31 octobre 2018

[Abbé Benoît de Jorna, fsspx - Fideliter] Retrouver l'obéissance (éditorial)

SOURCE - Fideliter n° 245 - septembre-octobre 2018

Dans Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry fait poser cette question par le Roi au héros : « « Si j'ordonnais à un général de voleter autour de fleurs à la façon d'un papillon, ou d'écrire une tragédie ou de se changer en oiseau de mer, si le général n'exécutait pas l'ordre, serait-ce sa faute ou la mienne ? » On peut deviner qu'aujourd'hui le prince répondrait : « Si tu ordonnais à tes concitoyens de se jeter à la mer, ils feraient la révolution. » Car les hommes savent de moins en moins obéir.

D'où vient qu'on obéit moins ? Si nous remontons aux causes profondes, c'est que nous vivons dans l'ère de la quantité et pourtant la qualité devrait guider nos vies. Mais par nature notre intelligence à tendance à simplifier. Il est plus facile d'additionner des chiffres que d'élaborer lentement une progression qualitative de nos âmes. Et les vertus sont des qualités. On connaît les quatre vertus cardinales et on sait qu'elles sont mères de nombreuses filles. Quelle est la mère de l'obéissance ? C'est la justice. Et saint Thomas nous dit que cette dernière est la « qualité par laquelle on donne d'une volonté ferme et perpétuelle à chacun son droit ». Avouons qu'aujourd'hui ni la fermeté ni la perpétuité ne caractérisent plus les mœurs. Le papillonnage et la superficialité sont manifestes dans tous les domaines.

La volonté, beaucoup trop sujette des passions, a bien du mal à garder l'empire qu'elle devrait avoir sur elles. Comme des papillons, on survole d'une fleur à l'autre au gré du plaisir qu'elle apporte, toujours momentané. Par ailleurs il n'y a plus de perpétuité que dans le mouvement. Vieille théorie toujours actuelle. C'est la trop fameuse continuité dans le changement !

Alors si la mère – la justice – défaille comme sa fille – l'obéissance –, cette dernière pourrait-elle encore continuer d'exister ? Et pourtant nul homme ici-bas ne peut prétendre atteindre sa fin dernière sans cette vertu. Car notre fin dernière est la perfection chrétienne et celle-ci requiert toutes les vertus. Personne ne peut prétendre à la sainteté sans l'obéissance. Mais pour être obéissant, encore faudrait-il que le supérieur commande un précepte juste et légitime. Nous savons en effet, et peut-être trop, que « la volonté divine est la règle suprême et que toutes les volontés raisonnables sont réglées – ou devraient l'être – par elle, et ce plus ou moins directement, selon l'ordre établi par Dieu ». C'est l'enseignement de saint Thomas, le docteur angélique qui devrait être le docteur commun de l'Église.

Nous vivons, il est vrai, dans le dérèglement habituel. Les préceptes enjoints, dans l'Église,par les autorités suprêmes, sont de plus en plus injustes et illégitimes. Ils sont pour beaucoup manifestement contraires à la volonté divine ; ce nous est donc un devoir de n'y point souscrire. En conséquence l'obéissance devient tout simplement impossible. Et cette pauvre fille, n'ayant plus d'objet et donc d'occasion de s'exercer, se fait toute petite, s'efface et disparaît. Car saint Thomas prend soin de préciser : « L'objet précis de l'obéissance, c'est en effet le précepte ou l'expression d'une volonté qui n'est pas la nôtre, mais que la nôtre par obéissance s'empresse d'accomplir. » On s'habitue donc à vivre sans obéissance et, bien vite, on perdra même l'esprit d'obéissance, cette volonté de se conformer à la volonté du supérieur. Or c'est là que le bât blesse. Nous prétendons finalement vivre comme des bienheureux : au Ciel, plus de préceptes ! C'est non seulement du rêve, mais une erreur. On ne saurait perdre au Ciel toute la perfection acquise ici-bas. La vision faciale de Dieu dont parle saint Paul ne détruit aucune vertu !

L'obéissance est le respect envers les supérieurs ; et à supérieurs différents, obéissance différente. Ainsi, dit encore saint Thomas, les enfants ne sont pas obligés d'obéir à leurs parents quand il s'agit par exemple de vocation. « Mais pour la conduite de sa vie et les travaux domestiques, l'enfant doit obéir à son père » ! L'obéissance est une vertu sur la terre comme au Ciel ; elle l'était déjà au paradis terrestre, bien que la pratique de l'obéissance diffère dans ces trois situations.

Aujourd'hui on n'obéit plus, on négocie. La vie commune devient l'agglomération de la recherche, par les hommes, de leurs intérêts propres. Dès lors, ou on exagère l'unité, comme le font le communisme et l'islam et l'obéissance devient servilité ; ou bien on tue l'obéissance sous prétexte de liberté, et on divague dans la diversité comme l'a voulu le concile Vatican II ; un regard sur les paroisses conciliaires le montre à l'envi, comme le montre le dossier de ce numéro de Fideliter.

Seule l'Église peut tenir le juste équilibre de la diversité dans l'unité. Et ce n'est pas un oxymore. Il est évident que Dieu lui-même donne l'exemple : il s'est fait obéissant jusqu'à la mort. Notre-Seigneur obéit au précepte de son Père et donne sa vie pour nous sauver. À nous de l'imiter sans attendre un martyre ou une épreuve extraordinaire, mais en filant tout le jour cette obéissance que l'on doit à son supérieur immédiat. Mais aussi que les supérieurs sachent demander et même exiger par des préceptes raisonnables cette obéissance qui grandit l'homme puisqu'elle le fait un autre Christ.

Saint Grégoire a ces belles paroles : « Nous soumettre humblement à la voix d'un supérieur, c'est nous élever intérieurement au-dessus de nous-mêmes ».

Abbé Benoît de Jorna+, Supérieur du District de France de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X

29 octobre 2018

[Abbé Matthieu Salenave - Reconquista] Chronique apostolique en prison

SOURCE - Abbé Matthieu Salenave - Reconquista - 29 octobre 2018

Certains de nos lecteurs nous demandent des nouvelles concernant l'apostolat accomplit dans le milieu carcéral. Nous vous communiquons quelques nouvelles fraîches et positives à ce sujet. 

Rien de bon et de constructif dans le domaine surnaturel ne peut se faire sans la prière et le sacrifice puisque le salut d'une âme est essentiellement l'oeuvre de Notre-Seigneur. Aussi nous tenons à rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu car si la Providence a permis que nous puissions visiter des prisonniers alors que rien ne devait nous y conduire, c'est par la prière et l'intercession des âmes contemplatives et souffrantes ici-bas que tout s'est fait. Et en l’occurrence dans cette histoire (belge !), on peut être certain que la prière des Frères convers dominicains y est pour une très grande part. Ces frères ne quittent pourtant jamais leur couvent et n'ont aucun apostolat direct avec le monde et vouent leur vie à l'obéissance à la pauvreté et à la prière. 

Mais par une mystérieuse providence, notre musulman prisonnier était attiré par l'ordre dominicain : il avait même mis son petit groupe de prisonniers sous le patronage du RP Lataste (OP), mort saintement à la fin du 19ème siècle. Il recherchait un couvent dominicain qui restait assez traditionnel et comme il n'y pas une multitude de couvents dominicains traditionnels, notre ex-musulman a fini par découvrir Avrillé. De là, il a demandé la venue d'un père dominicain, mais comme la Belgique est loin et que nous passons régulièrement sur les lieux pour le ministère, c'est par cette entremise que les choses ont pu s'achever par un baptême mémorable dans la prison, sous le regard non moins fâché de l'aumônier moderniste que celui, stupéfait, des gardiens de la prison.

Mais les choses ne se sont pas arrêtées là puisque notre nouveau baptisé est un véritable apôtre de la Foi. Il a réussi à regrouper autour de lui près d'une quinzaine de prisonniers qui prient ensemble régulièrement et visionnent la Messe traditionnelle par le biais d'un CD que j'avais pu faire passer grâce à l'amabilité du directeur de la prison. Plus question pour eux d'assister à la Messe moderniste de l'aumônier !

Dans ce groupe, il n'y a pas que des catholiques. Certains musulmans s'y joignent et prient le chapelet (oui oui !) et des non baptisés aussi viennent régulièrement . Tout cela est peut-être fragile mais n'y voit-on pas la grâce qui descend sur ces âmes, naturellement et socialement, les plus déshéritées de ce monde ? Tout ces bienfaits ne pourraient exister s'il n'y avait pas d'âmes généreuses pour prier et se sacrifier. 

Un des frères convers du couvent d'Avrillé a pu visiter les prisonniers en raison d'une dispense exceptionnelle du prieur. Il a été l'objet d'une immense attention des gardiens et surtout des prisonniers qui voulaient tous lui parler, s'approcher de lui, toucher sa bure etc ... Ces gens-là comprennent mieux que Menzingen et tout autre tyran libéral la valeur des âmes contemplatives !

Dans ce ministère, nous ne négligeons pas la confession, à défaut de pouvoir célébrer les Saints Mystères, car ces convertis veulent, malgré leur passé, croire à la miséricorde infinie du Sauveur pour leurs pauvres âmes. C'est aussi par ce moyen, en plus du chapelet et des lectures, qu'ils trouvent des forces pour résister à la corruption carcérale et aux mafia diverses qui pourraient les ramener à la case départ. Les visites régulières sont aussi nécessaires pour des mises au point car, passer d'un état de pécheur public à une vie chrétienne réelle n'est pas sans difficultés. Je puis aussi compter sur les fidèles de la région qui se sont investis dans cet apostolat : visites, encouragement et soutien de diverses manières des prisonniers dans leurs efforts. Même les enfants y prennent leur part. Prions tous pour leur persévérance !

Comme le disait très bien l'abbé Pivert aux capitulants en juin dernier : "Quant à l’humilité, je ne vous dirai qu’une chose : vous êtes des bourgeois et des aumôniers de bourgeois. Les musulmans n’ont-ils pas d’âme que vous ne cherchiez pas à les convertir ? Que vous n’envoyiez pas vos religieuses vivre au milieu d’eux comme le suppliait le Père de Foucauld ?". 

