à l'Eglise à une des sociétés les plus dynamiques de notre temps. Il n'a pas hésité à voyager d'un continent à l'autre pour étendre l'apostolat de la Fraternité. C'est ainsi qu'en dépit de la crise qui a secoué la Fraternité ces derniers mois, nous avons pu étendre notre apostolat jusqu'en Australie où nous avons commencé une fondation dans l'archidiocèse de Melbourne. Deux prêtres et deux séminaristes travaillent cette première implantation sur ce continent.
La Nef : Que pensez-vous des fameuses Responsa du cardinal Médina publiées l'an dernier ?
Abbé Devillers : Ce document répondait à des questions précises au sujet des prêtres ayant reçu le privilège d'utiliser les anciens livres liturgiques du rit romain en usage en 1962. Un privilège n'enlève pas le droit général. Les prêtres ayant reçu ce privilège ne perdent pas pour autant l'usage du droit général. Le missel romain du pape Paul VI est aujourd'hui le rite normatif de l'Eglise latine. Un prêtre ayant reçu l'Indult peut-il être interdit de célébrer le rite normatif par un évêque ou son supérieur ? La réponse est négative. Ce document ne force aucun prêtre à célébrer ou concelébrer le nouveau rite ni ne permet à un évêque de forcer un membre de la Fraternité de célébrer la liturgie normative.

Plusieurs interprétations de ces documents virent le jour. Certains pensaient que le prêtre qui rejoignait ou était ordonné pour la Fraternité renonçait automatiquement à son droit de dire la messe de Paul VI. D'autres voulaient introduire une loi interdisant la célébration de la nouvelle messe au sein de la Fraternité d'une manière ou d'une autre. Je ne peux ici que répondre brièvement. La Nef a fait paraître un article du Père Basile, osb, qui expliquait bien la question. De toute façon, il ne faut pas oublier que les prêtres de la Fraternité ne célèbrent pas l'ancien rite parce qu'ils sont forcés ou obligés de le faire mais parce qu'ils aiment et vénèrent cette liturgie, pour sa précision théologique ainsi que sa spiritualité. La mission que l'Eglise leur a confiée est précisément d'être à la disposition des évêques pour servir les fidèles attachés à ce rite.
La Nef : La Commission Ecclesia Dei a t-elle profité de ce chapitre général pour changer la spécificité propre de la Fraternité Saint-Pierre ?
Abbé Devillers : Au contraire, le cardinal insiste bien sur cette spécificité qu'il prend bien soin de situer dans un contexte ecclésial. Les prêtres de la Fraternité ont reçu le privilège d'offrir le Saint Sacrifice de la Messe et d'administrer les autres sacrements selon le rite antérieur, "cette vénérable forme de la liturgie romaine". C'est "la contribution caractéristique de votre institut à l'œuvre commune de l'Eglise". La Fraternité contribue ainsi selon sa spécificité propre "à cette nouvelle évangélisation à laquelle le Saint-Père nous appelle tous". En particulier, "votre charge est de le faire (maintenir le Sacré) en célébrant cette vénérable forme de la liturgie romaine".
La Nef : Vos prêtres pourront-ils être forcés de célébrer et de concélébrer la nouvelle liturgie ou même de devenir bi-rituels ?
Abbé Devillers : Les prêtres de la Fraternité ont reçu "le privilège de célébrer selon les livres liturgiques de 1962" et ils peuvent le faire exclusivement. En tant que prêtres de rite latin, les prêtres de la Fraternité conservent le droit de célébrer les Saints Mystères selon le Missel Romain actuel mais "il est clair qu'aucun prêtre n'est forcé de faire usage de ce droit". De plus, ils ne pourraient pas le faire dans le cadre de leur apostolat habituel mais seulement "dans des cas spéciaux, qui ne seront pas fréquents" tels que la concélébration avec l'évêque du lieu, signe de communion hiérarchique.
La Nef : Les statuts de la Fraternité Saint-Pierre ont-ils été modifiés ?
Abbé Devillers : La Commission Ecclesia Dei, avec l'aide de la Congrégation des Instituts de Vie consacrée et des Sociétés de Vie apostolique, avait demandé une précision plus grande dans certaines questions de nos statuts en particulier sur le fonctionnement interne de la Fraternité, par exemple les compétences du Supérieur général, de son conseil, des Supérieurs de District et de séminaire, et nous devions également introduire une législation sur les provinces qui devront remplacer éventuellement certains districts lorsqu'ils auront atteint une taille suffisante. En ce qui concerne la nature et la mission de la Fraternité, rien n'a changé.
La Nef : Vous héritez d'une situation de tension au sein de ta Fraternité Saint-Pierre ? Pensez-vous qu'il soit possible aujourd'hui de ta surmonter ?
Abbé Devillers : Je n'aurai pas accepté la mission du cardinal si je n'avais pas la certitude qu'il est possible de ramener la paix et l'harmonie. Je crois trop en la mission de la Fraternité pour ne pas essayer. J'ai reçu tant de témoignages de fidèles qui sont si reconnaissants que la Fraternité Saint-Pierre ait une paroisse ou un apostolat proche de chez eux. En Amérique du Nord, où j'étais supérieur, nous travaillons maintenant dans vingt-cinq diocèses. Nous avons dû plusieurs fois au cours des six dernières années refuser ou retarder une fondation dans un nouveau diocèse. Nous y avons une trentaine d'apostolats. Pourquoi pas la même croissance en France ? Le besoin est le même. Maintenant que Rome a parlé et que les choses sont plus claires, nous devons, prêtres et laïcs travailler dans le même sens au lieu de gaspiller notre énergie à nous combattre.
La Nef : Est-il possible de dépasser les clivages, non seulement entre les prêtres de la Fraternité, mais aussi chez les laïcs ?
Abbé Devillers : Bien sûr ! Cela prendra du temps pour guérir les blessures et les cicatriser, sans aucun doute. L'enjeu en vaut la peine. Il y a déjà trop de divisions chez les catholiques attachés à la Messe traditionnelle. Il y a trop d'énergie gâchée. Il y a tant à faire pour que la Messe classique soit disponible pour tous ceux qui désirent y assister. Si chacun y met de la bonne volonté, je pense que nous pourrons non seulement pardonner mais aussi oublier les offenses commises. Les fidèles n'attendent que cela. Si les prêtres ne vivent pas la charité fraternelle, comment leur apostolat pourrait-il être vraiment fructueux ? Pour résoudre les disputes matrimoniales, il faut commencer par faire que les conjoints prennent le temps de s'écouter et de comprendre les griefs de l'autre. Les querelles naissent souvent d'un manque de communication.

