31 août 2009

[Libérté Politique] Les racines intellectuelles de la rupture lefebvriste

SOURCE - Yves Floucat - 31 août 2009


Les raisons de la rupture de Mgr Lefebvre étaient religieuses et non politiques. Dans Rome et les lefebvristes (Salvator, sept. 2009), Gérard Leclerc revient avec une grande clairvoyance sur les racines intellectuelles de la dissidence intégriste. Un retour à saint Thomas pourrait bien réconcilier les divers protagonistes. Le dialogue doctrinal voulu par Benoît XVI avec la Fraternité saint Pie X rendra service à l’Église tout entière.

Éditorialiste de France catholique, entre bien d’autres activités journalistiques, Gérard Leclerc est connu pour l’acuité de ses analyses. Les interrogations les plus actuelles et les plus délicates sur la vie de l’Église sont au centre de sa réflexion depuis de nombreuses années. En 1986, il avait déjà publié un ouvrage remarqué sur L’Église catholique : crise et renouveau (Denoël).

Dix ans plus tard, il récidivait avec un Jean-Paul II, le résistant (Bartillat, 1996), présentant la véritable figure de ce grand pontife face aux critiques dont il était l’objet, et un livre dont le titre pouvait paraître provocateur : Pourquoi veut-on tuer l’Église ? (Fayard, 1996). Restituant la pensée authentique de Jean-Paul II (dont il étudierait plus particulièrement les rapports avec notre nation dans Le Pape et la France, Bartillat, 1997), il y approfondissait en outre, avec une grande lucidité, son examen des diverses attaques subies par le catholicisme. Il n’y était pas seulement question de l’attitude – ô combien superficielle – des medias, mais des publications controversées d’un Drewermann et (à un autre niveau) d’un Jacques Duquesne, ou encore des actions ambiguës par lesquelles Mgr Jacques Gaillot cherchait à donner, dans un épais brouillard doctrinal et pastoral, l’image fallacieuse d’une Église réconciliée avec le monde moderne. Il reprenait à nouveaux frais le problème des défis contemporains du catholicisme dans Les Dossiers brûlants de l’Église. Au soir de la vie de Jean-Paul II (Presses de la Renaissance, 2002).


Toujours sur la brèche, il poursuit également la rédaction d’un Journal dont des extraits sont régulièrement publiés dans France catholique et qui, de toute évidence, n’est pas tenu (comme c’est trop souvent le cas) pour mettre en valeur celui qui l’écrit, mais, avec une grande générosité, afin de servir les lecteurs qui partagent ses interrogations philosophiques ou théologiques et son amour de l’Église. Ce Journal, par sa haute tenue, s’inscrit parfaitement, avec talent et compétence, dans la grande tradition de l’hebdomadaire, jadis sous la responsabilité éclairée de Jean de Fabrègues et aujourd’hui dirigé avec perspicacité et courage par Frédéric Aimard.

Nouveau dialogue sur la doctrine

On ne pouvait donc qu’attendre d’un journaliste et essayiste aussi averti de l’actualité de la vie ecclésiale, un point de vue qui nous aide à mieux comprendre la nouvelle tournure qu’est en train de prendre, avec les dernières décisions du pape Benoît XVI, le dialogue du Vatican ─ déjà bien engagé sous le pontificat de Jean-Paul II ─ avec la Fraternité saint Pie X fondée par Mgr Marcel Lefebvre. Nous disposons maintenant de son approche personnelle avec son livre (qui n’est petit que par ses dimensions) sur Rome et les lefebvristes. Cet ouvrage vient au meilleur moment car, après diverses publications de journalistes ou même d’universitaires qui pouvaient laisser nombre de lecteurs insatisfaits, dubitatifs ou irrités [1], il apporte un regard avisé et apaisé, en dehors de toute polémique, sur un problème dont la complexité n’échappe à personne.

Les modalités du dialogue avec la Fraternité saint Pie X ont été, on le sait, fixées par le souverain pontife dans son motu proprio Ecclesiae unitatem du 2 juillet 2009 (dont le texte est heureusement reproduit en annexe du livre). La reprise des pourparlers avait été du reste largement préparée par le motu proprio Summorum pontificum du 7 juillet 2007 sur l’utilisation du missel romain de 1962 qui, désormais, institue en sa pleine légitimité la forme « extraordinaire » de l’unique rite romain, et par la levée de l’excommunication frappant les quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre en 1988.

L’affaire Williamson, qui est venue malencontreusement perturber ce préalable pourtant indispensable à tout rapprochement, n’a été l’arbre cachant la forêt que pour des yeux déjà obstinément fermés et des esprits a priori hostiles [2]. En tout cas, avec la Lettre apostolique « motu proprio » de Benoît XVI, du 2 juillet 2009, c’est désormais très clairement sur le plan doctrinal que le dialogue se poursuivra, puisque c’est la Congrégation pour la doctrine de la foi qui en est maintenant officiellement chargée. Gérard Leclerc montre en quoi cette décision est particulièrement heureuse et propre à ouvrir les portes à une solution fondée en vérité. Il ne se contente pas, en effet, de retracer l’histoire des quarante années durant lesquelles s’est accusée la distance prise avec les instances romaines par la mouvance lefrebvriste. Avec ouverture et profondeur, il cherche à en comprendre les raisons.

Les raisons religieuses de la dissidence

Il fallait bien avant tout écarter quelques idées reçues, données comme d’autant plus évidentes qu’elles ne sont pas discutées ou qu’elles reposent sur des erreurs historico-politiques. Ainsi en va-t-il du lien de continuité que l’on établit volontiers entre la rupture de Mgr Lefevbre et la condamnation de l’Action française par Pie XI en 1926 [3]. Gérard Leclerc établit que les raisons de la dissension sont en fait de nature religieuse (cf. chapitre 1, p. 17-26). L’attachement réel et profondément spirituel de Marcel Lefebvre pour son supérieur au Séminaire français de Rome, le père Le Floch (effectivement proche de l’Action française), et la douleur qu’il a éprouvée lors de son départ exigé par Pie XI ne doivent pas dissimuler l’ignorance quasi totale du jeune Lefebvre vis-à-vis de la pensée et de la littérature maurrassienne. Au vrai, le futur évêque de Tulle appartenait plutôt à ce courant de l’« intransigeantisme » (pour reprendre une expression d’Émile Poulat) qui, depuis 1789, s’est développé en une « contre-révolution catholique » aux caractéristiques spécifiques. Si ce courant a effectivement recoupé de bien des manières « la contre-révolution royaliste et militaire », et s’il a en partie rejoint le mouvement de Maurras dans une sorte de « maurrassisme clérical », il n’en a pas moins une originalité marquée souvent méconnue [4].

Leclerc rappelle à juste titre que Maurras ne fut pas censuré par Pie XI pour son traditionalisme, mais, bien au contraire, à cause du modernisme que représentait aux yeux du pape son « positivisme » (quoi que l’on pense de la nature pour le moins douteuse de ce positivisme dont il n’avait pas à juger dans son ouvrage [5]). Au demeurant, il souligne qu’un Pierre Boutang, authentique disciple de Maurras, ou un Jean de Fabrègues qui, tout en restant en lien avec les milieux proches de Maritain, a été durant quelques mois secrétaire du maître de Martigues après la condamnation de 1926, ont bien accueilli les orientations conciliaires [6]. Ils n’en récusaient pas moins sans ambiguïté la lecture progressiste qu’en faisaient ceux qui se réclamaient déjà de l’« esprit » du concile et voulaient voir en Vatican II une rupture dans la continuité de l’enseignement magistériel.

C’est donc à juste titre au-delà des interférences politiques avec une certaine « droite catholique » que Gérard Leclerc cherche les motifs de la dissidence voulue par Mgr Lefebvre. De ce point de vue, on lira avec grand intérêt le chapitre 2 (p. 27-34) dans lequel on apprend beaucoup sur la personnalité de celui qui avait choisi d’appartenir à la Congrégation du Saint-Esprit.

Pie XII nommera ce prêtre, animé par un grand élan missionnaire, délégué apostolique pour toute l’Afrique de l’Ouest. Admiré par le futur cardinal Gantin, il aura comme véritable disciple le cardinal Hyacinthe Thiandoum. Devenu archevêque de Dakar, si le pontificat de Pie XII ne s’était alors achevé, peut-être eut-il été promu à la dignité de Prince de l’Église… Nommé évêque de Tulle en Corrèze ─ certes pour une brève période, car il fut très vite élu supérieur de la Congrégation du Saint-Esprit et rappelé à Dakar avant de partir pour Rome au moment où allait s’ouvrir le concile ─, il demeura attentif aux besoins de ses prêtres et en fut très aimé (il fut moins apprécié, en revanche, de ses confrères évêques d’alors).

Gérard Leclerc est très convaincant lorsqu’il montre comment il faut chercher en amont, dans la formation reçue par le jeune clerc à la Grégorienne, les raisons profondes de son attitude ultérieure. C’est le thomisme rigoureux du cardinal Billot [7], plus ou moins bien assimilé au surplus par quelqu’un qui « n’avait pas la structure d’un intellectuel » (p. 29), qui a déterminé, chez Marcel Lefebvre, une opposition inflexible et définitive à ce qui ne correspondait pas exactement à cette ligne doctrinale. Dans son esprit, s’est ainsi créée une identification sans nuance de tout ce qui lui paraissait s’en écarter avec les erreurs issues de la Révolution française et avec lesquelles, à des degrés divers, le « catholicisme libéral » s’était compromis.

C’est ce libéralisme catholique et, pour tout résumer en un mot, ce modernisme qu’il crut voir triompher au concile (cf. le chapitre 3, p. 35-47). Mais avait-il seulement entendu parler, entre autres, de l’auteur de la Grammaire de l’assentiment, John Henry Newman, qui fut l’un des inspirateurs de Vatican II ?

Les vraies divisions conciliaires

Dans le Journal qu’il tint durant le concile, le P. de Lubac parle durement de

« ce petit groupe, de ce clan, qui prétend toujours monopoliser la foi, et veut s’imposer dictatorialement. Il réussit à faire croire, même à ceux qui le combattent ou qui le subissent de mauvais gré, qu’il représente la tradition, qu’il est la seule orthodoxie en ce temps de concile, il oblige nombre d’évêques à prendre contre lui, pour lui faire pièce, une allure révolutionnaire, qui compromet la paix de l’Église et entraîne de fausses interprétations. Rien n’est plus démoralisant que de voir de près sa médiocrité (spirituelle et intellectuelle), son inconscience, sa suffisance extrême, son absence de scrupules dans les petites intrigues – quoique, dans le privé, ce soient pour la plupart de braves gens – » (cité p. 38-39) [8].

Le combat de ce que l’on a appelé la « minorité » conciliaire était donc acharné. Il s’exerça notamment à propos de la Déclaration sur la liberté religieuse. Malgré la sévérité du futur cardinal de Lubac, que l’on comprend aisément, Gérard Leclerc souligne que ce combat ne fut pourtant pas inutile. Paradoxalement, me semble-t-il, il fit mieux ressortir peut-être, en contraignant les Pères à une précision plus grande, que le véritable différend qui aurait des suites douloureuses après le concile, était moins entre une « majorité » et une « minorité » au sein de l’assemblée des évêques, qu’au cœur même de la « majorité ». Le rôle décisif joué par Mgr Karol Wojtyla, alors évêque auxiliaire puis archevêque de Cracovie, ou des interventions comme celles du cardinal Charles Journet pendant la quatrième session, à propos de la liberté religieuse et du schéma XIII « L’Église dans le monde de ce temps » (il n’en est pas question dans cet ouvrage, mais tout ne pouvait y être évoqué [9]), nous suggèrent où il convient de chercher les divisions les plus significatives et les plus lourdes de danger qui marquent la période post-conciliaire. Elles pourraient bien se trouver non pas précisément entre traditionalistes égarés loin de Rome et progressistes de l’intérieur, ni entre une minorité intégriste et l’Église catholique, mais plutôt entre les tenants d’une fidélité sans faille à la Tradition magistérielle dans une pleine adhésion aux orientations de Vatican II et ceux qui, pour de périlleuses errances, se réclament de l’« esprit » du concile jusqu’au risque de l’« apostasie » (le mot est du père de Lubac qui, tout en se réjouissant de la parution du Paysan de la Garonne de J. Maritain, le trouvait trop modéré [10]).

