SOURCE  -        Paterculus - Le Forum Catholique - 23 mars 2008
Après mon absence du forum tout le temps du carême,        j’éprouve le besoin de faire le point. Parfois je suis d’accord avec        mon interlocuteur, mais une certaine gêne m’empêche de l’écrire.        C’est que, si je suis d’accord sur le fond, quelque chose dans le        contexte m’interdit d’en convenir. Et ce contexte inhibant, c’est un        climat de suspicion, voire d’accusation, envers l’Eglise.       
Prenons l’exemple de la génuflexion après la consécration. Certes,        il vaudrait mieux la faire avant de montrer l’hostie aux fidèles, afin        de manifester que leur assentiment n’est pas requis pour que la        transubstanciation s’accomplisse. Cela je veux bien en convenir. Mais        faut-il y voir une intention des réformateurs de la liturgie de diminuer        le sens de la messe ? Je ne le crois pas. Il est clair qu’ils ont voulu        éviter le redoublement de la génuflexion, avant et après l’ostension.        Là où ils se sont trompés, c’est en absolutisant leur perception de        la liturgie, et en négligeant la volonté des Pères Conciliaires de        faire en sorte que la liturgie révisée apparaisse comme en continuité        avec les formes précédentes. S’ils avaient suivi cette indication, ils        se seraient contentés de rendre l’une des deux génuflexions        facultative. Et le bon sens – le sensus fidei – l’aurait emporté :        là où l’on n’aurait fait qu’une génuflexion, on l’aurait faite        avant l’ostension.
Cet exemple sur un point de détail m’amène à formuler une        recommandation. Il faut se garder des procès d’intention. Certes        l’historien se doit de tenter de les percer, mais si elles ne sont pas        clairement exprimées, il ne peut être totalement assuré de ses        conclusions. On me dira que tant de garde-fous contre le protestantisme        ont sauté que l’intention de protestantiser la liturgie est évidente.        Je répondrai que les intentions des individus ou des groupes, si elles        sont mauvaises, ne sont pas celles de l’Eglise. Celle-ci est sainte. Et        justement l’intention de l’Eglise, qui apparaît dans les énoncés        dogmatiques, se retrouve dans le maintien de l’orate fratres et de son répons.        C’est, à ce qu’il me semble, la volonté expresse de Paul VI qui nous        a valu ce maintien d’un texte incompatible avec les théologies        courantes des réformés (à l’exception de certains groupes qui se        trouvaient alors très influencés par la théologie catholique).        L’intention de Paul VI, par conséquent, n’était pas de        protestantiser la liturgie, même si la suppression de certains points        rend le missel qu’il a promulgué moins choquant à première vue pour        des protestants.
Et de toute façon l’intention de l’Eglise en sa sainteté est        droite. Ainsi que le reconnaissait Mgr Lefebvre et que le reconnaît à sa        suite la fraternité Saint Pie X, le nouveau missel n’est pas hérétique.        Il est donc catholique. On dit qu’il peut conduire à l’hérésie. Là        je m’interroge : comment quelque chose de catholique peut-il conduire à        l’hérésie ? Cela ne se peut pas. Je vois là une contradiction dans        les termes. Autant je puis admettre qu’on préfère une liturgie qui        manifeste davantage la spécificité catholique, autant je ne peux pas        accepter qu’on accuse l’Eglise. Autant je comprends qu’on se batte        pour ce type de liturgie, autant je déplore qu’on sorte de l’Eglise        pour le faire. L’Eglise ne peut pas traiter avec des gens qui sont en        dehors d’elle pour savoir ce qu’elle doit faire chez elle. C’est de        l’intérieur de l’Eglise qu’on lui parle comme à une mère pour lui        exprimer ses besoins, ses souhaits, ses convictions.
C’est de l’intérieur de l’Eglise que viendra la « réforme de        la réforme » à laquelle nous aspirons. Je ne juge pas, ce faisant,        l’attitude de Mgr Lefebvre au moment des sacres. Il y avait un blocage        à Rome, qui explique que le geste ait pu être posé sans forcément        sortir de l’Eglise (et c’est à elle seule d’en juger).        Aujourd’hui le blocage est tombé. Benoît XVI appelle ouvertement à ce        que les deux missels interfèrent l’un avec l’autre. Voici un exemple        que j’aime envisager. La richesse du lectionnaire du missel récent fait        paraître bien terne à mes yeux celui de l’ancien (mais on est        absolument pas obligé d'en convenir!). Ne pourrait-on pas élargir        celui-ci, en répartissant les lectures des dimanches sur trois ans en        profitant des évangiles parallèles, et proposer pour la semaine des        lectures en rapport avec celles du dimanche ? Il me semble que c’est        cela qui aurait dû être fait par les organisateurs de la réforme        liturgique s’ils avaient voulu respecter la demande de continuité faite        par le Pères Conciliaires. Et une fois ce travail accompli, on        autoriserait l’usage de ce lectionnaire pour l’un et l’autre missel.
Bref, on obtiendra beaucoup en se situant à l’intérieur de        l’Eglise Une et Sainte, en respectant son unité et sa sainteté. Pour        cela il faut s’abstenir des procès d’intentions. Il ne faut jamais désespérer        de l’Eglise, même si ceux qui nous gouvernent sont décevants. Un        exemple de ce sentiment de déception que j’éprouve est celui des        traductions liturgiques. Là l’intention de gommer un grand nombre de        points importants pour le dogme est manifeste, à cause de la constance        avec laquelle ces fautes sont faites, sans qu'il y ait d'autre explication        que cette volonté. Que des traductions aussi idéologiques aient pu être        approuvées par Rome a quelque chose de scandaleux, au sens fort du terme.        Et si un historien prouvait que ceux qui ont préparé leur approbation        sont les mêmes que ceux qui ont rédigé le nouveau missel, on aurait une        bonne probabilité de connaître leurs intentions véritables. Mais encore        une fois, l’assistance divine promise par Jésus à l’Eglise met        celle-ci à l’abri des intentions perverses de ses membres. Que nos évêques,        sept ans après « Liturgiam Authenticam » où Jean-Paul II faisait        demander une révision de ces traductions selon des normes extrêmement précises,        n’aient pas même commencé à préparer l’opinion catholique à cette        révision, et que ces évêques aient été nommés par ce même Jean-Paul        II, tout cela montre à quel point nous en sommes : les conséquences de        la crise ne sont pas derrière nous, mais devant. Raison de plus pour        trouver l’attitude juste dans nos doléances.
Les mêmes remarques, mutatis mutandis, valent pour l’appréciation        du Concile Vatican II. Mais comme j’ai déjà été long – beaucoup        plus que je ne le pensais – je remets cela à plus tard, si des liseurs        le souhaitent.
Excellente fête de Pâques à tous !
Votre dévoué Paterculus.