Dieu nous garde d'abandonner les pauvres âmes dans le monde actuel et de ne nous soucier que de notre confort matériel et de nos avantages personnels. C'est en donnant que l'on recevra. Dieu a permis la crise de la FSSPX pour dépouiller évêques, prêtres et fidèles de grosses possessions bourgeoises et les lancer dans une véritable reconquête. Puissions-nous profiter de cette opportunité que nous offre le Ciel pour faire du bien aux âmes, surtout à celles qui pourraient souffrir de l'embourgeoisement des catholiques de la Tradition. Que Dieu nous garde pauvre et simple pour que n'importe quelle âme puisse s'approcher du prêtre sans appréhension . C'était le véritable esprit de Mgr Lefebvre. 

Puisse cette petite chronique de prison nous faire comprendre que la Tradition Catholique survivra si elle ne perd ni le sens missionnaire ni l'apostolat quelles qu'en soient les contradictions . 

Abbé Matthieu Salenave

27 octobre 2018

[Mgr Williamson - Initiative St Marcel] La Dérive Continue

SOURCE - Mgr Williamson - Initiative St Marcel - 27 octobre 2018

Fraternité ! Infléchis-tu la direction ?
Car pour la Vérité, c’est une défection !

“Pas d’ennemis à gauche”. Tel est l’aphorisme classique des démocrates de tout poil, des socialistes, des communistes, etc. Cela veut dire qu’en politique, quand on se bat à gauche, on ne doit jamais se battre contre une autre personne qui se bat également à gauche, à moins que celle-ci ne vire à droite. Dans le domaine religieux, le même aphorisme s’applique comme suit : quand on se bat pour la Tradition catholique, on ne doit jamais se battre contre autre personne qui se bat également pour la Tradition, à moins que celle-ci ne soit en train de l’abandonner. Autrement dit, aucun catholique de la Tradition ne devrait normalement attaquer la FSSPX qui, pendant plus de 40 ans, a rendu un service éminent à la Tradition. Or, hélas ! le chapitre intermédiaire de 2012 a montré que ladite Fraternité s’éloignait de la Tradition dans laquelle l’avait fondée Mgr Lefebvre ; et récemment, le chapitre de juillet dernier nous montre encore que cette glissade semble s’éterniser. C’est pourquoi, bien que nous n’ayons aucunement l’intention de porter ombrage à la vraie Fraternité, nous portons à la connaissance des catholiques comment cette glissade s’est poursuivie cet été.

La preuve ? Elle nous est donnée dans est une lettre circulaire émanant tout récemment de la Maison généralice de Menzingen qui lève le voile sur les décisions politiques prises par le chapitre de juillet dernier. Concernant les relations de la Fraternité avec Rome, le texte comprend cinq parties : les trois premières et la dernière contiennent quantité de pieuses considérations servant à encadrer la quatrième partie, laquelle est une présentation en règle, on ne peut plus officielle, de la politique de la Fraternité envers Rome. Citons-la en entier. Le texte en est si important pour l’avenir immédiat de la Fraternité que, sans aucun doute, chaque mot a été choisi par le chapitre avec un soin tout particulier. Chaque nuance doit en être alors aussi soigneusement pesée.

4a Il revient au Supérieur Général de décider de l’opportunité d’avoir des contacts avec le Saint-Siège. C’est à lui, avec la prudence et lorsque l’heure, dictée par la Divine Providence sera venue, d’examiner une modification du statut canonique, sans préjudice de la convocation préalable d’un Chapitre.

4b La Fraternité est une œuvre d’Église. De ce fait, elle n’a aucun accord à conclure avec le Saint-Père. Cependant, le moment venu, les véritables droits de la Fraternité finiront par être reconnus et codifiés canoniquement. C’est pourquoi les membres de la Fraternité sont invités à parler de manière plus appropriée, d’une “normalisation”, d’une “reconnaissance”, d’une “solution ou modification du statut canonique”, ou d’une “actualisation de notre approbation canonique”.

Commentaire du 4a – Certes, le Supérieur Général de la Fraternité doit dire quelles négociations avec Rome servent la Foi et comment il convient qu’elles soient menées. Cependant, tous les Chapitres de la Fraternité avant 2012 (1994, 2000, 2006), n’ont-ils pas clairement énoncé que toute soumission à la Rome officielle, toute réintégration, ou tout accord avec les romains, serait d’une importance telle pour la Fraternité que le Supérieur Général ne pourrait en décider seul, sans qu’un Chapitre Général complet intervienne (non simplement avec voix consultative mais avec voix délibérative, devant s’exprimer par un vote) ? Observons maintenant la nouvelle phraséologie employée : Parler de “ modification du statut canonique “ est une expression servant de feuille de vigne pour cacher l’inféodation de la Fraternité, fondée dans la Vérité par Mgr Lefebvre, à l’autorité mensongère de la Rome conciliaire. L’expression “sans préjudice” sonne comme une simple concession participative par la convocation d’un Chapitre – sans plus. Elle est loin d’équivaloir à “jamais sans” (c’est-à-dire nécessairement inclus avec voix délibérative devant s’exprimer par un vote). Notons également le présupposé suivant lequel le Supérieur général est assuré de décider en accord avec la Providence. Paul VI lui-même a-t-il jamais joui d’une garantie semblable ?

Quant au 4b – Certes, normalement, aucun subalterne ne passe d’accord avec un supérieur comme s’il était son égal, mais la Rome néo-moderniste n’est pas la Rome normale ! La Fraternité de Mgr Lefebvre servant la Vérité ne peut se mettre dans la position d’un mendiant par rapport aux modernistes actuellement en poste à Rome. A moins qu’elle ne cesse d’être dans la Vérité, car la Vérité n’a rien à mendier auprè s de menteurs. En fait, la Néo-fraternité de 2018 a perdu toute emprise sur le désastre réel de la Néo-église issue de Vatican II ; et de fait elle perd son emprise sur la Vérité en général. Ainsi, les quatre expressions choisies par le Chapitre sont quatre feuilles de vigne destinées à prendre la place d’autres mots exprimant clairement la réalité. Ces quatre feuilles de vigne trahissent l’intention de la Maison générale de liquider la FSSPX pour la remettre aux ennemis de la Foi actuellement à Rome. Elles sont totalement déplacées. Elles camouflent la réalité de cette liquidation.

Kyrie eleison.

[Traditionalistes (blog)] Le site catholic-hierarchy.org s'enrichit

SOURCE - Traditionalistes (blog) - 27 octobre 2018

Le site catholic-hierarchy.org donne pour chaque évêque de l'église catholique ses dates d'ordination, de consécration, de décès le cas échéant. Surtout, le site donne les lignées épiscopales, en amont comme en aval de chaque prélat.

Jusqu'à l'été 2018 [LIEN], le site n'indiquait pour Mgr Lefebvre que ses sacres africains. Les sacres de 1988 ne figuraient pas dans la base de données:

Cet oubli a été corrigé et les évêques sacrés il y a trente ans y figurent désormais [LIEN], ainsi que leur lien (pour trois d'entre eux) avec Mgr Rangel, et (à un clic de là) Mgr Rifan:


Le dicton dit que c'est petit à petit que l'oiseau fait son nid.

25 octobre 2018

[Paix Liturgique] Mgr Kozon, évêque de Copenhague: «Ma culture liturgique vient en grande partie de l'ancienne liturgie»

SOURCE - Paix Liturgique - lettre n°666 - 25 octobre 2018

Ce samedi 27 octobre, Mgr Czeslaw Kozon, évêque de Copenhague depuis 1995, guidera les pèlerins du septième pèlerinage international Populus Summorum Pontificum vers le tombeau de saint Pierre. Évêque du plus grand diocèse au monde, qui comprend tout le Danemark, les îles Féroé et le Groenland, Mgr Kozon n'hésite pas quand il le faut à quitter Copenhague pour aller remplacer l'un ou l'autre de ses prêtres aux extrémités de son diocèse. Pour comprendre la relation que ce pasteur entretient avec ses fidèles, il suffit de savoir qu'une trentaine de pèlerins danois sont annoncés à Rome, désireux de lui démontrer toute l'affection qu'il lui porte.

5 QUESTIONS À MGR KOZON
1) Excellence, l'an dernier, le pape émérite, Benoît XVI, écrivait dans sa préface à l'édition russe de sa Théologie de la Liturgie, que « l'occultation de Dieu dans la liturgie est la cause principale de l'actuelle crise de l'Église » ([LIEN]) : partagez-vous cette réflexion ?
Mgr Kozon : Je ne crois pas que Dieu soit en général occulté dans la liturgie quand elle est bien célébrée . Mais Dieu, comme les lieux et les choses sacrées, doit être traité avec le plus grand respect. Le problème, c'est que les gens souvent ne connaissent pas les vérités fondamentales de la foi et que, de ce fait, la liturgie n'est pas perçue comme une expression de la foi. Je dois toutefois dire que les jeunes prêtres, en particulier, sont très attentifs à ce sujet et célèbrent d'une façon très digne.
2) Le pape François a a voulu attirer l'attention de l'Église sur ses périphéries à laquelle appartient incontestablement votre diocèse, qui s'étend jusqu'aux Féroé et au Groenland : combien est-ce important pour un catholique, surtout quand il se trouve éloigné (géographiquement mais aussi, parfois, spirituellement) de Rome, de manifester précisément sa romanité en venant en pèlerinage auprès du Saint-Siège ?
Mgr Kozon : Les catholiques qui vivent isolés en périphérie ou appartiennent à une diaspora ont un fort sentiment d'appartenance à l'Église universelle. La majeure partie d'entre eux sont des émigrés qui viennent de grands pays catholiques, avec de solides traditions. Tous se rendent volontiers à Rome ou en d'autres lieux saints et en reviennent véritablement confirmés dans la foi.
3) À la fin du mois, vous serez à Rome pour guider les pèlerins du peuple Summorum Pontificum vers le Tombeau de l'Apôtre : quelle importance tient la forme extraordinaire dans votre diocèse ? Et dans votre vie sacerdotale personnelle ?
Mgr Kozon : La messe selon la forme extraordinaire est célébrée en deux lieux de mon diocèse . À Copenhague, deux à trois fois par mois et dans un autre lieu moins fréquemment. À Copenhague, il y a en moyenne une quarantaine de fidèles. On célèbre aussi volontiers les sacrements et les funérailles selon la forme extraordinaire.