Il reste – et la chose est d’importance – que « le supérieur de la congrégation du Saint-Esprit apporta sa signature à tous les documents de Vatican II, ainsi qu’il était demandé à tous les participants du concile. C’est qu’il est bien difficile à un homme comme lui d’admettre qu’un concile œcuménique, réuni dans les conditions les plus régulières, puisse avoir erré jusqu’à contredire la mission reçue du Christ et garantie par l’Esprit » (p. 46-47). Dans la période postconcilaire, Mgr Marcel Lefebvre passera néanmoins « de la dissidence à la rupture ». Dans son chapitre 4 ainsi intitulé, Gérard Leclerc s’attache à débrouiller la complexité des raisons qui expliquent cette dramatique évolution (p. 49-61).

Vers la rupture

D’une part, l’Église avait tenté de faire face à la « révolution culturelle des années soixante » et, précise notre auteur, « si le concile Vatican II n’avait pas eu lieu, il n’est nullement avéré que l’Église catholique [s’en] serait mieux sortie » (p. 53). Mais d’autre part, on ne peut évaluer « les dimensions d’un désaccord » (cf. chapitre 5, p. 63-81) si l’on ne voit pas que nous ne sommes plus dans un contexte culturel européen où « la religion du Prince déterminait la religion de la région » (p. 69).

Dès lors, remarque justement Leclerc, il y a un étrange paradoxe à prétendre conférer une compétence religieuse à l’État contemporain, « une curieuse inconséquence de vouloir attribuer un pouvoir spirituel à des responsables dont les opinions sont parfois carrément hostiles à la foi chrétienne. Et, même si certains chefs d’État se réclament encore de convictions catholiques, il n’est nullement évident qu’ils n’agissent pas en contre témoignage des valeurs dont ils se réclament » (id.).

À cela il conviendrait cependant d’ajouter que l’on doit prendre mieux conscience aujourd’hui de la nécessité pour les États laïques non seulement de garantir la liberté de culte, mais de promouvoir, en vue du bien commun, la diffusion de la culture proprement religieuse. C’est la condition sine qua non pour qu’une légitime « politique naturelle » ne sombre pas dans un naturalisme qui fermerait tout horizon de transcendance à l’ordre temporel. Et cela ne saurait aller, me semble-t-il, sans qu’il soit tenu compte de l’histoire particulière de chaque nation, de la religion qui lui est attachée, et du rôle décisif qu’elle y a joué. Plus radicalement, et à moins de considérer comme inéluctables le processus de sécularisation et le relativisme consubstantiels à la Modernité, l’incompétence métaphysique ou religieuse de l’État laïque ne peut en aucun cas signifier son ignorance ou sa négation de Dieu et d’une loi morale qui le régit en raison de l’inscription ontologique de cette loi dans la nature même des hommes et de leur vocation sociale [11].

En tout état de cause, Mgr Lefebvre n’admettait pas que l’Église prît en compte, dans son rapport avec le monde ─ sauf à paraître lui accorder indûment un caractère positif ─, le pluralisme intrinsèque qui, désormais, caractérise les vieilles nations chrétiennes. Comme on le sait, il créa un séminaire à Fribourg, d’abord regardé assez favorablement par Rome, mais suspecté ensuite lorsque son fondateur rejeta le nouvel ordo de la messe promulgué par Paul VI, et dont il mettait en doute l’orthodoxie et la validité. Après la mort de Paul VI en 1978, les événements se précipitèrent. Les tentatives de dialogue ouvertes par le pape Jean-Paul II se soldèrent par une incompréhension et un échec, d’autant que Mgr Lefebvre jugea scandaleuse la réunion interreligieuse d’Assise en 1986. La médiation du cardinal Ratzinger souleva des espoirs vite déçus et le pas décisif fut franchi avec la consécration de quatre évêques par le supérieur de la Fraternité saint Pie X, le 30 juin 1988.

De saint Thomas à la théologie nouvelle

On admirera avec quelle intelligence Gérard Leclerc tente de prendre la mesure de ce schisme dont nous ne sommes pas encore sortis. Certes, la situation a beaucoup évolué avec Jean-Paul II et Benoît XVI sur le plan liturgique dans le sens de ce que le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, appelait une « réforme de la réforme » devenue pour lui nécessaire. L’auteur souligne en outre avec raison la nécessité de poursuivre, en lien avec les recherches d’un Henri de Lubac, d’un Hans Urs von Balthasar ou d’un Joseph Ratzinger lui-même ─ qui ne se sont jamais situés formellement dans la mouvance proprement thomiste ─, mais aussi avec d’autres courants théologiques d’inspiration newmanienne ou guardinienne ayant également trouvé leur consécration au concile [12], la restauration d’un thomisme philosophique et théologique plus fidèle à l’inspiration du Docteur angélique : « On oublie trop souvent que saint Thomas, avant d’être un philosophe imprégné d’aristotélisme, est un théologien qui tire principalement de l’Écriture Sainte son inspiration, ainsi que les lignes maîtresses de sa pensée. Thomas d’Aquin est aussi un grand connaisseur des Pères de l’Église et, après la Bible, c’est saint Augustin qu’il cite le plus souvent dans ses références » (p. 73). Pour Gérard Leclerc il ne fait pas de doute que, du côté traditionaliste, la grande difficulté à entrer dans les développements doctrinaux du dernier concile provient de la méconnaissance de grands ouvrages que l’on peut rattacher à ce que l’on a appelé malencontreusement la « théologie nouvelle ». Et il est vrai que des livres majeurs comme Méditation sur l’Église d’Henri de Lubac ou Le Mystère pascal de Louis Bouyer, ont inspiré la constitution conciliaire sur l’Église. Aussi bien le débat doctrinal ouvert aujourd’hui ne peut-il faire l’économie de cette question essentielle de la nature d’une sagesse chrétienne intégrale enracinée dans la grande Tradition de l’Église qui a indéniablement alimenté la réflexion de ces grands théologiens.

Cela dit, le thomisme d’un Maritain et d’un Journet dont était nourri le pape Paul VI [13], est également très présent dans l’inspiration des plus grands documents conciliaires alors que, par ailleurs, la postérité d’un père de Lubac est loin d’être uniforme. D’aucuns se réclament de lui, dans lesquels il ne se reconnaîtrait assurément pas. En outre un colloque aussi riche ─ historiquement et doctrinalement ─ que celui qui s’est tenu en 2000 à Toulouse par la volonté des responsables de la Revue thomiste, sur la réception de Surnaturel et les problèmes théologiques qu’elle soulève quant aux rapports de la nature et de la grâce, montre la capacité de l’école thomiste ─ qui reste, pour des raisons que Jean-Paul II a on ne peut plus clairement développées dans son encyclique Fides et Ratio, la référence privilégiée du Magistère ─ à intégrer l’apport considérable de l’œuvre du cardinal Henri de Lubac [14].

C’est dire à quel point la discussion théologique qui s’ouvre actuellement avec la Fraternité saint Pie X selon la volonté expresse de Benoît XVI, est complexe et, en même temps, riche de toutes sortes de fruits possibles, précieux pour tous. Elle pourrait, par exemple, stimuler de manière heureuse les facultés canoniques de philosophie pour que, au lieu de chercher à concurrencer les facultés d’État sur leur propre terrain, elles redonnent enfin à un enseignement doctrinal (et pas seulement historique) de la métaphysique de l’être inspiré de l’Aquinate, la place prépondérante réclamée par le Saint-Siège.

Les fidèles et les aventuriers

Gérard Leclerc, qui soutient intégralement l’entreprise du pontife actuellement régnant, est en tout état de cause convaincu, comme Benoît XVI lui-même, que les questions posées par la mouvance de Mgr Lefebvre ne manquent pas de pertinence :

« Nous n’entendons pas insinuer que les traditionalistes sont sans mérites ni sans intelligence. Nous avons eu à maintes reprises le plaisir de converser avec eux. Et, en dépit de nos désaccords certains, nous avons pu apprécier leur ténacité, leur volonté d’être absolument fidèles au dépôt transmis. La révolte de leur leader principal s’explique aussi par de justes causes. Il n’est pas niable que l’Église a été emportée, dans les années soixante et suivantes, dans une tempête où beaucoup de choses essentielles ont sombré. C’est Paul VI qui a parlé d’autodestruction de l’Église. Ce sont des inspirateurs de Vatican II comme Daniélou, Balthasar, Bouyer, Lubac qui ont dénoncé avec tristesse et colère “les assassins de la foi”, “la trahison du concile”. Beaucoup d’entre eux approuvèrent Maurice Clavel lorsqu’il lança sa terrible invective : “Vous n’êtes pas allés au monde, vous vous êtes rendus au monde” » (p. 79-80).

Les questions posées par les lefebvristes devront donc être prises en compte dans une pleine fidélité à la continuité de l’enseignement magistériel à travers Vatican II et au-delà (rappelons à cet égard que jamais Mgr Lefebvre n’a été tenté par le « sédévacantisme » [15]), mais avec un amour de l’Église susceptible de surmonter les divisions et en s’efforçant même d’apporter certaines précisions ou développements profitables à tous. Benoît XVI y est très ouvert et l’actuel supérieur de la Fraternité saint Pie X, Mgr Bernard Fellay, également. L’esprit de « réforme de la réforme » introduit dans le domaine liturgique pourrait avoir un champ plus large d’application. Il vaut aussi pour tout un champ d’interrogations légitimes qui, si elles n’étaient accueillies avec toute la bienveillance et la rigueur requises, rejetteraient à tort dans un schisme définitif d’authentiques fidèles de la foi catholique qui reconnaissent le souverain pontife comme le légitime successeur de Pierre.

Il ne faudrait tout de même pas oublier, dans cette discussion qui s’engage, que ceux que Maritain, avec sa verve polémique, appelait dans Le Paysan de la Garonne les « ruminants de la Sainte-Alliance », reconnaissent tous les dogmes proclamés par l’Église. On n’en pourrait dire autant de ceux qu’il qualifiait de « moutons de Panurge » et qui ont joui (et jouissent encore) au sein de l’institution ecclésiale, à défaut d’être d’authentiques théologiens, de postes non négligeables de professeurs de théologie [16].

Sans doute la crise la plus grave pour l’Église vient-elle encore aujourd’hui de ces aventuriers d’un concile imaginaire. Leurs propositions de réforme ont fait leur chemin délétère dans la conscience de nombreux catholiques, mais il est d’autant moins aisé de les pointer du doigt – comme on peut le faire pour la Fraternité saint Pie X – que les contours de leur flou doctrinal sont par définition difficilement repérables. Leurs ardeurs « pétitionnistes » et l’idée qu’ils s’évertuent à répandre – dont Gérard Leclerc montre magistralement l’inconsistance – d’un Joseph Ratzinger progressiste lors du concile et devenu par la suite réactionnaire, seront en tout cas impuissantes à briser le vigoureux élan vers la nécessaire réconciliation avec les lefebvristes imprimé par le pape depuis son accession au Siège de Pierre.

Comment ne pas saluer par conséquent, avec l’éditorialiste de France catholique, la lucidité et la hauteur de vue de Benoît XVI, poursuivant le travail inlassable du cardinal Ratzinger afin de réintégrer, dans la pleine communion de l’Église, les disciples du fondateur de la Fraternité saint Pie X grâce au nouveau climat « favorisé par la bonne volonté des uns et des autres » (p. 85) ? Ce nouveau livre de Gérard Leclerc, derrière la modestie de ses dimensions, ne peut qu’y contribuer puissamment par la pénétration et la pertinence de son analyse.