Je comprends que les laïcs puissent s'inquiéter lorsqu'ils entendent toutes sortes d'histoires mais il faut qu'ils vérifient les faits avant de réagir. Il est si facile de s'indigner lorsqu'un fait est raconté en dehors de son contexte. Il y a certaines personnes qui prennent plaisir à tout envenimer en faisant croire certaines choses pour provoquer une réaction affective qu'ils pourront à nouveau utiliser. Lorsqu'on entend une chose qui semble être scandaleuse, il faut toujours vérifier les faits, tout d'abord avec la personne intéressée, puis, s'il le faut, avec son supérieur hiérarchique.
La Nef : Pouvez-vous définir les grandes lignes qui guideront votre supériorat ?
Abbé Devillers : C'est encore difficile car je voudrais parler à tous nos prêtres et séminaristes avant de constituer un programme d'action. Cependant je peux dire dès maintenant que mon premier objectif est de ramener la paix parmi les prêtres pour que tous travaillent dans la même direction pour la même mission. La Fraternité n'a encore que 12 ans d'âge, un âge auquel on se chamaille beaucoup ! Elle n'a pas encore la maturité des ordres plus anciens. Au cours des six prochaines années, il lui faut atteindre la maturité nécessaire pour atteindre sa majorité.

Avec la croissance impressionnante des dernières années, il y a des changements d'organisation qui s'imposent. Un de mes objectifs est d'étoffer la maison généralice. Le Supérieur général ne peut pas tout faire. Non seulement le secrétaire général et l'économe général mais également les assistants doivent l'épauler au jour le jour dans sa tâche. Ils devront donc vivre sous le même toit et participer ensemble à la gestion de la Fraternité. Ils l'aideront à promouvoir plus de communication et de charité fraternelle entre les membres.
La Nef : Après le succès que vous avez connu aux Etats-Unis, comment voyez-vous l'implantation de la Fraternité Saint-Pierre en Europe et en France ?
Abbé Devillers : Notre implantation en Amérique du Nord a commencé trois ans plus tard que celle de l'Europe mais c'est, aujourd'hui, notre district le plus important avec la moitié de nos apostolats au monde. Depuis le début, nous avons pris soin de travailler en bonne intelligence avec l'évêque du lieu et de collaborer avec les autres prêtres du diocèse. Si nous sommes attentifs à bien leur expliquer notre mission, ils comprennent très bien que nous leur sommes complémentaires. Les fidèles trouvent dans nos paroisses et communautés un havre de paix et une réponse à leurs besoins spirituels.