Personnellement, j'ai grandi avec la forme extraordinaire, alors ordinaire, et suis « entré » dans la liturgie comme enfant de chœur. J'ai été ordonné prêtre dix ans après l'introduction de ce qui est aujourd'hui la forme ordinaire mais je peux dire que ma culture liturgique, par exemple mes gestes et mes déplacements, vient en grande partie de l'ancienne liturgie. Je ne célèbre pas souvent la forme extraordinaire mais le fais toujours volontiers quand on me le demande.
4) Le synode de la jeunesse se tient ces jours-ci or il est connu que de nombreux jeunes sont attirés par la liturgie traditionnelle : est-ce uj phénomène que vous observez aussi au Danemark et comment vous l'expliquez-vous ?
Mgr Kozon : Bien que le nombre de fidèles qui suivent la forme extraordinaire au Danemark soit limité, il est vrai que de nombreux jeunes s'y intéressent. Je ne sais comment l'expliquer mais on observe que, chez nous, bon nombre d'entre eux viennent du luthéranisme.
5) Avez-vous un message pour les pèlerins ? Une intention de prière à leur confier ?
Mgr Kozon : J'espère que le pèlerinage sera pour eux un affermissement de leur foi et qu'ils pourront, en rentrant chez eux, partager l'enthousiasme de la foi avec les autres membres de leur Église domestique et la soutenir par leur zèle.

[Abbé Nicolas Cadiet, fsspx - FSSPX Actualités] La collégialité au concile Vatican II

SOURCE - Abbé Nicolas Cadiet, fsspx - FSSPX Actualités - 25 octobre 2018

L’abbé Nicolas Cadiet est professeur au séminaire de Zaitzkofen depuis trois ans, où il enseigne la théologie dogmatique et la philosophie. Il fut auparavant professeur au séminaire Saint-Pie X d’Ecône où il enseigna durant sept ans le dogme et la liturgie. 

L’une des nouveautés apportées par le concile Vatican II a été la doctrine sur la structure de l’Eglise. Le premier concile du Vatican, en 1870, avait souhaité en donner un exposé complet ; mais en raison des circonstances, il avait dû se contenter d’affirmer vigoureusement le pouvoir suprême, plénier et universel du pape sur l’Eglise entière, couronné par le charisme d’infaillibilité solennellement défini à cette occasion. 

Plusieurs théologiens de renom aux 19e et 20e siècles avaient regretté que l’enseignement de l’Eglise mette depuis longtemps un accent trop exclusif sur la monarchie papale au détriment de l’institution des évêques. Diverses circonstances historiques avaient motivé cette tendance, comme la réforme grégorienne au 11e s., la riposte contre le conciliarisme de l’époque du Grand Schisme, contre la négation de la hiérarchie de l’Eglise par Wyclif et Hus et surtout contre la Réforme protestante. La définition de 1870 aurait accentué cette tendance. 

En outre l’exaspération contre la Curie romaine, composée surtout d’Italiens, et accusée de régenter l’Eglise de loin sans prêter attention aux conditions locales de l’apostolat, était chronique. 

C’est dans ce climat que s’ouvrit le concile Vatican II. Et la ferme intention de plus d’un Père conciliaire, était de rééquilibrer l’enseignement magistériel dans la direction d’une affirmation plus forte des prérogatives des évêques. D’où ce passage de la Constitution dogmatique Lumen Gentium sur l’Eglise du 21 novembre 1964, servant d’introduction au chapitre 3 consacré à « la constitution hiérarchique de l’Eglise et, en particulier, l’épiscopat » : 

« Cette doctrine de l’institution, de la perpétuité, de la valeur et de la raison de la sacrée primauté du Pontife romain et de son infaillible magistère, le saint Concile la propose de nouveau à tous les fidèles pour qu’elle soit crue fermement ; et poursuivant le même dessein, il a décidé de professer et de proclamer publiquement la doctrine concernant les évêques, successeurs des Apôtres, lesquels, avec le successeur de Pierre, Vicaire du Christ et Chef visible de toute l’Eglise, gouvernent la maison du Dieu vivant » (LG n°18).
Doctrine nouvelle sur les prérogatives des évêques 
Pour manifester la place particulière que les évêques occupent dans l’Eglise, le texte montre que la dignité épiscopale comporte des prérogatives qui n’émanent pas purement et simplement du pape, et cela de deux manières. 

En premier lieu, c’est par le rite de la consécration épiscopale qu’on devient évêque. Or ce rite, le Concile déclare que c’est un sacrement (LG n°21), c’est-à-dire qu’il produit son effet surnaturel du simple fait que le rite est correctement exécuté par le ministre compétent (l’évêque) avec l’intention de faire ce que fait l’Eglise. L’assentiment du pape n’est pas plus requis pour l’efficacité du rite que pour la validité d’une messe célébrée par un prêtre validement ordonné. Et de ce fait le pouvoir reçu ne procède pas du pape, mais du Christ qui opère via l’instrument qu’est le ministre. 

L’effet de ce sacrement consiste dans le pouvoir de sanctifier (celui en particulier d’administrer les sacrements de confirmation et d’ordre), mais aussi, dit le Concile, d’enseigner et de gouverner. Il se fonde sur le don du Saint-Esprit que les Apôtres ont reçu directement de Dieu le jour de la Pentecôte et qui est perpétué dans le rite du sacre épiscopal. Il résulte de ce sacrement que les évêques représentent le Christ Pasteur : « En la personne des évêques qu’assistent les prêtres, le Seigneur Jésus-Christ, Pontife Suprême, est donc présent au milieu de ses fidèles ». 

En second lieu, certains de ces pouvoirs reçus au sacre consistent dans une autorité qui n’est pas tant celle d’une personne que celle du corps entier. En effet, quoique chaque évêque ait la charge d’enseigner et de gouverner personnellement son propre diocèse, ce qui ne fait aucune difficulté, le Concile affirme en outre que, en tant que corps, ou « collège », les évêques jouissent de l’autorité d’enseigner et de gouverner toute l’Eglise. Le rite du sacre, accompagné de la communion hiérarchique avec le pape et les évêques catholiques, est censé incorporer le nouvel évêque dans ce collège et, de ce fait, lui communiquer une part à cette autorité. 

L'ordre des évêques, qui succède au collège des Apôtres dans le magistère et le gouvernement pastoral, en qui même se perpétue le corps apostolique, uni à son Chef le Pontife romain, et jamais sans ce Chef, est également sujet du pouvoir suprême et plénier sur toute l'Eglise, pouvoir qui ne peut être exercé qu'avec le consentement du Pontife romain. (LG n°22) 

Il y a là une affirmation assez nouvelle de la dignité des évêques, car il y a désormais en plus du pape un autre sujet (subjectum quoque) du pouvoir suprême, plénier et universel sur l’Eglise, même si l’exercice de ce pouvoir se tient, d’après le texte, dans une étroite dépendance à l’égard du pape, comme dans le cas explicite des Conciles œcuméniques. 

L’idée d’un pouvoir des évêques sur toute l’Eglise est suggérée de plus par l’évocation de la sollicitude commune des évêques (LG n°23), et d’une responsabilité commune sur le bien de toute l’Eglise, sans plus préciser jusqu’où elles s’étendent 1. 
Le bon grain mêlé à l’ivraie 
Parmi ces affirmations, il y en a qui étaient déjà enseignées dans l’Eglise, quoique non encore de manière si solennelle, et d’autres nouvelles. 

Par exemple, que l’épiscopat soit une institution divine du Sauveur, et non une institution ecclésiastique, cela ne fait pas de difficulté. L’Evangile rapporte clairement comment Jésus a choisi directement ses Apôtres, leur a communiqué divers pouvoirs, comme celui de célébrer la Messe et de pardonner les péchés, et les a envoyés prêcher. Ces prérogatives sont accordées à tous conjointement, quoique jamais sans Pierre, et quoique certaines prérogatives lui soient conférées distinctement des autres. Il reçoit cependant la charge de « paître les agneaux et les brebis », c'est-à-dire de gouverner toute l’Eglise, pasteurs et fidèles, mais il n’a pas la charge d’établir lui-même la structure essentielle de l’Eglise, elle est imposée par le Christ en personne. C’était l’enseignement de Léon XIII dans l’encyclique Satis cognitum (1896). Il est clair encore que les Apôtres se sont donné des successeurs en vertu d’un commandement qui n’émanait pas de saint Pierre, mais vraisemblablement du Sauveur. 

De la même manière, le fait que le sacre épiscopal confère le pouvoir de sanctifier n’est pas nouveau. Quant à sa qualification comme sacrement, si elle tranche une question librement disputée par les théologiens, elle correspond à l’opinion de la majorité des Pères conciliaires 2 et était déjà largement sous-entendue par le pape Pie XII dans la Constitution Apostolique Sacramentum ordinis du 30 novembre 1947. 

On peut encore rappeler une doctrine admise dans l’Eglise, quoique non rappelée par Vatican II 3, celle du Magistère ordinaire universel. L’enseignement unanime des évêques en matière de foi ou de mœurs est infaillible : 

« Cette soumission qui doit se manifester par l’acte de foi divine ne saurait être limitée à ce qui a été défini par les décrets exprès des conciles œcuméniques ou des pontifes romains de ce Siège apostolique, mais elle doit aussi s’étendre à ce que le magistère ordinaire de toute l’Eglise répandue dans l’univers transmet comme divinement révélé et, par conséquent, qui est retenu d’un consensus unanime et universel par les théologiens catholiques, comme appartenant à la foi » 4.

Il est clair alors que le corps des évêques en tant que collectivité jouit d’un charisme particulier d’infaillibilité qui n’est pas celui, personnel, du pape ; pourtant ce charisme du corps des évêques ne s’exerce pas sans lui, son chef, et le pape est juge de sa réalisation effective dans chaque cas particulier 5.
Un deuxième sujet du pouvoir suprême et plénier ? 
En revanche, l’affirmation d’un pouvoir suprême et plénier du corps des évêques sur toute l’Eglise, possédé par le corps des évêques, chef inclus, ne va pas autant de soi. Les arguments avancés pour soutenir cette affirmation, à savoir la manifestation des liens de communion entre évêques dans l’Antiquité chrétienne, la pratique des Conciles et la contribution de plusieurs évêques pour accomplir un sacre épiscopal ne permettent pas de parvenir à une conclusion aussi lourde de sens que celle d’une juridiction du corps des évêques comme tel sur toute l’Eglise. 