Y. FL.


Gérard Leclerc
Rome et les lefebvristes
Salvator, 24 août 2008, 96 pages, 12 € franco de port
[1] Nombreuses sont les publications récentes sur la question, soutenant des points de vue dont, de toute évidence, Gérard Leclerc prend ici le contre-pied. Cf. par exemple, Henri Tincq, Catholicisme : Le retour des intégristes, Paris, CNRS, 2009 ; Florian Michel et Bernard Sesboüé, De Mgr Lefebvre à Mgr Williamson. Anatomie d’un schisme, Paris, Buchet-Chastel, 2009.
[2] Rappelons que Mgr Richard Nelson Williamson a été sanctionné comme il convenait pour ses propos négationnistes ineptes et indignes, par l’actuel supérieur de la Fraternité saint Pie X, Mgr Bernard Fellay.
[3] Sur ce qu’Émile Poulat se refuse à appeler « en rigueur de termes » une condamnation, on se reportera à son excellente mise au point, très précisément argumentée, « Le Saint-Siège et l’Action française. Retour sur une condamnation », dans Yves Chiron et Émile Poulat, Pourquoi Pie XI a-t-il condamné l’Action française ?, Niherne, Éditions BCM, 2009, p. 15-68.
[4] Cf., sur cette question les pages très éclairantes d’Émile Poulat, dans son dernier livre : Aux Carrefours stratégiques de l’Église de France – XXe siècle, Paris, Berg International, 2009, p. 71-88.
[5] Il avait exposé magistralement son point de vue dans son tout premier essai, très original et fort précieux, Un autre Maurras, IPN, 1974, p. 59-75.
[6] Sur le parcours politique, philosophique et religieux de Jean d’Azémar de Fabrègues, cf. Véronique Auzépy-Chavagnac, Jean de Fabrègues et la Jeune Droite catholique. Aux sources de la Révolution nationale, Presses Universitaires du Septentrion, 2002.
[7] Le thomisme romain avait sans doute ses limites, mais on sait gré à Gérard Leclerc d’en parler avec nuances et respect.
[8] Cf. Henri de Lubac, Carnets du Concile, Introduit et annoté par Loïc Figoureux, Avant-propos de François-Xavier Dumortier, s.j. et Jacques de Larosière, Préface de Jacques Prévotat, Paris, Cerf, 2007.
[9] On trouvera ces documents concernant le cardinal Journet dans l’édition de sa Correspondance avec Jacques Maritain, Éd. Saint-Augustin, 2008, Vol. VI (1965-1973), p. 72-76 et p. 901-904. Dans ce volume, on lira aussi (p. 789-899), sous le titre « Cahier de Rome », les notes rédigées par le cardinal Journet durant la quatrième session conciliaire. Au-delà de leur caractère parfois succinct et allusif, elles sont fort précieuses, car elles font bien apparaître les inquiétudes du cardinal face à certaines revendications affichées, et sa préoccupation devant la profondeur du combat spirituel alors engagé. On méditera ce propos du pape Paul VI lors d’une conversation qu’il eut avec Charles Journet au matin du 18 janvier 1967 : « Le Concile a réussi ! J’avais cru que ce serait un printemps pour l’Église, c’est une lutte » (ibid. p. 879). Voir aussi les remarques informées et suggestives de Guillaume de Thieulloy, La Théologie politique de Charles Journet, « Questions disputées », Paris, Téqui, 2009, particulièrement la IIIe partie, p. 113-163.
[10] Cf. la lettre du P. de Lubac à J. Maritain, du 13 mars 1967, reproduite dans la récente réédition du Paysan de la Garonne sous le titre « Le Feu nouveau », avec une préface et un dossier critique de Michel Fourcade, Paris, Ad Solem, 2007, p. 502 : « C’est pour ce que vous avez dit de plus juste que vous êtes le plus critiqué. À mon humble avis, votre diagnostic sur la crise actuelle n’est même pas assez rigoureux : il s’agit de quelque chose de bien plus grave que tant de “sottises” et de “folies”. Il existe une vague de fond, qui, si l’on y cédait, nous conduirait en peu de temps à l’apostasie collective. »
[11] La Commission théologique internationale l’a fortement réaffirmé dans son récent document : À la Recherche d’une éthique universelle. Nouveau regard sur la loi naturelle, Paris, Cerf, 2009, p. 107-119. Cf. notamment n. 96, p. 117 : « Si l’ordre politique n’est pas le domaine de la vérité ultime, il doit cependant rester ouvert à la recherche perpétuelle de Dieu, de la vérité et de la justice. La légitime et saine laïcité de l’État” (Pie XII) consiste dans la distinction de l’ordre surnaturel de la foi théologale et de l’ordre politique. Ce dernier ne peut jamais se confondre avec l’ordre de la grâce auquel les hommes sont appelés à adhérer librement. Il est plutôt lié à l’éthique humaine universelle inscrite dans la nature humaine. » Ibid., n. 97, p. 118 : « Si Dieu et toute transcendance devaient être bannis de l’horizon du politique, il ne resterait que le pouvoir de l’homme sur l’homme. De fait, l’ordre politique s’est parfois donné lui-même comme le dernier horizon du sens pour l’humanité. Les idéologies et les régimes totalitaires ont démontré qu’un tel ordre politique, sans un horizon de transcendance, n’est pas humainement acceptable. Cette transcendance est liée à ce que nous appelons la loi naturelle. »
[12] Dans une étude de 1930 sur « la pensée catholique et sa mission », Jacques Maritain envisageait déjà que la « restauration métaphysique sans laquelle l’intelligence de notre époque risque de bâtir sur le sable » ne devait pas se faire sans intégrer la contribution de l’effort « remarquable » de « penseurs comme Guardini ou Przywara, avec leur sens aigu des besoins de l’esprit moderne ». Cf. Œuvres complètes, Fribourg-Paris, vol. IV, 1983, p. 1130 (1115-1131).
[13] Cf. « Montini, Journet, Maritain : une famille d’esprit », Istituto Paolo VI, n° 22, Brescia, 2000.
[14] Cf. Surnaturel. Une controverse au cœur du thomisme au XXe siècle, Actes du colloque organisé par l’Institut Saint-Thomas-d’Aquin les 26-27 mai 2000 à Toulouse, Revue thomiste (2001), T. CI, janvier-juin 2001.
[15] On désigne ainsi la position de ceux qui considèrent que, depuis le pape Pie XII, le Siège de Pierre est vacant.
[16] Cf. J. Maritain, Le Feu nouveau. Le Paysan de la Garonne, op. cit., p. 61-65.

[La Montagne] Les traditionalistes sortent de l'ombre à Montluçon

SOURCE - La Montagne - 31 août 2009
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n voile de mystère et de méfiance entoure les catholiques traditionalistes. Nous sommes allés à la rencontre d'une discrète communauté montluçonnaise.

Passage Barathon-Grands Prés à Montluçon. Une petite rue étroite, à l'abri des regards. C'est là, au fond d'une cour proprette, que se retrouvent régulièrement quelques dizaines de catholiques un peu particuliers. Ils sont membres de la Fraternité de la Transfiguration, une communauté installée à Mérigny (Indre), proche de la mouvance Saint-Pie X, fondée en 1970 par le sulfureux monseigneur Lefebvre.

Leur credo : le refus de toute modernisation de l'Eglise, incarnée selon eux par le concile Vatican II. Un texte qui sonna notamment le glas de la liturgie en latin, au milieu des années 1960.

En ce dimanche de célébration, les fidèles traditionalistes arrivent au compte-gouttes sur le parking de la petite chapelle Notre-Dame de Fatima. Ils viennent de l'Allier, mais aussi du Cher ou de la Creuse, à bord de voitures sans luxe ostentatoire.

Punaisé à côté d'une statue de Jeanne-d'Arc, un écriteau prévient les visiteurs : « Vous entrez dans une chapelle où notre Seigneur Jésus-Christ est réellement et substantiellement présent au tabernacle. » C'est aussi pour cela que les fidèles effectuent une génuflexion, à chaque fois qu'ils passent devant l'autel.

« Avant le concile Vatican II, toutes les messes ressemblaient à ça, glisse à voix basse Pascal Charby, qui vient d'Ygrande chaque dimanche. Ce qui était la norme est simplement devenu exceptionnel? »

« Ici, l'office dure un peu plus longtemps qu'ailleurs », prévient Pascal Charby. Autre particularité : le prêtre passe la moitié de la messe, dos au public, tourné vers le tabernacle. Dans son prêche, il encourage les fidèles à s'en remettre à « Jésus-Christ », sans qui, prévient-il, « aucun salut n'est possible. »

A l'heure de la communion, qui clôt la cérémonie, les catholiques traditionalistes reçoivent l'hostie à genoux. Une posture qu'ils ont par ailleurs tenue pendant une bonne partie de la messe.

Puis, toujours en silence, ils quittent la chapelle Notre-Dame de Fatima. « D'habitude, il y a un peu plus de monde, souffle un jeune homme. Mais beaucoup de gens sont encore en vacances. »

Quelques minutes plus tard, le parking est quasiment vide. Les traditionalistes sont repartis aussi discrètement qu'ils étaient venus. Refermant derrière eux un grand portail vert que très peu de Montluçonnais ont déjà franchi?

[FC - Annonce] Nouvelle Messe Motu Proprio dans les Hauts de Seine

SOURCE - FC - 31 août 2009
Diocèse de Nanterre: A la demande de fidèles du sud du diocèse, une célébration de la messe dominicale selon la forme extraordinaire du rite romain se met en place à partir du dimanche 20 septembre. A partir de cette date, cette messe sera célébrée tous les dimanches à St Jean-Baptiste du Plessis-Robinson, à 10h30. Les célébrants en seront les abbés Marc Ketterer (curé du Plessis-Robinson), Georges Vandenbeuch (curé de Sceaux), Vincent Hauttecoeur (nouveau curé de Vanves).

Nous invitons les fidèles du sud du diocèse de Nanterre à venir nombreux à cette messe afin d'encourager ce geste significatif de Mgr Daucourt et des curés des paroisses qui se sont investis dans ce projet.

Schola: La Schola (qui se met en place pour accompagner cette célébration) est à la recherche de personnes ayant des connaissances en grégorien (notamment pour le chant du Propre) ou en polyphonie, afin de la renforcer. Merci par avance de votre aide, même ponctuelle ou intermittente ! (contact: Gwendaël Poret - 01 41 13 82 41 - mpsud92@gmail.com)

Informations pratiques: L'église se trouve dans le centre-ville du Plessis-Robinson, non loin du Parc Henri Sellier. Veuillez noter que le maire du Plessis-Robinson a prévu de mettre à la disposition des fidèles un parking à proximité de l'église, en plus du parking "Cèdre", lui aussi à côté. Vous trouverez des informations pratiques à l'adresse suivante : http://bc.agsahosting.com/sjbpr/

29 août 2009

[Denis Crouan] L'orientation de la liturgie

SOURCE - Pro liturgia - 28 août 2009
Le pape Benoît XVI souhaite faire retrouver aux fidèles le sens de l'orientation de la liturgie? Nous ne pouvons que nous en réjouir. Voici, en effet, ce que nous écrivions en 2001 dans "Histoire et avenir de la liturgie romaine" (éd. Téqui):
"L'autel et le sanctuaire ont suivi une évolution qui fait qu'aujourd'hui, dans la majorité de nos églises, on trouve deux autels: celui sur lequel le prêtre célébrait la messe jusqu'au moment de Vatican II, et celui - plus récent - sur lequel on célèbre aujourd'hui l'Eucharistie. Un document officiel - malheureusement méconnu - donne des indications précises et très instructives sur le sens de l'autel et la place qu'il doit occuper:
"L'Eucharistie est à la fois signe et cause de communion (...) La communion ecclésiale est, finalement, communion eucharistique, et toute la cause de l'oecuménisme se concentre dans la possibilité d'obtenir cette communion: participer à une même Eucharistie, s'approcher d'un autel unique (...). C'était déjà l'exhortation de S. Ignace d'Antioche. Je souligne l'affirmation de S. Ignace sur l'unique autel, c'est un point important du point de vue symbolique et pédagogique; mais c'est un des points difficiles pour l'aménagement actuel de nos cathédrales [l'Auteur de l'article s'adresse ici aux évêques de France, n.d.l.r.] et, en général, de nos églises, quand on veut célébrer face au peuple. Il faut chercher des solutions; il y en a, bien sûr, mais ces solutions ne peuvent pas céder facilement à la tentation de mettre une table presque insignifiante pour célébrer face au peuple, en laissant à l'arrière l'autel ancien avec la croix, les candélabres, les fleurs, comme si l'on voulait célébrer la messe aux deux autels". (1)
Comment faire concrètement pour régler de façon intelligente et définitive cette question de l'autel unique? Le 30 juin 1965, le Cardinal Lercaro, Président du Consilium pour la Liturgie expliquait:
"... Il y a un engouement général pour la célébration face au peuple (...) Mais cet engouement, bon en soi, a également donné lieu à des solutions de mauvais goût, parfois illogiques ou forcées. (...) En tout état de cause, nous devons souligner que la célébration de toute la messe face au peuple n'est pas absolument indispensable pour une action pastorale efficace. Toute la liturgie de la Parole, avec laquelle se réalise de la façon la plus large la participation des fidèles par le dialogue et le chant, se fait déjà en se tournant vers l'assemblée (...) Il est certainement souhaitable que la liturgie eucharistique soit elle aussi célébrée face au peuple afin que les fidèles suivent tout le rite d'une façon plus directe, et donc y participent d'une façon plus consciente. Mais cela ne doit pas conduire à une rénovation (...) parfois inconsidérée des églises et des autels préexistants, en nuisant d'une façon irréparable à d'autres valeurs qui doivent, elles aussi, être sauvegardées". (2)