Je dois avouer que lorsque j'ai commencé ma mission en Amérique en 1991, j'étais plutôt pessimiste. Après avoir exprimé mon pessimisme à un saint prêtre (de rit byzantin), il m'a conseillé de commencer une neuvaine perpétuelle à l'Immaculée Conception (Patronne principale de l'Amérique) et à saint Michel. Il m'a expliqué qu'à chaque fois qu'il s'est trouvé dans une situation difficile, il a toujours prié ces deux saints et il a toujours été exaucé. J'ai demandé à nos amis de dire chaque jour les prières que Léon XIII avait demandé de dire après la Messe pour le succès de notre apostolat et l'effet ne s'est pas fait attendre... Je crois que les Français pourraient faire de même, Marie étant également patronne de la France sous le vocable de l'Assomption et la France ayant été de plus consacrée à l'archange saint Michel. Une des tactiques du démon est de semer la zizanie pour faire échouer les entreprises les plus admirables. Avec l'aide de l'Immaculée Conception et de saint Michel, nous pourrons surmonter nos divisions pour remplir notre mission pour la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes.

Propos recueillis par Philippe Maxence - La Nef n°108 - Septembre 2000 (B.P 73 - 78490 MONFORT L'AMAURY)

15 septembre 2000

[Abbé Arnaud Sélégny, fsspx - Cahiers Saint Raphael] « Dire la vérité aux malades ? »

Abbé Abbé Sélégny, fsspx - Cahiers Saint Raphael n°60 – septembre 2000

Dans une réponse plus que célèbre, un homme politique a donné la formule que reprendront tous les sceptiques de tous les temps: « Mais qu'est-ce que la vérité? » Cette parole prend un relief plus tragique et plus formidable encore par le fait que la question qu'elle contient a été posée à la Vérité elle-même, la Vérité incarnée: « Je suis la voie, la vérité et la vie. » Question lancinante pour l'être humain livré à lui-même, à ses passions, à ses erreurs, à ses préjugés, à la pression de l'opinion, de religions erronées, de cultures qui n'en sont pas, de média qui sont au service d'un système d'asservissement généralisé... Cette question est celle de toutes les générations, depuis que notre intelligence a été enténébrée par l'ignorance, blessure consécutive à la faute originelle.

Cette lancinante recherche est encore compliquée par un fait indéniable: beaucoup sont persuadés d'être dans la vérité, qui sont en réalité dans l'erreur. Comme le dit justement Sacha Guitry: « Ce qui probablement fausse tout dans la vie c'est qu'on est convaincu qu'on dit la vérité parce qu'on dit ce qu'on pense! » Mais précisément, la sincérité ne remplace ni la vérité ni l'erreur. Aujourd'hui, elle est devenue une valeur absolue, alors qu'elle est relative à son contenu qui doit renvoyer à quelque chose d'objectivement vrai, sous peine de sombrer dans la subjectivité la plus complète: ce qu'accomplit allègrement notre génération. Si l'on examine un peu attentivement les raisonnements qui sous-tendent les demandes de lois amorales, elles reviennent toujours à cela: une sincérité qui s'est prise pour la vérité elle-même.

De plus, pour accepter la vérité, il faut l'aimer, la désirer, la rechercher sans cesse. Il faut espérer entrer en sa possession, avoir la certitude qu'elle existe, car proclamer l'absence de vérité est une pétition de principe qui refuse l'existence d'une intelligence, de lois à comprendre et à découvrir, et enfin, est un refus de la logique elle-même. En effet, dire qu'il n'y pas de vérité, c'est affirmer qu'il y en a au moins une : le fait qu'il n'y en ait pas! Mais dans cette quête, l'intelligence doit être aidée par la volonté: l'amour de la vérité aide plus que tout à sa conquête.