En effet, la pratique des liens de communion et la présence de plusieurs évêques lors d’un sacre peuvent ne manifester que la naturelle solidarité des membres de la même Eglise catholique qui assument des rôles comparables de gouvernement. Quant à la pratique des Conciles locaux ou généraux, un expert fait remarquer que « cette consultation n’est pas dictée par une exigence constitutionnelle, mais suggérée par des raisons de prudence dont le pape est seul juge, en vue du bien de l’Eglise » 6. Faire des réunions n’est pas de soi l’expression d’un grand mystère, irréductible aux structures des sociétés humaines. On se réunit pour consulter la prudence naturelle des uns et des autres, on se réunit aussi pour consulter la prudence surnaturelle conférée par l’Esprit Saint. Rien de si mystérieux ! Et il y a des réunions stériles aussi bien dans le domaine ecclésiastique que dans le domaine des affaires temporelles… 

On peut encore évoquer la « Note explicative préliminaire » ajoutée sur ordre de « l’autorité supérieure », à savoir Paul VI lui-même, en novembre 1963 et insérée dans les actes officiels du Concile comme nécessaire pour l’interprétation authentique du texte. Celle-ci explique que le sacre confère une « participation ontologique aux fonctions sacrées ». Ceci permet de distinguer d’une part un pouvoir de gouverner conféré par le rite du sacre épiscopal, et d’autre part la juridiction effective de l’évêque sur un diocèse, qui lui est conférée via la nomination par le pape. Certains théologiens concluent que le pouvoir du collège des évêques sur toute l’Eglise consiste dans cette ébauche de juridiction conférée par le sacre, partagée de droit par tous les évêques, et mise en application selon les circonstances ou les déterminations décidées par le pape. 

Mais précisément il ne s’agit que d’une ébauche de juridiction, une aptitude à recevoir la juridiction effective, alors que LG 22 parle d’un pouvoir suprême et plénier du collège des évêques sur toute l’Eglise, qui est le même que celui du pape, c’est-à-dire possédé actuellement et non seulement comme en germe, même si c’est sous la motion du pape qu’il est exercé. Le sacre ne peut donc pas communiquer une part à ce pouvoir suprême et plénier sur toute l’Eglise. 

Il n’est d’ailleurs même pas nécessaire pour en jouir, si l’on en croit le pape Pie XII : « Si un laïc était élu pape, il ne pourrait accepter l’élection qu’à condition d’être apte à recevoir l’ordination et disposé à se faire ordonner ; le pouvoir d’enseigner et de gouverner, ainsi que le charisme de l’infaillibilité, lui seraient accordés dès l’instant de son acceptation, même avant son ordination » 7.

On reste donc peu convaincu de la réalité de ce pouvoir du collège sur toute l’Eglise. Comme le remarque Joseph Ratzinger : « Il faut bien le dire, il apparaît par ce texte [la note préliminaire] que la notion d’une collégialité exclusivement centrée sur l’acte strictement collégial sur toute l’Eglise conduit à une impasse. En effet on voit difficilement quel sens positif aurait une collégialité qui ne signifierait légitimement le pouvoir plénier que parce qu’en la contestant on porterait atteinte à celui, plénier aussi, du pape. En effet, le sens de la collégialité ne peut être de mettre un parlement à la place du monarque, par exemple, mais de rendre aux Eglises particulières leur valeur et leur efficacité dans l’ensemble ecclésial, en d’autres termes, de promouvoir la « collégialité partielle ». Celle-ci est en soi d’une importance capitale pour le tout, car elle représente vitalement la structure conciliaire de l’Eglise. Au moment opportun – et il viendra –, elle pourra s’exercer sous la forme suprême d’un acte collégial au concile œcuménique » 8.

Ainsi la seule portée réelle de cette affirmation conciliaire d’un pouvoir collégial des évêques consisterait dans l’exhortation à pratiquer la consultation « collégiale » à l’échelle moindre des provinces ecclésiastiques, des diocèses, des paroisses mêmes. La structure collégiale du corps des évêques ne servirait au fond que de modèle pour le fonctionnement de l’Eglise à tous les niveaux. En d’autres termes, il faut multiplier les réunions, conciles, synodes et autres commissions. Cela méritait-il une telle discussion des 2000 Pères conciliaires ? La montagne a accouché d’une souris. Il est permis de soupçonner que cette ouverture vers plus de démocratie visait de plus amples conséquences. 

C’est en effet ce que l’histoire du Concile permet de découvrir. Parmi les diverses thèses théologiques sur la structure de l’Eglise, la plus extrême tenait que le collège des évêques était le sujet du pouvoir suprême sur l’Eglise, et que le pape n’en était que le président. Le texte conciliaire avait été formulé de manière volontairement ambiguë, de sorte qu’on puisse après le Concile l’interpréter dans le sens de la démocratie épiscopale 9. Paul VI fut atterré lorsqu’il comprit la duplicité des théologiens qui manœuvraient ainsi, et c’est pour cette raison qu’il imposa la « Note explicative préliminaire » 10.
Application de la doctrine de la collégialité 
Pour défendre la doctrine de la collégialité contre ses opposants, qui craignaient un affaiblissement du pouvoir du pape, Mgr Jean-Julien Weber écrivait en 1964 : « L’Eglise a été instituée par Jésus sur un mode qui ne convient qu’à elle : elle est une communion, une koinonia qui révèle entre ses membres à la fois une communication de grâces communes à tous et une différenciation de ses dons pour le bien de l’ensemble. Il y a sans doute lieu de déterminer quels sont ces dons et ce qu’ils signifient, mais il n’y a aucun lieu de les opposer, ni d’en éliminer certains au profit des autres sous prétexte de sauvegarder des droits que personne ne menace » 11.

L’histoire du Concile montre que ces menaces n’étaient pas des chimères. L’application du Concile a clairement montré leur réalité. Dans l’anarchie des années 70, un prélat romain avait dit à Mgr Lefebvre : « Que voulez-vous qu’on fasse devant une conférence épiscopale » qui refuse les injonctions de Rome ? En 2017, la conférence des évêques d’Allemagne a décidé purement et simplement de refuser aux fidèles de la Fraternité Saint-Pie X la célébration de leurs mariages, contrairement aux dispositions de la Congrégation pour la Doctrine de la foi du 27 mars 2017. 

Comme le disait le cardinal Vingt-Trois le 14 septembre 2008 à l’occasion de la visite de Benoît XVI à Paris : « Les rapports du pape avec les évêques ne sont pas des rapports de patron à employés. Il n’est pas un PDG d’une multinationale qui vient visiter une succursale ». Entre les évêques de France et le pape il n’y a pas de « rapports de subordination servile ». - Certes, mais qui l’a jamais prétendu, et pourquoi caricaturer à ce point l’institution divine qu’est l’Eglise ? 

Les conférences épiscopales n’obéissent pas, mais tyrannisent les évêques qui n’osent pas protester contre des décisions collectives, de sorte que leur autorité est comme confisquée 12. Dans les paroisses, l’autorité du curé est battue en brèche par un conseil paroissial, ou par des personnalités tyranniques. Des mouvements se réclament du concile Vatican II pour demander l’ordination des femmes et l’adaptation de l’enseignement moral de l’Eglise aux mœurs contemporaines. On leur a tellement parlé des attributions des laïcs ! 

Devant ce spectacle, est-il vraiment impertinent de remarquer que, contrairement aux propos agacés de Mgr Weber ou du pape Jean XXIII fustigeant les « prophètes de malheur » 13, Cassandre a encore eu raison ? 

La Commission Théologique Internationale, dans son document de 2014 sur le sensus fidei, fait remarquer « qu’en certaines occasions la réception de l’enseignement du magistère par les fidèles rencontre difficulté et résistance ; il faut alors, en de telles situations, agir de part et d’autre de façon appropriée. Les fidèles doivent réfléchir sur l’enseignement qui a été donné, s’efforçant de leur mieux de le comprendre et de l’accepter. Résister par principe à l’enseignement du magistère est incompatible avec un authentique sensus fidei. Le magistère doit pareillement réfléchir sur l’enseignement qui a été donné et examiner s’il n’y a pas lieu de le clarifier ou de le reformuler afin de communiquer de façon plus efficace son message essentiel » 14.

Les fidèles et les clercs qui, depuis les années 70, ont cherché dans la débâcle de l’Eglise à conserver une liturgie, une discipline et un enseignement conformes à la Tradition de l’Eglise, ont certainement fait la preuve de leur sensus fidei. Ils peuvent légitimement attendre de l’autorité magistérielle qu’elle examine s’il n’y a pas lieu de « clarifier ou reformuler » le Concile, pour corriger le mal à sa racine. 

Abbé Nicolas Cadiet
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1. Cf. aussi Décret Christus Dominus, 28 octobre 1965, n°3. 
2. Un vote sur la question lors du Concile le 30 octobre 1963 montra que 2123 Pères contre 34 souhaitaient qu’on affirme que l’épiscopat était le degré le plus élevé du sacrement de l’Ordre. 
3. On ne voulait pas trancher sur la question de savoir si le magistère ordinaire universel était à considérer strictement comme un acte collégial ou non. Cf. Joseph Ratzinger, « La collégialité épiscopale, développement théologique », in L’Eglise de Vatican II, t. 3, Cerf, p. 780. 
4. Pie IX, Lettre Tuas libenter à l'archevêque de Munich-Freising, 21 décembre 1863, Ds 2879. Cf. aussi Vatican I, Constitution dogmatique Dei Filius, 24 avril 1870, Ds 3011. 
5. Cf. Pie XII, Constitution apostolique Munificentissimus Deus du 1er novembre 1950 pour la définition solennelle de l’Assomption de Notre Dame : « Les réponses quasi unanimes des évêques et le consentement universel des fidèles constituaient par eux-mêmes, la preuve que le dogme pouvait être défini. » in Documents pontificaux de Sa Sainteté Pie XII, éd. Saint-Augustin, Fribourg, t. 12, p. 485. Il appartenait au Pape de procéder à cette consultation et d’en apprécier le résultat. 
6. Père Umberto Betti, ofm, « Le pape et les autres membres du collège », ibidem p. 800. 
7. Pie XII, Discours aux participants au IIe congrès mondial pour l’apostolat des laïcs, 5 octobre 1957, in Documents pontificaux de Sa Sainteté Pie XII, éd. Saint-Augustin, Fribourg, t. 21, p. 570. 
8. Joseph Ratzinger, op. cit. p. 786. 
9. Voir le témoignage d’Edward Schillebeeckx, o.p. : « Dès la deuxième session, précisait-il, il avait dit à un expert de la Commission de théologie qu’il était fâché de voir exposé dans le schéma ce qui semblait être le point de vue libéral modéré sur la collégialité ; personnellement, il était favorable au point de vue libéral extrême. "Nous nous exprimons de façon diplomatique, lui avait répondu l’expert, mais après le Concile nous tirerons du texte les conclusions qui y sont implicites." Le P. Schillebeeckx trouvait cette tactique "malhonnête". » Ralph Wiltgen, Le Rhin se jette dans le Tibre, DMM, p. 237. 
10. Pour un récit de tout cet épisode du Concile, voir Ralph Wiltgen, Le Rhin se jette dans le Tibre, pp. 223-229. Indications en termes plus feutrés sur la réaction de Paul VI, avec plus de références, dans Giuseppe Alberigo (éd.), Histoire du Concile Vatican II, t. IV, Cerf-Peeters, Paris-Louvain, 2003, pp. 531-532. 
11. Jean-Julien Weber, « Les Apôtres ont-ils formé un collège ? », in Bulletin ecclésiastique du diocèse de Strasbourg, 1964, p. 6, n°6, cité dans L’Eglise de Vatican II, t. 3, Cerf, pp. 831-832, note 7. 
12. Cf. Mgr Lefebvre, Lettre ouverte aux catholiques perplexes, ch. 13. 
13. Jean XXIII, Discours d’ouverture solennelle du concile Vatican II, 11 octobre 1962. 
14. Commission théologique internationale, « Le sensus fidei dans la vie de l’Eglise », 2014, n°80.