Ne serait-il pas temps de revenir progressivement à l'autel unique dans nos églises afin de redonner à la liturgie restaurée à la suite du Concile sa pleine dimension et son vrai sens? Apprendre à utiliser davantage les autels anciens au lieu de les laisser à l'abandon pour célébrer coûte que coûte face au peuple, pourrait permettre aux fidèles de retrouver le goût pour l'adoration eucharistique. Un retour à l'autel unique trouverait sa pleine signification si toute la partie proprement eucharistique de la liturgie (de l'offertoire à la fin de la communion) s'y déroulait, tandis que la célébration de la Parole et la proclamation des oraisons par le célébrant se feraient respectivement à l'ambon et au siège de présidence situés en avant du choeur. On ne redonnera à la liturgie toute sa portée que si, au lieu de ne se préoccuper que de la position de l'autel, on prend aussi en compte l'ensemble de l'espace qui abrite la célébration et qui permet de donner aux rites leur dimension tant esthétique et visuelle que symbolique."
C'est exactement, semble-t-il, ce que souhaite le Saint-Père: il s'agit d'une modification de nos pratiques qui ne nécessite ni refonte du missel romain actuel, ni remise en cause de Vatican II...
NOTES.
(1) Documents épiscopat; Bulletin du secrétariat de la conférence des évêques de France, n°5 (mars 1995): conférence donnée par Mgr. Garriga Pere Tena dans le cadre du colloque du Comité d'Art Sacré de Reims.
(2) Rappelons que la Constitution sur la Liturgie de Vatican II n'oblige pas à célébrer "face au peuple": cette question n'est pas même abordée par le Concile, comme l'a rappelé le Cardinal Ratzinger dans une conférence donnée à l'occasion du 10ème anniversaire du Motu Proprio Ecclesia Dei adflicta (cf. Documentation Catholique n°2197, 7 février 1999); de même, ni le Missel Romain ni la récente adaptation française du Cérémonial des Evêques (Desclée-Mame, Paris, 1998) ne font obligation aux prêtres de se tourner vers l'assistance pour célébrer l'Eucharistie. Dans tout aménagement d'une église, il faut se souvenir que c'est la pastorale qui est soumise à la vérité de la célébration liturgique, et non l'inverse.

28 août 2009

[La Vie] Le Vatican va-t-il changer la messe ?

SOURCE - Joséphine Bataille, La Vie - 28 août 2009

La question du rite liturgique sera décidément au centre du pontificat de Benoît XVI. Après la libéralisation retentissante, en 2007, du rite « extraordinaire » de la messe (ou rite tridentin), la Congrégation pour le Culte divin travaillerait actuellement à en repréciser le rite ordinaire (missel de Paul VI). C'est du moins ce que révèle le vaticaniste célèbre Andrea Tornielli, dans le Giornale du 22 août. Selon ses informations, un document d'orientation aurait été remis au pape le 4 avril dernier par le cardinal espagnol Antonio Cañizares, préfet de la Congrégation pour le culte divin, après que celle-ci eut tenu le 12 mars sa réunion plénière.

Les membres de la congrégation (qui auraient voté le document à la quasi unanimité) auraient notamment proposé que le célébrant se tourne à nouveau vers l'Orient (position « dos au peuple »), au moins à l'instant de la consécration eucharistique, et que que soit réaffirmée la priorité de la communion dans la bouche sur la communion dans la main. Le missel pourrait être modifié dans sa partie introductive pour éviter les variations, et serait publié avec le texte latin en regard, ce qui permettrait la célébration en latin au moins pour les grandes fêtes. L'idée étant de redonner au rite une sacralité qui lui ferait défaut, et aux fidèles, le sens de l'adoration eucharistique.
C'est bien cette direction qu'indiquait le pape, lorsqu'il écrivait en 2007 aux évêques, dans le cadre de son moto proprio de libéralisation de la messe ancienne, que « dans la célébration de la Messe selon le Missel de Paul VI, on pourra voir se manifester, de manière plus forte que ce qui a souvent cours jusqu'à présent, cette sacralité qui attire beaucoup de gens vers l'ancien usage ». Car «la célébration avec un grand respect, et en conformité avec la prescription» est « la garantie la plus sûre que le Missel de Paul VI puisse unir les communautés paroissiales et devienne aimé d'elles » .

Même si ces informations étaient confirmées, elles ne font état que de suggestions. Le Vatican pourrait prendre son temps avant d'agir de façon magistérielle. D'ailleurs le vice-directeur de la salle de presse du Vatican, le père Ciro Benedettini, s'est empressé d'affirmer le 24 août qu'il n'y avait actuellement « aucune proposition institutionnelle concernant une modification des livres liturgiques actuellement en vigueur ». Ces propositions n'en sont pas moins dans l'air du temps. Tout se passe comme si, au sommet de l'Église, on s'efforçait d'abord de familiariser l'opinion avec ces dimensions oubliées de la messe ancienne — restées chères en revanche au coeur des traditionalistes. Le pape lui-même a décidé, en janvier 2008, de célébrer à la chapelle Sixtine selon le rite ordinaire, mais en latin et en grégorien, tourné « ad orientem ». Et depuis juin 2008, il ne donne plus la communion que dans la bouche, à des fidèles agenouillés sur un prie-Dieu. C'est à ce moment-là que le cardinal Cañizares, encore archevêque de Tolède, a rétabli le banc de communion à la cathédrale, et encouragé les fidèles à recevoir la communion à genoux et sur la langue. Il y a quelques semaines, c'est un évêque des Etats Unis, Edward Slaterry, qui a annoncé qu'il célébrerait désormais la messe ad orientem.
En sus de ces cas d'application particulière, le discours général est lui aussi déjà très clair. L'ancien secrétaire de la Congrégation pour le Culte Divin, Albert Malcolm Ranjith, a affirmé en 2008 qu'il fallait « revoir » et « si nécessaire abandonner » la pratique de la communion sur la paume, qui selon lui «a contribué à favoriser un affaiblissement graduel et croissant de l’attitude de révérence envers les saintes espèces eucharistiques». Lui emboîtant le pas, le cardinal Cañizares déclarait en décembre 2008, peu après sa nomination à la tête de la Congrégation, que son objectif était « de réaliser au cours de ces années une grande campagne de formation liturgique », non pas dans la visée du «changement pour le changement », mais pour « chercher tout le sens et surmonter la sécularisation de notre monde ».

Ce travail sur la liturgie vient-il inaugurer ce que les commentateurs appellent la « réforme de la réforme » de Benoît XVI ? Une expression confuse derrière laquelle se trouverait le projet clé du pape, celui de proposer une troisième voie qui ne renie ni Vatican II, ni la tradition qui l'a précédée, mais d'en faire la synthèse. Le message porté par son préfet le cardinal Cañizare est à cet égard assez clair : il s'agit de s'inscrire dans le sillage du Concile, tout en rectifiant le tir des interprétations jugées abusives. « Il y a eu un changement dans les formes, une réforme, mais pas un vrai renouvellement comme le demande cette constitution (Sacrosanctum Concilium, sur la sainte liturgie (1963) ndlr). Il est parfois arrivé que l’on ait changé par pur goût du changement par rapport à un passé perçu comme totalement négatif et dépassé», a-t-il déclaré en 2008.
Quant au pape, on peut lire a posteriori un sorte de contenu programmatique dans la lettre qu'il avait adressée en juin 2003, alors qu'il était encore le cardinal Ratzinger, à Heinz-Lothar Barth, un théologien traditionnaliste de l'université de Bonn. Celui-ci lui demandait de s'engager pour l'extension du rite ancien. « Une telle mesure ne peut être réalisée que progressivement», et comme « une autorisation limitée » lui avait répondu Joseph Ratzinger, car « la demande de la liturgie ancienne est limitée ». Mais il poursuivait : « Je crois qu'à long terme l'Église romaine doit avoir de nouveau un seul rite romain. L'existence de deux rites officiels pour les évêques et pour les prêtres est difficile « à gérer » en pratique. Le rite romain du futur devrait être unique, célébré en latin ou en langue vernaculaire, mais totalement dans la tradition du rite qui a été transmis . »
Et de détailler: « Cela pourrait intégrer quelques nouveaux éléments qui ont fait leurs preuves, comme les nouvelles Fêtes, quelques nouvelles préfaces de la Messe, un lectionnaire étendu - plus de choix qu'avant, mais pas trop -, un « oratio fidelium », c'est-à-dire une litanie fixe d'intercessions après l'Oremus, avant l'offertoire où jadis il avait sa place ».

Objectif, donc : réconcilier les deux rites, leur permettre de s'interpénétrer, pour faire valoir qu'à aucun moment il n'y a eu rupture, mais toujours « continuité », selon la thématique chère au pape. Et c'est bien dans ce sens que semble travailler actuellement le Vatican, dont l'ambition à long terme, est sans doute de mettre fin à un biritualisme qui ne correspond pas à une conception de l'unité qui le satisfasse. Reste à savoir, à court terme, quels éléments de la liturgie seront véritablement modifiés, et quelle sera la part de la recommandation, et celle de l'obligation.

Communier dans la main, une habitude bientôt dépassée?

Les partisans de la communion dans la bouche estiment qu'elle manifeste davantage la croyance en la présence réelle du Christ. Mais ils évoquent également des questions plus pragmatiques : limiter les risques d'effritement et de perte de parcelles d'hostie consacrée; éviter aussi que l'hostie puisse être emportée et éventuellement détournée à des fins sataniques. Plus spirituel est l'argument qui s'attache à ce rite parce qu'il conduit à ouvrir la bouche pour se laisser nourrir par Dieu comme un enfant. A l'inverse, les tenants de la communion dans la main évoquent la Cène, au cours de la quelle le Christ a rompu le pain et l'a tendu à ses disciples; ils avancent la noblesse du geste qui consiste à faire un trône de sa main, et qui est également une attitude de réception, et le caractère relativement récent de la communion sur la langue.
En 1969, l'instruction Memoriale Domini a établi que la communion dans la bouche demeurait la règle, mais que sur demandes des Conférences épiscopales, et avec les précautions de catéchisation des fidèles qui s'imposent, le Vatican pouvait accorder l'autorisation aux évêques de faire donner sur leur territoire la communion dans la main. Sur le plan juridique, la communion dans la main est donc censée être un « indult » (une exception) à la règle générale en vigueur.
Les évêques de France ont obtenu cette autorisation le 19 juin 1969, et cette façon de faire est devenue la plus courante, au point qu'elle passe pour la règle. Les fidèles qui continuent à recevoir l'hostie dans la bouche restent debout — sans être interdit, l'agenouillement reste une habitude dans les seules paroisses traditionalistes.
En 2004, l'instruction Redemptionis Sacramentum a rappelé que quand l'on communie debout, il est recommandé qu’avant de recevoir le Sacrement on fasse « le geste de respect qui lui est dû et que la Conférence des Évêques aura établi». Il faut veiller attentivement dans ce cas à ce que l’hostie soit consommée aussitôt par le communiant devant le ministre, pour que personne ne s’éloigne avec les espèces eucharistiques dans la main.

[Zenit] Le pape ne fait pas marche arrière sur Vatican II, selon le card. Bertone

SOURCE - Zenit - 28 août 2009
Le pape ne fait pas marche arrière sur Vatican II, selon le card. Bertone
Il répond aux rumeurs de la presse

ROME, Vendredi 28 Août 2009 (ZENIT.org) - Le plus proche collaborateur de Benoît XVI a démenti les rumeurs lancées par les journaux qui affirment l'intention du pape de faire « marche arrière » dans la manière d'appliquer le Concile Vatican II.

Le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d'Etat, répond dans une interview accordée à L'Osservatore Romano, à certaines questions sur l'existence, démentie par le Saint-Siège, de documents interprétés comme un retour en arrière de la part du pape, surtout en matière liturgique.

« Pour comprendre les intentions et l'action du gouvernement de Benoît XVI, il faut se référer à son histoire personnelle - une expérience variée qui lui a permis de traverser l'Eglise conciliaire comme un vrai protagoniste - et, une fois élu pape, du discours d'inauguration du pontificat, à celui à la Curie romaine le 22 décembre 2005 et aux événements précis qu'il a voulus et signés (et patiemment expliqués) », observe le cardinal.

« Les autres élucubrations et les rumeurs sur des documents présumés » impliquant un « retour en arrière sont une pure invention, selon un cliché standardisé et reproposé de manière obstinée », dit-il.

