SOURCE  - La Croix - Nicolas César - 16 juin 2010
Le 27 avril, les « Infiltrés  » de France 2 mettaient en lumière les liens entre cette paroisse bordelaise  et l’extrême-droite, notamment un groupuscule appelé «Dies Irae». Une émission,  qui a créé un véritable scandale et compliqué un peu plus les relations déjà  tendues entre les diverses sensibilités du diocèse
« Je suis à la fois blasé et scandalisé », souffle Alexandre, jeune  catholique bordelais de 29 ans. 
Le  reportage des « Infiltrés » l’a profondément choqué comme bon nombre  de Bordelais. Il montrait, en caméra cachée, des jeunes d’un groupuscule  d’extrême-droite bordelais, 
Dies Irae, se réclamant de Dieu, tenant  de violents propos racistes et se préparant à la guerre civile.
Des jeunes, dont les locaux sont situés dans une cave sous l’église Saint-Éloi…  « Cela fait désormais huit ans que nous dénonçons l’occupation illégale  de l’église Saint-Éloi par ces intégristes. Leurs liens avec l’extrême-droite  sont de notoriété publique. Il faut que cela cesse maintenant », lance ce chrétien  qui se dit de « gauche ».
Un mois et demi après l’émission et 
une  « pluie » de communiqués, du diocèse, de Saint-Éloi, de la mairie, du  Parti socialise local, les « plaies » restent vives au sein du diocèse. «  Nous sommes victimes d’une injustice », s’émeut Nathalie, 44 ans, fidèle  de la paroisse incriminée. Cette pratiquante ne « digère pas la « campagne médiatique  pour les chasser », qui a suivi l’émission. « Nous sommes des gens normaux,  nous avons un travail. Nous ne sommes ni des nazis, ni des marginaux », déclare,  blessée, cet agent SNCF, qui rappelle qu’elle « appartient à l’Église  catholique ».
«Le Vatican a abusé de son pouvoir»
Pour  l’abbé Yannick Vella, curé de Saint-Éloi à Bordeaux, « cette émission  avait pour seul but de toucher le pape et l’Église dans son ensemble ».  L’abbé Philippe Laguérie, fondateur de la paroisse et supérieur général  de l’Institut Bon-Pasteur, dénonce, quant à lui, la « manipulation d’un  journaliste qui a été jusqu’à inciter des enfants de l’école  Saint-Projet à la haine raciale ».
L’affaire a été portée en justice, notamment par des parents d’élèves.  « C’est la rançon de l’action d’une communauté traditionnelle dans une  grande ville. », tente d’expliquer, « meurtri », Bernard, 43 ans, un autre  fidèle, qui a choisi Saint-Éloi pour la « liturgie, la richesse de la vie  spirituelle, du discours ».
« En réalité, les questions liturgiques cachent des questions politiques bien  plus graves », s’offusque Véronique de Poncheville, 65 ans. Pour elle, « le  Vatican a abusé de son pouvoir 
en  créant en 2006 l’Institut du Bon-Pasteur dans le dos de notre évêque,  le cardinal Jean-Pierre Ricard ».
«Le silence du pape nous fait perdre des fidèles»
À  cet égard, elle a signé l’appel en mai dernier des 72 laïcs lancé à  l’archevêque de Bordeaux pour faire entendre leur voix auprès du pape. 
La  « Conférence des baptisés de France » s’est également publiquement  indignée. Dans le même sens, le conseil presbytéral du diocèse a lui aussi  publié 
un  communiqué, demandant à ce que « des limites soient posées pour ne pas  courir le risque de perdre le sens de la communion et de la vérité du message  évangélique ».
L’amertume est palpable chez plusieurs prêtres. « Sous couvert d’unifier  l’Église, le pape a simplement voulu récupérer des prêtres », note le P.  Jean-Baptiste Lagüe, 60 ans, vice-président du conseil presbytéral de  Bordeaux. Aujourd’hui, ce curé se dit « lassé ». Il se plaint de recevoir  régulièrement des mails critiques et moralisateurs de traditionalistes. « Ils  nous accusent d’avoir vidé les églises en abandonnant le rite tridentin.  Tout ceci crée un climat malsain, usant. »
« Le silence du pape vis-à-vis de Saint-Éloi nous fait perdre des fidèles et  nuit à notre image », s’inquiète P. Xavier Jahan, curé de la paroisse  Notre-Dame-des-Anges à Bordeaux. Ainsi, Isabelle, 27 ans, une jeune catholique  bordelaise, proche de la communauté du Chemin-Neuf, se dit « prête à quitter  l’Église catholique pour rejoindre l’Église réformée de France, si rien  ne change ».