[Abbé Jean-Michel Gleize, fsspx - Le Courrier de Rome] La commission Ecclesia Dei fête ses trente ans

SOURCE - Abbé Jean-Michel Gleize, fsspx - Le Courrier de Rome - 25 octobre 2018

1. La Commission Pontificale Ecclesia Dei fête cette année son trentième anniversaire, puisqu'elle a été instituée le 2 juillet 1988 par le Pape Jean-Paul II, dans le Motu proprio Ecclesia Dei afflicta, qui a donné son nom à la dite Commission. Les consécrations épiscopales accomplies par Mgr Lefebvre à Écône, le 30 juin de lamême année, en furent l'occasion immédiate. Le texte du Motu proprio s'étend longuement sur la portée de ces consécrations (aux n°1-5) avant d'instituer la Commission et d'en définir le rôle (au n°6).

2. Au n°1, les sacres épiscopaux sont présentés par le Saint-Siège comme un motif de tristesse pour l'Église, du fait que cet acte consacre l'échec de tous les efforts déployés jusqu'ici par le Pape «pour assurer la pleine communion avec l'Église de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X». Il est donc clair que, aux yeux de Jean-Paul II, ce ne sont pas les sacres du 30 juin 1988 qui ont mis à mal la communion de la Fraternité avec l'Église. Le problème de la «pleine communion» se posait auparavant – «jusqu'ici» – et ce n'est pas l'acte liturgique accompli par Mgr Lefebvre, pris dans sa portée disciplinaire, qui a suscité cette difficulté déjà ancienne. La consécration épiscopale n'a fait qu'aggraver le contentieux et rendre plus difficile encore la conclusion d'un accord, en créant un motif supplémentaire de désaccord. Mais le désaccord obéit fondamentalement à des motifs différents et bien plus profonds que le motif d'ordre disciplinaire. Les numéros suivants, 3 et 4, font d'ailleurs la distinction entre la portée de l'acte consécratoire, pris en lui-même (au n°3) et les motifs beaucoup plus profonds qui se trouvent à la racine du litige opposant la Fraternité au Saint-Siège (au n°4).

3. Le numéro 3 situe l'acte du 30 juin dans sa portée disciplinaire, mais en faisant appel aux données de la nouvelle ecclésiologie, introduites par le concile Vatican II. Il y est dit, en effet, que la consécration d'évêques sans mandat pontifical, commise à l'encontre de la volonté explicite du Souverain Pontife, constitue par elle-même une désobéissance formelle, «en une matière très grave et d'une importance capitale pour l'unité de l'Église, puisqu'il s'agit de l'ordination d'évêques par laquelle se perpétue sacramentellement la succession apostolique». Qu'il s'agisse là - en règle générale - d'une désobéissance très grave, la doctrine traditionnelle de l'Église l'a toujours affirmé. Que la gravité de cette désobéissance provienne de l'importance de la matière dans laquelle il est désobéi, nul n'en a jamais douté. Ce qui est nouveau, et conséquent à Vatican II, c'est la raison qui est donnée de cette importance. L'ordination des évêques constitue une matière importante parce que c'est là que «se perpétue sacramentellement la succession apostolique». Cette nouveauté repose sur une équivoque foncière, qui est l'une des racines profondes de la nouvelle ecclésiologie.

4. La succession est le moyen nécessaire à la perpétuité de la hiérarchie, grâce auquel de nouveaux prélats sont établis à la place de leurs défunts prédécesseurs, pour constituer toujours la même personne juridique qu'eux, personne juridique c'est-à-dire revêtue du même pouvoir. Mais dans l'Église, le pouvoir des ministres du Christ est précisément double: pouvoir d'ordre ou pouvoir de sanctifier en réalisant de manière valide les sacrements; pouvoir de juridiction ou pouvoir de gouverner en établissant des lois. Quel pouvoir est donc transmis par l'ordination sacramentelle des évêques? Toute la Tradition de l'Église répond qu'il s'agit uniquement du pouvoir d'ordre, non du pouvoir de gouverner, lequel est donné par le Pape, indépendamment du rite de la consécration. Et la succession apostolique est d'abord la perpétuité de ce pouvoir de gouverner, perpétuité de l'autorité juridique,qui est au fondement de l'unité sociale de l'Église (1). Dire,comme le fait Vatican II (2), et, à sa suite, le Motu proprio Ecclesia Dei afflicta, que la succession apostolique se perpétue sacramentellement par le sacre épiscopal, c'est faire dépendre directement du Christ, au détriment du Pape, le double pouvoir épiscopal d'ordre et de juridiction. Si, en effet, le pouvoir de gouverner est donné et reçu par le sacre, l'autorité du Pape ne saurait intervenir que pour en régler l'exercice, non pour en être la source existentielle et le conférer dans son essence. Accorder une telle importance au sacre épiscopal, en voyant en lui l'origine directe et immédiate de toute autorité dans l'Église, c'est réduire à l'extrême la portée du Primat du Pape, voulue par le Christ. C'est faire du Collège épiscopal (dont le Pape n'est plus que la «tête») l'instance suprême dans l'Église, du fait même que, par la consécration sacramentelle, chacun des membres de ce Collège tient son pouvoir directement du Christ.

5. Selon les données de la Tradition, la consécration épiscopale donne seulement le pouvoir d'ordre, non le pouvoir de juridiction et c'est pourquoi consacrer un évêque sans l'autorisation du Pape représente en soi une désobéissance, mais non un schisme, car une telle consécration ne saurait avoir pour effet de communiquer l'autorité de gouvernement. Et d'ailleurs, la plupart du temps sinon toujours, un schisme est ordinairement antérieur à des consécrations épiscopales accomplies sans mandat pontifical, car il est en la cause. Ainsi, le gouvernement communiste chinois a-t-il procédé à des consécrations d'évêques, après avoir d'abord désavoué le principe même de l'autorité du Pape. Et ces évêques consacrés se sont vus ensuite attribuer, de la part du gouvernement,un pouvoir de juridiction que leur sacre ne leur avait pas encore obtenu. Dans la nouvelle optique de Vatican II, consacrer des évêques équivaudrait à communiquer non seulement le pouvoir de sanctifier mais encore le pouvoir même de gouverner, avec toute l'autorité sociale qu'il implique dans l'Église; c'est pourquoi, lorsque cette consécration est accomplie sans l'aval de l'évêque de Rome, «tête» du Collège, auquel il appartient tout de même de régler l'exercice du pouvoir épiscopal, à défaut de le communiquer dans son essence, elle constitue en elle-même un acte schismatique, c'est-à-dire le refus direct de la communion ecclésiale et, à travers elle, du fameux «ministère pétrinien», c'est-à-dire de ce qu'il reste encore de la primauté de l'évêque de Rome, après Vatican II. Jusqu'ici, une telle consécration, même gravement illicite, ne représentait pas en tant que telle ce refus et pour autant ne constituait pas en elle-même un acte de schisme. Désormais, depuis Vatican II, elle constitue un acte schismatique. C'est pourquoi, on ne saurait considérer que la consécration épiscopale accomplie par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988 «constitue en elle-même un véritable refus de la primauté de l'évêque de Rome», sans admettre par le fait même l'un des principaux fondements de la nouvelle ecclésiologie. Prétendre que la consécration accomplie sans mandat pontifical représente «en elle-même» un acte schismatique et un refus de la primauté du Pape, c'est professer une ecclésiologie étrangère aux données de la Tradition, ecclésiologie collégialiste et novatrice. Le supposé «schisme» d'Écône est donc révélateur d'une divergence profonde dans la définition de l'Église.

6. Autrement plus graves sont les motifs plus profonds qui sont évoqués au n°4 du Motu proprio. «À la racine de cet acte schismatique», est-il dit, «on trouve une notion incomplète et contradictoire de la Tradition. »Retenons d'abord ici le reproche de la contradiction. Celle-ci proviendrait du fait que «personne ne peut rester fidèle à la Tradition en rompant le lien ecclésial avec celui à qui le Christ, en la personne de l'apôtre Pierre, a confié le ministère de l'unité dans son Église». Le reproche est lancé à la figure de Mgr Lefebvre, mais il l'est par ceux-là mêmes qui sont les premiers à rompre le fameux lien ecclésial, en s'affranchissant des enseignements de leurs prédécesseurs. Comment en effet Jean-Paul II peut-il prétendre rester en communion avec les Papes Léon XIII, saint Pie X, Pie XI et Pie XII en accomplissant à deux reprises (1986 et 2002) la scandaleuse cérémonie d'Assise? Le principe même de cette démarche œcuménique et interreligieuse est explicitement condamné par l'Encyclique Mortalium animos du 6 janvier 1928, à peine soixante ans avant les sacres d'Écône. Au cours de l'homélie du 30 juin 1988, Mgr Lefebvre répondait déjà au reproche qui lui serait lancé deux jours plus tard. «Il me semble entendre, mes bien chers frères, il me semble entendre la voix de tous ces papes depuis Grégoire XVI, Pie IX, Léon XIII, saint Pie X, Benoît XV, Pie XI, Pie XII, nous dire: Depuis le concile, ce que nous avons condamné, voici que les autorités romaines l'adoptent et le professent. Comment est-ce possible? Nous avons condamné le libéralisme; nous avons condamné le communisme, le socialisme, le modernisme, le sillonnisme, toutes ces erreurs que nous avons condamnées, voilà maintenant qu'elles sont professées, soutenues, par les autorités de l'Église. Est-ce possible!» La «notion contradictoire de la Tradition» est donc imputable à la Rome actuelle, à cette Rome dite «conciliaire» du fait même qu'elle se revendique du concile Vatican II, dont les enseignements sont contraires à la Tradition de l'Église. Et si cette notion «contradictoire» de la Tradition est la racine profonde du schisme,celui-ci est pour l'instant à Rome, à cette Rome actuelle qui rompt avec la Rome de toujours. Le schisme ne saurait être à Écône, qui se démarque de cette Rome actuelle pour demeurer fidèle à la Rome de toujours.