« Je ne voudrais citer que quelques instances du Concile Vatican II constamment encouragé par le pape avec une intelligence et une profondeur de pensée - a-t-il poursuivi : une relation de compréhension instaurée avec les Eglises orthodoxes et orientales, le dialogue avec les juifs et celui avec l'islam, avec une attraction réciproque, qui ont suscité des réponses et des approfondissements jamais vérifiés auparavant, purifiant la mémoire et s'ouvrant aux richesses de l'autre ».

« Par ailleurs, j'ai plaisir à souligner la relation directe et fraternelle, plus que paternelle, avec tous les membres du collège épiscopal durant les visites ad limina et dans les nombreux contacts » avec le pape, a-t-il ajouté.

« Que l'on se rappelle la pratique qu'il a lancée en intervenant librement aux assemblées du Synode des évêques, avec des réponses et des réflexions précises », a expliqué le cardinal, en invitant à ne pas oublier non plus « le contact direct instauré avec les supérieurs des dicastères de la Curie romaine avec lesquels il a remis en place les rencontres périodiques au cours d'audience ».

« Quant à la réforme de l'Eglise - qui est surtout une question d'intériorité et de sainteté - Benoît XVI nous a ramenés à la source de la Parole de Dieu, à la loi évangélique et au cœur de la vie de l'Eglise : Jésus, le Seigneur connu, aimé, adoré et imité car ‘Dieu s'est plu à faire habiter en lui toute plénitude', selon l'expression de la Lettre aux Colossiens », a poursuivi le cardinal Bertone.

En ce qui concerne les interventions du pape sur la Curie romaine, le cardinal a expliqué que depuis le début du pontificat, Benoît XVI a effectué « plus de 70 nominations de supérieurs de dicastères, sans compter celles de nouveaux nonces apostoliques et des nouveaux évêques dans le monde entier ».

Le cardinal Bertone a précisé que « certaines nominations importantes sont imminentes et que les surprises ne manqueront pas, surtout en ce qui concerne la représentation des nouvelles Eglises : l'Afrique a déjà offert et offrira d'excellents candidats ».

Le cardinal Bertone met aussi en garde contre l'erreur d'attribuer au pape tous les problèmes auxquels l'Eglise fait face dans le monde et toutes les déclarations de ses représentants.

« Il est juste, pour une information correcte, d'attribuer à chacun (unicuique suum) la propre responsabilité de ses gestes et paroles, surtout quand ceux-ci contredisent totalement les enseignements et les exemples du pape », a-t-il déclaré.

25 août 2009

[Le Nouvelliste] Célébrer la messe “tourné vers le Seigneur” ou face au peuple?

SOURCE - Vincent Pellegrini - 25 aout 2009


Je vois que le sujet de la messe célébrée tournée vers le Seigneur ou “ad orientem” (à l’Est)-(dos au peuple) suscite sur ce blog un débat intéressant. Pour décrisper ce débat, je reviendrai donc sur des extraits d’un texte que j’ai publié sur ce blog le 14 janvier 2008:

Dans un livre publié en 2004 en anglais (et en 2006 en français par la maison d’édition “Ad solem”) et consacré à l’orientation de la prière liturgique*, celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger écrivait en préface:

“Pour le catholique pratiquant ordinaire, les changements les plus patents de la réforme liturgique du second concile du Vatican semblent tenir en deux points: la disparition du latin, et le fait d’avoir tourné les autels vers le peuple. Ceux qui liront les documents de référence seront surpris de constater qu’en vérité ni l’un ni l’autre ne se trouve dans les décrets du concile. (…) Il n’y a rien dans le document conciliaire qui concerne le fait de tourner les autels vers le peuple; ce point n’apparaît que dans les instructions post-conciliaires.”
Le cardinal Ratzinger cite ensuite les textes (directives) disant qu’il est “préférable” et “souhaitable” de célébrer vers le peuple, mais ajoute que “cela n’implique aucune obligation” et que ce “n’est qu’une simple suggestion” comme l’a précisé le 25 septembre 2000 la Congrégation pour le culte divin. Joseph Ratzinger ajoute (la préface du livre a été signée en 2003):

“L’orientation physique, dit la Congrégation, doit être distinguée de l’orientation spirituelle. Même s’il célèbre vers le peuple, le prêtre devrait toujours être orienté vers Dieu par Jésus-Christ. Rites, signes, symboles et paroles jamais ne pourront épuiser la réalité intérieure du mystère du salut. Voilà pourquoi la Congrégation met en garde contre toute position unilatérale et rigide dans ce débat.”
Le pape, qui a d’ailleurs déjà célébré par exemple en janvier 2008 “tourné vers le Seigneur”, ajoute notamment dans la préface du livre précité:
“Cet ouvrage récapitule un débat, qui, en dépit des apparences, n’a jamais été conclu, pas même après le deuxième concile du Vatican. Le liturgiste d’Innsbruck Josef Andreas Jungmann, l’un des architectes de la Constitution conciliaire sur la sainte Liturgie, s’est résolument opposé, dès le tout début, au slogan polémique selon lequel auparavant le prêtre célébrait en tournant le dos au peuple; il souligne avec force que le point à considérer n’est pas que le prêtre se détournait des fidèles, mais au contraire qu’il se tournait dans la même direction qu’eux. La liturgie de la Parole revêt le caractère de la proclamation et du dialogue: adresses et répons lui appartiennent à juste titre. Mais dans la liturgie de l’Eucharistie, le prêtre conduit l’assemblée en prière en direction du Seigneur vers qui il se tourne avec elle. C’est pourquoi, dit Jungmann, la direction commune du prêtre et du peuple est si intrinsèquement adaptée à l’acte liturgique. Louis Boyer (qui fut comme Jungmann l’un des liturgistes artisans du Concile) et Klaus Gamber ont l’un et l’autre, chacun à sa manière, traité de cette même question. En dépit de leur grande renommée, il ne leur fut d’abord pas possible de faire entendre leur voix, si forte et insistante était la tendance à communaliser la célébration liturgique, qui poussait à considérer dès lors le face à face du prêtre et des fidèles comme une absolue nécessité. Ces derniers temps, l’atmosphère s’est peu à peu apaisée…”

J’ai parlé aussi sur ce blog le 21 août de Mgr Slattery, évêque de Tulsa (Etats-Unis) qui célèbre désormais la messe dans sa cathédrale tourné vers le Seigneur. Voici ce qu’il dit notamment dans un long texte auquel renvoie un lien hypertexte de mon article du 21 août:

“Depuis les temps anciens, la position du prêtre et du peuple reflétait cette idée de la Messe, puisque le peuple priait, était debout ou à genou à l’endroit qui, visiblement, correspond au Corps de Notre Seigneur, tandis que le prêtre à l’autel se tenait à la tête comme Tête. Nous formions tout le corps du Christ – Tête et membres – à la fois sacramentellement par le baptême et visiblement par notre situation et notre attitude. De manière tout aussi importante, chacun – célébrant ou assemblée – regardait dans la même direction puisqu’ils étaient un seul dans le Christ pour l’offrande au Père du sacrifice du Christ, unique, non répétable et acceptable. Quand nous étudions les plus anciennes pratiques liturgiques de l’Église, nous découvrons que le prêtre et le peuple faisaient face à la même direction, généralement l’Est, dans l’attente du retour du Christ puisqu’Il reviendra “de l’Orient”. À la Messe, l’Église veille en attendant ce retour. Cette position unique est dite ad orientem, ce qui signifie simplement “tourné vers l’Est”. Prêtre et peuple célébrant la Messe ad orientem fut la norme liturgique pendant près de dix-huit siècles. Il devait y avoir de solides raisons pour que l’Église ait maintenu pendant si longtemps cette norme. Et il y en avait ! (…) Bien avant son élection comme successeur de saint Pierre, le pape Benoît XVI nous a vivement conseillé de faire appel à l’ancienne pratique liturgique de l’Église afin de retrouver un culte plus authentiquement catholique. C’est pour cette raison que j’ai rétabli la vénérable disposition ad orientem quand je célèbre la Messe à la cathédrale. Ce changement ne doit pas être mal interprété, comme : “l’évêque tourne le dos aux fidèles”, ou comme un manque d’égards envers les fidèles voire une hostilité qui seraient miens. De telles interprétations montrent que l’on n’a pas compris qu’en faisant face à la même direction, la position du célébrant et celle de l’assemblée rendent explicite le fait que nous cheminons tous ensemble vers Dieu. Le prêtre et le peuple sont ensemble dans ce pèlerinage. Ce serait aussi une idée erronée que de considérer cette retrouvaille d’une ancienne tradition comme un pur retour en arrière. Le pape Benoît XVI répète constamment qu’il est important de célébrer la Messe ad orientem, mais son intention n’est pas d’encourager les célébrants à devenir des “antiquaires de la liturgie”. Tout au contraire, Sa Sainteté veut que nous redécouvrions ce qui sous-tend cette ancienne tradition et l’a rendu pérenne pendant tant de siècles, à savoir que l’Église comprend que la célébration de la Messe est d’abord et essentiellement le culte que le Christ offre à son Père. »

24 août 2009

[Paix Liturgique] Pourquoi tant d'aveuglement dans le diocèse de Versailles?

SOURCE - Lettre de Paix Liturgique n°192 - 24 août 2009
Loin de s'apaiser, la marée calme mais montante des demandes de célébration de messes selon la forme extraordinaire dans le diocèse de Versailles se transforme peu à peu en véritable lame de fond qui déstabilise les autorités du diocèse.

Plus que jamais il y a une distorsion entre le discours officiel et les réalités de terrain.

Nous reproduisons ci-dessous l'intervention orale du Père Olivier Leborgne, Vicaire Général du diocèse de Versailles, lors du colloque organisé le dimanche 28 septembre 2008 au Palais des Congrès de Versailles par un groupe de fidèles attachés au développement de la forme extraordinaire.

Ce texte vieux de presque un an n’a pas pris une ride...
Mesdames, Messieurs, Chers Pères,

Permettez-moi de vous saluer. C’est donc au nom de Monseigneur Aumonier que je suis présent parmi vous et que je vous adresse ces quelques mots. Cette rencontre étant organisée dans la ville de Versailles, l’évêque du lieu désire ainsi manifester son intérêt pour tous ceux qui y participent et je remercie donc les organisateurs de cette rencontre de m’avoir permis de prendre la parole devant vous.

Les mots de l’Apôtre des Nations que nous entendions dans la liturgie de ce jour, selon la forme ordinaire du rite, me paraissent tout-à-fait adaptés à ce que j’ai compris de l’esprit de cette rencontre et je me permets de vous les relire : « Frères, s’il est vrai que dans le Christ on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage dans l’amour, si l’on a de la tendresse et de la pitié, alors, pour que ma joie soit complète, ayez le même amour, le même sentiment. Recherchez l’unité. Ne soyez jamais intrigants ni vantards, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun ne soit pas préoccupé de lui-même mais aussi des autres. Ayez entre vous les mêmes sentiments que l’on doit avoir dans le Christ Jésus ». Et suit la magnifique hymne aux Philippiens, que, malheureusement je ne prends pas le temps de citer. Cette rencontre a pour objet d’évoquer la mise en œuvre en France du Motu proprio Summorum pontificum donné par Benoît XVI le 7 juillet 2007. Je me bornerai pour ma part à vous livrer quelques éléments concernant cette mise en œuvre dans le diocèse de Versailles et à évoquer quelques questions qui peuvent y être liées.