Il est un moment de la vie où cette vérité, même si elle a été négligée ou repoussée, nous rattrape, en quelque sorte. Devant la mort il n'y a plus de feinte ou de faux-fuyant; cette réalité s'impose avec une telle puissance et une telle évidence, son universalité sans faille étant si indéniable -car tous ont à l'affronter- que l'on ne peut davantage croire à l'absence de ce qui devrait faire la vie de l'homme: la connaissance de la vérité. Cette intrusion, surtout lorsqu'elle se fait insidieusement par une porte dérobée, à l'occasion de symptômes inquiétants, d'examens inquisitoriaux dans tous les recoins de notre corps, de traitements pénibles et éprouvants, est ressentie douloureusement et ne peut généralement se faire dans une claire lumière. Il lui faut une acclimatation progressive qui respecte certaines étapes, certains processus. Elle ne peut d'ailleurs souvent aujourd'hui -et de plus en plus- s'épanouir et révéler toute la force, la beauté, la grandeur qu'elle tient en réserve pour ceux qui veulent bien l'accueillir.

Il devient de plus en plus vrai que « la vérité de cette vie, ce n'est pas qu'on meurt, c'est qu'on meurt volé » (Guilloux Louis, Journal). Et pourtant, il faut bien la dire cette vérité! Il faut bien la révéler à celui qui gît misérablement dans l'erreur ou le mensonge, il faut bien qu'elle puisse se découvrir au grand jour, sans quoi il en est fait de notre conscience, de notre métier, de toute civilisation même. Notre morale chrétienne s'élève avec véhémence contre toute pensée qui viserait à diminuer la possession de la vérité de quelque manière que ce fût. Nous ne pouvons prétendre à la posséder toute entière: toujours nous serons à la recherche d'un plénitude plus grande, d'une lumière plus forte. Mais il n'en demeure pas moins que le chrétien peut être convaincu qu'il possède une vérité certaine sur Dieu, le salut et les choses de ce monde, en tant qu'elles sont en rapport avec Dieu. Par ailleurs, la lumière « qui éclaire tout homme venant en ce monde » nous donne également de posséder, par la science humaine, des certitudes qui, soumises à des certitudes plus hautes, nous aident puissamment à nous réjouir de la possession de la vérité et à diriger notre vie droitement.

Puisque nous sommes tenus à la vérité, la question qui se pose à nous, qui se pose presque quotidiennement, est de savoir comment nous allons délivrer cette vérité captive et la transmettre à nos contemporains, pour la part qui nous revient. Car, selon l'adage, « Toute vérité n'est pas bonne à dire ». Nous devons parler, dans le contexte difficile de la mort qui s'approche, à un sujet fragilisé par ce qu'il devine; et non seulement cela, mais à un sujet qui souvent a perdu la notion même de vérité. Que produira cette parole? Comment faire pour qu'elle soit porteuse de vie -et de vie éternelle- autant qu'il est en nous? Comment aborder ce rivage qui nous est pour une part inconnu, car nous n'avons pas fait l'expérience de la mort?

« Le langage de la vérité est simple », disait Sénèque. Cette réflexion nous doit être un bon guide. Il nous faut fuir le mensonge, la dissimulation, les vérités obliques: nous avons envers le malade un devoir de vérité que rien ne peut abolir, car rien ne doit s'interposer entre lui et la réalité qui doit mettre un point final à son existence, le plongeant dans la dimension de l'éternité. De quel droit pourrait-on s'ériger en juge de ces derniers instants pour en décider et en faire ce que nous pensons, ce que la famille veut ou ce que l'opinion dominante exige plus ou moins? Si ce langage simple est difficile -nous sommes des êtres si compliqués- il ne nous est pas moins impérieusement dicté. Cette simplicité peut avoir un impact étonnant, tant sur le patient que sur le médecin obligé de sortir de lui-même pour être vrai. Dans le face à face d'un condamné et de celui qui lui annonce la peine, il n'y a dé place que pour la compassion ou pour la cruauté de l'indifférence. Voilà pourquoi le médecin n'aime pas à accomplir cette besogne: elle exige trop de sincérité vis-à-vis de soi-même. Voilà aussi pourquoi l'on peut trouver des médecins prêts à l'euthanasie : cela leur évite d'avoir à affronter la vérité nue de l'homme face à la mort.