7. Il est alors facile de dissiper l'autre aspect du reproche apparemment encouru par Mgr Lefebvre. Sa notion de la Tradition serait «incomplète» parce qu'elle ne tiendrait pas suffisamment compte «du caractère vivant de la Tradition». En réalité, cette Tradition vivante n'existe pas. C'est une contradiction dans les termes et c'est l'une des inventions du concile Vatican II, en rupture avec tout le Magistère antérieur de l'Église. Le Motu proprio croit pouvoir justifier cette idée faussée d'une Tradition vivante en s'appuyant sur le fameux n°8 de la constitution Dei Verbum, d'après lequel «cette Tradition qui vient des Apôtres progresse dans l'Église, sous l'assistance du Saint-Esprit; en effet, la perception des réalités aussi bien que des paroles transmises s'accroît, soit par la contemplation et l'étude des croyants qui les méditent en leur cœur, soit par l'intelligence intérieure qu'ils éprouvent des réalités spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, ont reçu un charisme certain de vérité. Ainsi l'Église, tandis que les siècles s'écoulent, tend constamment vers la plénitude dela divine vérité, jusqu'à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu». Le concile établit ici la confusion entre la Tradition, qui est la transmission des vérités révélées par Dieu, accomplie par le Magistère, et la perception de ces mêmes vérités par les fidèles qui les reçoivent de la prédication du Magistère. Autre est la transmission, autre est la perception de ce qui est transmis. La perception a lieu, et de mieux en mieux; elle progresse, effectivement et d'abord grâce à la prédication du Pape et des évêques. Mais la transmission ne progresse pas au sens où l'Église ne posséderait pas encore de manière définitive la plénitude de la vérité. Nous en voulons ici pour preuve ce qu'affirme avec autorité le concile Vatican I: «D'autre part, la doctrine de foi que Dieu a révélée n'a pas été proposée comme une découverte philosophique à faire progresser par la réflexion de l'homme, mais comme un dépôt divin confié à l'Épouse du Christ pour qu'elle le garde fidèlement et le présente infailliblement. En conséquence, le sens des dogmes sacrés qui doit être conservé à perpétuité est celui que notre Mère la sainte Église a présenté une fois pour toutes et jamais il n'est loisible de s'en écarter sous le prétexte ou au nom d'une compréhension plus poussée(3).» Et le Serment antimoderniste de saint Pie X, évoquant le «charisme certain de la vérité» dont bénéficie l'épiscopat catholique, déclare qu'il a été donné à la hiérarchie enseignante «pas pour qu'on tienne ce qu'il semble meilleur et plus adapté à la culture de chaque âge de pouvoir tenir, mais pour que jamais on ne croie autre chose, ni qu'on ne comprenne autrement la vérité absolue et immuable prêchée depuis le commencement par les apôtres» (4). Avec cette conception évolutionniste de la Tradition vivante, le concile a ouvert la porte à «l'herméneutique de la réforme», dont Benoît XVI s'est fait le théoricien dans son Discours du 22 décembre 2005(5).

8. Tel est le motif profond pour lequel le Saint-Siège a condamné Mgr Lefebvre et son œuvre: la définition de la Tradition et du Magistère. Telle est aussi la raison profonde qui empêche encore la Fraternité Saint Pie X de pouvoir vraiment s'entendre dans le principe et donc aussi de pouvoir vraiment coopérer pastoralement dans les faits avec les différentes communautés de la mouvance dite «Ecclesia Dei». Le n°5 du Motu proprio fondateur de la Commission pontificale du même nom déclare en effet que «l'ampleur et la profondeur des enseignements du Concile Vatican II requièrent un effort renouvelé d'approfondissement qui permettra de mettre en lumière la continuité du Concile avec la Tradition, spécialement sur des points de doctrine qui, peut-être à cause de leur nouveauté, n'ont pas encore été bien compris dans certains secteurs de l'Église». C'est donc bien l'idée de la Tradition vivante, appliquée à Vatican II, dans toutes ses conséquences, qui réclame l'adhésion des fidèles et des prêtres au bénéfice desquels le Pape veut établir cette nouvelle Commission. Le n°6 précise ensuite que celle-ci a pour mission «de collaborer avec les évêques, les dicastères de la Curie romaine et les milieux intéressés, dans le but de faciliter la pleine communion ecclésiale des prêtres, des séminaristes, des communautés religieuses ou des religieux individuels ayant eu jusqu'à présent des liens avec la Fraternité fondée par Mgr Lefebvre et qui désirent rester unis au successeur de Pierre dans l'Église catholique en conservant leurs traditions spirituelles et liturgiques, à la lumière du protocole signé le 5 mai par le cardinal Ratzinger et Mgr Lefebvre». Mais ce numéro doit s'entendre en fonction du précédent: «faciliter la pleine communion ecclésiale» ne peut se faire qu'en mettant en lumière la continuité du concile avec la Tradition, ce qui réclame l'adhésion à cette idée fausse et moderniste de la Tradition vivante et évolutionniste.

9. L'existence même de cette Commission Ecclesia Dei, dans le principe théologique et canonique de sa fondation, ainsi que dans son origine historique, présuppose la reconnaissance de l'absence de pleine communion chez tous ceux qui ont encore «des liens avec la Fraternité fondée par Mgr Lefebvre». Et toutes les communautés qui se sont rattachées dans la normalité canonique à cette Commission – et que l'on désigne pour cela comme les «communautés Ecclesia Dei» – obéissent pareillement, dans leur logique initiale, au même présupposé. Il y a là une nécessité de droit, au niveau de ces communautés prises en tant que telles, indépendamment des bonnes pensées et des bonnes volontés qui peuvent animer les personnes membres de ces communautés ou liées à elles. Qu'il le pense ou non, qu'il le veuille ou non, du fait même de ce à quoi il adhère canoniquement, le membre d'une communauté Ecclesia Dei ou celui qui lui est lié atteste que la Fraternité Saint Pie X et ceux qui lui sont liés ne sont pas en pleine communion avec l'Église. Et le point important et décisif sur lequel il importe d'insister, c'est qu'en attestant cela, les communautés Ecclesia Dei attestent aussi par le fait même que la Fraternité Saint Pie X se fait «une notion incomplète et contradictoire de la Tradition» (6), qui la conduit à nier «la continuité du Concile Vatican II avec la Tradition» (7).

10. L'idée conciliaire de la Tradition vivante doit en définitive apparaître comme le véritable problème, la cause profonde de la division qui sévit encore parmi les catholiques perplexes. Et c'est finalement la Rome actuelle, encore attachée à ce Concile, et à ce postulat faux de la Tradition vivante, qui fomente et entretient ainsi la division, au détriment de la véritable catholicité.

Abbé Jean-Michel Gleize, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
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Notes
(1) .Cf. l'article «Évêque de Rome» dans le numéro de mai 2014 du Courrier de Rome.
(2).Constitution Lumen gentium, chapitre III, n°21.
(3).Concile Vatican I, constitution Dei Filius, chapitre IV, DS3020.
(4).SAINT PIEX, Motu proprio Sacrorum antistitum, DS 3549.
(5).Cf. l'article «Magistère ou Tradition vivante» dans le numéro de février 2012 du Courrier de Rome.
(6).Motu proprio Ecclesia Dei afflicta, n°4.
(7).Motu proprio Ecclesia Dei afflicta, n°5.

24 octobre 2018

[Riposte Catholique] France: le cri d’un curé de campagne

SOURCE - Riposte Catholique - 24 octobre 2018

Curé dans une paroisse rurale. Un témoignage qui en dit long…

Dans quelques mois, j’entrerai dans ma trentième année de sacerdoce dont vingt-cinq comme curé de paroisse. Certains de mes confères (ceux qui sont encore dans le sacerdoce !) fêtent cet anniversaire, d’autres le boudent… Mais au-delà de cette herméneutique, il me semble que l’Église est en faillite, du moins dans nos pays de vieille chrétienté, dont la France. Lors de mon ordination dans les années quatre-vingts, les pseudo ténors des séminaires et des évêchés se voulaient rassurants en clamant haut et fort : « le creux de la vague est atteint, nous remontons… » Eh bien non !

La population a décroché massivement de la pratique religieuse. La jeunesse lui a tourné le dos, malgré les grands rassemblements des JMJ, ou de quelques réunions diocésaines ou interdiocésaines. Les vocations sacerdotales tendent à se raréfier et même à disparaître dans de nombreux diocèses. En raison de la moyenne d’âge du clergé, la population sacerdotale, en nombre déjà insuffisant pour assurer le soutien spirituel des quelques fidèles qui n’ont pas abandonné le navire, va continuer de fondre dans les années à venir et à un rythme de plus en plus soutenu, d’autant plus que les «récents» scandales laminent le fond.

Cet effondrement du tissu ecclésial français s’explique par une double cause :
  • d’abord, les changements sociétaux des “Trente Glorieuses”;

  • ensuite, la pastorale des années soixante-dix menée tambour battant par l’immense majorité du clergé avec les fameux cantiques « il est formidable d’aimer » ou bien « Main ! Main! Main ! dans la Main » et j’en passe des plus croustillants tel « Jésus-Christ plus jamais ne sera mort » ; cette pastorale a encouragé et très probablement accéléré l’effondrement au lieu de tenter de le contenir.
La situation actuelle, tout en étant complexe dans le détail, est pourtant limpide dans ses grandes lignes : toutes les institutions, paroisses, communautés qui ont adopté cette pastorale des années soixante-dix sont aujourd’hui de ce fait condamnées à disparaître à plus ou moins court terme.