A l’heure où à été rendu public le Motu proprio du Saint-Père, le diocèse de Versailles vivait déjà une application généreuse du Motu Proprio Ecclesia Dei Afflicta, puisque dans 3 lieux, non seulement la messe selon ce que nous appelons désormais la forme extraordinaire du rite romain y était célébrée, et que le catéchisme y était donné, l’ensemble des sacrements célébré, et que les chapelains et vice-chapelains respectifs pouvaient y déployer leurs ailes pastorales dans une bonne intelligence et fraternité avec le clergé diocésain. Pour une part, et j’y reviendrai, Monseigneur Aumonier et son prédécesseur, avaient anticipé sur le futur Motu proprio. Quand, il y a un peu plus d’un an, celui-ci a été publié, Monseigneur Aumonier a pris deux décisions, qu’il a communiquées le 9 juillet à l’ensemble des prêtres du diocèse. D’une part, soutenir les lieux déjà existants, proposant la messe selon le missel extraordinaire, et d’autre part, demander aux prêtres du diocèse, dans l’esprit du Motu proprio reçu dans sa totalité, d’accueillir volontiers les demandes faites par des groupes stables, en discernant, dans la sollicitude pastorale, ce qui paraissait opportun et possible. Vous le savez sans doute, cela a permis non seulement que des messes selon la forme extraordinaire du rite soit célébrées dans des lieux où elle ne l’était pas auparavant en semaine, je pense à Saint-Nom-la-Bretèche ou au Vésinet, ou certains dimanches, comme à Rambouillet, mais aussi, cela a permis des célébrations dominicales, selon la forme extraordinaire du missel romain, dans deux nouveaux lieux. Rolleboise, dans l’ouest du diocèse, et tout récemment, la Chapelle des Clarisses à Versailles. Pour Rolleboise, nous pouvons remarquer que nous sommes là dans la visée explicite du Motu proprio, puisqu’il s’agit d’un groupe de fidèles de la Fraternité-Saint-Pie-X, qui a demandé, avec son pasteur, à revenir dans l’Eglise-Mère. A Versailles, le Motu proprio n’a fait qu’encourager une réflexion que nous avions entamée plusieurs mois auparavant et qui visait à répondre au mieux au bien des fidèles. Les Abbés Guimon et Servigny, qui ont demandé à être incardinés dans le diocèse de Versailles, ont été confirmés comme chapelain et vice-chapelain de Notre-Dame des Armées, et la Chapelle des Clarisses est désormais confiée au curé de la paroisse Saint-Louis, pour que la messe selon la forme extraordinaire du rite y soit célébrée. Les Abbés Leroux et Cayla de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, y ont été nommés vice-chapelains. C’est ainsi maintenant six lieux dans le diocèse, qui non seulement proposent ainsi quinze messes selon la forme ancienne du missel tous les dimanches, dont sept à Versailles-ville, et neuf dans un rayon de 3 kilomètres autour de la paroisse Notre-Dame, mais aussi permettent à l’ensemble de l’activité paroissiale, pastorale pardon, de se développer.

Voici donc où nous en sommes aujourd’hui. Certains pensent que ce n’est pas assez. Il est certain que personne ne fait assez pour la communion, et que l’Esprit Saint nous pousse à toujours progresser en ce sens. En même temps, nous savons tous ce qui est de foi catholique, que c’est l’évêque, successeur des Apôtres et pasteur au nom du Christ, par la grâce de l’Onction reçue lors de son ordination, qui est le garant de l’unité, et que si Amour et Vérité se rencontrent comme le dit le Psaume 84, et que donc il n’est pas de Charité sans Vérité, pas plus qu’il n’est de Vérité sans Charité, la disponibilité à l’esprit qui fait la communion sous l’autorité de l’évêque, ne saurait se confondre avec quelque esprit mondain de revendication ou de groupes de pression.

De nombreuses questions se posent encore. Parmi celles-ci, j’en évoquerai quatre.

Première question : qu’est-ce qu’un groupe stable ?

Le Motu proprio n’en donne pas de définition. Si certains peuvent clairement être nommés comme tels, et il y en a plusieurs dans le diocèse, une demande personnelle ou deux ou trois personnes peut-elle être réputée d’un groupe stable ? Et qu’en est-il quand une personne dit représenter un groupe dont elle veut pourtant garder l’anonymat ?

Pour la deuxième question, permettez-moi de citer l’article 5, paragraphe 1 du Motu proprio du Saint-Père dans son intégralité. Je cite : « Dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure, le curé accueillera volontiers leur demande, de célébrer la messe selon le rite du missel romain édité en 1962. Il appréciera lui-même ce qui convient pour le bien de ces fidèles, en harmonie avec la sollicitude pastorale de la paroisse, sous le gouvernement de l’évêque, selon les normes du Canon 392, en évitant la discorde et en favorisant l’unité de toute l’Eglise ».

La visée du Saint-Père Benoît XVI est, par le Motu proprio, de favoriser l’unité.

L’article 5 dans son paragraphe 1 dit deux choses qui, me semble-t-il, sont inséparables : dans la Vérité, il faut faire tout ce qui est possible pour élargir la communion si l’on peut dire et en ce sens accueillir volontiers la demande, la demande d’un groupe stable, d’une part ; et d’autre part, le curé concerné doit apprécier ce qui convient pour le bien des fidèles, et je cite le Motu proprio : « en harmonie avec la sollicitude pastorale de la paroisse, sous le gouvernement de l’évêque, en évitant la discorde et en favorisant l’unité de l’Eglise ».

Le Pape fait donc appel à la responsabilité pastorale des curés pour, si l’on peut dire, élargir la communion sans l’abîmer. Je vais prendre deux exemples pour illustrer ce propos. Nous sommes confrontés à Versailles à un bon problème, aussi paradoxal cela puisse-t-il paraître. Les églises de Versailles, et vous pourrez vérifier, sont pleines le dimanche. La paroisse Notre-Dame, pour ne citer qu’elle, rassemble tous les dimanches 3600 fidèles pour la messe, selon la forme ordinaire du rite. La demande qui a été faite, au moins dans une de ses formulations à un moment, demanderait de déplacer peu ou prou toutes les messes du matin, ce qui concerne 2500 fidèles.
Autre exemple, dans une autre paroisse du diocèse où une demande a été faite et accueillie avec une réelle bienveillance par le curé, quand après réflexion et concertation, il a annoncé qu’il était dans l’impossibilité de répondre favorablement à cette demande, toute l’assemblée dominicale a applaudi. Ces applaudissements ont blessé certaines personnes, comment ne pas les comprendre ? Cela blesse l’unité, cela m’a blessé. On ne peut que regretter cette réaction spontanée de l’assemblée. Mais on ne peut pas l’ignorer. Cela veut dire qu’il y a des craintes et des peurs et qu’il faut sans doute plus que quelques mois pour les apaiser. C’est un long travail que d’œuvrer pour l’unité, et il faut tout faire pour, mais comme dit le Saint-Père, cela ne doit pas provoquer la discorde. La question est importante et elle habite le cœur de Monseigneur Aumonier, comment travailler à la communion sans abîmer la communion ? Cela ne signifie pas que rien n’est ou ne sera possible, mais qu’il faut du temps, du dialogue et que rien ne sera possible, sans une détermination partagée qui évite tout ce qui ajoute aux peurs, excite les craintes ou même, inconsciemment, favorise la discorde.

Autre question : le Motu proprio favorise l’instance paroissiale pour répondre à la demande de groupes stables. S’agit-il alors seulement de mettre à disposition un lieu matériel et physique, aussi proche et beau soit-il, ou de permettre une vraie communion paroissiale ? En d’autres termes, sommes-nous fidèles à l’esprit du Motu proprio quand on veut une messe quitte à faire venir un prêtre d’ailleurs pour célébrer la messe et donner le catéchisme ou devons-nous favoriser des solutions véritablement paroissiales où un prêtre puisse célébrer la messe selon les deux formes du missel pour rassembler sa communauté et offrir une vraie cohérence pastorale ? Des prêtres du diocèse de Versailles désirent, dans ce sens, sincèrement apprendre à célébrer la messe selon la forme extraordinaire du missel, et plusieurs l’ont déjà fait. Certains aussi qui célèbrent habituellement selon la forme extraordinaire désirent apprendre à célébrer selon la forme ordinaire pour donner une visibilité plus forte à cette unité. Je m’en réjouis profondément.

Une dernière question habite un certain nombre de prêtres de notre diocèse, qu’il me paraît important de vous partager. S’il est vrai, comme le dit l’adage théologique, que l’Eucharistie fait l’Eglise, alors comment le signifier concrètement ? L’une des spécificités de la Foi catholique, vous le savez, est qu’elle est très réaliste. Comment donc le signifier concrètement quand un curé ne peut jamais rassembler sa communauté dans une même forme de l’unique rite romain ?

En vous remerciant de votre attention, et en vous priant de bien vouloir m’excuser du fait que je ne pourrai pas rester très longtemps et que vous allez me voir partir assez vite, je voudrais vous souhaiter une bonne rencontre. Je la confie à Notre-Dame pour que, par son intercession, nous devenions toujours davantage ce que nous sommes et ce que la messe ne cesse de faire de nous, l’unique corps du Christ, livré pour le salut du monde. Je vous remercie.

Les commentaires de Paix Liturgique :

1- Ce texte de septembre 2008 n’a pas pris une ride. Il résume toujours aussi parfaitement la mauvaise foi affligeante de l’évêché et le décalage complet entre le dogme versaillais « nous avions anticipé le Motu Proprio, la demande est largement satisfaite, tout va bien » et les réalités de terrain qui se traduisent par une opposition systématique au Motu Proprio de Benoît XVI.

2- "Que chacun ne soit pas préoccupé de lui-même mais aussi des autres", "il est certain que personne ne fait assez pour la communion". Ces belles paroles ne doivent-elles pas s'appliquer en premier lieu à ceux qui ont l'autorité, le pouvoir, et tiennent aujourd'hui les commandes d'un système au bord de la faillite ? Cette citation, placée dans le contexte de l'intervention du père Leborgne, sous-entendrait que les fidèles demandeurs de la messe selon la forme extraordinaire sont des enfants gâtés qui ne pensent qu'à eux. Est-ce vraiment l'esprit du Motu Proprio de Benoît XVI ? N’est il pas normal que les enfants demandent à leur père ce dont ils ont besoin pour vivre ? Mgr Aumonier, comme autorité du diocèse, n’a-t-il pas le devoir de se préoccuper des autres, suivant ainsi l'exemple de Benoît XVI ?

3- Le Père Leborgne ose ensuite dire que le diocèse de Versailles vivait déjà une application généreuse du Motu Proprio Ecclesia Dei Afflicta. Quelle méconnaissance de son propre diocèse ! Mgr Aumonier n'est-il pas conscient du nombre de fidèles qui fréquentent les lieux de messe extraordinaire ? N'a-t-il pas lui-même, dans son communiqué de presse de septembre 2008 annoncé qu'il confiait à la Fraternité Saint Pierre un nouveau lieu de culte dans Versailles pour désengorger la chapelle Notre Dame des Armées ? Il est évident que le diocèse de Versailles propose, par rapport à des diocèse ruraux, un nombre plus élevé de lieux de cultes destinés à la forme extraordinaire ; mais ramené au nombre et à l'attente des fidèles de ce diocèse, très largement favorable ou tout au moins ouvert à la forme extraordinaire, ces lieux sont en réalité des miettes.

4- Ainsi, le père Olivier Leborgne revient-il à nouveau sur le cas de Notre Dame de Versailles, croyant bon d'indiquer que plusieurs options s'offrent aux fidèles de cette paroisse dans un rayon de 3 km autour de leur église. Il oublie que les lieux existants sont bondés. Il ignore sans doute la difficulté pour une famille nombreuse (et c'est souvent le cas…) de faire 3 kms en ville ou de prendre sa voiture à Versailles le dimanche matin dans le quartier Notre Dame, pour aller assister à la messe. Il refuse surtout de faire une lecture simple et honnête du texte du Pape qui, incontestablement, doit s'appliquer dans une paroisse ou près de 1000 fidèles souhaitent bénéficier de la forme extraordinaire de l'unique rite romain. A moins que lorsque le Père leborgne dit « le Motu proprio favorise l’instance paroissiale », ces mots pourtant simples et clairs n’aient pas le même sens que pour tout un chacun.

5- Le Motu proprio est ainsi balayé, fort maladroitement, du revers de la main. Le Père Leborgne, après avoir liquidé la demande des fidèles de la paroisse Notre Dame de Versailles, qui représente indiscutablement un groupe stable très important, s'amuse à jouer sur les mots en s'interrogeant sur la réalité d'un groupe stable à partir de deux ou trois fidèles. De qui se moque-t-on ? Au lieu de tergiverser sur les demandes les moins importantes, Mgr Aumonier ne devrait-il pas demander à ses curés d'instaurer un véritable dialogue dans les paroisses où, comme le reconnaît le Père Leborgne, il existe des groupes stables importants ? C'est par ce dialogue que pourront s'apaiser les tensions dont il dénonce lui-même l'existence. En effet, quand des fidèles de saint Germain en Laye applaudissent à l'annonce que fait leur curé de refuser la demande de messe extraordinaire dans leur paroisse, est-il normal que ce dernier ne dise pas un mot pour ramener le calme ? Plutôt que de prendre cette exemple pour justifier l'inaction, Mgr Aumonier ne devrait il pas condamner de tels agissements et demander au curé concerné de mettre en place un dialogue au sein de sa paroisse pour "éviter que la tunique sans couture du Christ ne se déchire davantage"?

6- Enfin, le Père Leborgne démolit ses propres arguments. Il s'interroge sur la meilleure option, entre des lieux destinés exclusivement à la forme extraordinaire ou bien des messes extraordinaires au sein des paroisses, insistant sur le fait que la solution paroissiale permettrait à un prêtre de célébrer la messe selon les deux formes du missel, rassemblant ainsi toute sa communauté en offrant une vraie cohérence pastorale… et quelques instants plus tard il s'inquiète du fait qu'un curé ne puisse pas rassembler toute sa communauté autour d'une unique forme du rite !

