4 juillet 2012

[Mgr Andrés Morello, Compagnie de Jésus et de Marie] Patinage sur glace

SOURCE - Mgr Andrés Morello, Compagnie de Jésus et de Marie- 4 juillet 2012

[NdTN: Andres Morello a été ordonné prêtre par Mgr Larcel Lefebvre - il a ensuite dirigé le séminaire argentin de la FSSPX qu'il a quitté en 1989 - il a depuis fondé la 'Compagnie de Jésus et de Marie' d'inspiration ignacienne - puis a été sacré évêque en 2006 dans la succession apostolique de Mgr Guerard des Lauriers]

Patinage sur glace

Breviter (brièvement)

À supposer que le compromis avec Rome soit rejeté pour cause de « conditions inacceptables », où en serait la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X ?

Elle en serait au point où elle était auparavant : avec ce cœur divisé en deux qui a toujours été le sien.

Lors du premier Chapitre général (en 1982), Mgr Lefebvre dut réduire au silence « un des anciens », parce que celui-ci défendait avec insistance les éléments les plus libéraux; or, ce clerc alors « réduit au silence » se trouve être aujourd’hui un des « remparts » de la Tradition. Il ne défend pas une mauvaise doctrine, il est aimable et condescendant, mais ce n’est pas un homme de gouvernement ; aux côtés de Mgr Lefebvre, il fonctionnait bien, et son cœur l’entraînait loin de ceux qui avaient peut-être été ses premiers amis, au début de la Fraternité.

Il existe toujours, chez les hommes, des niveaux de fermeté acceptables et des limites qu’on ne doit pas franchir ; ce sont ces dernières qui, une fois franchies, sont causes de ruine dans n’importe quelle congrégation.

Prenons un exemple : si l’on n’ose pas dire ou conclure que la nouvelle messe est invalide, il faut du moins avoir un motif quelconque de la rejeter et de ne pas la célébrer.

Tout principe théologique dogmatique concernant un acte humain a forcément pour pendant un principe théologique moral. Si, par exemple, les « dangers pour la Foi » sont de nature à corrompre la Foi, il faut s’y soustraire, car plus le risque est grand, plus on doit l’éviter.

Dans le cadre de cet exemple, posons-nous les questions suivantes :
La nouvelle messe est-elle bonne ou mauvaise ?
N’ose-t-on pas la contester ?
Partant, est-elle douteuse, dangereuse, éloignée de la théologie catholique de la Messe, a-t-elle causé du tort à l’Église ?
Si la réponse est oui, alors je ne la célèbre pas (Mgr Lefebvre).
Si la réponse est non, alors je peux la célébrer (Dom Gérard, Mgr Rifan).
Et si je la célébrais, ma conscience me laisserait-elle en paix ?
Si la réponse est oui, alors la nouvelle messe est bonne ou indifférente.
Si la réponse est non, alors elle est mauvaise ou dangereuse.
« Elle n’est pas mauvaise ! », me dira-t-on ; alors elle est dangereuse.

Mais une messe peut-elle être dangereuse ? A-t-elle le droit de l’être ? La morale catholique admet-elle que l’on dise une « messe » dangereuse ? N’est-ce pas comme baptiser sciemment (scinter) avec une matière douteuse ? N’est-ce pas un péché, même seulement commis par imprudence, avec la circonstance aggravante qu’il affecte une action qui devrait être sacrée ?

La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X maintient la division des eaux, et ce depuis de nombreuses années, car tout le monde ne pense pas de la même manière et ne peut donc souhaiter la même chose.

Mgr Lefebvre disait que le nouveau Code de droit canonique ne valait rien ; or, la maison généralice s’en sert aujourd’hui pour empêcher Mgr Williamson de se rendre au prochain Chapitre général.

