11 juin 2018

[Maubert - Acampado (fsspx)] Le dialogue

SOURCE - Maubert - Acampado - juin 2018

Par « dialogue», nous n’entendons pas ici la conversation, ou la discussion, mais une entente et des échanges entre personnes dont la pensée est divergente, moyennant des con cessions doctrinales.

On peut dire que les maîtres en la matière, au 20ème siècle, ont été les communistes. Malgré les atrocités qu’ils ont pu commettre, ils ont réussi par cette arme à séduire une multitude de chrétiens qui avaient pourtant été témoins de leurs exactions. 

Le père Dufay a fait une analyse détaillée du mécanisme du dialogue entre communistes et catholiques, en Chine. On est frappé de constater la quasi identité des méthodes communistes avec celles employées par la Rome moderniste à l’égard des communautés traditionnelles. Après avoir résumé l’explication du père Dufay, nous ferons le parallèle avec le dialogue entre Rome et ces communautés.
Dialogue entre communistes et catholiques en Chine 
Principe général 
Tout d’abord, le principe général est que tout ce qui émane des communistes est à interpréter dans le sens marxiste. Quand ils parlent de « patriotisme », c’est en fonction des principes marxistes, dans un but marxiste, donc matérialiste.
Faire glisser les catholiques sur le terrain politique
Pour attirer les chrétiens à adhérer à leurs mouvements et embarquer l’Église dans la Révolution, ils commencent par l’accuser d’être complice de l’impérialisme. Ils cherchent ainsi à l’attirer sur le terrain politique, transformant la religion en une question poli tique. Ainsi, le problème est faussé à la base. Les catholiques sont invités à militer « en tant que catholiques ». Dès lors, l’autorité civile revendique le droit et le devoir de contrôler la politique du groupe religieux, procédant aux épurations nécessaires. Tout opposant sera non plus un défenseur de la foi, mais un réfractaire politique. Dès lors, le gouvernement fait combattre les catholiques fidèles par les progressistes ; ils sèment la méfiance vis-à-vis des premiers, soulèvent les seconds contre eux. Comme le terrain est profane, il n’est plus question de martyre, aussi la volonté de résistance disparaît.
Des formules ambiguës 
La séduction du dialogue vient des formules ambiguës employées par les communistes : ceux-ci se présentent comme d’ardents défenseurs du patriotisme. Le patriotisme n’est-il pas un impératif du christianisme ? Entendre les communistes devenus patriotes, n’est-ce pas déjà une victoire du catholicisme ?

Les propositions avancées par les communistes ont toujours une interprétation catholique possible. De plus, ils disent vouloir cette interprétation. Mais ensuite, dans leur propre conduite, ils utilisent leur sens et leurs principes à eux. Ils savent pertinemment que, de part et d’autre, les mots n’ont pas le même sens. Toute leur politique de séduction et de main tendue est basée sur cette con - naissance. La Révolution est d’abord une praxis ; les mots sont un simple outil. Sa méthode étant la dialectique, elle utilise une pro position mal comprise comme un bélier contre la « vérité-cible ». Ici, en l’occurrence, elle va opposer « le patriotisme » et le Vatican.
Les concessions
Une fois les chrétiens attirés dans le guet-apens, commencent les concessions et compromis. Dans un cercle, quelqu’un lance une accusation contre tel évêque, jugé antipatriote. Au début, cela trouble les catholiques ; mais ceux-ci se voient obligés d’emboîter le pas, ayant admis le principe du patriotisme. Ainsi, ils posent des actes contre leur conscience ; et vite ils tombent dans la déchéance morale. Le communisme fait crouler l’Église sous la corruption des consciences, dont on ne se relève pas. C’est pire qu’une apostasie, c’est une répétition d’actes contre la foi, les idées se brouillent complètement.

Dès lors, la résistance devient impossible.

Tous n’ouvrent pas les yeux au même moment ; ainsi le bloc catholique se divise et se désagrège, morceau par morceau.
Conclusion : dès le début, refuser le dialogue, et préférer le martyre 
Par conséquent, il faut refuser le dia logue, lequel est déloyal, et à armes inégales. Les sourires des marxistes sont infiniment plus dangereux que leurs armes. Chaque fois que les communistes sentent une résistance chez les chrétiens, ils jettent du lest. Cela signifie que pour eux la rupture du dialogue est indésirable ; celui-ci est essentiel à leur but. Que faire ? Peut-on continuer le dialogue ? Non, car par ce manège, les communistes en traînent les catholiques dans leur dialectique matérialiste : c’est donc la foi qui est en jeu. Il faut, pour la sauver, accepter la persécution et le martyre. Mais ainsi, faisant des martyrs, le communisme prépare sa propre défaite. « Ayez courage, j’ai vaincu le monde », dit le Roi des martyrs. 
Dialogue entre la Rome conciliaire et les traditionalistes 
Principe général
Si nous appliquons tout cela à notre situation, le premier principe est que ce qui vient des modernistes est à interpréter en un sens moderniste. Nous l’avons vu, entre autres, au sujet de l’expression du « concile vu à la lumière de la Tradition ». Leur but est d’entraîner tout le monde dans la dynamique révolutionnaire de Vatican II, c’est-à-dire l’évolution des dogmes, et finalement l’œcuménisme, base de la « nouvelle évangélisation », et à terme, l’unité du genre humain dans la diversité des croyances, chacune étant égale et libre. 
Faire glisser les traditionalistes du plan doctrinal au plan disciplinaire
Pour attirer les traditionalistes dans ce mouvement, ils commencent par des accusations : «  vous êtes des dissidents, coupés de Rome. » Ou bien, ils font des propositions alléchantes : les possibilités d’un plus grand rayonnement apostolique ; enfin, rien de plus efficace que des cadeaux : le Motu proprio de 2007, la levée d’excommunications (2009), la juridiction pour les confessions, la délégation épiscopale pour nos mariages.