7- Un double langage ? Le Père Leborgne, tiendrait-il un langage différent selon les personnes qu'il a en face de lui. Aurait-il prononcé les paroles qui vont suivre devant des paroissiens ordinaires ? "Benoît XVI veut nous provoquer à nous retrouver comme des frères et pas seulement comme des cousins éloignés. Le Motu Proprio vise à inciter des fidèles à retrouver leur place dans l'Eglise en leur signifiant que la question liturgique n'arrêtera pas leur retour dans l'Eglise. Nous sommes dans une injonction de travailler à la communion. Les gens, qui regardaient auparavant les traditionalistes du coin de l'œil, qui eux-même considéraient les autres commes des laxistes, sont invités à s'accueillir avec bienveillance. L'Eglise, ce n'est pas l'un ou l'autre, c'est l'un et l'autre. C'est un vrai défi." Le Parisien Yvelines du 3 juillet 2008.

Que d'incohérences, mon Père, que d'incohérences Monseigneur !
Etes-vous si mal à l'aise pour vous défendre si maladroitement ?
Que craignez-vous ?
Pourrez-vous entendre la demande d’une partie importante du troupeau avant qu'il ne soit trop tard ?

[Radio Vatican] Aucune réforme liturgique prévue par le Saint-Siège

SOURCE - radio Vatican - 24 août 2009
Aucune nouvelle réforme liturgique n’est en vue tout au moins dans l’immédiat. Le bureau de presse du Saint-Siège a apporté un démenti aux allégations parues ces jours derniers dans un quotidien italien. "Il Giornale" avait fait état il y a quelques jours de recommandations adressées au pape par la Congrégation pour le Culte Divin en vue de renforcer la place du latin dans la liturgie et la communion dans la bouche. Selon ces informations, le prêtre devrait également à nouveau célébrer la messe dos au public. Après avoir consulté la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, le bureau de presse a fait savoir qu’il n’y avait à l’heure actuelle aucune proposition institutionnelle concernant une modification des livres liturgiques en usage.

[APIC] France: Fraternité Saint Pie X: 509 prêtres dans le monde

SOURCE - 24 août 2009
Ordinations sacerdotales en augmentation

Paris, 24 août 2009 (Apic) La Fraternité traditionaliste Saint Pie X compte actuellement 509 prêtres dans le monde. Ces informations proviennent du site internet de la Fraternité en France.

Il faut ajouter à ce chiffre les 215 séminaristes qui se préparent à la prêtrise dans les six séminaires appartenant à la Fraternité.

Le site indique aussi que la Fraternité est présente dans 63 Etats: dans 31 d’entre eux, elle a des prêtres résidents, alors que dans 32 ce sont des prêtres en mission. De plus, il y a 117 frères, 82 oblates, 166 Sœurs de la Fraternité. Selon les chiffres donnés, la communauté possède aussi 161 prieurés, 725 centres de messe, 2 instituts universitaires, 90 écoles et 7 maisons de retraite pour personnes âgées

En 2008, la Fraternité a enregistré exactement 50 entrées dans ses séminaires, davantage que les années précédentes. Le nombre des ordinations sacerdotales a également augmenté: durant le premier semestre 2009, ce sont 20 ordinations qui ont eu lieu, contre 15 en 2008. La Fraternité prévoit d’autres ordinations jusqu’à fi décembre 2009 dans les séminaires de La Reja, en Argentine et de Goulburn, en Australie. Site internet: www.laportelatine.org/international/maison/statistiques/stat.php (apic/com/gs/js)

20 août 2009

[CRC - Il Est Ressuscité] Pour sortir de la crise

SOURCE - Contre Réforme Catholique - frère Bruno de Jésus - aout 2009
L’encyclique “ sociale ” annoncée pour Pâques 2007, quarantième anniversaire de Populorum progressio, est enfin parue. Son retard nous a été une invitation providentielle à relire et mettre en pratique la Lettre sur le Sillon, “ Notre charge apostolique ”, du pape saint Pie X, en prévision de son proche centenaire (25 août 1910 ; reproduite intégralement dans l’autodafé, p. 681-700), « le plus humain des textes pontificaux de ce siècle, dont nul Pape n’a plus osé parler depuis, pas même Pie XII béatifiant et canonisant son Docteur ! » (Georges de Nantes, CRC n° 225, août-septembre 1986).

Saint Pie X condamne le mouvement démocrate chrétien du Sillon avec une fermeté et une clarté prophétique. En effet, « le recul du temps donne à saint Pie X une étourdissante nouveauté » observe l’abbé de Nantes (ibid.), et la doctrine de ce saint Pontife éclaire comme un phare notre nuit qui s’épaissit parce que la doctrine qu’il condamnait a triomphé au Concile. Pour le constater, il suffit de comparer le texte de saint Pie X à celui de la “ Constitution pastorale ” Gaudium et spes sur “ La vie économique et sociale ” (Il est ressuscité n° 80, avril 2009) et sur “ La vie de la communauté politique ” (Il est ressuscité n° 81, mai 2009).

Saint Pie X s’adresse aux évêques français :

« Non, vénérables Frères, il faut le rappeler énergiquement dans ces temps d’anarchie sociale et intellectuelle où chacun se pose en docteur et en législateur, on ne bâtira pas la cité autrement que Dieu ne l’a bâtie [c’est précisément ce que se proposait le mouvement du Sillon de Marc Sangnier] ; on n’édifiera pas la société, si l’Église n’en jette les bases et ne dirige les travaux [le concile Vatican II a tout au contraire décidé de transformer l’Église en servante du monde en construction, sur la base nouvelle des droits de la Personne humaine condamnés jusque-là, encore par saint Pie X, précisément] ; non, la civilisation n’est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. [Paul VI a voulu inventer une civilisation nouvelle, qu’il appelait la « civilisation de l’amour ». Tandis que, pour saint Pie X, il n’y en a qu’une...] Elle a été, elle est ; c’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique. »

Surprenant optimisme : la civilisation chrétienne, la cité catholique non seulement « a été » mais « elle est » encore, malgré toutes les révolutions qui ont tenté de l’anéantir, la dernière en date étant celle du concile Vatican II. Depuis ce Concile, les Papes ne parlent plus jamais de la “ Chrétienté ”. Alors que pour saint Pie X, et pour l’abbé de Nantes, son fidèle disciple, « il ne s’agit que de l’instaurer et de la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine de la révolte et de l’impiété : Omnia instaurare in Christo. » (Lettre sur le Sillon, n° 11)

On peut dire que « les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine de la révolte et de l’impiété » ont mené leur assaut final à la faveur du concile Vatican II, et donc avec tout le prestige, la puissance, l’autorité de l’Église. Dans un premier temps, elles l’ont emporté en substituant, au sein même de l’Église, au cœur du sanctuaire, le culte de l’homme qui se fait Dieu au culte du Dieu qui s’est fait homme. Et la crise présente qui s’étend sur le monde est le salaire de cette impiété suprême. Pour en sortir, il nous faut contre-attaquer « l’utopie malsaine » qui en est la cause, et lui opposer les « fondements naturels et divins » de la « civilisation chrétienne », de la « cité catholique » que nous voulons restaurer avec l’aide de Dieu et le bon secours du Cœur Immaculé de Marie. C’est ce que nous tenterons en commentant l’encyclique Caritas in veritate dans les pages qui suivent.

« L’utopie malsaine » dont il s’agit, et qui a triomphé au concile Vatican II, est le personnalisme : un système philosophique, métaphysique, inventé par Jacques Maritain, maître à penser des papes Paul VI et Jean-Paul II. Si nous voulons instaurer, restaurer une société catholique, il faut commencer par réfuter ce prétendu “ humanisme intégral ” inventé pour faire pièce au “ nationalisme intégral ” et transformer l’Église en Mouvement d’Animation Spirituelle de la Démocratie Universelle. Un seul philosophe a opposé une métaphysique vraie, “ relationnelle ”, à la philosophie “ personnaliste ” de Maritain : l’abbé de Nantes, notre Père, qui n’a pas hésité à en tirer toutes les conséquences, jusqu’à s’élever contre les erreurs de Paul VI et de Jean-Paul II.

Sur cette base, nous pourrons rétablir les « fondements naturels et divins » d’une vie « économico-sociale », l’abbé de Nantes préfère dire : « écologique ». L’écologie catholique de nos 150 Points s’oppose au capitalisme et au socialisme, ou plutôt : au socialo-capitalisme responsable de la crise actuelle. Dans les années du Concile et des pontificats de Paul VI et Jean-Paul II, le “ système ” capitalo-socialiste a triomphé au point de paraître conduire l’humanité sur la voie d’un “ progrès ” merveilleux, Populorum progressio, qui faisait l’homme vraiment roi de l’univers. Et c’est notre idéal “ écologique ” qui faisait figure d’utopie. Aujourd’hui, ça n’est plus du rêve. Dans l’effondrement du système capitalo-socialiste, c’est l’écologie catholique... ou la famine pour tout le monde.

Pour que renaisse l’ordre de la Chrétienté, il faut, selon la recommandation de saint Pie X, ne pas nous laisser « égarer, dans le dédale des opinions contemporaines, par le mirage d’une fausse démocratie ». Il adressait cette recommandation aux évêques français, sans pouvoir soupçonner que tous les évêques du monde tomberaient dans cette erreur et en produiraient, en Concile, cinquante ans plus tard, un document époustouflant sous le titre Gaudium et spes, dans un « langage emphatique plein de promesses aussi sonores qu’irréalisables », celui-là même que saint Pie X disait emprunté « à la rhétorique des pires ennemis de l’Église et du peuple. » L’encyclique Caritas in veritate de Benoît XVI en est aujourd’hui le fruit achevé, insurpassable.

Il a manqué aux Pères du concile Vatican II, il manque à Benoît XVI, d’être « persuadés que la question sociale et la science sociale ne sont pas nées d’hier [ils étaient même persuadés du contraire, et Benoît XVI est l’héritier de cette conviction : selon eux, tout a commencé avec Léon XIII, premier Pape “ social ”] ; que, de tout temps, l’Église et l’État, heureusement concertés, ont suscité dans ce but des organisations fécondes ; que l’Église, qui n’a jamais trahi le bonheur du peuple par des alliances compromettantes, n’a pas à se dégager du passé et qu’il lui suffit de reprendre, avec le concours des vrais ouvriers de la restauration sociale, les organismes brisés par la Révolution et de les adapter, dans le même esprit chrétien qui les a inspirés, au nouveau milieu créé par l’évolution matérielle de la société contemporaine : car les vrais amis du peuple ne sont ni révolutionnaires ni novateurs, mais traditionalistes. » (n° 44 de la Lettre “ Notre charge apostolique ” sur le Sillon, du 25 août 1910)

frère Bruno de Jésus.

19 août 2009

[Disputationes Theologicae] Rencontre avec Mgr. Bartolucci

SOURCE - 19 août 2009


La réforme liturgique des années 70 occupe aujourd’hui une place importante dans l’horizon des controverses théologiques, et puisque liturgie et théologie sont intimement liées, on ne peut exclure du champ des discussions l’une ou l’autre sans risquer de tomber dans une conception fractionnée de la théologie qui a montré sa nocivité depuis les années 50. Il est aujourd’hui nécessaire, dans le cadre du vaste débat auquel nous voulons participer activement ici, de poser les bases d’une analyse honnête et courageuse du passé liturgique récent, tout en proposant, dans une attitude positive et bienveillante, des remèdes pratiques et surtout réalisables. Notre rédaction veut lancer un tel débat sans tomber pour autant, si possible, dans les erreurs méthodologiques du passé : c’est pourquoi nous avons voulu le mettre en œuvre en nous appuyant sur le témoignage de quelqu’un qui, par son âge et son prestige, n’est pas seulement une autorité en la matière, mais est aussi un véritable témoin de l’authentique tradition. Étant donné que la liturgie est avant tout une science pratique, nous n’avons pas voulu commencer cette discussion par la consultation d’un liturgiste chevronné, spécialiste des manuels et des rubriques, mais en recueillant les enseignements de quelqu’un qui a vu et vécu la liturgie comme aucun autre, depuis les campagnes toscanes et leurs immanquables processions populaires accompagnées par la fanfare, jusqu’aux fastes et aux splendeurs de la « chapelle papale » dans les Palais apostoliques : Monseigneur Domenico Bartolucci. Son verbe haut et ses expressions typiquement toscanes – malheureusement difficiles à rendre dans cette traduction française – comme les anecdotes dont il ponctue ses réponses, expriment mieux que de longs discours les convictions d’un homme d’Église qui a vécu dans la souffrance, avec elle, les tumultes des dernières décennies.