À cette règle, il n’existe quasiment pas d’exception.

Parallèlement à cette situation, un certain nombre de faits objectifs doivent être relevés :
  • 25 % des ordinations en France s’effectuent aujourd’hui selon la “forme extraordinaire” du rite romain. Il est vrai que, paradoxalement, les évêques acceptent plus facilement cette “forme extraordinaire”, qu’ils considèrent sans avenir, que la “forme ordinaire” bien célébrée qui ferait ombrage à leur pastorale liturgique défaillante.

  • Bien que cette réalité soit difficilement quantifiable, il apparaît clairement qu’une majorité des jeunes prêtres sortant actuellement des séminaires diocésains refusent de suivre leurs aînés dans la pastorale ultra progressiste qui règne encore au sein des diocèses et des paroisses. Ils demeurent cependant persécutés.

  • Le séminaire de la Communauté Saint-Martin, l’un des rares séminaires de France à ne pas connaître la crise, s’est imposé en quelques années comme la première maison de formation sacerdotale du pays ; il se trouve que ce séminaire est à peu près le seul à avoir appliqué fidèlement les directives et les intuitions du concile Vatican II, dans un esprit de continuité et non de rupture.

  • Le pèlerinage de Pentecôte de Paris à Chartres, attaché à la “forme extraordinaire” du rite romain, connaît une affluence croissante, en particulier dans la jeunesse, et s’est imposé en quelques années comme le premier pèlerinage organisé en France et même de toute l’Europe occidentale.

  • Les communautés religieuses et monastiques restées fidèles à la Tradition de l’Église (Solesmes, Kergonan, Flavigny, le Barroux, Fontgombault, les chanoines de Lagrasse, la Fraternité Saint-Vincent Ferrier, etc.) sont quasiment les seules à attirer des vocations ; certaines de ces communautés connaissent même un succès tel qu’elles devront probablement essaimer dans les années à venir.
De cet ensemble de faits indéniables, il ressort qu’aujourd’hui, en France, en 2018, il y a une Église qui vit et se développe et une Église qui meurt.
  • Ceux qui dans les années 1970 nous expliquaient que la Tradition de l’Église pouvait être abandonnée sans tort pour l’Église se sont trompés ;

  • Ceux qui nous expliquaient que l’habit distinctif du prêtre ou de la religieuse, qu’une liturgie et une spiritualité traditionnelles, que le chant grégorien, que le sens du sacré, du silence et de la contemplation n’intéressaient plus la jeunesse et devaient être remisés au grenier se sont lourdement trompés et nous ont trompés.

  • Nos évêques sont actuellement plus préoccupés par les finances de leur diocèse que de l’évangélisation ; et leurs économes diocésains gèrent l’Église particulière comme une véritable entreprise commerciale au centime près. Ces laïcs en mission (avec un bon salaire) prennent les curés pour de simples manutentionnaires de cierges ou de dispensateurs de bénédictions.
    « Mal qui répand la terreur,
    Mal que l’épiscope en sa fureur,
    Inventa pour punir les curés de la terre,
    Le Fric (puisqu’il faut l’appeler par son nom)
    Capable d’enrichir la curie diocésaine
    Faisait aux ministres du culte la guerre » (d’après La Fontaine)

  • Les vicaires généraux, ou ces prêtres opportunistes, porte-voix de leur supérieurs sont inodores (pour la plupart) et sans saveur, heureux d’être à la droite et à la gauche de la mitre pour les honneurs (mais non pour le travail), surtout quand un beau liseré violet vient s’ajouter à leurs plus beaux habits de chœur ou leur carte de visite, « ecclésiastique quand tu nous tiens !!! »
    « Définis la cour un pas où les gens,
    Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,
    Sont ce qu’il plaît au prince, ou, s’ils ne peuvent l’être,
    Tâchent au moins de le paraître ;
    On dirait qu’un esprit anime mille corps;
    C’est bien là que les gens sont de simples ressorts… » La Fontaine
La simple constatation des faits et des tendances actuelles à l’œuvre au sein de l’Église de France suffit à le démontrer.

Face à cette situation, l’attitude d’une majorité d’évêques – consistant à ne pas voir cet ensemble de faits objectifs et à continuer obstinément à pratiquer cette pastorale délétère (la théorie du comme si… et de ces généraux sans armée) qui conduit à vider les églises en tournant le dos à deux millénaires de christianisme – demeure un défi lancé à la raison et un mystère parfaitement inexplicable.

L’Église qui est en France entre dans l’agonie du Vendredi Saint, mais pour combien de temps ? Ponce Pilate se lave les mains et combien de prêtres fidèles à la réforme de la réforme vont-ils encore vivre l’épuration du Goulag épiscopal ?

Dans tous les cas, redisons-nous que la vérité triomphe toujours, et c’est en soi une bonne Nouvelle ! Reste à savoir quand et à quel prix ?

Je ne saurais trop inviter les fidèles chrétiens à prier Marie comme le préconise notre pape François.

23 octobre 2018

[Mgr Fellay, fsspx - District des USA de la FSSPX] Entretien avec Mgr Fellay : Réflexions pour hier et demain

SOURCE - Mgr Fellay, fsspx - District des USA de la FSSPX - traduction de l'original anglais - 23 octobre 2018

Après la conférence de presse de l'Angelus, à laquelle il a participé en tant que conférencier, Mgr Bernard Fellay a pris le temps de répondre à quelques questions sur ses années comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, la façon dont les catholiques peuvent combattre la confusion dans l'Église, et le rôle qui est désormais le sien au sein de la Fraternité. 
Nous vous proposons le passage de cet entretien où Monseigneur Fellay, évêque auxiliaire de la FSSPX, parle de l'état de l'Église catholique en 2018.
"Nous vivons dans des temps très, très particuliers. En c’était en partie prévisible. Mais dans le sens, « cela pourrait arriver, mais espérons que cela n’arrivera jamais » ou même « non, cela ne pourra pas arriver, c’est impossible ! Dieu interviendra avant ça. » Cette situation est dramatique au plus haut point sur plusieurs niveaux. Mais je pense que le niveau le plus dramatique est celui de la vérité ; de l’enseignement. L’Église est par sa nature, par sa mission – cette toute première mission que Dieu a donnée à l’Église – maîtresse de l’enseignement. Elle l’est vraiment, c’est son rôle. Enseigner. Mais enseigner quoi ? La vérité ! La vérité que nous avons reçue dans la Révélation faite par Dieu. La Parole de Dieu – que c’est la mission de l’Église de donner au monde. Et c’est tellement fondamental que sans la foi il est impossible de plaire à Dieu et d’aller au Ciel, d’être sauvé ! Et cette mission, c’est la mission de l’Église.

Si, disons, de grands privilèges ont été donnés à l’Église (le privilège de l’infaillibilité par exemple), c’est pour cette raison. Et si on regarde maintenant où va cet enseignement – il devient flou, confus au plus haut point. Et si on descend, par exemple au niveau de l’enseignement du catéchisme, on se demande ce qu’il reste de ce catéchisme dans la pratique ! Si on regarde le résultat chez les jeunes, ils ne connaissent plus leur foi. Point. C’est très, très grave.

Le deuxième point, peut-être le plus visible ou palpable, qui est source de remous dans l’Église aujourd’hui, c’est le niveau de la morale. C’est la même chose, le même manque de clarté, la même confusion. A tel point que plus personne ne sait ce qui est vrai, ce qui est mauvais, ce qu’on a ou n’a pas le droit de faire sur des points très graves.

On commence, bien sûr, par Amoris laetitia, avec la question, « Est-ce que les divorcés qui vivent comme s’ils étaient remariés peuvent recevoir la Sainte Eucharistie ? » L’enseignement de l’Église a toujours été très clair. Et maintenant, un point d’interrogation a été introduit. J’appelle cela une zone grise. Ils ont essayé de créer une zone grise entre le « oui » et le « non ». Et évidemment, c’est impossible et inacceptable, et cela entraine un grand débat. La division dans l’Église – entre ceux qui disent « oui, vous pouvez » et ceux qui disent « non, vous ne pouvez pas ». Parce que l’Église a toujours été très claire là-dessus.

Alors, cette division crée ensuite une indépendance. Car les gens essaient de regarder qui c’est qui parle ; et la voix qui devrait parler ne parle pas. Alors ils finissent par compter sur eux-mêmes. C’est ça le résultat. Donc ça encourage tout le contraire de l’obéissance, ou bien l’obéissance devient arbitraire, ce qui est tout aussi mauvais.

Alors, que peuvent faire les fidèles d’un point de vue actif et positif ? Au niveau de la foi et la morale, ils doivent savoir. Avoir la conviction, une conviction forte, et la première conviction forte en matière de morale viendra de la doctrine. Ils doivent apprendre. Ils doivent lire de bons livres, les bonnes encycliques, le bon catéchisme. Jusqu’aux années 50, tout était bon. Vous pouvez aller voir n’importe quelle encyclique d’avant les années 60, il n’y a pas de risque. Vous y trouverez une nourriture et vous en avez besoin. Mais encore une fois, il faut apprendre, et ensuite, il faut mettre en pratique. Cette pratique vient de la conviction. Mais vous aurez besoin de la grâce, alors il faut prier.

Il y a beaucoup à faire, mais nous avons cette certitude que quand le Bon Dieu permet quelque chose, une épreuve, Il donne toujours la grâce et l’aide qu’il nous faut pour survivre, pour nous en sortir, et même pour grandir.

Alors, tout en étant conscient de la tragédie de l’Église, il ne faut pas paniquer. Ce n’est pas le moment de paniquer ; c’est le moment de prendre les choses au sérieux et d’aller de l’avant. L’aide de Dieu est là. Il n’y a aucun doute là-dessus, et je dirais même que l’existence de la Fraternité et de tous les fidèles qui y sont attachés en est la preuve.

+ Bernard Fellay, évêque auxiliaire de la FSSPX

22 octobre 2018

[Valeurs Actuelles] “36 séminaristes ont besoin de vous” : l'appel d'urgence du séminaire Saint Vincent de Paul

SOURCE - Valeurs Actuelles - 22 octobre 2018

L’abbé Vincent Baumann est le recteur du séminaire Saint Vincent de Paul, installé à Courtalain (28) depuis 2006. Il lance aujourd’hui un appel d’urgence pour l’avenir de ses séminaristes. 
Pourquoi cet appel d’urgence, pour votre séminaire ? 
Pour différentes raisons, nous avons besoin d’aide aujourd’hui pour envisager sereinement l’avenir de ce séminaire, et des séminaristes qui s’y forment. Nous avons acquis un bâtiment il y a trois ans, qui s’avère très coûteux, et certains séminaristes ont moins de moyens que d’autres pour s’acquitter de la participation aux frais qui leur est demandée, ce qui ne doit absolument pas être un obstacle. 