Il pourrait nous être opposé que le pape Benoît XVI, lorsqu’il a reconnu que la messe traditionnelle n’avait jamais été interdite et a déclaré que les prêtres du monde entier pouvaient la célébrer, n’a tout de même pas fait là une concession de détail. Certes, nous saluons le courage certain qu’il lui a fallu puisque ces paroles ont suscité la mauvaise humeur d’à peu près tout l’épiscopat. Mais la vérité demande de souligner que Benoît XVI, dans l’acte même où il lâche ces fortes con cessions, les reprend en même temps en souhaitant la fécondation réciproque des deux messes. Il ouvre en réalité un processus dialectique en vue de parvenir à une réforme de la réforme, consensus où chacun est invité à faire des concessions.
  
Quant aux autres concessions mention nées, c’est le Saint-Siège qui est gagnant, car il apparaît comme un bon prince, faisant miséricorde ; notre refus de faire des concessions apparaîtra comme d’autant plus odieux ; ainsi, une pression psychologique est exercée sur nous pour faire cesser le combat. Et ces avancées laissent entendre publiquement que les choses s’arrangent, alors qu’en réalité, le problème de fond, qui est doctrinal, demeure entier. 

Les catholiques de la Tradition sont invités à venir «en tant que fidèles de la Tradition » ; on veut embarquer la Tradition « en tant que telle » dans la Révolution ; il faut qu’ils gardent leur « charisme propre ». Par ce jeu, la lumière de la Tradition n’est plus celle qui doit éclairer tout homme ; elle est une opinion parmi tant d’autres. 

Ainsi, le processus de ralliement met en premier des questions pratiques, et entre parenthèses le problème doctrinal. C’est à ce niveau que s’opère le glissement. On ne nie certes pas la doctrine, mais on insiste sur la régularisation. Et à force de parler principale ment de cela, on finit par penser que nous sommes dans l’irrégularité. Tout est envisagé de ce point de vue. De la même façon que les communistes faisaient de la religion une question politique, ainsi les autorités romaines font de l’adhésion au concile une question d’obéissance. De cette façon, le motif du martyre - la foi - est supprimé. Toute réclamation contre les erreurs conciliaires ou contre les scandales œcuméniques sera taxée de désobéissance ou de péché contre l’unité. Ainsi, il n’y a plus de martyrs, et peu à peu la résistance disparaît. 
La réduction au silence, ou oubli du bien commun de l’église 
On voit par là que, par le fait même de la reconnaissance canonique, on se réduit au silence. Mgr Lefebvre le disait d’ailleurs à propos de Dom Gérard : « Ce n’est pas vrai qu’ils n’ont rien lâché ; ils ont lâché la possibilité de contrer Rome. Ils ne peuvent plus rien dire. Ils doivent se taire. » 

Ce point est fondamental, car, par là, on voit que, même si l’on n’exige de nous aucune déclaration doctrinale sur Vatican II, déjà on cesse de le critiquer, et, dans les faits, on entre dans la machine révolutionnaire : celle-ci, en effet, admet en son sein tout le monde avec ses opinions, mais à condition d’admettre comme défendables celles du voisin. Ainsi, dans les faits, en se taisant, on admet l’idéologie conciliaire comme acceptable ; dès lors, c’est une reconnaissance implicite de Vatican II. Puis, on ne tarde pas à relativiser les questions doctrinales, et à ad mettre explicitement les erreurs modernes. 

Ceci nous permet de donner une précision importante : la question du bien commun. Par notre combat doctrinal et notre opposition publique aux erreurs conciliaires, nous défendons le bien commun de l’Église. En nous taisant, nous serions admis dans l’Église officielle avec des avantages certains, mais ce faisant, nous mettrions notre bien particulier au-dessus du bien commun. Tel est le piège des libéraux : faire de l’absolu [la vérité, la Tradition] quelque chose de relatif. En effet, à ce moment, la vérité, la Tradition est considérée comme un bien pour certaines personnes attardées (nous), donc un bien relatif, mais en aucun cas un bien nécessaire pour tous, un absolu. 

Au contraire, notre attitude est une attitude de membres de l’Église. Le membre est la partie d’un tout ; la partie est pour le tout. Ce que nous voulons, c’est le bien de l’Église, le bien commun, à savoir, que Rome retrouve sa Tradition. Certes, quelques-uns peuvent penser que par une reconnaissance canonique on pourrait faire davantage retentir la voix de la Tradition ; les intentions sont sincères, mais nous avons vu que c’est une illusion. La petite chèvre de monsieur Seguin croyait qu’elle vaincrait le loup, mais la terrible réalité s’est imposée à elle. Ce qui compte, c’est la réalité objective. Il faut y réfléchir, car le bien commun, ici, est une question de salut éternel.