On me dira : « Que vous importe ? » Cela m’importe, justement, d’un point de vue chronologique (comme à quelqu’un qui constate un effet), parce que je suis membre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie depuis plus longtemps que d’autres, qu’une partie de ce que j’y ai fait en son temps leur sert aujourd’hui et que j’ai formé au moins quatre générations complètes de prêtres en tant que Directeur du Séminaire d’Argentine de la Fraternité. Pourtant, comme disait saint Thomas d’Aquin, tous ont reçu la même formation « sortem tamen inaequalem » (quelque variable qu’en soit le résultat). Or, on assiste aujourd’hui à des réactions opposées entre ex-condisciples ayant pourtant reçu la même nourriture spirituelle. Pourquoi ? À cause de l’action dissolvante de certains professeurs ou directeurs de conscience qui n’ont cessé de couper le vin, et la même chose s’est produite dans les autres séminaires.

Cela m’importe, comme à quelqu’un qui fait une analyse objective d’une chose ne l’affectant plus, mais risquant de nuire à des hommes valables et intègres qu’il a connus et qu’il apprécie à hauteur de leurs mérites.

Pour réussir quelque chose ensemble, il faut que l’opération soit dirigée par une pensée uniforme. Si chacun réfléchit à sa manière et agit à sa guise, tous font ce qu’ils veulent, et la guerre est perdue d’avance.

Qu’a réussi Ratzinger ?

Il n’a toujours pas avalé le banc de poissons, mais il en a accentué la division. On va voir maintenant qui a la maîtrise des eaux et de quelle manière Rome va continuer d’accroître cette division. Rome ne veut pas embrasser la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, elle cherche à l’étouffer, comme elle l’a fait jusqu’à présent avec tous ceux qui ont pactisé avec elle. Si Rome a changé, comme d’aucuns le prétendent, pourquoi n’a-t-elle pas changé vis-à-vis des congrégations qu’elle a déjà fait « rentrer dans le rang » et qu’elle empêche depuis de pratiquer librement la Tradition ?

Je ne dis pas – on voudra bien le noter – que Ratzinger a causé la division ; je dis que cette dernière existait déjà et qu’il a su mettre le doigt dans la plaie.

Unum sentire (sentir de même)
Unum velle (vouloir de même)
Unum agere (agir de même)

Tant que l’on restera libre de se demander si la nouvelle messe est bonne ou mauvaise, si les nouvelles ordinations sont valables ou non et s’il est licite ou non d’utiliser le nouveau Code de droit canonique (j’ajouterai encore : si quiconque est habilité ou non à se prononcer sur ces questions), la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X continuera de patiner sur la glace, et il sera facile de la faire choir d’une bourrade.

Le doute positif pratique (au moins probable) en matière grave est plus que suffisant pour rendre un jugement négatif sur une chose ou une action et, par conséquent, pour la rejeter entièrement. C’est que l’on nous a enseigné et que j’ai enseigné à mon tour des années durant en théologie morale (« Celui qui n’a pas un jugement pratique certain sur la licéité d’une action ne peut agir, et s’il lui faut agir, il est tenu de s’en tenir au plus sûr… À ce qui permet le mieux d’éviter de mal agir, d’où l’axiome “En cas de doute pratique, il faut choisir la voie la plus sûre” » (Benedicto Merkelbach, O.P., Summa Theologiae Moralis T. 1, n. 215, Desclée, Paris 1938, p. 200) (Manuale Theologiae Moralis, J. Prümmer, T. 1, n. 329 et suivants).

Il n’est pas licite de réduire à une discussion de théologie dogmatique ce qui comporte nécessairement une action extérieure responsable ; en l’occurrence, la théologie dogmatique et la théologie morale doivent répondre ensemble de ce qui est bien ou mal, de ce qui est vrai ou erroné.

Tant que règnera une pensée ou une volonté libérale, le colosse de fer conservera des pieds d’argile, avec tous les risques d’effondrement que cela comporte.

« Vous êtes rigoriste ! », me dira-t-on.

Eh bien, répondrai-je, prouvez-le avec des arguments, non des propos reçus de la bouche d’autrui. En l’espèce, vous devrez me permettre de démontrer votre libéralisme aussi bien théorique que pratique et, par conséquent, votre incapacité radicale de gagner cette guerre (incapacité partagée par bien d’autres que vous).

Ave María Purísima
4 juillet 2012
+ Andrés Morello