Rencontre avec Mons. Domenico BARTOLUCCI, maître émérite de la chapelle Sixtine, grand ami et collaborateur de Benoît XVI. (Interview Pucci Cipriani, Stefano Carusi - Traduction française Matthieu Raffray)

Né en 1917 à Borgo San Lorenzo (Florence), toscan par sa naissance puis romain par l’appel du Pape, il est nommé en 1952 substitut de la Chapelle Sixtine, aux côtés de Lorenzo Perosi, puis maître de cette chapelle papale à partir de 1956, où il a eu l’honneur de travailler avec cinq papes. Le 24 juin 2006, le Pontife régnant a tenu à organiser une cérémonie spéciale (photo) afin de sceller « à perpétuité » sa proximité et son admiration pour le grand musicien, auquel il adressait les mots suivants : « la polyphonie sacrée, en particulier celle de l’école romaine, est un héritage à conserver avec soin (…) un authentique aggiornamento de la musique sacrée ne peut advenir que sur le socle de la grande tradition héritée du passé, celle du chant grégorien et de la polyphonie sacrée ».

Maître, la publication récente du Motu proprio Summorum Pontificum a apporté un vent d’air frais dans le panorama liturgique désolant qui nous entoure… en avez-vous profité vous-même pour célébrer la « messe de toujours » ?

A vrai dire, j’ai toujours célébré cette messe, de façon ininterrompue depuis mon ordination… En fait j’aurais même des difficultés à célébrer la messe du rite moderne, puisque je ne l’ai jamais dite…

Pour vous, elle n’a donc jamais été abolie ?

Ce sont les paroles mêmes du Saint Père, même si certains font mine de ne pas le comprendre, et même si beaucoup ont soutenu le contraire dans le passé.

Pensez-vous que les fidèles soient moins enthousiasmés par la forme traditionnelle du rite, à cause de son aspect peu « participatif » ?

Allez, il ne faut pas dire de bêtises ! Moi j’ai connu la participation des fidèles autrefois, aussi bien à Rome, dans les basiliques, qu’à travers le Monde, et ici-même dans le « Mugello », dans cette paroisse, dans cette belle campagne autrefois peuplée de gens pleins de foi et de piété. Le dimanche à vêpres, le prêtre aurait pu se contenter d’entonner le « Deus in adjutorium meum intende », et puis se mettre à dormir sur la banquette jusqu’au capitule : les fidèles auraient continué tout seuls et les pères de famille auraient entonné, un par un, les antiennes !

C’est donc pour vous une vaine polémique, par rapport à l’actuel style liturgique ?

Hélas, je ne sais pas si vous avez déjà assisté à des funérailles : Alléluias, applaudissements, des phrases loufoques, au point de se demander si ces gens ont déjà lu l’évangile : Notre-Seigneur lui-même pleure sur Lazare et sur la mort… Avec ce fade sentimentalisme, on ne respecte même pas la douleur d’une mère. J’aurais voulu vous montrer comment autrefois le peuple assistait à une messe des morts, avec quelle componction et quelle dévotion on entonnait le magnifique et terrible Dies Irae !

Mais la réforme n’a-t-elle pas été faite par des gens conscients et bien formés doctrinalement ?

Je m’excuse, mais la réforme a été faite par des hommes arides, arides, je vous le répète. Moi, je les ai connus. Et quant à la doctrine, je me souviens que le cardinal Ferdinando Antonelli, de vénérable mémoire, disait souvent : « Qu’est-ce que nous pouvons faire de ces liturgistes qui ne connaissent pas la théologie ? »

Nous sommes bien d’accord avec vous, Monseigneur, mais il est vrai aussi qu’autrefois les gens n’y comprenaient rien…

Chers amis, n’avez-vous jamais lu saint Paul : « il n’est pas nécessaire de savoir plus que ce qui est nécessaire » : il faut aimer la connaissance ad sobrietatem. Avec cet état d’esprit, dans quelques années on prétendra comprendre la transsubstantiation comme on explique un théorème de mathématiques… Mais le prêtre lui-même ne peut comprendre entièrement un tel mystère !

Alors comment en est-on parvenu à un tel effondrement de la liturgie ?

Ça a été une mode, tout le monde parlait, tout le monde « rénovait », tout le monde pontifiait, sur la base d’un sentimentalisme qui prétendait tout réformer, et on faisait taire habilement les voix qui s’élevaient en défense de la tradition bimillénaire de l’Église. On a inventé une sorte de « liturgie du peuple »… lorsque j’entendais ces ritournelles, je me souvenais des paroles de l’un de mes professeurs de séminaire, qui nous enseignait que « la liturgie est l’œuvre du clergé, mais elle est pour le peuple ». Il voulait dire par là qu’elle doit descendre de Dieu et non pas monter à partir de la base. Je dois pourtant reconnaître que cet air corrompu s’est maintenant raréfié : les nouvelles générations de prêtres sont peut-être meilleures que celles qui ont précédé ; les jeunes prêtres ne sont plus ces idéologues furieux doublés de modernistes iconoclastes : ils sont plein de bons sentiments, mais ils manquent de formation…

Que voulez-vous dire par « ils manquent de formation » ?

Je veux dire qu’il faut de vrais séminaires ! Je parle de ces structures que la sagesse de l’Église avait finement ciselées à travers les siècles. Vous ne vous rendez pas compte de l’importance d’un séminaire : une liturgie vécue… les différents moments de l’année y sont vécus socialement avec les confrères du séminaire, l’Avent, le Carême, les grandes fêtes de Pâques : tout cela éduque à un point que vous n’imaginez pas. Une rhétorique insensée a fait passer l’image que le séminaire déforme les prêtres, que les séminaristes, éloignés du monde, resteraient fermés sur eux-mêmes et distants du monde. Ce ne sont que des fantaisies pour gaspiller une formation riche de plusieurs siècles d’expérience, et pour ne la remplacer que par du vide.

Pour revenir sur la crise liturgique, vous, Monseigneur, êtes-vous favorable à un retour en arrière ?

Regardez : défendre le rite antique ne consiste pas à être passéiste, mais à être « de toujours ». Par exemple, c’est une erreur d’appeler la messe traditionnelle « messe de saint Pie V » ou « messe Tridentine », comme s’il s’agissait de la messe d’une époque particulière. Notre messe romaine est au contraire universelle, dans le temps et dans le lieu : une unique langue de l’Océanie à l’Arctique. En ce qui concerne la continuité dans le temps, je peux vous raconter un épisode significatif : une fois nous étions en compagnie d’un évêque, dont je ne vous donnerai pas le nom, dans une petite église de la région ; nous apprenons alors subitement le décès d’un ami commun qui nous était cher, et nous décidons alors de célébrer sur le champ la messe pour lui. En cherchant dans la sacristie, on se rend compte qu’il n’y avait là que des missels antiques. Et bien l’évêque a refusé catégoriquement de célébrer. Je ne l’oublierai jamais… et je répète que la continuité de la liturgie implique que, sauf cas particuliers, je puisse célébrer aujourd’hui avec le vieux missel poussiéreux pris sur une étagère, et qui il y a quatre siècles a servi à l’un de mes prédécesseurs dans le sacerdoce.

On parle actuellement d’une « réforme de la réforme », qui devrait limer les irrégularités introduites dans les années 70…

La question est assez complexe… Que le nouveau rite ait des déficiences est désormais une évidence pour tout le monde, et le Pape a dit et il a écrit plusieurs fois que celui-ci devrait « regarder vers l’ancien ». Mais que Dieu nous garde de la tentation des pastiches hybrides. La Liturgie avec un L majuscule est celle qui nous vient des siècles passés : c’est elle qui est la référence. Qu’on ne l’abâtardisse pas avec des compromis « déplaisant à Dieu et à ses ennemis »…

Que voulez-vous dire par là ?

Prenons par exemple les innovations des années 70 : des chansonnettes laides et pourtant tellement en vogue dans les églises en 1968 sont aujourd’hui déjà des pièces de musée. Lorsqu’on renonce à la pérennité de la Tradition pour s’immerger dans le temps, on est aussi condamné à suivre les changements de modes. A propos de la réforme de la semaine sainte dans les années cinquante, je vous raconte une histoire : cette réforme avait été entreprise avec une certaine hâte, sous un Pie XII déjà affaibli et fatigué. Si bien que quelques années plus tard, sous le pontificat de Jean XXIII – car quoiqu’on en dise, en matière de liturgie il était d’un traditionalisme convaincu et émouvant – m’arrive un coup de fil de Mgr. Dante, le cérémoniaire du Pape, qui me demande de préparer le Vexilla Regis pour l’imminente célébration du Vendredi Saint. Interloqué, je lui réponds : « mais vous l’avez aboli ! ». Alors il m’a dit : « Le Pape le veut » ; et en quelques heures j’ai organisé les répétitions de chant, et nous avons chanté à nouveau, avec une grande joie, ce que l’Église chantait ce jour-là depuis des siècles. Tout cela pour dire que lorsqu’on a fait des déchirures dans le tissu de la liturgie, ces trous restent difficiles à recoudre, et ils se voient. Face à notre liturgie multiséculaire, nous devons contempler avec vénération, et nous souvenir qu’avec cette manie de toujours vouloir « améliorer », nous risquons de ne faire que des dégâts.

Maître, quel a donc été le rôle de la musique dans ce processus ?

La musique a joué un rôle incroyable pour plusieurs raisons : le « cécilianisme » maniéré – auquel Perosi ne fut pas étranger – avait introduit avec ses mélodies chantantes un sentimentalisme romantique nouveau, qui n’avait rien à voir, par exemple, avec la corpulence éloquente et solide de Palestrina. Certaines extravagances mal placées de Solesmes avaient cultivé un grégorien susurré, fruit lui aussi de cette pseudo restauration médiévalisante qui a eu tant de succès au XIXème siècle. C’était l’idée de l’opportunité d’une récupération archéologique, aussi bien en musique qu’en liturgie, d’un passé lointain dont nous auraient éloigné les « siècles obscurs » du Concile de Trente… De l’archéologisme, en somme, qui n’a rien à voir, absolument rien à voir avec la Tradition, car il veut récupérer ce qui finalement n’a peut-être jamais existé. Un peu comme certaines églises restaurées dans le style « pseudo roman » de Viollet-le-Duc. Ainsi donc, entre un archéologisme qui prétend se rattacher à l’époque apostolique, mais en se séparant des siècles qui nous relient à ce passé, et un romantisme sentimental qui méprise la théologie et la doctrine pour exalter les « états d’âme », s’est préparé le terrain qui a abouti à cette attitude de suffisance vis-à-vis de ce que l’Église et nos Pères nous avaient transmis.

Que voulez-vous dire, Monseigneur, lorsque dans le domaine musical vous attaquez Solesmes ?

Je veux dire que le chant grégorien est modal et non pas tonal. Il est libre, et non pas rythmé. Ce n’est pas « un, deux, un, deux, trois ». Il ne fallait pas dénigrer la façon de chanter dans nos cathédrales pour lui substituer un chuchotement pseudo monastique et affecté. On n’interprète pas le chant du Moyen-âge avec des théories d’aujourd'hui, mais il faut le prendre comme il nous est parvenu. De plus, le grégorien d’autrefois savait être aussi un chant populaire, chanté avec force et vigueur, comme le peuple exprimait sa foi avec force et vigueur. Et c’est cela que Solesmes n’a pas compris. Cela étant dit, il faut bien sûr reconnaître l’immense et savant travail philologique qui y a été fait en ce qui concerne l’étude des manuscrits antiques.

Maître, alors où en sommes-nous dans la restauration de la musique sacrée et de la liturgie ?

Je ne nie pas qu’il y ait quelque signes de reprise… mais je vois tout de même persister une sorte d’aveuglement, comme une certaine complaisance pour tout ce qui est vulgaire, grossier, de mauvais goût, et aussi pour ce qui est doctrinalement téméraire… Ne me demandez pas, je vous en prie, mon avis sur les « guitarades » et les chansonnettes qu’ils nous chantent encore pendant l’offertoire. Le problème liturgique est sérieux : il faut cesser d’écouter la voix de ceux qui n’aiment pas l’Église et qui s’opposent au Pape. Si on veut guérir un malade, il faut d’abord se souvenir que « le médecin timoré laisse la plaie s’infecter (il medico pietoso fa la piaga purulenta) »…