Mais « il ne suffit point de montrer la vérité, il faut la peindre aimable », comme le dit si agréablement Fénelon. Nous avons dit les obstacles que la vérité a toujours rencontrés, et qu'elle rencontre spécialement aujourd'hui ; et nous avons également dit que l'acceptation de la vérité passait par le désir de la connaître et de la posséder. C'est pourquoi il faut qu'elle soit attirante à celui qui la cherche. Il faut qu'elle se montre plus désirable que les mirages qui la masquent habituellement. Il y a là une difficulté qui ne sera surmontée que par un cœur où la charité sera venue mettre une touche surnaturelle. Nul ne peut aimer la mort. Dieu ne l'avait point voulue, qui a créé Adam immortel par un don particulier. Elle gardera toujours un aspect détestable, même volontairement acceptée. Mais ce à quoi elle conduit est infiniment aimable si nous savons nous y disposer; et la vérité de cette connaissance peut atténuer et même faire disparaître l'angoisse qui s'empare naturellement de l'homme placé dans ces circonstances. Il n'y a donc pas de recettes -la charité n'a pas de recettes- mais il y a le Cœur de Dieu à révéler à celui qui est aimé de lui.

Bien sûr, cette charité saura adapter la vérité à l'intelligence, à la volonté, au cœur de celui à qui elle s'adresse. Il faut du discernement, car la vérité peut être douloureuse, comme une pleine lumière peut blesser les yeux après les ténèbres. De plus, il faut s'assurer d'être bien compris, ce qui n'est pas toujours aisé. Un auteur disait que « s'il est incertain que la vérité que vous allez dire soit comprise, taisez-la ». C'est ici que la prudence doit faire son entrée. S'il est vrai que nous avons un devoir de vérité, il est tempéré par le principe que l'on ne doit pas nuire, et la vérité peut être nocive dans une âme mal ou peu préparée à la recevoir. Il y a une pédagogie à entreprendre pour cette intelligence qui ne peut absorber une nourriture trop solide; un soutien à assurer à cette volonté trop faible pour comprendre le sens d'une destinée. Mais le devoir reste clair. Notre espérance de voir cette âme s'approcher de son Dieu dans les meilleures conditions doit rester entière, nous entraînant à guetter les signes qui permettraient de donner davantage.

Sur la Croix, le Christ ne subit pas sa mort. Certes, il subit des tourments qui sont suffisants pour faire perdre la vie, mais Il a proclamé: « Ma vie, personne ne me l'ôte, mais c'est moi qui la donne. J'ai le pouvoir de la déposer et de la reprendre. » Aussi, comprenons bien que c'est de manière pleinement volontaire, par un effet de sa puissance, que son âme se sépare de son corps, sans toutefois que l'une et l'autre ne soit séparé de la divinité. Le Christ, proprement, se donne la mort. Il offre un sacrifice parfait de sa vie à son Père, pour le salut de l'humanité. Et ce geste est accompli en pleine liberté tout autant qu'en pleine obéissance, deux termes qui ne sont nullement contradictoires. Nous n'avons pas cette puissance, nous n'avons pas ce choix souverain, mais c'est pour nous donner la liberté de mourir, d'accepter en union avec la sienne la mort qui est notre sort inéluctable que le Christ a choisi de mourir Lui-même. C'est à cette liberté, c'est à cette vérité que nous sommes appelés dans cet instant suprême; c'est à cette vérité et à cette liberté que nous devons essayer de préparer, avec nos pauvres moyens, ces malades que la Providence divine a remis entre nos mains.

Inutile de dire que nous devons compter avant tout sur la grâce divine, et donc sur la prière. Dieu veut se servir de nous pour secourir notre prochain dans ses dimensions naturelle et surnaturelle, mais Il veut également que nous le Lui demandions. Que ne peut-elle pas, cette prière? Bien des situations qui pourraient paraître humainement perdues sont mystérieusement sauvées par la puissance divine. Que l'on songe à cette veuve dont le mari s'était suicidé en se jetant à l'eau, une pierre au cou. Traînant sa tristesse, elle vint à Ars où le saint Curé lui révéla, sans même qu'elle eût songé à le lui demander, que son mari s'était converti entre le pont et l'eau. Mystérieuse puissance d'une prière aimante.

Prions pour que notre parole soit toujours une parole de vérité, et afin qu'elle soit toujours reçue comme telle. Mais cette grâce ne peut être obtenue que dans la fidélité scrupuleuse à cette Vérité suprême qui s'est incarnée pour nous soulager de nos maux. C'est par cette fidélité que nous pourrons obtenir celle de nos patients.

Abbé Arnaud Sélégny +