Or la formation coûte 12 000 euros par an et par tête ! Nous avons donc besoin du soutien des fidèles qui jugent nécessaire d’avoir des prêtres bien formés dans notre pays ou ailleurs, puisque certains arrivent de loin. Nous avons en ce moment 36 séminaristes, dont six jeunes hommes qui viennent d’entrer, la semaine dernière ! C’est donc un séminaire qui fonctionne bien, raison de plus pour le soutenir. 
D’autres séminaires pourraient les accueillir, pourquoi est-il nécessaire de sauver celui-ci en particulier? 
Notre communauté a une vocation particulière. L’Institut du Bon Pasteur a reçu du Saint-Siège une mission spécifique, en 2006 : la diffusion du trésor que constitue la Tradition catholique au sein de toute l’Eglise. Cette mission est aussi bien liturgique que doctrinale, et même pastorale. Notre but est donc de former de bons prêtres, pour les mettre au service des diocèses. 

D’autres séminaires enseignent « la messe en latin », pour le dire vite, mais le nôtre est le seul à assurer un cursus intégral de formation en France. Sans compter qu’il y a chez nous une sorte de flexibilité qui tient aux personnalités de nos fondateurs et à la petite structure qui est la nôtre. Et c’est ce qui attire. 

Nos séminaristes sont très libres de développer leurs inspirations, talents, dons ou particularités. C’est le choix de notre maison, et le relatif petit nombre le permet. Nous sommes fermes sur le fond, qu’il soit liturgique ou doctrinal. Mais avec une capacité d’adaptation énorme. Voilà notre originalité !
Si votre appel est entendu, comment imaginez-vous l’avenir ? 
Nous souhaitons nous investir de plus en plus en France et c’est pourquoi nous rencontrons beaucoup d’évêques. Nous cherchons vraiment à nous installer partout dans le pays, à leur service. Nous avons cette particularité dont je vous parlais, mais nous la concevons comme une richesse dans la diversité de l’Eglise. Beaucoup de gens sont heureux de la découvrir et tout se passe bien dans les diocèses qui nous font confiance. Notre mission est l’apostolat et je crois qu’elle est plus importante que jamais. 
L’Eglise a bien changé ces dernières décennies… Vous êtes restés à la messe en latin. Est-ce bien raisonnable? 
Nous sommes évidemment des enfants de l’Eglise, et cela ne fait aucun doute pour nous. Mais nous sommes attachés à cette tradition de l’Eglise, à cette messe qui a traversé les siècles ainsi qu’à la doctrine héritée de Saint Thomas d’Aquin. Cela ne veut pas dire qu’il y a un tabou sur Vatican II, contrairement à ce que beaucoup pensent. Il y a plusieurs domaines dans la maison de mon Père !

Les aider....
  • en adressant un chèque à l’ordre de « ACIBP Séminaire Saint-Vincent-de-Paul », à Séminaire Saint-Vincent-de-Paul / 20, place Alexandre Rillié / 28290 Courtalain
  • par virement bancaire via le site www.seminairesaintvincent.fr

21 octobre 2018

[Richard de Seze - Causeur] Le vivre-avec-chacun au secours du vivre-ensemble - La fraternité réalisée de l'abbé de Tanouärn

SOURCE - Richard de Seze - Causeur - 21 octobre 2018

Le livre de l’abbé Guillaume de Tanouärn, Le Prix de la fraternité, articule brillamment, et de façon surprenante, tous les thèmes qui structurent aujourd’hui le débat public en renvoyant à un fondamental, la fraternité, considérée comme constitutive de la nature humaine.


L’anthropologie chrétienne pose un fait simple mais crucial (et qui explique la croix) : l’homme est un être incomplet. Non seulement à cause du péché originel mais aussi, plus profondément, parce que l’homme, à l’image de Dieu, est un dynamisme, un développement constant, une actualisation constante de son être. Pas de perfection immobile au paradis ! Dieu a donc mis en l’homme – et avant même la chute – un élan d’amour naturel et universel : l’instinct et la capacité de fraternité.
L’homme, un tissu d’éternité
Un élan qui le pousse vers les autres car le développement de l’homme, son augmentation, passe évidemment par les relations qu’il noue avec son environnement et qui le constituent. Environnement naturel, bien sûr, mais surtout environnement humain : ces relations qui nous constituent sont les relations préexistantes, reçues (de l’engendrement à la langue maternelle, de la parentèle proche au système social d’éducation…), et celles que nous engendrons et que nous donnons, qui nous projettent (amitiés, éducation donnée, engagement politique, filiation…). C’est parce que l’homme est tissé de relations qu’il est tissé d’éternité.

La fraternité est donc le « mécanisme » psychologique intégré par Dieu à la nature humaine pour que nous ressentions ce qu’est le développement continu du monde, pour que nous le comprenions, pour que nous y participions. C’est la fraternité qui permet à l’homme de découvrir, au long de sa vie, ce que Dieu a mis en chaque homme ou plutôt de découvrir la présence continuelle de Dieu à l’œuvre dans le monde et par chaque homme. Mais la traduction politique de cette capacité fraternelle est double : soit la fraternité est exclusive, à la mode révolutionnaire et communautaire (c’est-à-dire qu’elle aboutit sûrement au massacre), soit la fraternité est inclusive, à la mode chrétienne (et royale, aurait-on tendance à dire, en rappelant l’heureux pluriel avec lequel le roi de France parlait de « ses peuples »). L’une des thèses du Prix de la fraternité, c’est qu’il faut décliner les modalités pratiques, sociales, et donc politiques, de cette fraternité à la lumière d’un double impératif évangélique : la tolérance (qui est le contraire du multiculturalisme) et le service de l’autre (qui réalise, dans l’expérience du proche, un « vivre-avec-chacun » qui ne peut pas se décréter idéologiquement et qui vaut mieux qu’un anonyme « vivre-ensemble »).
La fraternité réalisée
La tolérance est une vertu chrétienne, en tout cas le dominicain Cajetan, qui fut envoyé discuter avec Luther, en était persuadé, et l’abbé de Tanouärn après lui. C’est la parabole du bon grain et de l’ivraie qui en donne la clé : tout préserver jusqu’à la moisson finale, tout conserver pour ne pas risquer d’arracher le bon grain, et alors séparer ce qui est gardé et ce qui sera brûlé (ce sort final, clairement annoncé, suffit à dissiper tout soupçon de relativisme). La fraternité « est, au fond, l’autre nom de la tolérance véritable, non pas de cette tolérance qui consisterait à imposer l’idée que toute vérité, en tant que vraie, serait intolérante. Si la tolérance est véritable, par définition, elle n’est pas allergique au vrai, encore moins ennemie de la vérité… En revanche, elle est, elle se doit d’être foncièrement respectueuse des personnes. Et ce respect est la première vertu sociale, le degré zéro de la fraternité. Pour dire les choses de façon basique mais claire : l’intolérance est un péché. » Et aucune foi véritable ne peut aboutir à exclure. Car de même que la fraternité est une qualité naturelle, de même la foi est cette capacité commune à tous, qui est ce « premier mouvement, qui enseigne à chacun, au plus intime de lui-même, le respect des croyances authentiques qu’il trouve chez le voisin et qu’il peut, quelle que soit l’étiquette confessionnelle, rapprocher de sa propre croyance, voire de sa réponse philosophique ».

On voit qu’on peut alors formuler aujourd’hui un bien commun communément accessible à tous : le service de tous et chacun quel qu’il soit, mais le service incarné dans l’immédiat, le voisin, le proche, celui qu’on connaît et dont on éprouve l’existence. Le service mutuel qui, comme par hasard, est une injonction de saint Paul : « Soyons au service les uns des autres » (Eph. 5). Voilà le prix de la fraternité : le service, ici et tout de suite, car la fraternité de l’abbé de Tanouärn ne se déploie pas dans un espace théorique ou idéologique mais dans la réalité du monde et de la France d’aujourd’hui, la réalité et non pas l’image fantasmée d’un auparavant ou d’un demain forcément meilleurs, ni dans un présent amputé autant de ses côtés odieux que de ses réussites. Une fraternité qui n’est pas non plus, qui n’est surtout pas, une loi, n’en déplaise au Conseil constitutionnel. En effet, « l’observation de la loi religieuse écrite crée des petits groupes intenses, qui, dans la mesure où ils sont prosélytes, méprisent ceux qui ne l’observent pas et stigmatisent en eux ou des étrangers ou des faux frères ». Mutatis mutandis, les accusations de blasphème lancées par Schiappa ou Rossignol à l’encontre d’Hanouna ou Rochambeau participent de la même logique antifraternelle, qui essentialise la loi au lieu de privilégier la personne.
« Mon identité est l’acte par lequel je reconnais le monde comme mon monde »
Le vivre-avec-chacun, c’est la fraternité réalisée. Et l’identité, ce thème lancinant dans notre société désagrégée, s’explique à la lumière de la fraternité essentielle : « On pourrait dire : mon identité est l’acte par lequel je reconnais le monde comme mon monde, l’acte par lequel je m’approprie mon existence, et au fond, par conséquent, l’acte par lequel je peux dire que je suis. […] Cet acte est l’expression de ma liberté, mais en même temps il assume ce que je suis et ce que je n’ai pas choisi d’être, ce que je suis comme malgré moi, ce que j’emporte à la semelle de mes souliers, ce ‘nous’, antérieur à moi, à travers lequel j’ai accédé à mon être personnel, cette fraternité quotidienne que j’éprouve en trouvant les mots, en aimant les valeurs, en choisissant les sons et les couleurs, en développant une force plus vieille que moi en moi et absolument mienne. »

La fraternité réunit donc en chaque homme le passé de la société dans laquelle il évolue, sa propre vie et tous les germes qu’il a semés, elle justifie qu’il transmette, elle montre que cet échange permanent, cette réciprocité de services, n’est pas qu’un impératif rationnel mais une réalisation personnelle, un accomplissement personnel, social et naturel. Voilà clairement fondées la nécessité et la fécondité de la charité, extension de soi-même par le passage obligé de la rencontre de l’autre.