1 janvier 1970

3 décembre 1969 [Paul VI - Vatican] Audience générale (III)

SOURCE - Paul VI - Vatican - 3 décembre 1969

Chers fils et chères filles,

Nous voudrions un instant scruter vos âmes. Nous supposons que tous vous êtes fidèles et de bonne volonté, désireux de rencontrer le visage de la vraie Eglise. Ce visage est jeune et vivant, beau comme celui de l'épouse, l'épouse du Christ, «sans tache ni ride, sans défauts, sainte et immaculée» (cf. Ephés., 5, 27), comme dit saint Paul, et comme le Concile nous l'avait laissé espérer. Mais il nous semble entrevoir en vous un douloureux étonnement: où est l'Eglise que nous aimons et désirons ? Celle d'hier n'était-elle pas meilleure que celle d'aujourd'hui ? Et celle de demain, que sera-t-elle ? Un sentiment de confusion semble se répandre parmi les enfants de l'Eglise, même parmi les meilleurs, et parfois aussi chez les plus qualifiés, ceux qui font le plus autorité.

On parle beaucoup d'authenticité. Mais où la trouver alors que tant de choses caractéristiques, certaines même essentielles, sont mises en question ? On parle beaucoup d'unité. Mais combien veulent aller chacun de son côté ! On parle beaucoup d'apostolat. Mais où sont les apôtres généreux et enthousiastes alors qu'on voit les vocations diminuer et le laïcat catholique perdre de sa cohésion et de son esprit de conquête ? On parle beaucoup de charité. Mais dans certains milieux, même dans les milieux ecclésiastiques, souffle un vent de critique et d'amertume qui ne peut certainement pas être le vent de Pentecôte. Et que dire de cette marée d'hostilité à la religion et à l'Eglise qui monte autour de nous ? Un sentiment d'incertitude envahit le corps de l'Eglise, comme un frisson de fièvre. Est-il possible qu'il vienne à paralyser le charisme de la sécurité et de la vigueur qui caractérise l'Eglise catholique ?

Chers Fils, quel long développement mériterait ce diagnostic spirituel, moral et psychologique du peuple chrétien en cette heure où le monde entier est dans la bourrasque ! Selon notre habitude, lors de ces brefs entretiens hebdomadaires, nous ne faisons qu'évoquer ce diagnostic, uniquement pour que vous sachiez que le Pape y pense et que vous aussi vous devez y penser. Nous vous dirons avant tout qu'il ne faut pas trop se laisser impressionner, ni encore moins effrayer. Même si les phénomènes préoccupants paraissent devenir graves, il faut cependant constater qu'ils naissent souvent dans des minorités numériquement faibles, et qu'ils proviennent très souvent de sources dépourvues d'autorité.

Les moyens publicitaires modernes envahissent aujourd'hui l'opinion publique avec une facilité tapageuse et grossissent démesurément des faits insignifiants. Il reste encore une immense majorité de gens sains, bons et fidèles sur lesquels nous pouvons compter. C'est à eux que va notre confiance. Nous les invitons, nous les exhortons à tenir bon et à se montrer plus conscients et actifs. Le peuple chrétien doit de lui-même s'immuniser et s'affermir, silencieusement mais sûrement. La diffusion de la parole vraie et saine — la prédication sacrée, l'école fondée sur les principes chrétiens, la presse catholique, celle qui diffuse le magistère de l'Eglise — peut être un bon antidote contre le vertige où nous entraînent ces trop nombreuses voix tapageuses qui aujourd'hui alimentent l'opinion publique.

Celle-ci tend actuellement à se créer également avec une méthode que nous pouvons qualifier de nouvelle : les enquêtes sociologiques. Elles sont à la mode. Elles se présentent avec des méthodes rigoureuses qui semblent tout à fait positives et scientifiques. Elles ont pour elles l'autorité du nombre. De sorte que le résultat d'une enquête tend à devenir décisif, non seulement pour observer un fait collectif, mais aussi pour indiquer des normes de conduite conformes à ce résultat. Le fait devient loi. Si ce fait est négatif, l'enquête tend également à le justifier comme normatif. Et puis, l'objet d'une enquête est généralement partiel, comme isolé du contexte social et moral dans lequel il s'insère. Souvent, il porte uniquement sur l'aspect subjectif du fait observé, c'est-à-dire sur l'intérêt qu'il présente du point de vue psychologique, privé, et non pas sur l'intérêt général, la loi à suivre.

L'enquête peut alors engendrer une incertitude morale qui est fort dangereuse du point de vue social. Elle sera toujours utile en tant qu'analyse d'une situation particulière. Mais pour nous, qui recherchons le Royaume de Dieu, elle devra soumettre ses résultats à des critères différents et supérieurs, notamment les critères des exigences doctrinales de la foi et de la pastorale, laquelle doit guider vers le chemin de l'Evangile.

Cela nous amène à nous demander si les malaises dont souffre aujourd'hui l'Eglise tout entière, ne sont pas dus principalement à la contestation, tacite ou ouverte, de son autorité, c'est-à-dire de la confiance, de l'unité, de l'harmonie, de l'union dans la vérité et la charité, cette union dans laquelle le Christ a conçu et institué son Eglise, et dans laquelle la tradition l'a développée et nous l'a transmise.

Et alors, nous voudrions qu'en venant ici, dans un esprit de recueillement et de confiance, auprès de la tombe de l'apôtre sur lequel le Seigneur a fondé son Eglise, vous voyiez le visage idéal et céleste de l'Eglise, une, sainte, catholique et apostolique, et en même temps, le visage terrestre de l'Eglise réelle, humaine et toujours imparfaite, mais engagée, aujourd'hui spécialement, dans un admirable effort, à la fois douloureux et joyeux, pour être telle que le Christ l'a voulue, en faisant rayonner sa lumière et sa parole, et en faisant siens tous les dons, tous les besoins, toutes les souffrances du monde présent.

Pierre ne change pas; et cela peut vous apporter le réconfort dont en ce moment vous avez secrètement besoin: celui de la sécurité. Pierre est toujours vivant; il vit du Christ qui passe de l'avènement de Bethléem à l'avènement du dernier jour dans les siècles, dans notre histoire, cette histoire toujours égale, toujours en croissance, comme un arbre plein de vie parti d'une petite semence et qui à chaque saison se revêt d'une nouvelle frondaison. Un maître de l'antiquité (celui qui nous a donné la formule doctrinale de la tradition ecclésiale authentique, formule que le Ier Concile du Vatican a faite sienne — cf. Denzinger 3020 — «que dans l'Eglise catholique on ait le souci de conserver ce qui a toujours été cru, partout et par tous»), saint Vincent de Lérins, Père de l'Eglise, moine érudit du Ve siècle, nous a aussi donné la formule du développement doctrinal du christianisme: «la doctrine de la religion chrétienne se consolide avec les ans, se développe avec le temps, s'élève avec l'âge... hoc idem floreat et maturescat... proficiat et perficiatur» (Commonitorium, PL, L, 668). Cette formule n'admet pas les changements substantiels, mais elle explique les développements vitaux de la doctrine et de la discipline de l'Eglise. Cette formule, Newman la fera sienne, et elle le conduira à l'Eglise romaine. Nous pourrons la méditer nous aussi pour comprendre certaines nouveautés importantes dans l'Eglise d'aujourd'hui, lesquelles excluent tout fléchissement de sa pure orthodoxie et attestent sa continuelle et florissante vitalité.