Saint-Éloi revendique le soutien d’une partie du clergé de Bordeaux
Conscient  que l’affaire a « blessé » la communauté catholique bordelaise, le  cardinal Ricard a décidé début mai de créer une commission de relation avec  les traditionalistes de la paroisse Saint-Éloi. « C’est une excellente idée.  Il est nécessaire de renforcer le dialogue », avance Anne-Claire Boulet, 46  ans, responsable de la communauté de l’Emmanuel en Gironde.
Par ailleurs, pour « recadrer leur place dans le diocèse », l’évêque a  convoqué une réunion le 11 mai du conseil presbytéral avec les trois prêtres  de Saint-Éloi. Il leur a été reproché, entre autres, de ne pas avoir concélébré  et communié, lors de la dernière messe chrismale, pourtant symbolique de  l’unité de l’Église.
« Il s’agit simplement de rattraper le retard », se défend l’abbé  Philippe Laguérie, qui assure que « les échanges privés avec d’autres  communautés du diocèse n’ont pas manqué et se sont révélés fructueux ».  L’abbé Yannick Vella, quant à lui, se dit « prêt au dialogue » et  revendique le soutien d’une partie du clergé de Bordeaux.
Certains espèrent que la convention ne sera pas renouvelée
Mais  beaucoup restent dubitatifs. « Cette commission devait déjà être instituée  en 2006, mais aucun prêtre ne voulait y aller, car les traditionalistes  pratiquent le double discours », fait remarquer P. Jean-Baptiste Laglüe. «  Pour que le dialogue fonctionne, il faut que l’on soit en vérité les uns  avec les autres », rappelle P. Francis Ayliès, curé de la Trinité à  Bordeaux.
La situation est devenue si tendue que le cardinal Ricard a décidé d’annuler  la procession du Saint-Sacrement qui devait être organisée le 6 juin dans les  rues de Bordeaux à l’initiative des catholiques traditionalistes, qui avaient  invité l’archevêque a les rejoindre. « Cela aurait été vécu comme une  provocation », explique P. Jean-Baptiste Laglüe, qui estime que l’archevêque  n’a pas marqué suffisamment de limites avec Saint-Éloi.
« La réconciliation n’est que théorique. C’est une frange de l’Église  qui n’est pas dans le dialogue », s’indigne Gaëlle, une laïque de 30 ans.  Pour autant, faut-il les exclure ? « Cela ne résoudrait pas le problème,  reconnaît Bruno, 62 ans, un fidèle bordelais. Il y a 20 ans, nous avons exclu  Mgr Lefebvre et ça n’a rien changé… ». Aujourd’hui, certains  catholiques espèrent que 
la  convention avec l’Institut Bon-Pasteur, qui arrive à terme l’an  prochain, ne sera pas renouvelée.
Le cardinal Canizares à Saint-Éloi le 10 juillet
Le  sentiment de ne pas avoir été écouté par les instances romaines est aussi  durement ressenti par certains. « Ce centralisme autoritaire n’est plus  audible dans notre société », estime Véronique de Poncheville. « L’avenir  de l’Église doit se construire avec ses fidèles. La parole de l’Église ne  redeviendra pertinente que si elle circule », appuie le P. Xavier Jahan.
« La balle est dans le camp des fidèles de Saint-Éloi. À eux de nous montrer  désormais leurs bonnes intentions », lance Claudie Lavau, 62 ans, une  paroissienne de Sainte-Eulalie à Bordeaux.
En attendant, l’Institut du Bon Pasteur annonce la venue, le 10 juillet  prochain, dans l’église Saint-Éloi du cardinal Antonio Canizares Llovera, préfet,  à Rome, de la Congrégation pour le culte divin, afin de procéder à des  ordinations.
Nicolas CÉSAR, à Bordeaux